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PREMIÈRE PARTIE : LES RACINES DU MAL : UNE TYPOLOGIE DU DÉMONIAQUE

Chapitre 1. Transmission, filiation et modèles du démoniaque

B. Julien Green et François Mauriac

Julien Green et François Mauriac ont entretenu des relations très étroites. Bien que tous les deux catholiques, ils ne sont pas de la même paroisse : « La différence, d’où venait-elle ? De ceci peut-être, que lui et moi étions profondément enracinés dans notre enfance, mais la sienne toute catholique, teintée de jansénisme, la mienne anglicane avant ma conversion. Sans beaucoup de détours, le terrain d’entente se trouva dans les environs de

363 G. BERNANOS, Français, si vous saviez…, Essais et écrits de combat, tome II, op. cit., p. 1173. 364 É. BENOIT, « Bernanos, lecteur critique de Mauriac », Mauriac lu par ses pairs, op.cit., p. 37. 365 É. BENOIT, « Bernanos, lecteur critique de Mauriac », Mauriac lu par ses pairs, op.cit., p. 38.

Royal et comme il fallait s’y attendre, près de la personne de Pascal »366. Ainsi, Mauriac pratique une religion « d’effroi », « dramatique », Green, une religion de miséricorde. Green découvre le « vrai » Mauriac en lisant Sainte-Marguerite de Cortone. Si l’on excepte ses romans, c’est le livre de Mauriac le plus attachant selon Green367. À sa mort, Green déplorera ne jamais avoir eu avec lui de conversation franche. Les deux hommes parlaient ensemble davantage de religion que de littérature : « Hier vu Mauriac qui me parle religion et me dit qu’il a communié le matin même… Il me parle aussi de la lettre de Gide à Schwob parue dans

La NRF. Gide a été tenté de se convertir « mais, a-t-il précisé, j’y ai mis bon ordre », et

Mauriac voit dans cette phrase si caractéristique quelque chose comme l’assassinat de la grâce : « cela rend le son d’un glas d’enfer… »368. Pendant longtemps Green s’est détourné de l’œuvre de Mauriac qu’il n’a jamais lue en totalité. Jusqu’en 1970, il n’a lu qu’un nombre réduit d’ouvrages : la Vie de Racine en 1928. En 1944, il confie dans son Journal que ses romans l’irritent autant qu’il les admire. Le fait qu’il en parle peu dans son Journal montre le peu d’intérêt qu’il accorde à l’œuvre de Mauriac. Le seul moment où il évoque Mauriac c’est lorsqu’il donne un cours de littérature française en 1944 sur l’œuvre de Mauriac à Mills College, aux États-Unis: « Aujourd’hui, j’ai fait mon cours sur Mauriac. J’ai lu plusieurs pages exquises de son Journal (qui n’est pas un journal). On applaudit parce que c’est devenu une sorte d'habitude polie d’applaudir, mais j’ai l'impression que ce cours n’a pas servi à grand chose »369.

C’est le fait d’être élu à l’Académie à la place de Mauriac qui a incité Green à lire assidûment son œuvre. Lors de son discours de réception en 1972, Green évoque un certain nombre de romans de Mauriac : La Pharisienne, Le Mystère Frontenac, Thérèse Desqueyroux et sa suite, Le Nœud de vipères, son Journal, Destins, Le Sagouin et Maltaverne. Il semble aussi bien connaître son essai Le Roman. On peut aussi penser qu’il a lu Dieu et Mammon, ainsi que Souffrances et bonheur du chrétien qu’il dit avoir lu deux fois. Il semble avoir lu entre 1964 et 1987 trois fois Ce que je crois et livre sur cette profession de foi une profonde réflexion qu’il reprendra d’ailleurs dans son discours de réception à l’Académie. Dans ce dernier, Green sauve l’homme et son style mais se tait sur le théâtre, n’évoque pas le

Bloc-notes et accable le romancier. En effet, il a la conviction que Mauriac n’est pas dans ses

romans. Aussi, Green ne retient de l’œuvre de son prédécesseur que des textes de nature

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J. GREEN, « Appendice IV, Conférences et discours », « Discours de réception à l’Académie française »

Œuvres complètes, tome III, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1974, p. 1483.

