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Titre II. Les CCI : une institution atypique

Section 1 : Une vocation teintée d’ambivalence

2. Entre groupe d’intérêt, patronat et syndicat

Le groupe d’intérêt des Chambres de commerce et d’industrie est composé par des chefs et dirigeants d’entreprises. Il fonctionne à travers un Bureau et une assemblée générale de patrons élus par leurs pairs, sous les couleurs d’une organisation professionnelle patronale comme le MEDEF, la CGPME ou encore l’UPA. Il est alors évident qu’un lien existe entre les CCI et le patronat.

Le sujet patronal, parmi les partenaires sociaux, est souvent frappé de polémique. Par rapport à son homologue du salariat, le patronat et syndicats patronaux semblent souffrir de critiques quant à la nature de leurs objectifs et aux moyens employés pour les atteindre. Les contestations syndicales fréquentes et virulentes en France tendent à confirmer cette supposition. Une telle méfiance ne

viendrait-elle pas d’une certaine méconnaissance du corps patronal ? Essayons alors dans les paragraphes qui suivent de dresser un portrait du patronat, acteur et partenaire social parmi d’autre, et du phénomène patronal français.

L’histoire du patronat en France suit une tradition bien claire ; elle est parsemée de crises et a subi plusieurs évolutions. Partant d’abord au début du XIXème siècle du patron, la notion de patronat s’est développée avec le développement du capitalisme dans le monde avant de s’ancrer dans la terminologie usuelle et s’imposer à la fin du XIXème siècle. L’essor industriel va également participer à son développement309.

Le patronat se trouve, depuis quelques années, au cœur du débat public et des questions sociales, voire même politiques. Souvent désigné comme l’antagoniste des organisations syndicales, le patronat est poursuivi par une image assez péjorative. Mal accueilli dans l’opinion, il fait l’objet de critiques virulentes quant à sa politique capitaliste aux dépens des employés et travailleurs. Affublé d’une image traditionnellement apathique et limité à son milieu naturel - l’entreprise -, il n’a pas toujours bénéficié d’une considération positive de la part des organisations syndicales et de la société en général. Le patron a, en effet, toujours été considéré comme l’oppresseur des travailleurs, les assommant de travail pour pouvoir augmenter son capital et sans le redistribuer équitablement.

À l’origine, assimilé au vocable religieux du « saint patron », le patron était synonyme de protection310. En effet, avant le début du XIXème siècle, son sens actuel de capitaliste employant des salariés n’avait pas d’existence. Il faut attendre 1848 pour que le conseil de prud’hommes désigne, dans un décret, le patron comme un chef d’entreprise. C’est ensuite le développement du capitalisme qui va faire

309

Pour aller plus loin sur l’histoire du patronat, v. MAGNIADAS (J.). Le patronat, Paris, Messidor : Éd. sociales, 1991, 248 p. ; FREY (J.-P.). Le rôle social du patronat : du paternalisme à l’urbanisme, Paris : L’Harmattan, 1995, 384 p.

310 Pour retracer la transformation du vocable, v. KOLBOOM (I.). « Patron et patronat. Histoire sociale du concept de patronat en France au XIXème et XXème siècle », Mots, 1984, vol. 9, n°9, pp. 91- 94.

perdurer cette définition, à la fin du XIXème siècle, et la rendre usuelle telle que nous la connaissons aujourd’hui.

C’est à cette époque que s’élargit l’exploitation de la force de travail faisant suite à l’accroissement des mouvements des capitaux. La conscience de classe s’élève. Ainsi, on se défait petit à petit de la notion de patron en tant qu’individu singulier pour s’intéresser progressivement à la notion plus progressive du patronat. La constitution du patronat en entité sociale répond à deux logiques étroitement liées au développement du capitalisme : la prise de conscience des patrons de l’existence d’une contradiction entre eux et les salariés, l’appréhension des ouvriers vis-à-vis des patrons en tant que classe sociale. La conséquence en est que des mouvements de grèves consomment cette opposition qui trouve son corollaire dans la création d’organisations ouvrières auxquelles les capitalistes répondent par la constitution d’organisations patronales. La création de ces dernières s’est ainsi faite en réaction au mouvement ouvrier et en suivant le modèle de celui-ci311.

