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Les discours modernes : les discours capitaliste et des technosciences

Dans le document Différences des sexes et des générations (Page 68-74)

1. Quelle énonciation et quel auteur à l’heure hypermoderne ?

1.3 Les discours modernes : les discours capitaliste et des technosciences

Le discours capitaliste consiste en un simple renversement des places du sujet et du signifiant-maître dans le discours du maître. Les conséquences de ce renversement sont radicales dans la mesure où au sein de cette structuration, le sujet est en place d’agent, le signifiant-maître en place de vérité et l’objet se retrouve à la place de la production du discours. Le sujet n’est plus assujetti à rien : « Dans le langage le signifiant ne le nomme pas, dans le désir l’objet ne lui échappe pas, rien ne vient l’assujettir, le jeter dessous, le rendre sujet, au sens du sujet « de sa gracieuse majesté » ou de l’inconscient. » (S.

Lesourd, 2001, p 150).

Figure n° 3 : Schéma du discours capitaliste.

En termes d’autorité, la nomination n’étant plus puisqu’il n’y a plus de locuteur, donc plus d’énonciation, le sujet devient sa propre figure d’autorité. Par l’inversion de ces places, le sujet sort du langage en tant que construction subjective et la loi ne fait plus l’objet d’une énonciation extérieure. L’autorité devient auto-fondée par le sujet lui-même et la loi est unique au sens individuel, puisque l’individu est l’auteur de sa propre loi.

Le libéralisme, forme politique du discours capitaliste, produit un rapport de l’homme au

monde basé sur le déni du manque de l’objet comme fondement de la subjectivité, c'est-à-dire une incroyance en le signifiant phallus : « Le locuteur ($ /S1) serait alors le capitaliste soit le sujet capable de jouir sans entrave, mais (…), il n’y a pas « d’être du capitaliste », pas de sujet qui parle de cette place. L’autre (S2/a) serait alors le travailleur, (…) Mais là encore, et le discours de Marx en témoigne, il n’existe pas de sujet prolétaire, juste une masse. Cette ouverture par Lacan à un nouveau discours s’appuie sur le rapprochement entre la question de la fétichisation de l’objet telle qu’en parle la psychanalyse dans les mécanismes de la perversion qui reposent sur le déni, et les derniers textes marxistes relus par Althusser sur la fétichisation de la marchandise. Cette fétichisation de l’objet comme source de plus, value ou jouissance, construit une compréhension du monde où le rapport du sujet à l’objet est « de droit », en prise directe, malmenant la définition du sujet en psychanalyse, comme radicalement séparé de son objet. » (S. Lesourd, 2001, p 151).

« En effet, d’une part, le capitalisme semble proposer à chacun, par le marché et grâce à la science, la jouissance qui lui ferait défaut ; d’autre part, et dans le même temps, il promet de s’accommoder des petites jouissances de chacun. Autant dire qu’un des traits dominants de ce lien social réside dans ce que Lacan qualifie de « mise du sexuel au rancart » ou, mieux, « de forclusion de la castration » : il n’est plus requis du sujet qu’il symbolise ce qu’il perd de jouissance à parler et dont le reflet est constitutif de la sexualité humaine, puisque dans la jouissance il y baigne. Le Un du narcissisme, c'est-à-dire sa propre image, prend le relais du Un symbolique, du signifiant maître des Nom-du-Père : ce solipsisme fait passer le collectif au multiple. Il rompt toute solidarité entre les organes qui composent le lien social qu’aucune norme (qu’aucun signifiant maître) ne vient plus réguler, état qu’Emile Durkheim qualifiait d’anomie. » (M-J. Sauret, 1998, p 11/12).

Les avancées scientifiques de l’époque précédant les Lumières, notamment celles de

Copernic et Galilée, ont provoqué cette bascule du discours du maître par la remise en cause du pouvoir créateur de Dieu. Naquit alors l’idée d’un savoir qui pourrait, par l’intermédiaire des objets de connaissance, produire une vérité du monde. Le discours scientifique a dès lors remplacé le discours religieux qui reproduit le modèle du discours du maître. Désormais, le maître n’est plus l’agent du discours, c’est désormais le savoir qui devient l’agent du discours.

Pour approfondir ce constat, S. Lesourd propose d’opérer un quart de tour aux algorithmes du discours du capitalisme, quart de tour effectué par Lacan à propos du discours du maître, bien que le discours du capitalisme ne soit pas un discours fondateur. Ainsi il démontre que les quatre algorithmes logiquement impossibles de par leur signification même dans le schéma, (S1/a), (S2/$), (a/S1) et ($/S2), deviennent des énoncés mis en place d’énonciation subjective, ce qu’ils ne sont pourtant pas. Les quatre énoncés permettent d’écrire deux discours, le discours des technosciences et le discours de l’écologie, déterminant les rapports interindividuels hypermodernes. Le discours des technosciences organise, avec le discours écologiste, le rapport social hypermoderne basé sur la jouissance de l’objet et la maîtrise subjective, le discours écologiste étant la réponse subjective du discours des technosciences. Ces deux discours issus du discours capitaliste, mettent en rapport direct le sujet et l’objet, c'est-à-dire mettent en scène une réalisation du fantasme.

Dans le discours de la technologie, qui nous intéresse particulièrement dans la problématique de l’autorité, le savoir vient en position d’agent du discours :

Figure n° 4 : Schéma du discours des technosciences.

