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Recourir à l’intercompréhension pour enseigner une langue étrangère présente plusieurs avantages. Tout d’abord, cette démarche permet aux élèves de se constituer un répertoire langagier plurilingue. En effet, en s’appropriant la notion de proximité linguistique et en prenant l’habitude de confronter les langues entre elles, les élèves sortent d’une conception cloisonnée des langues et enrichissent leur répertoire langagier en profitant de diverses synergies.

Plus les élèves travailleront à l’aide d’une approche intercompréhensive, intégrée dans un programme traditionnel, plus ils acquerront de stratégies langagières (de transfert, d’approximation, de compréhension, inférentielles, etc.) qui pourront être exploitées de manière indifférenciée dans toutes les langues. Si ces élèves peuvent développer autant de stratégies, c’est parce que les approches plurielles, et plus particulièrement l’intercompréhension, facilitent l’acquisition d’une conscience métalinguistique (Escudé & Janin, 2010 : 55-56). Comme nous l’avons vu précédemment, la comparaison des différents systèmes linguistiques crée une prise de distance par rapport à la langue qui permet aux élèves de prendre conscience de certains faits de langue qu’ils utilisaient automatiquement jusqu’alors (Dabène, 1992).

Ce décentrement contribue également au renforcement de la L1 : le détour par une ou plusieurs langues étrangères permet parfois28 aux élèves de « voir » des phénomènes qu’ils ne percevaient pas dans leur langue maternelle (Perregaux, de Goumoëns, Jeannot & de Pietro, 2003 : 32).

Une approche intercompréhensive serait également motivante pour les élèves car elle met en avant leurs acquis, ce qui entraîne une certaine désinhibition (Escudé &

Janin, 2010 :115) et leur permet d’accéder rapidement à une compréhension partielle (DGLFLF, 2006 : 4). Cet argument est d’autant plus vrai que l’approche intercompréhensive permet la prise en compte des langues d’origine des élèves de la classe, dans un contexte où, sous l’effet de la mondialisation, les élèves allophones sont de plus en plus nombreux.

28 En effet, d’après Balsiger, Bétrix Köhler et Panchout-Dubois (2012 : 221), « la pédagogie du détour semble dépendre des objets linguistiques sur lesquels elle s’exerce ».

62 De plus, grâce aux principes de la proximité linguistique, l’enseignant peut planifier une gradation de la difficulté en fonction du niveau des élèves. Il pourra leur donner confiance au début en leur proposant des textes ou des phrases relativement transparentes, puis présenter des textes de plus en plus complexes. Cela permet ainsi dans un premier temps de libérer des ressources cognitives pour la compréhension des éléments plus opaques (Beaucamp & Forlot, 2008 : 82) en utilisant par exemple uniquement des termes transparents pour introduire une structure ou un terme plus complexe.

Nous pensons également que les apprentissages réalisés dans un tel contexte sont plus durables car ils impliquent des activités cognitives plus complexes et plus nombreuses qu’un apprentissage de listes, de dialogues ou de grammaire pure, comme nous l’avons illustré précédemment.

Finalement, l’intercompréhension est une manière d’ouvrir les élèves à la diversité linguistique et culturelle en leur donnant les moyens d’échanger avec d’autres européens de manière directe, plurilingue et respectueuse de la culture de chacun (DGLFLF, 2006 : 3).

5 L’intercompréhension dans le PER

Cette partie a pour but d’analyser dans quelle mesure le cadre institutionnel permet un enseignement des langues par l’intercompréhension et quelle est la place d’une telle approche dans les programmes scolaires romands. Pour ce faire, nous allons passer en revue les différentes parties du Plan d’études romand (PER) traitant des langues et examiner ce qui est prescrit ou non en la matière.

