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Il est important de définir ce concept afin de comprendre où se situe la différence entre l’éveil aux langues et l’intercompréhension dans un contexte scolaire. La notion d’éveil aux langues a été décrite par de nombreux auteurs (dont Candelier, Oomen-Welke & Perregaux, 2003), mais nous avons décidé de partir de la définition du PER et des commentaires de De Pietro (2008) afin de rester dans le contexte romand.

Pour mieux cerner cette notion, voilà la définition donnée dans le Lexique Langues du PER (CIIP, 2010a) :

« Démarche didactique relevant essentiellement des approches interlinguistiques, qui a pour caractéristique de faire travailler les élèves sur une grande diversité de langues, sans avoir nécessairement pour but d'enseigner ces langues, mais plutôt de développer chez eux (a) des savoirs à propos de la communication, des langues et de leur diversité, (b) des savoir-faire utiles pour l'apprentissage des langues

30 quelles qu'elles soient, (c) des attitudes de curiosité et d'ouverture envers la diversité linguistique et culturelle (savoir-être), et leur motivation à apprendre des langues. »

Dans un premier temps, De Pietro (2008 : 199-200) précise :

« L’intercompréhension peut d’une certaine manière être vue comme une

“méthodologie” alors que l’éveil aux langues doit être conçu comme une sorte de cadre soutenant et donnant sens à diverses démarches – intercompréhension, stratégies exolingues, etc. -, le tout s’inscrivant à son tour dans une conception intégrée de l’enseignement/apprentissage des langues et des cultures ».

Pour De Pietro (2008 : 200), ce qui relie ces deux approches, c’est « le constat de départ selon lequel les compétences plurielles initiales, des enfants ou des adultes, sont le plus souvent sous-exploitées, voire déniées, dans les dispositifs d’enseignement/apprentissage ». D’après lui, les élèves ne font pas spontanément des ponts entre les différentes langues étudiées et l’école ne pousse pas suffisamment les élèves à le faire. Dans ce sens, ces deux approches se ressemblent dans la mesure où elles ont pour but d’inciter les élèves à comparer les langues et à utiliser les ressources dont ils disposent déjà. D’après De Pietro (2008 : 203), qui se réfère à Castelloti (2001), ce non-réflexe d’établir des ponts entre les différentes langues est notamment dû au fait « qu’il s’est agi pendant longtemps d’éviter à tout prix le recours à la L1, sources d’interférences, de mélange, de confusion ».

Au final, la principale différence entre l’intercompréhension et l’éveil aux langues est que l’éveil aux langues ne vise pas directement un apprentissage des langues, mais bien plus une ouverture à de nombreuses langues et cultures, alors que l’intercompréhension vise à développer des compétences réceptives dans les langues étudiées. Notons également que l’éveil aux langues peut tout aussi bien porter sur des langues de la même famille que sur des langues ne présentant aucune proximité linguistique (De Pietro, 2008 : 211).

De Pietro (2008) met l’accent sur le fait que ces deux approches ne devraient pas être opposées ou qu’il ne faut pas en choisir une au détriment de l’autre. Pour lui, il faut plutôt les percevoir comme deux approches complémentaires, l’une plutôt réflexive (l’éveil aux langues), et l’autre plutôt pragmatique (l’intercompréhension), ayant

31 toutes deux leur place dans un contexte scolaire promouvant une didactique du plurilinguisme (p.224). De plus, ces deux approches ont l’avantage d’œuvrer pour la préservation de la diversité linguistique (p.224).

Proximité linguistique 3.3

Tout le monde s’est déjà rendu compte une fois ou l’autre qu’il est plus facile d’apprendre une langue génétiquement ou culturellement proche, l’allemand ou l’italien pour un francophone par exemple, qu’une langue très éloignée comme le chinois. Robert (2004 : 499) s’est intéressé à cette question et confirme cette hypothèse en avançant que le « processus d’acquisition/apprentissage d’une langue étrangère diffère fortement selon le degré de proximité linguistique entre langue source et langue cible ». Cet auteur plaide en faveur d’une « pratique pédagogique différenciée » variant en fonction de l’écart plus ou moins grand existant entre les langues maternelles des apprenants et la langue cible étudiée (p.502). Pour lui, les élèves développent des stratégies d’apprentissage différentes en fonction de cette plus ou moins grande proximité linguistique : une stratégie de réduction pour les langues les plus éloignées et une stratégie de superposition pour les langues les plus proches (p.503).