367 J. GREEN, Journal, 25 mai 1949, Œuvres complètes, tome IV, op. cit., pp. 1078-1079. 368 Cité par J. GREEN, Journal, 5 février 1929, Œuvres complètes, tome IV, op. cit., p. 36. 369

autobiographique : Sainte Marguerite de Cortone, Souffrances et bonheur du chrétien et Ce

que je crois. Green a souvent affirmé qu’il aimait l’homme plus que l’écrivain :

Certains de ses personnages courent droit aux abîmes. Non pourtant. À la dernière halte de leur existence toute noire, François Mauriac accorde aux misérables un retour à la foi et le secours de cette pitié divine qui arrange tout. Et cela est souvent ainsi – nous avons tout intérêt à ne pas y contredire : Dieu vole les âmes au démon l’une après l’autre. Mais c’est le romancier qui me retient, c’est l’homme dont je sens la présence derrière ces récits ténébreux, car de tous les romans qu’il a écrits, celui que je mets au-dessus de tous les autres pourrait s’appeler François Mauriac et c’est aussi le plus tragique : il est partout, depuis les vers où l’auteur regrette les péchés qu’il n’a pas commis jusqu’à ce Maltaverne dont on dirait que Dante lui a soufflé le nom à l’oreille et qui évoque je ne sais quelle sombre étape sur le chemin de l’au-delà.370

Il regrette alors de ne pas avoir été plus proche de Mauriac : « Ébloui par la lecture des Lettres de Mauriac, ébloui comme je l’ai été rarement par ses livres, mais dans celui-là le cœur se trouve tout entier avec sa tendresse, ses injustices, ses cris de rage, ses profonds élans d’amour. […]. Cher François, que ne vous ai-je mieux compris et que ne m’avez-vous pas mieux deviné ? Quand vous me disiez que j’étais tout bonnement « le mal », ou « le mal, c’est vous », vous faisiez simplement abstraction de Dieu qui ne me laissait jamais tranquille. J’étais plus tourmenté qu’aucun de vos personnages ne le fut jamais »371. Green et Mauriac sont des écrivains à la fois trop proches et trop différents, et c’est ce qui explique leurs rapports complexes.

Les deux écrivains se sont rencontrés à la fin de l’année 1924 chez François Le Grix qui dirigeait La Revue hebdomadaire où les deux romanciers collaboraient. Ils se rapprochent toutefois quelques années plus tard, en 1927. Bien qu’elle dure toute leur vie, cette amitié reste assez distante en raison d’un certain nombre de dissensions. Mauriac n’appprécie guère le journal de Green qui n’en dévoile que trop peu sur son auteur. Il a, en revanche, beaucoup apprécié Adrienne Mesurat dont il rend compte dans La NRF en 1927. Il est surtout sensible à la solitude du personnage d’Adrienne : « La solitude s’attache à Adrienne comme une maladie ; elle est née emmurée, elle étouffe […] elle obéit à l’instinct du captif que nous avons tous été en rêve, et qui franchit un mur, puis un autre encore […]. Ses bourreaux disparus, elle ne s’évade pas du cercle magique »372. Il s’intéresse aux personnages les plus démoniaques du roman tels Mme Legras dont il remarque l’homosexualité et M. Mesurat qui ressemble selon lui à « beaucoup d’hommes, nés féroces, [qui] ne peuvent s’assouvir que dans

370

J. GREEN, Appendice IV, Conférences et discours », « Discours de réception à l’Académie française »

Œuvres complètes, tome III, op.cit., p. 1487.

371 J. GREEN, L’Arc-en-ciel 1981-1984, 3 avril 1984, Paris, Seuil, 1988, p. 424.

372 J. GREEN, « Notes, le Roman Adrienne Mesurat », Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 1130.

les limites du foyer domestique. Néron n’a pas toujours le monde à son usage »373. Toutefois il regrette le point de vue, objectif selon lui, du roman : « Parvenu à une telle maîtrise, il faut que Julien Green, peintre de l’enfer humain, fraye des avenues, établisse des perspectives sur l’horizon du monde racheté »374.