Le Plan d’études romand (PER)

29

5.1

Le Plan d’études romand (PER) est un des résultats concrets du désir d’harmonisation de l’instruction publique exprimé par les Suisses lors des votations du 21 mai 2006. Il décline tous les objectifs que les élèves romands sont censés atteindre au cours de

29 Les deux paragraphes ci-dessous constituent une synthèse de divers éléments trouvés sur le site du Plan d’études romand (CIIP, 2010b).

63 leur scolarité obligatoire en les séparant par cycle30 et par discipline tout en énonçant également des objectifs transdisciplinaires en lien avec la formation générale et le développement de capacités transversales.

Le PER est donc le référentiel d’enseignement et d’évaluation officiel pour les enseignants du primaire et du secondaire en Romandie. Il décrit les objectifs à enseigner ainsi que les attentes fondamentales qui doivent être atteintes par tous les élèves à la fin de chaque cycle.

Ce document s’inscrit dans le cadre plus large de diverses déclarations de la Conférence des Directeurs de l’Instruction Publique (CDIP) et de la Conférence Intercantonale de l’Instruction Publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP).

Cette deuxième autorité, qui s’est chargée de la rédaction du PER, a arrêté diverses décisions dont la Déclaration de la CIIP relative à la politique de l’enseignement des langues en Suisse romande du 30 janvier 2003 qui semble en adéquation avec la perspective d’un enseignement du plurilinguisme. Celle-ci aborde ainsi les notions de « contacts avec d’autres langues », de « plurilinguisme », de « curriculum intégré » et de « didactique intégrée », tout en mettant également l’accent sur la « reconnaissance des acquis antérieurs des élèves » et sur la nécessité d’établir des synergies dans l’enseignement-apprentissage des langues à l’école (CIIP, 2003 : 1-3). Finalement, d’après ce document, « l’apprentissage de l’anglais [… devrait] s’appuyer sur les apprentissages déjà réalisés par les élèves en allemand » et « [l]es moyens d’enseignement [devraient intégrer] des éléments permettant d’établir des ponts avec les autres langues et d’instaurer les bases d’une didactique intégrée » (CIIP : 3).

Il apparaît donc que les autorités intercantonales soutiennent ouvertement un enseignement du plurilinguisme. Notre analyse révélera si le PER concrétise ces déclarations d’intentions en s’intéressant au cas de l’intercompréhension.

Méthodologie pour l’analyse du PER 5.2

Notre analyse a pour but de tester notre première hypothèse, à savoir, que le Plan d’études romand permet une approche intercompréhensive de l’enseignement des langues au primaire.

30 Un cycle représente une période de 3 ou 4 années scolaires.

64 Pour ce faire, nous avons décidé de passer en revue les différentes parties du PER liées à la thématique des langues. Nous avons donc analysé les Commentaires généraux du domaine Langues ainsi que la partie Objectifs d’apprentissage du PER en nous limitant au cycle 231, étant donné que c’est à ce moment-là de leur scolarité que les élèves commencent à apprendre des langues étrangères, et plus précisément aux degrés 7-8H car c’est seulement en 7H que les élèves entament l’apprentissage de l’anglais.

Nous avons décortiqué chacune de ces deux parties séparément car celles-ci n’ont pas le même impact sur le terrain. A notre avis, les commentaires généraux sont plus une déclaration d’intentions, alors que les objectifs représentent plus concrètement ce qui va être mis en œuvre dans les cours de langue. Nous ne nous sommes pas penchée sur le Lexique Langues car nous l’avons suffisamment mentionné dans notre partie théorique et il n’apporterait pas d’informations supplémentaires quant au curriculum officiel.