L’histoire économique et sociale française va également imprimer ses empreintes sur l’avenir du patronat. La révolution industrielle renforce les grandes dynasties capitalistes tandis que la révolution de 1789 consacre la victoire de la bourgeoisie capitaliste. La libéralisation économique quant à elle va stimuler la soif de profit, enrichir la bourgeoisie d’affaires et accélérer le développement de l’industrie aux dépens des ateliers ruraux et des petits artisans. Ainsi, il paraît évident que la structure des classes et des couches sociales se trouve bouleversée et remodelée. C’est dans ce cadre qu’évoluent désormais les deux entités opposées que sont le patronat et les organisations syndicales. Ceci explique leur antagonisme notoire et montre à la fois les buts poursuivis par chacun d’eux.

À l’orée du XXème siècle s’épand l’impérialisme qui va transformer le visage du patronat. Désormais, il est question de monopoles. Les grandes firmes se développent, le capital bancaire et le capital industriel s’interpénètrent, une

oligarchie financière s’établit et les conflits sociaux se multiplient312. Le patronat (qui s’inscrit dans le cadre d’une continuité familiale) détient alors la propriété économique.

Le pouvoir patronal a un caractère unilatéral et discrétionnaire ; le patron peut mener la politique de son entreprise librement et indépendamment. Ce pouvoir se traduit également par des prérogatives d’organisation de l’unité économique que représente l’entreprise conformément au droit de propriété. Ces éléments historiques expliquent sans doute le caractère très individualiste et rentier du patronat français. La méfiance envers cette catégorie professionnelle y trouve sûrement quelque part aussi son explication, du moins une qui serait valable. C’est ici un fait que nous tenons à souligner car ce sentiment péjoratif qui est associé aux intérêts défendus et revendiqués par le patronat joue un rôle notable dans l’analyse de l’argumentaire des CCI dans leur souci de pratiquer un lobbying efficace313.

Un des éléments caractéristiques des Chambres de commerce et d’industrie est sa composition. Ce sont des institutions qui regroupent les membres de différentes organisations patronales. Ceux qui sont élus au sein de cette structure pour représenter l’intérêt des entreprises du territoire sont des patrons, des dirigeants et chefs d’entreprises issus des quatre grands organismes de représentation patronales : le MEDEF, la CGPME, l’UPA et l’UNAPL. Ce rattachement est intrinsèquement lié au fonctionnement des Chambres consulaires car, rappelons – le, pour pouvoir être élu dans les CCI, il faut se présenter sous les couleurs de ces groupes314.

312 Jean GARRIGUES note par contre que cette oligarchie patronale est assez restreinte et s’est modernisée au fil du temps. V. Garrigues (J.), Les patrons et la politique. L’influence politique des

grands patrons : de Schneider à Seillière, Paris, Perrin, 2002, pp. 17-32.

313 Ce point sera traité dans la 2ème partie de cette thèse au moment où il sera question d’évoquer la légitimité des Chambres de commerce et d’industrie.

314 Comme vu précédemment, ces différents groupes patronaux présentent des listes en vue des élections consulaires. Ces listes peuvent être mixtes, c’est-à-dire qu’elles peuvent être composées par des candidats de différentes affiliations patronales. La seule condition d’éligibilité obligatoire, dans ce cas, est l’affiliation à un groupe patronal. Ainsi, il ne peut y avoir de candidats libres ou indépendants lors des élections.

Ce fonctionnement précis montre qu’il ne peut pas vraiment être fait abstraction de la nature patronale des institutions consulaires. Cela participe, à notre avis, à la confusion rapidement faite entre patronat et Chambres de commerce et d’industrie, amenant souvent à vite conclure que ce ne sont là qu’une différente appellation d’une même chose. D’ailleurs, cette vision est celle qui le plus souvent retenue par l’opinion publique. Cette confusion qui prévaut en la matière justifie l’intérêt qu’il faut accorder à ces institutions. Cet enjeu est doublement intéressant dans la mesure où les données exploitables en la matière ne fourmillent pas, en dehors de celles historiques et organisationnelles, la plupart du temps établies par les CCI elles-mêmes. Celles qui traitent de ces entités dans la pratique font cruellement défaut. Cela s’ajoute au constat similaire déjà relevé pour les études sur les organisations patronales315.