S. Lesourd rappelle que S2/$ est impossible dans la mesure où le sujet est déduit de ses ratages. Il ne peut être déterminé par aucun savoir. Pourtant le discours technologique prône justement un savoir qui détermine ce que le sujet doit être et ordonne sa place puisque son agent est le savoir technique universel. Mais le savoir de la réalité interpelle l’objet, en place d’autre du discours, et non pas le sujet. C’est donc l’objet qui est en place de produire le sens au monde, c'est-à-dire de produire une nomination ordonnant le monde.

Le sujet disparaît car le savoir tente de le réduire au réel (Cf. les neurosciences) : la subjectivité est définie par le savoir. C’est un discours a-subjectif au sein duquel tout le monde doit pouvoir refaire la même chose, par randomisation, à la place de l’autre, par interchangeabilité : « Ce type d’énoncé où le sujet est déterminé par un savoir technologique en place signifiante, a quelques conséquences sur l’organisation des rapports interhumains. La première est liée au fait que tout savoir constitué s’équivaut à un autre, et peut toujours être contesté au nom d’un autre savoir autrement organisé. A la différence du signifiant-maître qui est imposé au sujet par un Père qui nomme, un Auteur qui a l’ « auteurité » pour le faire, le savoir technologique n’a lui aucune légitimité à imposer au sujet sa détermination. » (S. Lesourd, 2001, p 160). Dans cette logique, on ne cherche plus un maître qui énonce mais une démonstration, c'est-à-dire un sens signifié,

réel et non symbolique.

Aussi le discours technologique vient nier le manque. Il vise à produire un homme nouveau moins manquant (Cf. la place prise par la prothétique évoquée par D-R. Dufour dans son ouvrage « On achève bien les hommes », 2005), et au contraire producteur de nouveaux savoirs. « Le sujet découvre qu’il n’est pas « marié » comme il le croyait avec l’Ancien Régime, avec l’ordre établi, et, dès lors, avec aucun système que lui imposait l’Autre –Dieu ou le Roi- pour aménager son rapport au monde. Mais du coup il doit lui-même s’inventer la solution susceptible de lui rendre viable ce lui-même rapport au monde et à son semblable. » (M-J. Sauret, 1998, p 65). « (…) le sujet n’attend plus du savoir qu’il fournisse l’Autre : il va le fabriquer avec le bout de réel qu’il ramènera. » (M-J. Sauret, 1998, p 75).

La production relance la vérité, donc le sujet est toujours en devenir, en permanence dans la chute, dans l’impossibilité d’arriver au but, d’où une mélancolisation du lien et les manies de l’agir (problématique de la temporalité en tant qu’elle est issue du déplacement du corps dans l’espace) : « Les deux réactions modernes typiques du rapport du sujet au manque, (…), sont la dépression comme sensation que l’Autre manque, qu’il est marqué du signifiant du manque et l’angoisse comme perception du manque dans l’Autre dans la sensation d’être l’objet de son désir. (…) Le discours de la Technologie répond au signifiant du manque dans l’Autre en produisant des nouveaux signifiants-maîtres, le discours de l’Ecologie répond au manque d’objet en constituant un savoir de l’objet, un savoir du bien-être. Dans les deux cas, il existe une adéquation entre ces deux discours et les comportements individuels des sujets aux prises avec le manque quand il n’est plus médiatisé par l’objet pacificateur de la jouissance : le Phallus. » (S. Lesourd, 2001, p 165).

Dans ce discours, l’interdit n’est pas posé, tout est possible. Or la division de la subjectivité

vient de l’interdit. Le discours des technosciences prône la non-division du sujet par l’interdit. La division se fait par l’impossible et le réel vient installer l’impuissance face à un impossible. C’est-à-dire que la limite est dans le réel et non dans le psychisme. Le discours de la Technologie détermine des impuissances plus que des impossibles, d’où des incapacités à jouir, non pas par interdit, mais par impossibles. La fonction du tiers disparaît : « (…) impuissance pour le signifiant-maître à déterminer le sujet, comme si cette fonction, liée au Père du nom et supportée dans la réalité par le père réel ne trouvait plus à s’affirmer du fait du déni du père réel dont j’ai parlé. » (S. Lesourd, 2001, p 164).

La conséquence majeure sur l’autorité de cette nouvelle logique relationnelle est que l’effacement de l’énonciation au profit des énoncés amène la perte de l’autorité de l’auteur. Cette perte de l’auteur fait se rejoindre les deux thèmes du début de cette partie, celle de la transmission et celle de la chute du père, l’auteur étant le père infantile. Le déclin de la fonction du maître dans le discours est en lien avec le déni de la fonction du père réel : le père ne peut plus s’appuyer sur le discours social pour remplir sa fonction. En pratique, cette perte se joue à travers la chute du patriarcat et son pendant, la crise de la légitimité des figures d’autorité. Mais une confusion émerge entre la fonction paternelle et le patriarcat, confusion qui revient à confondre l’autorité paternelle et la toute-puissance du père (J.P. Lebrun, 2007). Nous verrons à travers le discours juridique les conséquences de la chute du patriarcat et les logiques qui l’ont remplacé. La chute de la fonction paternelle est renforcée d’autre part par la disparition du tiers et de l’évitement de l’interdit. Le père n’est plus une autorité de fait mais une autorité de droit, c'est-à-dire liée à un statut, ce qui le range du coté du pouvoir, d’où la perte de légitimité qui fondait son autorité. D’autant que si le juridique est une autorité organisée par la transmission par nomination, l’autorité parentale juridique ne saurait constituer une autorité.

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