Pour structurer notre analyse, nous avons lu très attentivement les deux parties mentionnées, puis classer les informations pertinentes dans les catégories suivantes :

a. Mention directe du concept d’intercompréhension

b. Eléments pouvant empêcher une approche intercompréhensive c. Eléments pouvant justifier une approche intercompréhensive

Pour y parvenir, nous avons sélectionné les passages qui permettaient d’une manière ou d’une autre de confirmer ou d’infirmer notre hypothèse, puis nous les avons classés dans ces trois catégories. Nos critères étaient simples. Pour la catégorie A, il suffisait que le terme « intercompréhension » ou « intercompréhensif-ve-s » soit mentionné dans le passage en question. Pour les catégories B et C, nous nous sommes référée au cadre théorique de ce mémoire. En effet, si un passage mentionnait un élément qui, de quelque façon que ce soit, n’était pas compatible avec l’approche intercompréhensive adaptée au primaire telle que nous l’avons décrite plus haut, nous le classions dans la catégorie B. A l’inverse, si le passage faisait référence à des éléments plutôt en faveur d’une telle approche, il était classé dans la catégorie C.

Nos deux grilles de travail figurent en annexes 2 et 3. Pour chaque passage

31 Il est évident qu’une initiation à la diversité linguistique et une approche plurilingue peuvent et devraient déjà être mises en place au cycle 1, mais notre mémoire portant sur le rôle de l’intercompréhension dans l’apprentissage des langues étrangères, nous avons décidé de limiter notre examen au cycle 2, cycle marqué par l’introduction de l’allemand et de l’anglais dans le curriculum.

65 mentionné, nous avons souligné l’élément qui nous semblait pertinent et explicité notre classement à l’aide de remarques, quand nous estimions que cela était nécessaire. Nos grilles incluent également une colonne permettant d’indiquer l’emplacement précis dans le PER de l’extrait cité ou de l’objectif concerné.

Remarques préliminaires 5.3

Avant d’entamer notre analyse, il est intéressant de s’attarder un instant sur la structure même du domaine Langues. Tout d’abord, nous constatons que ce domaine inclut aussi bien la langue de scolarisation, le français, que les langues étrangères.

Cette constatation n’est pas anodine car elle illustre le fait que le PER n’est pas resté figé sur la conception traditionnelle de l’enseignement des langues qui prônait de séparer la langue de scolarisation (qui est souvent la langue maternelle des élèves) des langues étrangères afin d’éviter tout contact potentiel et donc toutes interférences possibles entre les différentes langues. En effet, si le français est placé dans la même catégorie que l’allemand et l’anglais, c’est bien pour faciliter la création de liens entre les apprentissages effectués dans ces trois langues.

Cet extrait de la section « Intentions » du PER témoigne de cette volonté institutionnelle de ne pas isoler la langue maternelle des élèves des langues étrangères apprises :

« Dans une situation où de nombreuses langues cohabitent, notamment à l'intérieur de la classe, l'école doit faire en sorte de fournir aux élèves des outils qui leur permettent à la fois de comprendre leur diversité linguistique et culturelle et de relier entre elles les langues qui en sont l'expression. » (CIIP, 2010b)

Finalement, la manière dont le PER propose aux enseignants d’entrer dans les langues nous donne également une première piste quant à l’adéquation potentielle d’une approche intercompréhensive avec le plan d’études. Celui-ci propose huit axes thématiques qui sont autant d’entrées dans les langues (CIIP, 2010b) : Compréhension de l'écrit – Production de l'écrit – Compréhension de l'oral – Production de l'oral – Accès à la littérature – Fonctionnement de la langue – Approches interlinguistiques – Écriture et instruments de la communication.

66 Comme nous avons pu le voir, l’approche intercompréhensive que nous proposons est principalement axée sur la compréhension écrite. Il apparaît donc que la structure même du PER permet déjà une telle approche car elle autorise l’enseignant à travailler la compréhension de manière découplée. Avec ce nouveau plan d’études, il est désormais possible de travailler uniquement la compréhension de l’écrit par moments et même de l’évaluer séparément. A notre avis, l’existence de ces huit axes thématiques n’est pas anodine et laisse présager une conception institutionnelle de l’enseignement des langues relativement favorable à l’intercompréhension. L’existence d’un axe thématique

« Approches interlinguistiques » promouvant l’établissement de ponts entre les enseignements est un premier indice en faveur de notre hypothèse.

