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De quelle fonction maternelle s’agit-il ?

Dans le document Différences des sexes et des générations (Page 149-154)

Partie 2 : Les trois figures d’autorité

4. Trois figures d’autorité

4.2 Deux figures d’autorités parentales basées sur la différence des sexes

4.2.1 La mère : l’autorité pour augere

4.2.1.1 De quelle fonction maternelle s’agit-il ?

« Cette crise consiste en une impasse dont l’issue ne relève pas du développement, impasse à laquelle conduit le fait qu’il n’est pas de sujet qui ne dépende de l’Autre (parental) pour sa survie, un Autre qui, par les moyens du langage, dispense les soins. » (M-J. Sauret, 2006, p 24)

Je vais préciser un peu plus la position maternelle nécessaire pour que la figure d’autorité de la fonction maternelle se construise. Cela n’a pas été fait auparavant par souci de ne pas glisser du point de vue de l’enfant, à celui de la mère. Il s’agit d’une position dans le lien à l’enfant, au sens d’une modalité particulière de relation avec l’enfant.

Dans son séminaire sur l’angoisse (1962-1963), Lacan définit la mère comme l’autre tenant lieu de l’Autre pour le bébé, de par sa position inscrite dans le féminin : « Car l’inconscient, structuré par la logique linguistique de l’un phallique, ignore l’ « Autre sexe » : de sorte qu’il n’y a pas d’universel de la femme, « la femme n’existe pas » selon un aphorisme devenu célèbre (J. Lacan, 1975). Les femmes n’existent qu’une par une, et doivent se fabriquer sur ce défaut de modèle, à partir de ce vide constitutif, qui implique – c’est le mode leur castration spécifique – la nécessité de renoncer à incarner la Féminité mythique … » (A. Juranville, 2008, p 31). « En tant qu’elle « n’existe pas », dès l’aube de la vie de l’enfant, elle s’efface pour creuser en lui l’appel de l’altérité apte à constituer le désir ». (A. Juranville, 1993, p 243). A ce titre, la mère, à partir d’une position maternelle adossée au féminin, ne peut occuper la fonction d’auteur, notamment de l’autorité ; ce que

la position du masculin permet, quand le discours social, tel que le patriarcat, constitue un appui.

Elle va transmettre à l’enfant, et ce d’emblée, les particularités de l’Autre, qui la détermine elle-même : elle va l’introduire au système symbolique dont elle fait partie. Elle fait cela autour de ce que l’on appelle le nursing. Ainsi elle transmet à son enfant un « savoir de l’Autre », selon les termes de M-J. Sauret (2009,p 282), sur deux niveaux structuraux distincts : le niveau du grand Autre, que l’on peut traduire comme ses représentations culturelles, et ses réactions propres face aux situations, qui, elles, ressortent du niveau du petit autre à travers les signifiants de sa langue maternelle.

Sa plus grande fonction est celle de traduction des besoins de l’enfant en demandes désirant être satisfaites et qu’elle désire satisfaire : elle opère ce qui permet à l’enfant de ne pas entendre son cri tel qu’il est sorti de sa propre bouche, ce qui lui permet de se situer à la fois dedans par le cri et dehors par l’entendu, non pas de son cri, mais de ce qui est désormais sa demande (Cf. les travaux de G. Pommier, 2007). Elle est donc dans un mouvement identificatoire avec l’enfant, régressif car il s’agit pour elle de s’occuper de lui comme on l’a fait pour elle, ou comme elle aurait aimé que quelqu’un le fasse (F. Marty, 2002). En un mot, le rôle primordial de la mère est de considérer l’enfant comme un être de désir dès sa naissance, voire avant, et non comme être de besoin. Et c’est sur le chemin de la demande que le sujet constitue son désir : au stade de la relation orale, la demande et la réponse se signifient, pour l'enfant et la mère, dans la relation partielle bouche/sein. Ce niveau est celui du signifié. A partir de cette première réponse, le but de la demande va devenir la recherche de cette activité d’absorption, source de plaisir. Et le désir va se constituer à partir de la réponse, cette expérience d’assouvissement du besoin. La façon de donner révèle à l’enfant quelque chose du désir de sa mère, et de là il va appréhender la différence entre le don de nourriture et le don d’amour. Parallèlement à l’absorption de

nourriture, il y a introjection d’une relation fantasmatique où l’enfant et l’autre sont représentés par leurs désirs inconscients. C’est de cet écart entre demande et désir, lieu d’où surgit la frustration, que le niveau du signifiant émerge.

La fonction où se fonde le désir est donc en relation avec la distinction du désir et du besoin : par sa réponse, l’Autre dans la mère va donner la dimension de désir au cri du besoin. Ce désir dont l’enfant est investi est le résultat d’une interprétation subjective, fonction du désir maternel, de son propre fantasme. C’est donc par le biais de l’inconscient de l’Autre que le sujet fait son entrée dans le monde du désir. Mais son propre désir, l’enfant aura à le constituer en tant que réponse, acceptation ou refus de prendre la place que cet inconscient de l’Autre lui désigne. D’autant que le désir est ailleurs : ce qu’il cherche chez l’autre est le désirant plutôt que le désirable, c’est-à-dire ce qui lui manque.

Le désir se constitue par nature comme ce qui est caché dans l’Autre par structure.