Nous ne jugeons pas utile d’expliquer la stratégie de réduction qui n’entre pas dans le cadre de ce mémoire et qui concerne les langues n’ayant aucun lien de parenté linguistique14. Toutefois, nous retenons de cette distinction qu’il est utile et même nécessaire pour l’enseignant de modifier sa manière d’enseigner une langue étrangère en fonction de la langue maternelle de ses élèves ou de la langue d’enseignement. On n’enseigne pas l’allemand de la même manière à des élèves Vietnamiens qu’à des élèves Italiens. Il faut donc tenir compte de la proximité linguistique existant entre les langues entrant en jeu en salle de classe. Dans une telle optique, une didactique de l’intercompréhension est tout à fait pertinente à l’école primaire dans le contexte romand étant donné que les langues étudiées sont relativement proches.

14 Pour plus d’informations à ce sujet, lire le paragraphe concernant la stratégie de réduction (Robert, 2004 : 503-506).

32 3.3.1 Stratégie de superposition

En cas de proximité linguistique, l’élève n’a pas besoin de reconstruire totalement le système linguistique de la langue étudiée. Il pourra passer d’une langue à l’autre en superposant la langue étudiée sur sa langue maternelle : il restera à la surface de la langue étudiée avec souvent au début plusieurs interférences interlinguistiques (Robert, 2004 : 506-507).

D’après nous, l’enseignant peut également se servir de cette stratégie : il pourra par exemple paraphraser les mots inconnus ou donner une liste de synonymes jusqu’à ce que les élèves soient en mesure de faire un pont avec leur langue maternelle. Par exemple, en lisant une histoire en allemand à sa classe, un enseignant peut faciliter la compréhension du mot « riesig » (géant) en l’encadrant par des synonymes plus transparents : « einen grossen – riesigen – grossen Mann ». L’élève pourra alors superposer le mot « gross » à l’adjectif français « gros » et accéder approximativement au sens du mot « riesig ».

4 L’intercompréhension au service de la didactique des langues

Cette troisième partie a pour but de mettre en lien les deux concepts traités dans les pages précédentes : l’intercompréhension et la didactique des langues étrangères.

Dans un premier temps, nous décrivons une méthodologie proposée par Doyé (2005). Celle-ci nous sert de base pour l’élaboration d’une méthode adaptée au contexte romand que nous proposons dans un deuxième temps. Finalement, nous illustrons à l’aide d’apports théoriques la pertinence didactique d’une approche intercompréhensive dans le cadre de l’enseignement-apprentissage des langues.

Méthodologie proposée par Doyé (2005)

15

4.1

La méthode décrite par Doyé (2005) nous semble constituer une bonne synthèse théorique des différentes approches rencontrées dans la littérature, c’est pourquoi

15 Ce point constitue une restitution commentée de Doyé (2005 : 14-21) et pour des questions de lisibilité, nous ne mentionnons pas les pages dans le détail, à l’exception des citations.

33 nous la décrivons brièvement en mettant en exergue les éléments pertinents pour une application avec des élèves du primaire.

4.1.1 Présentation de la méthodologie

Pour Doyé, le rôle des enseignants est surtout d’examiner attentivement les besoins des élèves car, en général, ceux-ci possèdent souvent déjà de considérables ressources cognitives facilement exploitables.

Les enseignants doivent donc :

a) aider les élèves à prendre conscience de ces précieuses ressources ;

b) donner aux élèves les moyens d’utiliser ces ressources en recourant aux bonnes stratégies.

Doyé met l’accent sur le fait que chaque élève dispose de ressources cognitives différentes. Il n’est par conséquent pas nécessaire de partir d’une base commune à toute la classe. Il est plus pertinent d’aider les élèves à identifier les diverses catégories de connaissances qui pourront les conduire à identifier le sens du message.

En se basant sur les écrits de plusieurs auteurs (Klein & Stegmann 2000, Pencheva &

Shopov 2003, Rieder 2002), Doyé propose une classification des catégories de connaissances pertinentes dans l’approche intercompréhensive : connaissances générales ; connaissances culturelles ; connaissances situationnelles ; connaissances comportementales ; connaissances pragmatiques ; connaissances scripturales ; connaissances phonologiques ; connaissances grammaticales et connaissances lexicales.

Selon Doyé, tous les élèves bénéficient d’un certain bagage cognitif dans chacun de ces domaines et les enseignants sont là pour les aider à acquérir des stratégies leur permettant de puiser dans ces ressources pour comprendre le sens des messages exprimés en langue étrangère.