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Les lobbies

Section 2. L’enjeu d’une mission économique territoriale

2. L’économie comme intérêt territorial

« On ne peut pas dire, nous on défend les intérêts d’un secteur d’activités. On va défendre l’intérêt de l’activité économique ; on est obligatoirement un peu plus large, un peu plus doux, un peu plus soft »291. Telle est la réponse que nous avons

reçue à l’évocation de la nature des intérêts que les institutions consulaires sont sensées représenter et/ou défendre. Si le lobbying n’a pas toujours été accepté comme faisant partie de leur travail, l’intérêt économique (celui de tout le territoire) a obtenu l’unanimité en tant que fondement de la représentation consulaire.

La défense et la représentation des intérêts économiques des entreprises font partie des pouvoirs régaliens des Chambres de commerce et d’industrie. L’existence d’une mission de service public leur donne un argument pour asseoir leur mission d’intérêt général et dont l’ensemble devrait justifier leur légitimité en tant que partenaire compétent et pertinent des pouvoirs publics dans le processus décisionnel. L’économie est alors présentée comme étant un intérêt de dimension plus globale :

« Nous on va dire économiquement, c’est intéressant pour le territoire, ça va faire augmenter la valeur ajoutée du territoire, donc on va bien défendre l’intérêt global du territoire »292. Dans ce sens là, le lobbying peut exister dans les Chambres : « Oui

c’est du lobbying, mais dans l’intérêt de l’économie »293, continue notre

interlocuteur. Un tel point de vue se rapproche parfaitement de ce que H. PORTELLI qualifiait de « localisme » en parlant d’une technique des entreprises (1996) où il est question de faire appel au « patriotisme local ou régional, assorti de défense de l’emploi, pour pallier une compétitivité moindre »294. C’est une technique que les CCI que nous avons visitées ont fortement évoqué et souligné.

291 Entretien, M. PERRIER, Op. cit.

292

Entretien, M. PERRIER, Op. cit.

293 Idem.

Pourtant, le fait est que la pertinence des institutions consulaires est de plus en plus remise en cause, même au niveau de ses compétences souveraines. Les pouvoirs publics veulent les réformer afin d’en augmenter les performances et par cette même occasion améliorer l’efficacité des politiques publiques295. Les Chambres de commerce et d’industrie elles-mêmes sont conscientes de la perte de vitesse de leur organisation qui souffre d’un désintérêt croissant et de la concurrence causée par la multiplication des acteurs économiques consécutive aux transformations amenées par la décentralisation. Il en résulte alors que l’argument de l’intérêt économique ne suffit plus à assurer le monopole de la compétence économique souhaité par les institutions consulaires. Dans l’ère du « tout économique », ces dernières sont lucides sur le besoin d’étoffer leur argumentaire pour regagner du terrain ou ne pas risquer de disparaitre.

À travers l’enquête de terrain que nous avons mené sur trois CCI rhône- alpines, ce discours de la revalorisation du rôle des CCI en faveur des citoyens de leur territoire a été récurrent. Elles reconnaissent désormais qu’il leur faut marquer leur différence pour acquérir une valeur ajoutée par rapport à leurs concurrents directs296. L’ambition des Chambres est de proposer un argument capable de surpasser le seul économique.

C’est ainsi qu’est venue dans le discours consulaire l’idée de ce que nous avons pu identifier comme étant un intérêt que nous qualifions de territorial. C’est l’incarnation d’un bénéfice commun touchant l’ensemble des citoyens d’un territoire donné. Il s’agirait ainsi des services indirects (à travers celui rendu aux entreprises) que fourniraient aux citoyens d’un territoire les Chambres de commerce et

295 Il est ici fait référence au processus de révision générale des politiques publiques de 2007 et de la décision du conseil de la modernisation des politiques publiques de 2008 sur la nécessité de refonder les réseaux consulaires.

296 Il s’agit essentiellement des collectivités territoriales et des agences économiques de l’État qui, avec le processus de la décentralisation, ont gagné plus de compétence, dont celle économique, et une nouvelle échelle d’action. Ces instances sont à même de fournir les mêmes services que les CCI mais avec plus de moyens grâce au transfert financier qui a accompagné celui des compétences.

d’industrie par l’intermédiaire de ceux qu’elles assurent directement auprès de leurs ressortissants. En soutenant les entreprises (par l’accompagnement et l’aide à la création et la reprise, la mise à disposition d’outils et de logiciels pour les études de marché, la proposition de diagnostics Ressources Humaines, ou encore la fourniture d’informations sur les aides financières), elles les aident à optimaliser, voire même développer, leurs activités. Au bout de la chaîne, cela équivaut à créer des emplois, faciliter l’embauche et l’apprentissage, produire des revenus, augmenter l’attractivité économique du territoire. La population et le public peuvent dès lors profiter des retombées, surtout dans les domaines de l’emploi et du pouvoir d’achat. L’intérêt territorial est alors présenté comme une conséquence, à moyen et long terme, de l’intérêt économique servi par les compétences consulaires. Un tel discours met en avant non seulement l’importance du rôle occupé par les Chambres auprès des entreprises, mais aussi l’enjeu de leur participation à l’élaboration des décisions concernant l’économie de leur territoire.