Aussi est-il judicieux, à ce stade de notre analyse, de mettre face à face ces deux types de structure, d’un côté le patronat, de l’autre les Chambres de commerce et d’industrie, pour mesurer et expliquer les points qui nourrissent la confusion. Cette démarche consistera à se pencher sur les éléments de rapprochement et ceux de différence entre les deux, afin de comprendre la portée et la limite des champs d’action et des compétences de chacune. Cette étape permet, en outre, de situer le cadre de notre analyse car identifier les raisons qui tendent à assimiler les institutions consulaires à un syndicat patronal ne peuvent qu’aider à marquer celles qui les en différencient. Cela contribue à bien définir la nature et la singularité des CCI puisque, d’ores et déjà, il faut marquer que, malgré des points de similitudes existants, les Chambres de commerce et d’industrie de sont pas un syndicat patronal. Il s’agit alors, in fine, de les qualifier à travers une définition par la négative.

Ce qui rapproche avant tout les groupes patronaux et les Chambres de commerce et d’industrie, ce sont les personnes qui les composent. Et c’est là l’une des sources majeures de l’amalgame qui est souvent faite entre les deux. C’est une

315 RABIER (M.). « Revue de littérature : les organisations patronales en France et en Europe »,

Document d’études, Paris, Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, Direction de

question qui nous a particulièrement interpellés lors de notre enquête au point de voir concrètement au niveau des CCI les manifestations des liens qui unissent les deux. Ce lien est évident au vu de la procédure d’élection à la Chambre, plus précisément dans la constitution de la liste de candidature : « Il faut savoir aussi que quelque part

les CCI sont un peu pilotées par le patronat. C’est ça aussi. Ce sont des élus issus du monde économique mais qui se font avec des listes de la CGPME, du MEDEF, voire de l’UPA. C’est peut-être ça aussi qui joue dans la confusion des genres »316. Les membres élus au parlement économique possèdent alors tous une couleur patronale qu’ils sont sensés oublier une fois investis dans leur mission de représentation. D’où la confusion qui est souvent faite entre les CCI et les syndicats patronaux. L’impact de cette singularité sur l’image et le travail des Chambres est connu et n’est pas ignoré. C’est ce que nous avoue Patrick SCHAEFFER, élu consulaire de la Loire, spécialisé dans le thème de la compétitivité des entreprises et des réseaux, issu d’une société de négoce d’outillages abrasifs. Il dit : « Donc effectivement, c’est une

particularité, et cette particularité qui nous amène toujours dans des positions un peu compliquées »317.

Quand nous avons soulevé cette question à J. – L. HOFBAUER, élu consulaire de Savoie, il en explique la raison en désignant la méconnaissance que le public, mais surtout les politiques, a du rôle de chacun de ces deux entités :

« Oui, mais ça entretient la confusion. Parce qu’aujourd’hui, lorsqu’il y a un problème, je ne sais pas moi, au niveau du département, les élus et les entreprises, on va aller voir la CCI pour essayer de voir l’avis des entreprises. Ce n’est pas là qu’on devrait aller, on devrait convoquer les syndicats patronaux pour leur demander leur position »318.

316

Entretien, J.-L. HOFBAUER, Op. cit..

317 Entretien P. SCHAEFFER, élu consulaire, secteur commerce, CCI de Saint-Étienne Montbrison.

Les CCI n’excluent pas pour autant leur part de responsabilité, à l’instar de ce qui transparaît dans le discours de P. SCHAEFFER, élu consulaire de la Chambre ligérienne : « Les Chambres de commerce n’ont pas toujours su réellement se

positionner comme il se doit »319. À travers les trois que nous avons enquêtées, nous avons pu nous rendre compte que cet avis est largement partagé. Il apparaît alors que la taille de l’institution, celle du territoire d’implantation et le tissu économique de celui-ci n’influe pas vraiment sur ce point. Celles-ci sont conscientes que c’est un des aspects à corriger pour une meilleure acceptation de leur utilité.