Résultats de l’analyse

32

des Commentaires généraux du 5.4

domaine Langues

33

Le concept d’intercompréhension est mentionné deux fois dans cette partie du PER : une première fois entre parenthèses, aux côtés de l’éveil aux langues, comme exemple d’approches didactiques permettant aux élèves de « comprendre leur diversité linguistique et culturelle et de relier entre elles les langues qui en sont l’expression » et une seconde fois, également aux côtés de l’éveil aux langues, comme moyen de pousser les élèves à réfléchir sur le fonctionnement des langues et comme une approche permettant de « déceler les différences entre la langue cible et le français (ainsi que d’autres langues présentes dans la classe) » (CIIP, 2010b).

En nous fondant sur notre grille d’analyse, nous avons synthétisé dans le tableau 9 les éléments de cette partie du PER permettant ou non une approche intercompréhensive.

Tableau 9. Compatibilité des Commentaires généraux avec une approche intercompréhensive

Compatibles Incompatibles

- Constitution d’un répertoire langagier plurilingue - Comparaison des langues étudiées https://www.plandetudes.ch/web/guest/l/cg/, consulté le 10 septembre 2015.

67 - Didactique intégrée des langues :

réinvestissement des connaissances - Approche plurilingue des langues

- Approches interlinguistiques : réflexion sur les relations entre les langues – établissement de liens interlinguistiques

- Curriculum intégré des langues

- Bénéfice de l’apprentissage de langues étrangères sur la maîtrise du français

- Construction de références culturelles - Importance de la maîtrise de la lecture

- Développement de stratégies de compréhension - Entrée par les genres

- Objectif d’ouverture face à la diversité linguistique

- L1-L2-L3 sur un pied d’égalité dans le domaine Langues (structure du domaine)

- Priorité de la compréhension sur la production - Valorisation des langues d’origine des élèves - Développement d’une réflexion métalinguistique - Prévention quant aux stéréotypes envers les

langues étrangères

- Travail autour de sujets familiers

- Règles de la langue cible abordées implicitement

Résultats de l’analyse

34

des Objectifs d’apprentissage du 5.5

domaine Langues

5.5.1 Remarques préalables

Nous avons restreint notre analyse aux degrés 7-8H et avons décortiqué les composantes, les progressions d’apprentissage ainsi que les indications pédagogiques des objectifs pour l’enseignement de l’allemand et de l’anglais35. Nous avons

34 Voir annexe 3.

35 Pour l’anglais, nous nous sommes référée aux objectifs du Plan d’études 2012 : Enseignement de l’anglais sur 5 ans (7e à 11e), à partir du lien suivant : https://www.plandetudes.ch/web/guest/anglais, consulté à plusieurs reprises entre novembre 2015 et janvier 2016.

68 volontairement écarté les attentes fondamentales car elles reprenaient très souvent des notions mentionnées dans les progressions d’apprentissage. Nous avons également analysé l’objectif L27 qui est un objectif concernant les approches interlinguistiques et qui s’applique à la fois à l’enseignement du français, de l’allemand et de l’anglais. Nous n’avons pas analysé les objectifs de français, mais nous avons toutefois mentionné les stratégies de compréhension écrite proposées dans les indications pédagogiques de l’objectif L1 21 car, selon nous, elles font référence à des stratégies présentes dans une approche intercompréhensive.

Nous avons également volontairement écarté les objectifs liés à la compréhension de l’oral et ceux en rapport avec des compétences de production, car ce ne sont pas des objectifs qui interviennent dans l’approche intercompréhensive que nous envisageons pour une application au primaire. Nous avons toutefois fait une exception concernant un objectif de production écrite car nous voulions montrer la posture du PER quant à sa conception du rôle de la L1 dans l’enseignement des langues étrangères.