Le raisonnement des Chambres de commerce et d’industrie peut se résumer ainsi : grâce à un service public utile, efficace et performant, basé sur l’expérience et les compétences que les CCI fournissent aux entreprises, elles offrent à ces dernières un cadre et une aide bénéfique à l’exercice de la fonction entrepreneuriale et commerciale. Cela impliquerait des entreprises et des commerces qui sont créés ou qui s’implantent dans le territoire, qui accroissent leur productivité (grâce à l’appui et l’accompagnement de l’expérience consulaire), qui produisent de la richesse, créent des emplois et des biens, et encouragent les activités. Au final, c’est tout le territoire qui profite de la présence d’entreprises ainsi soutenues par l’aide consulaire. A

contrario, sans la présence des CCI destinée à soutenir, accompagner et conseiller les

entreprises, et faciliter leurs démarches, ainsi que sans leurs efforts pour promouvoir l’attractivité d’un territoire, la désaffection des entreprises prévaudrait. Sans entreprises, c’est l’emploi – et donc le pouvoir d’achat et la qualité de vie de la population – qui en pâtit.

Même si un tel développement n’est pas totalement dépourvu de vérité et de logique, à un certain point, il faut admettre que le raccourci automatique entre la présence d’une ou de plusieurs Chambres de commerce et d’industrie dans une circonscription géographique et la création d’emploi n’est pas entièrement établi. En effet, il nous paraît difficile d’adhérer sans condition à ce réquisitoire. Sans vouloir

service rendu aux entreprises, des éléments contradictoires sont venus attirer notre attention.

Le premier élément qui nous a interpellés lors de notre enquête de terrain, et qui vient poser une ombre au tableau idyllique dressé précédemment, est ce taux de participation aux élections consulaires. Même si depuis quelques années, il a connu une légère hausse, force est de constater qu’il est peu élevé. Pour illustration, notons celui pour les dernières élections de 2010, qui ne s’élève qu’à 17,2%297. Cela altère la capacité des CCI à représenter la totalité des entreprises présentes sur son territoire. De plus, cela montre que les entreprises méconnaissent (volontairement ou involontairement) ces institutions. De ce fait, le rôle des CCI dans la prospérité des entreprises grâce aux services offerts apparaît limité. La valeur réelle et la force effective de l’argument de l’intérêt sociétal passerait alors aussi par l’instauration ou le rétablissement de la confiance des entreprises envers leurs représentants économiques.

Ensuite, nous ne pouvons pas faire totale abstraction du processus de la RGPP. C’est un vaste programme sensé moderniser les politiques publiques. Les mesures adoptées pour atteindre cet objectif visent à diminuer les dépenses publiques et à renforcer l’efficacité de l’action publique. Un « mode d’emploi »298 a dons été produit afin de dégager les 316 décisions destinées à libérer la croissance française. Les réseaux consulaires, en tant qu’établissements publics, sont concernés par ces mesures à l’instar de la décision n° 297 qui propose la réduction du nombre des Chambres de commerce et d’industrie (par regroupement ou suppression) à 50 en

297 Source : http://www.cci.fr/web/organisation-du-reseau/le-reseau-des-cci

298 Voir à cet effet le Rapport Attali, nommé aussi Rapport de la Commission pour la libération de la

croissance française, commandé par le gouvernement en 2008. Le document précise expressément en

préambule que ce n’est « ni une étude, mais un mode d’emploi pour des réformes urgentes et fondatrices », que ce n’est pas « un inventaire dans lequel un gouvernement pourrait picorer à sa guise, et moins encore un concours d’idées originales condamnées à rester marginales ». Les décisions qu’il contient ont pour ambition de gommer le retard de la France en matière de croissance économique.

place des 175 existantes299. S’en est suivi un projet de loi qui, tout en rappelant leur rôle fondamental d’appui aux entreprises (aussi bien dans la formation, l’appui à la création que l’exportation), remet en cause leur découpe territoriale qui n’assurerait plus leur efficacité et leur nécessité300. Cette démarche qui vise surtout à diminuer le poids budgétaire des réseaux consulaires301 peut aussi traduire un certain essoufflement consulaire dans leur configuration et leur fonctionnement actuels. Cela peut sonner comme une remise en cause de leur schéma actuel. Leur efficacité questionnée, la situation risque de renforcer encore plus le faible crédit qu’ont déjà l’opinion et surtout leurs ressortissants. Cela constituerait une faiblesse dans leur capacité représentative pouvant, à contrecoup, desservir leur discours de défense d’un intérêt général propre à leur circonscription. Néanmoins, cette réforme peut aussi s’avérer être bénéfique aux Chambres de commerce et d’industrie dans le sens où elle les oblige à remettre en perspective et réactualiser leur mission et leur réalisation. Cela présente l’opportunité de redorer, dans les cas où il y a lieu de le faire, le blason de ces institutions considérées obsolètes.

En définitive, il faut décrire les Chambres de commerce et d’industrie comme étant une structure qui a réussi à traverser les siècles, non sans encombre et non sans devoir réaffirmer leurs fondements ainsi que leur vocation, surtout dans le contexte socio-politique contemporain. Acteur économique identifié de leur circonscription, elles ont fait de l’économie un intérêt fondamental de leurs actions afin de garantir la visibilité et la reconnaissance de l’intérêt des entreprises qu’elles représentent.

299 Idem, p. 207.

300 En parallèle, il est préconisé un renforcement du niveau régional – les Chambres régionales de commerce et d’industrie (CRCI) – ainsi que le rôle de coordination de l’assemblée des Chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI) au niveau national. Ce renforcement concernant l’ACFCI est issu d’une motion de synthèse, adoptée le 25 novembre 2008, née des débats menés au sein des réseaux des CCI. Un document cadre reprenant les modalités détaillées de la réforme a ensuite été voté à 58% par l’Assemblée générale de l’ACFCI.

301 Selon le Rapport Attali, la création d’une grande CCI pour la région Île-de France permettra, par exemple, de réaliser environ 60 millions d’économie.

Groupe d’intérêt particulier, elles doivent de plus en plus faire face aux défis que présente l’action publique dans leur cadre de leur mission représentative.