Dès 1928, les relations entre les deux auteurs se distendent et la formule « Mon cher ami » succède à celle de « Monsieur » dans les lettres. Mauriac publie Souffrances du chrétien dans la NRF au mois d’octobre, il est à l’époque en pleine crise spirituelle qui détermine une conversion définitive. Green, dès lors, fréquente moins souvent ce « converti » « devenu un peu convertisseur »375. Pour ce dernier, c’est le prosélytisme de Mauriac qui les a éloignés l’un de l’autre. Green ne comprend pas les rapports de Mauriac romancier avec les exigences de sa foi. Il explique dans son Journal en 1944 : « Le mot de Mauriac : « purifier la source » a l’air de résoudre la question et ne fait que l’embrouiller, car la source même du roman est empoisonnée, et privée des poisons qui la composent, elle voit s’altérer sa nature. Je ne crois pas qu’il y ait de roman qui ne contienne de poison »376. Plus tard, il ajoute : « Je commence à croire qu’il n’y a pas de roman sans péché (je ne pense plus à Mauriac, mais bien à moi »377. En effet, pour Green « les réalités religieuses sont d’un ordre tout autre. Elles ne peuvent, sans se dégrader, frayer avec les réalités profanes, même littéraires »378. Or Mauriac, dans les années vingt, se proclame « romancier catholique », ce qui, pour Green, équivaut à perdre sa liberté d’esprit et de création. Mauriac est un homme de parti et rien ne pouvait plus déplaire à Green qui a toujours cultivé une indépendance, et ce à tous les niveaux. En effet,

[S]ur le plan de la création littéraire, convaincu que le roman naît du péché, que la puissance créatrice du romancier est de même nature que la puissance sexuelle, que le même instinct vital interdit de s’exclure de l’acte d’écrire comme de l’acte sexuel, il respectera la folie furieuse de l’« inconnu » qui crée à travers lui. De là, cette esthétique romanesque de la violence et du crime. 379

Mais c’est peut-être dans ce domaine que les œuvres mauriaciennes et greeniennes se rapprochent le plus. Green reconnaît dans son discours de réception à l’Académie française que Mauriac se plaît à décrire les passions frustrées, le désir entravé :

Ce qui retentit dans ses livres, ce que j’entends d’abord, c’est la clameur de détresse des passions

373

J. GREEN, « Notes, le Roman Adrienne Mesurat », Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 1130.

374 Ibid. 375

J. PETIT, « Le diable, Mauriac et Green », La Nouvelle revue des deux mondes, 1976. 376 J GREEN, Journal, 27 décembre 1944, Œuvres complètes, tome IV, op. cit., p. 823. 377 J. GREEN, Journal, 19 février 1948, Œuvres complètes, tome IV, op. cit., p. 1001. 378 M-F. CANÉROT, « Green, lecteur de Mauriac », Mauriac lu par ses pairs, op. cit., p. 64. 379 M-F. CANÉROT, « Green, lecteur de Mauriac », Mauriac lu par ses pairs, op. cit, p. 65.

frustrées. Est-ce faire injure à l’écrivain de dire qu’il nous fait descendre avec lui dans une sorte d’enfer ? Mon opinion est qu’il n’y a pas de fiction qui vaille sans un peu d’enfer. Le mot est-il trop fort ? Mais Thérèse Desqueyroux qui traîne après elle le crime qu’elle n’a même pas pu réussir ne connaîtra la paix qu’à la fin de sa vie. […]. Quel ouragan de souffrances sur ce monde ténébreux... .380

Au contraire, chez Green, les personnages sont jeunes et le désir s’assouvit par le crime, accompli ou rêvé : Adrienne Mesurat tue tandis que Thérèse Desqueyroux vit avec le poids du crime non accompli. Mauriac met en scène des démoniaques dont beaucoup finissent par connaître le salut. Ses romans possèdent ainsi une dimension, que l’on pourrait qualifier d’initiatique, qui le rapproche de Bernanos mais l’éloigne de Green :

