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4.2.7 Intégration dans le curriculum

4.3.1.2 Habiletés mentales en jeu dans l’intercompréhension

Il nous est impossible d’évaluer les principes de notre méthodologie à l’aide de la taxonomie d’Anderson et Krathwohl car celle-ci est un outil développé pour analyser les pratiques des enseignants et plus précisément les tâches soumises aux élèves.

Ainsi, pour démontrer que l’approche que nous proposons recouvre l’ensemble des habiletés mentales de la taxonomie et qu’elle est donc pertinente d’un point de vue didactique, nous avons décidé d’illustrer chacune de ces habiletés par un exemple concret de pratique respectant l’approche intercompréhensive. La liste ci-dessous (tableau 8) n’est pas exhaustive et comporte pour chaque point un seul voire deux exemples. Cela nous semble suffisant pour mettre en lumière le large spectre de l’intercompréhension.

Tableau 8. Exemples d’activités propres à une approche intercompréhensive pour chaque habileté mentale

1. Restituer

1.1 Reconnaître un mot international connu en français dans un texte en anglais ou en allemand.

1.2 Se rappeler d’éléments appartenant à sa culture générale afin de comprendre un texte.

2. Comprendre

2.1 Paraphraser un passage en langue étrangère dans la langue de scolarisation.

2.2 Exemplifier : lister des exemples de mots présentant une analogie interlinguistique (university/université, activity/activité, etc.).

2.3 Catégoriser des mots en fonction de leurs similitudes (préfixes, suffixes, familles, etc.).

2.4 Résumer un passage.

2.5 Inférer une règle de transfert à partir d’exemples divers ou inférer le sens d’un mot en contexte.

56 2.6 Comparer : identifier les correspondances entre deux langues.

2.7 Construire un modèle : se construire une représentation d’un texte.

3. Appliquer

3.1 Exécuter, appliquer une procédure à une tâche familière : décomposer un mot pour en extraire le sens.

3.2 Mettre en œuvre, appliquer une procédure à une tâche non familière : utiliser dans divers contextes (textes variés) des stratégies développées dans des contextes précis.

4. Analyser

4.1 Distinguer les transferts positifs des transferts négatifs25.

4.2 Trouver de la cohérence dans un texte dont on ne comprend pas tous les éléments.

4.3 Déterminer le genre d’un texte en langue étrangère en observant sa structure.

5. Evaluer

6.1 Faire des hypothèses pour expliquer le sens d’un mot ou d’un passage.

6.2 Planifier une procédure pour aborder un texte en langue proche.

6.3 Construire une grammaire d’hypothèses26.

Ces quelques exemples illustrent le fait que l’approche intercompréhensive est une démarche complète permettant de travailler une large palette d’habiletés mentales.

Nous n’avons pas conduit cette analyse pour d’autres approches de la didactique des langues et nous ne pouvons donc pas les comparer. Or, nous avons pu observer sur le terrain, qu’en classe, les enseignants restent très souvent dans les premiers niveaux de la taxonomie (restituer, comprendre et appliquer) privilégiant l’apprentissage de

25 Pour nous, dans la pratique, un transfert négatif se définit comme une interférence entre deux ou plusieurs langues qui aboutit à une erreur de compréhension ou de production dans la langue étudiée et, à l’inverse, un transfert positif se définit comme une synergie entre deux ou plusieurs langues qui aboutit à un gain de connaissances dans la langue étudiée.

26 La construction d’une grammaire d’hypothèses est la « [g]énération d’hypothèses sur les structures et leur fonctionnement dans le système de la langue » (Meissner, Meissner, Klein & Stegmann, 2003 : 38).

57 listes de vocabulaire, de règles de grammaire données et leur application ainsi que la restitution de dialogues. Les autres niveaux sont également abordés, comme au travers de productions écrites (créer), mais moins fréquemment. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : il semble plus facile d’évaluer l’apprentissage de listes de mots ou de règles que l’acquisition de stratégies de compréhension ou des productions écrites impliquant des opérations mentales plus complexes. Par conséquent, comme l’évaluation occupe une place prépondérante à l’école et que les enseignants s’exposent à la critique en donnant des notes aux élèves, ces pratiques semblent être privilégiées. La peur de ne rien avoir à évaluer incite les enseignants à tout d’abord enseigner des contenus et à reléguer au second plan l’enseignement de stratégies de compréhension. Il est également plus facile et plus rapide de donner de la théorie toute faite aux élèves que de leur laisser le temps d’inférer des règles de transfert ou de grammaire à partir de l’observation réfléchie de la langue. Ce déséquilibre dans les tâches consacrées aux différentes habilités cognitives s’explique donc également par un manque de temps, par la crainte de ne pas terminer le programme et peut-être par le manque de formation dans le domaine ou par une simple reproduction de pratiques profondément ancrées dans les mentalités.

A l’inverse, l’approche intercompréhensive que nous proposons nous semble contraindre l’enseignant à travailler à tous les niveaux de la taxonomie. En effet, dans une telle démarche, l’accent est mis sur le processus d’apprentissage et sur l’autonomisation de l’élève. L’enseignant ne pourra pas prédire complètement les découvertes que les élèves feront et donner des constats à l’avance. Il est obligé de s’adapter aux élèves et de les guider dans la construction d’une grammaire d’hypothèses en les poussant à comparer plusieurs langues. L’analyse, l’évaluation et la création nous semblent donc être primordiales dans l’intercompréhension : il s’agit d’analyser un texte ou un message (à divers niveaux), d’évaluer sans cesse sa compréhension et de générer des hypothèses tout au long de la lecture. Pour ce faire, les élèves devront recourir à leurs connaissances antérieures (restituer) et appliquer les stratégies développées afin de comprendre.

Nous pensons donc qu’en intégrant les principes de l’intercompréhension dans les moments d’enseignement de la compréhension écrite et du fonctionnement de la langue, les enseignants élargiront la palette des habiletés mentales abordées dans leurs

58 cours de langue et donneront une plus grande assise aux apprentissages réalisés par les élèves.

Notre analyse est fondée sur des exemples inspirés de la théorie. Toutefois, il serait intéressant, dans le cadre d’un travail complémentaire, d’analyser les activités effectivement mises en œuvres dans les classes, la différence entre le curriculum prescrit et le curriculum réellement enseigné étant parfois surprenante.