Cela montre, encore une fois, que la reconnaissance tant recherchée par les institutions consulaires doit passer par un éclaircissement des frontières qui les séparent des autres structures représentatives. Il ne suffit pas de mettre en valeur les compétences économiques, la mission de service public détenu par les Chambres ou encore ce qu’elles représentent pour l’intérêt général, il faut aussi insister sur ce qui les différencient des autres entités, notamment des syndicats patronaux étant donné les liens inhérents qui les unissent. Il en va de leur avenir. Cette question de leur futur a d’ailleurs été posée et la réponse reçue rejoint notre positionnement :

« Il faudrait retravailler à établir quel est le rôle de chacun dans les instances et dans le travail qui doit être fait. Si on arrivait à redéfinir ça, dans ce cas là, il y aurait effectivement quelque chose d’un peu plus cohérent, certainement une meilleure distribution des choses. Moi aujourd’hui, je suis dans les deux. Je vois bien qu’il y a une chose que je fais d’un côté que je pourrai faire de l’autre et inversement. C’est sûr. Et donc on se disperse. Et par contre, il n’y a pas des choses qu’on fait des deux côtés »320.

Un autre critère qui relie les groupes patronaux et les Chambres consulaire est la notion de représentation. C’est un point qui leur est commun. D’un côté, il est

319 Entretien P. SCHAEFFER, Op. cit.

question de la représentation patronale321, de l’autre, de celle de l’intérêt des entreprises d’un territoire. La représentativité caractérise et se trouve ainsi au cœur de l’existence de chacune. Cette représentativité est recherchée par les deux parties. Aussi bien pour le patronat que pour les CCI, cette représentativité leur est conférée par les pouvoirs publics. Cette reconnaissance est importante pour chacune car elle leur attribue des prérogatives322. Certes, celles-ci ne sont pas les mêmes étant donné que les deux types de structures n’ont pas la même vocation, cependant, elles en tirent chacune des avantages utiles à leur fonctionnement, et plus exactement à la pérennisation de leur fonctionnement.

En ce qui concerne le patronat, la qualité représentative accordée par les pouvoirs publics lui procure la capacité et la compétence pour l’exercice de certaines fonctions dont certaines peuvent contribuer à la constitution de ses ressources :

La négociation des accords collectifs. Cette compétence permet au patronat d’être un partenaire social aux côtés des syndicats salariés et de siéger dans les organismes décisionnaires de branche. C’est ici une prérogative que les Chambres ne détiennent pas.

L’appartenance aux instances publiques consultatives. Les CCI possèdent également cette compétence consultative.

La participation à la définition et à la gestion des organismes paritaires et de formation. Il s’agit, par exemple des institutions paritaires régionales (IPR) de Pôle emploi323. Celles-ci sont composées de représentants de l’État, de représentants d’organisations syndicales de salariés interprofessionnelles représentatives au niveau national – à savoir : la confédération générale du

321 L’intitulé « représentation patronale » est utilisé pour définir le plus souvent le patronat. Il fait ainsi fi des caractéristiques individuelles de patrons pour s’attacher plus à la notion d’action collective structurée des entreprises et de leurs chefs. Voir BUNEL (J.), « Les dilemmes de l’action patronale »,

Revue de l’IRES, n°20, hiver 1996, p.5.

322 RABIER (M.). Loc. cit. p. 73.

travail (CGT), la confédération française démocratique du travail (CFDT), la confédération générale du travail – force ouvrière (CGT-FO), la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la confédération française de l’encadrement – CGC (CFE – CGC), de représentants des organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel – à savoir : le mouvement des entreprises de France (MEDEF) (trois représentants), la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) (un représentant), l’union professionnelle artisanale (UPA) (un représentant)324.