L’enfer ? Non pourtant, car l’enfer total, c’est l’absence de l’amour, et l’amour finit par luire dans l’épaisseur de toute cette ombre. La pitié d’en haut visite le cœur des plus déshérités de ces personnages, et c’est le seul espoir, mais c’est celui qui l’emporte à la fin. Ici parle le chrétien Mauriac. Où est la part de l’invention, où celle de l’aveu pur et simple ? Le romancier et le croyant ont si bien tressé les écheveaux aux mille nuances qu’il devient presque impossible d’isoler tel fil de préférence à celui-là, car alors tout risque de se brouiller et la diaprure de se perdre. 381

En 1933, Mauriac encourage Green à revenir à la foi catholique. À son retour des États-Unis, il s’inquiète de constater que le démon est entré dans la vie de Green. Mauriac est plus soucieux de l’âme de Green, de ses rapports avec Dieu ou le diable que de ses romans. Il est sensible à Épaves, paru en 1932 qui possède « une clé qu’on ne connaît pas »382 selon les propos rapportés par Green lui-même dans son Journal.

Dans un article qui date du 17 avril 1951, Mauriac attire l’attention du lecteur sur trois aspects fondamentaux chez Green : il voit en lui son statut d'exilé qui ne se sent pas dépaysé en France, « le fils qu’Emily Brontë n’a pas eu et l’auteur dont le domaine de prédilection est l’invisible »383. Cette remarque montre que malgré tout Mauriac est sensible à l’ambiance sombre des romans de Green. Ce dernier met en scène un monde romanesque marqué par le macabre, le fantastique et l’irrationnel où le protagoniste finit par sombrer dans la folie. C’est ce qui distingue principalement l’œuvre de Mauriac et Green : « C’est peu de dire qu’il tenait en suspicion ce qui relevait du fantastique et de l’invérifiable, bannissant rêves prémonitoires, sinistres pressentiments, apparitions, dédoublements de personnalité, irruptions de l’au-delà dans la vie de chaque jour, choses dont je ne faisais pas fi. Dans son œuvre entière, que j’ai relue, je n’ai trouvé qu’un seul revenant, et encore assez douteux : ce n’est pas

380

J. GREEN, « Appendice IV, Conférences et discours », « Discours de réception à l’Académie française »

Œuvres complètes, tome III, op.cit., p. 1494.

381 Ibid.

382 J. GREEN, Journal, 19 avril 1932, Œuvres complètes, tome IV, op. cit.,p .169. 383

beaucoup ! »384. Le Bloc-notes mentionne plusieurs fois le Journal de Green : Mauriac a lu Le

Bel aujourd’hui dont il dit du bien mais avec toutefois quelques réserves. Quant à Partir avant le jour, premier écrit autobiographique de Green, Mauriac l’a apprécié même s’il ne

cache pas que pour lui, l’essentiel n’y est pas dit. Dans l’année qui suit Partir avant le jour, soit en 1964, Mauriac se demande si un auteur chrétien doit tout dire de lui. Ce « bloc-notes » est la cause d’un froid entre les deux écrivains. À l’époque, le Nouveau Roman est à la mode et Mauriac, tout en déplorant cette crise du roman, ne peut pas empêcher de trouver le roman de Green, Chaque homme dans sa nuit, conventionnel. Julien Green, qui ne se sent pas concerné par la querelle du Nouveau roman, ne reçoit pas bien le jugement de Mauriac.

Ce qui éloigne sûrement Green des œuvres de Mauriac, c’est aussi l’exigence de sincérité. Quand Green rencontre Mauriac, ce dernier a quinze ans de plus que lui. De ce fait, il y a entre une relation de maître à élève. Toutefois Green est gêné par l’aspect « homme de lettres vainqueur »385 qui émane de Mauriac. D’ailleurs, c’est par respect du jeu social et de l’intérêt familial que Mauriac n’a jamais écrit d’autobiographie et qu’il est resté muet sur certains sujets comme l’homosexualité. Green voit toujours ce « personnage » de sermonneur, de moralisateur que joue Mauriac dans ses œuvres. De même, Green trouve que ses personnages sont trop peu hardis devant le crime, mais manifestent en revanche des intentions mauvaises qui les rendent inhumains. Pour lui, Le Nœud de vipères est incontestablement le plus infernal des romans de Mauriac :