L’impossible à l’Autre est justement le désir du sujet. Ainsi aucun n’objet ne convient à la demande et l’harmonie idéale est une illusion, bien que nécessaire, effet de l’impossibilité de l’Autre de répondre à la demande. Il se constitue comme la partie de la demande qui est caché à l’Autre.

Cette illusion permet le lien avec l’angoisse : « L’existence de l’angoisse est liée à ceci, que toute demande, fût-ce la plus archaïque, a toujours quelque chose de leurrant par rapport à ce qui préserve la place du désir. C’est aussi ce qui explique le côté angoissant de ce qui, à cette fausse demande, donne une réponse comblante. » (J. Lacan, 1962/63, p 80). L’angoisse passe par la question du désir de l’Autre, celle pour le sujet de savoir ce qu’il est comme objet pour cet Autre. C’est en ce point que naît l’angoisse. C’est pour cela qu’elle se définit comme un affect sans objet dont le manque, réel, est du côté du sujet.

Pour Lacan, l’angoisse n’est pas le signal d’un manque, mais le signal d’un défaut d’appui que donne le manque : l’enfant est angoissé quand il n’y a pas possibilité de manque,

quand la mère est toujours présente. Au contraire, l’alternance de la présence-absence de la mère sécurise l’enfant puisque la possibilité de l’absence est ce qui assure la présence.

L’angoisse apparaît au moment où le désir fait du sujet quelque chose qui est un manque à être, un manque à se nommer.

Cette transition du besoin au désir par la demande passe par l’introduction dans le monde du langage, c’est-à-dire par la rencontre du grand Autre (je renvois ici au graphe du désir de Lacan, 1966) incarné par la mère. Il s’agit de la place « attributive » de la mère selon les termes de G. Cullere-Crespin (2007) : elle lui attribue des pensées et des demandes, des contenus psychiques. Elle le désigne, le nomme par un « tu es ». Elle sait pour lui, dans la mesure d’une certaine indifférenciation qui n’appartient donc pas uniquement au bébé. La mère protège ainsi le bébé de nombre d’interactions et d’angoisses qui le submergent, en même temps que ses anticipations donnent un sens à certaines excitations, qui s’organisent et se temporalisent (S. Lebovici, S. Stoléru, 1983). La relation à ce premier choix d’objet constitue ainsi la première étape de la construction subjective de l’enfant, faisant ainsi autorité.

Mais la particularité de cette relation est la toute-puissance originaire de la mère : cette position est aliénante pour l’enfant car, d’emblée dans une intersubjectivité, il est pris dans les signifiants de l’Autre : « Ce qui différencierait les deux modes d’interrogation de la différence sexuelle, vision de l’autre sexe et recherche sur l’origine des enfants, c’est que dans le deuxième cas, elle se tournerait vers la figure maternelle pourvue d’un « en-plus », que l’enfant n’aurait pas, et qui ferait de la mère un être phallique, soit un être non-châtré, c'est-à-dire masculin. La différence des sexes passerait alors entre la mère (phallique) et l’enfant (châtré) … » (S. Lesourd, 1996, p 30).

Du point de vue de l’enfant cela revient à considérer qu’il faut qu’il se construise dans un premier temps une imago maternelle dans une posture du féminin dans le rapport au

phallus, c’est-à-dire « pas-toute » : « L’actif et le passif, en tant que modalités préœdipiennes de la différence sexuelle, c'est-à-dire encore marquées de la prédominance phallique sont complémentaires. Là où le masculin, d’être marqué du sceau de la castration, trouve sa satisfaction dans la jouissance phallique, le féminin possède un supplément, un « en-plus », qui se situe hors castration phallique et trouve sa réalisation dans la jouissance de l’Autre ou du corps. » (S. Lesourd, 1996, p 123). Le point originaire du temps avant le refoulement où le corps et les mots indifférenciés assuraient l’excitation-satisfaction du corps semble l’origine et la spécificité du féminin : c’est dans cette excitation-satisfaction archaïque indifférenciée, cette jouissance du corps, que le féminin s’inscrit à partir d’un rapport à la jouissance du corps de la mère, à entendre comme venant de la mère, mais aussi donnée à la mère (S. Lesourd, 1996, p 146). Et en effet, les femmes se situent plus souvent dans la position maternelle car l’enfant résonne pour elles comme l’équivalent du phallus paternel de la petite fille œdipienne : « c'est la position du bébé dans le désir inconscient féminin qui est à l'origine des difficultés dites « de séparation » rencontrées par les mères lorsque l'enfant grandit (...) » (G. Cullere-Crespin, 2007, p 46).

Si cela représente la première opération fondatrice du psychisme, l’enfant ne peut toutefois en rester là. La seule figure maternelle ne saurait être une figure d’autorité au sens où je l’ai définie dès le début de cet ouvrage, mais une figure de potere. En effet, pour les raisons précédemment évoquées, la position maternelle se reproche de la définition du pouvoir en ce que son lien avec le temps n’est pas articulé au passé ni à la tradition, en ce qu’elle se situe du coté du statut puisqu’elle ne relève pas de l’incarnation, au sens

« auteur » du terme, et en ce qu’elle est sans influence morale. Pour ces raisons, elle nécessite une contrebalance limitative, rôle tenu par la fonction paternelle. De son coté, l’immaturité de l’enfant renforce cette relation de pouvoir car il est pour le moment dans

l’incapacité de soutenir une parole subjective nécessaire de la part de chacun des acteurs de la relation pour que l’échange interrelationnel relève de l’autorité.

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