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Les lobbies

2. Les CCI dans un système dirigiste

La rigidité envers les groupes et les structures de représentation se remarque aussi au niveau du domaine réglementaire et législatif. La relation entre l’État et les groupes d’intérêt relève plus du conflit que de la coopération. La valeur représentative de ces derniers reste cantonnée à l’initiative et au bon vouloir d’un État soucieux de maintenir le déséquilibre relationnel en sa faveur. Cela se traduit, en pratique par un degré élevé d’une intervention publique systématique (plus que la nature de la relation entre État et économie). C’est un système où l’appareil étatique est fort et largement présente dans les différents domaines de la vie sociopolitique. Une des conséquences de cela apparaît dans la relation entre l’État et la société civile qui est « fortement déséquilibrée en faveur de l’État »195.

Notre questionnement part de la position fortement prépondérante selon laquelle les États fortement centralisés ne sont pas « propices au développement de structures de représentation, syndicats ou autres, capables de rivaliser avec l’État »196. Cela pose d’entrée de jeu la place des groupes à vocation représentative dans le contexte qui entoure notre recherche.

La France est un pays où les groupes d’intérêt existent mais où ces derniers sont insérés dans un cadre déséquilibré en faveur d’un État et d’un pouvoir politique prépondérants et interventionnistes197. Les structures de représentation n’échappent

195

GROSSMAN (É.), SAURUGGER (S.). Op. cit., p. 133.

196

Idem.

197

pas à cette règle même s’ils disposent d’une histoire politique longue et riche comme les institutions consulaires. Le fait est que l’État dirigiste à l’origine de la création des Chambres de commerce et d’industrie est aussi perçu par ses dernières comme n’offrant pas concrètement un cadre favorable à leur développement. Cela se manifeste, par exemple, par une volonté de les restructurer en vue de les réduire. Même si nous reconnaissons que la motivation des pouvoirs publics dans ce processus de réduction n’est pas soutenue par l’envie de nuire aux CCI mais plutôt de les insérer dans la démarche de la croissance économique (et en tant qu’acteur économique, le raisonnement se tient), la perception des concernés peut en être autre. Ainsi nous avons pu entendre chez les élus de CCI lors de nos entretiens des regrets (accusant la volonté de nuire à leur institution) et des craintes (quant à l’avenir des Chambres) vis-à-vis d’une telle restructuration. Nous avons, en l’occurrence, souvent remarqué une inquiétude quant au sort des Chambres les plus petites risquant de se retrouver phagocytées par les plus grandes. Cela risque aussi de menacer les emplois consulaires. Elles déplorent alors la méconnaissance qui les entoure et qui a tendance à les rendre de moins en moins pertinents aux yeux des politiques. Nous concédons cependant, qu’il y a aussi chez les institutions consulaires, une certaine réticence à renoncer à une position territoriale qu’elles jugent acquise.

Un des problèmes auquel doivent faire face les institutions consulaires est cette grande méconnaissance qui les frappe, aussi bien en externe qu’en interne. Nos interlocuteurs au sein des CCI ont ainsi confirmé ce constat selon lequel les ressortissants des Chambres ne savent pas toujours eux-mêmes à quoi servent les leur institution.

En parallèle à l’ignorance de ce qui est à propos des CCI, il y a aussi la persistance d’un cliché sur lequel beaucoup s’entendent : celui d’une institution composée de vieux dirigeants d’entreprises qui ne sont là que pour le prestige et les avantages pécuniaires qu’ils en tirent. Les CCI sont bien conscientes de cette image qu’elles renvoient et en acceptent même une part de responsabilité. Concernant la motivation des anciens chefs d’entreprises à se faire élire au sein de la CCI, notre interlocuteur dit : « Avant c’était de vieux messieurs, et leur carte de visite servait

par rapport à l’intérêt collectif »198. Il n’était donc pas étonnant que l’utilité concrète

de ces institutions ait été questionnée. Mais un réveil du dynamisme, de la motivation et d’un réel engagement des élus consulaires dans leur mission peut fortement contribuer à améliorer l’image des CCI.

Cette méconnaissance est à différencier de l’impopularité qui handicape également les Chambres de commerce et d’industrie. À ce propos, nous remarquons la position de du Vice-président (2008) – actuellement président – de la CCI France (ex ACFCI). Ce professionnel de l’hôtellerie et du tourisme, investi dans les groupements professionnels dès 1982, a été consécutivement maire de Saint Bonnet le Froid (1989), président CCI Le Puy Yssingeaux (1992), président de l’Union des chambres de commerces et d’industrie du massif central (1998), membre du Conseil économique et social (CES) connaît parfaitement les Chambres ainsi que leur position dans la vie politique française. Il souligne : « les Chambres de commerce

sont une institution extrêmement intéressantes (…). Je ne pense pas que les politiques en soient conscients »199. Il rajoute par la même occasion une explication sur la raison de cette méfiance par la crainte que le corps étatique éprouve traditionnellement envers le contre-pouvoir. Cela rejoint l’explication de ROSANVALLON (1989) qui relie la « radicalisation de la séparation entre l’État et la société civile » à la « vision systématique négative des groupes de pression » remontant à la rupture avec l’Ancien Régime200. La conséquence est selon lui fâcheuse car cela amène les élus politiques à être contre les élus économiques et à vouloir les empêcher de réaliser leurs actions. Il souligne ensuite qu’il faut voir le contre-pouvoir comme un pouvoir de persuasion : « c’est un pouvoir d’entraînement,

mais ce n’est pas un pouvoir de décision. Et cela, il faut que les politiques le

198 Entretien, F. BREMENSON, permanent consulaire, Chargée de mission, Cabinet du président et des élus, CCI de Saint-Étienne Montbrison.