On me dira que je prends l’œuvre de Mauriac par le sommet et que cette Thérèse Desqueyroux qui lui était si chère marque aussi un degré de perfection qu’il ne dépassa plus. C’est là une opinion courante à laquelle je ne puis me ranger. Il me semble, en effet, qu’un de ses récits les plus importants est le Nœud

de vipères qui restera comme un des plus noirs de la littérature contemporaine, le plus mystérieux aussi

par la maîtrise dans l’exploration du mal. De cercle en cercle, l’auteur nous mène toujours plus bas dans ce lieu démoniaque qu’est le cœur d’un avare. Rien de plus solidement barricadé contre la grâce. « La méchanceté est ma raison d’être », dit avec une sorte de candeur le vieillard qu’on hésite à appeler le héros de ce roman. 386

Alors que la vie et l’œuvre de Green sont hantées par un sentiment de révolte, celle de l’âme contre l’exigence du corps, la vie et l’œuvre de Mauriac sont hantées par la culpabilité qui fait toute la noblesse de son désespoir. Il a mesuré, en effet, l’horreur de trahir l’Amour, non pour le seul plaisir, mais pour un amour interdit et torturant. Les deux écrivains se rejoindront dans leur vieillesse où ils seront plus indulgents vis-à-vis de la chair.

384

J. GREEN, « Appendice IV, Conférences et discours », « Discours de réception à l’Académie française »,

Œuvres complètes, tome III, op.cit., p. 1483.

385 M-F. CANÉROT, « Green, lecteur de Mauriac », Mauriac lu par ses pairs, op.cit, p. 66.

386 J. GREEN, « Appendice IV, Conférences et discours », « Discours de réception à l’Académie française »,

Désireux de trouver plus de générosité et de mansuétude dans l’œuvre mauriacienne, Green est séduit par Le Mystère Frontenac ou les Mémoires intérieurs. Il est particulièrement sensible à la poésie qui se dégage du Mystère Frontenac, à l’esprit d’enfance qui parcourt le roman : « Entre le Christ et le jeune Yves, qui pourrait bien se nommer François, s’engage l’éternel dialogue : « Tu sais bien qui je suis », dit la voix intérieure au tout jeune Frontenac, « moi qui t’ai choisi. – Non, crie l’enfant, c’est moi qui me parle à moi-même. – Moi qui t’ai choisi, reprend la voix qu’on ne peut faire taire, moi qui t’ai mis à part et marqué d’un signe »387

. Green et Mauriac ont donc eu une entente profonde comme le montre la lecture par Green de Sainte Marguerite et de Ce que je crois. Dans Sainte Marguerite, Green apprécie que Mauriac s’adresse directement à son lecteur par l’intermédiaire d’un « nous » qui est, en réalité, un « je ». Il aime particulièrement que l’écrivain tente par la seule force de l’intuition d’entrer dans la folie d’une mystique. Lui-même est nourri depuis dix ans de nombreuses vies mystiques. Il est enthousiasmé par l’histoire de cette femme dont la passion pour Jésus pousse au crime contre soi, contre sa beauté, contre son corps par lequel est venu le péché : « Ce qui le touche aussi dans cette biographie, c’est l’envol de Mauriac loin de toutes les médiocrités de la vie chrétienne, sa dénonciation de la piété sensible, sa certitude que l’on va à Dieu dans la souffrance, non par les consolations »388.

Aussi, Julien Green va composer, de 1981 à 1983, la vie de saint François d’Assise et, même s’il n’a pas relu l’œuvre de Mauriac, on y retrouve, comme l’explique Marie-Françoise Canérot, « le même don de séduire, le même renoncement absolu aux plaisirs de la chair et du luxe, le même succès auprès des foules, le même désir de partager les souffrances de la Passion, le même enfoncement dans la solitude et le silence au cours des dernières années »389. Si Green admire saint François c’est parce qu’il a été divisé entre les exigences de la chair et celles de l’âme. Malgré son admiration pour l’essai de Mauriac, Green a su garder ses distances et on ne peut y voir ni imitation, ni filiation mais seulement quelques échos. Pour Green dans Ce que je crois, on trouve le secret de l’homme et de l’œuvre qui constitue