199 Entretien, A. MARCON, Vice-président ACFCI, Président de la Chambre régionale de commerce et d’industrie Auvergne, Paris.

comprennent»201. Cela peut contribuer à ne plus minimiser le rôle des CCI dans l’action publique.

Si la méconnaissance relève surtout d’un manque d’information sur les rôles, les missions et le fonctionnement des Chambres de commerce et d’industrie, l’impopularité correspond plus à un sentiment d’inutilité face à l’existence même de ces instances représentatives. Jugées vieilles et inactives, c’est leur raison d’être qui est directement mise en cause. C’est pourquoi les CCI veulent insister avant tout sur leur mission première. Elles souhaitent montrer qu’elles n’ont aucune ambition de décider à la place des politiques, mais également elles cherchent à valoriser auprès de leurs ressortissants et de l’opinion l’utilité économique de leur existence. Nous avons rencontré Éric BARBARIN. Diplômé en Administration des Entreprises (DESS de l’IAE de Grenoble) et en Conseil en Développement Local, Développement territorial / Economie locale / Aménagement (DESS de l’Université Jean Moulin de Saint-Étienne, il est directeur du développement territorial et des études économiques à la CCI de Savoie depuis septembre 2005. Il pointe ainsi trois manifestations de ce que les Chambres font pour représenter l’intérêt du monde économique. Il en résulte un travail centré sur le conseil à l’entreprise qui est un rôle de contributeur au développement local202 : créer et gérer des équipements publics au service public, être une structure de formation, fournir un soutien, un appui, un accompagnement aux entreprises.

Il apparaît que le système de pensée en vigueur dans l’environnement au sein duquel existent les Chambres de commerce et d’industrie a un impact sur l’image et la place qui leur sont données. À ce sujet, nous reprenons la démonstration menée par nos enquêtés sur la fluctuation de la popularité des institutions consulaires pendant des décennies203. Selon eux, il y a une chronologie qui est la suivante : une

201

Idem.

202 Entretien, É. BARBARIN, Directeur du développement territorial, CCI de Savoie, Chambéry.

période extrêmement faste pour les Chambres est identifiée des années soixante jusqu’en 1985. Elle s’explique par une économie galopante et un État centralisateur qui s’appuie sur les CCI en tant qu’outils disposant d’idées, proposant des programmes et maîtrisant la technique. Elles assuraient une fonction de courroie naturelle de mise-en-œuvre de la politique gouvernementale sur le terrain. Leur légitimité n’était pas contestée. C’est à cette époque que les présidents des CCI sont devenus des notables.

La période 1985 – 1995 est marquée par un affrontement entre les Chambres et les collectivités locales qui ont été mises en place pour faire à la place des Chambres. En conséquence, ces dernières se sont raccrochées à l’État. Puis, il y a eu un sursaut à partir des années quatre-vingt-dix où les institutions consulaires cherchaient à retrouver leur place et leur identité. Cette chronologie se poursuivra ensuite jusqu’à la réforme des Chambres initiée en 2007.

Actuellement, le discours des CCI met en avant l’existence d’une nouvelle génération d’entreprises qui veut faire et qui fait de moins en moins de politique pour se centrer prioritairement sur la mission économique. Il fait référence à une génération qui veut imposer une nouvelle vision de l’économie qui ne veut plus se mettre dans le même optique que les années quatre-vingts. Le visage du président a ainsi aussi changé. À Saint-Étienne, on parle d’un président qui est « une espèce de

guerrier et qui impose inlassablement la CCI dans le jeu institutionnel »204.

Malgré tout, les choses changent, les systèmes politiques subissent continuellement des mutations qui les poussent à s’adapter ou du moins à trouver un compromis et progressivement mais incontestablement les groupes acquièrent de plus en plus d’importance car « malgré l’opacité de leur champ d’action, les mutations du système juridique et politique français font de la force de ces groupes d’intérêt une force d’appoint dont il paraît irréaliste de se priver »205.

204 Entretien, L. COLRAT, Chef du cabinet du président et des élus, CCI de Saint-Étienne Montbrison, Saint-Étienne.

Les Chambres de commerce et d’industrie françaises sont apparues dans un environnement précis, à l’initiative du pouvoir, et dans un but bien déterminé. Celui- ci a perduré jusqu’à aujourd’hui, malgré des étapes plus ou moins mouvementées et un cadre historique et politique hostile. Érigées pour accomplir une mission destinée à soutenir et renforcer les activités commerciales, industrielles et de services, elles sont des structures présentes dans les différents niveaux des territoires et sont compétentes pour les questions touchant l’économie de ces derniers.