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PREMIÈRE PARTIE : LES RACINES DU MAL : UNE TYPOLOGIE DU DÉMONIAQUE

Chapitre 1. Transmission, filiation et modèles du démoniaque

B. Les diaboliques de Barbey d’Aurevilly

Il serait vain de chercher la présence réelle du diable dans l'œuvre du catholique Barbey d’Aurevilly. Le diable n’intervient jamais comme inspirateur ou comme explication des phénomènes dits diaboliques dans les romans de Barbey. C’est au sens figuré qu'il faut entendre l'emploi du mot « diabolique » : « Métaphore que le diabolisme des héros de Barbey,

227

C. BAUDELAIRE, « Fusées », Journaux intimes, Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 657. 228 C. BAUDELAIRE, « Fusées », Journaux intimes, Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 658.

229 C. BAUDELAIRE, « Sur mes contemporains : Théodore de Banville », Critique littéraire, Œuvres

complètes, tome II, op. cit., p. 168.

230

manière expressive de désigner leur dépassement de l’ordinaire dans le mal »231. Dès lors, on voit avec le démoniaque tel que nous le concevons un élément commun : il s’agit déjà d’une intériorisation. Pour autant, le terme de « démoniaque » n’est jamais employé, Barbey lui préférant celui de « diabolique », signalant par là même un lien beaucoup plus direct avec le diable. L’adjectif « diabolique » est employé dans L’Amour impossible pour évoquer l’amour : « Il était arrivé à ce degré de l’amour, dans les êtres qui n’ont pas le triste et très peu

fier honneur d’être poétiques, où la possession la moins délicate paraît la meilleure, et où ce

qu’il y a de plus adorable dans l’amour même serait sacrifié brutalement à cette diabolique possession »232. Le terme « diable » est employé deux fois dans ce même roman pour évoquer Mme de Gesvres :

Femme sans unité, aussi étrange que la Chimère antique, Protée, caméléon, le diable en personne, c’était la plus grande tourmenteuse d’âmes qui eût peut-être jamais existé. 233

Elle apporta une petite lampe d’albâtre qui déversait une de ces fausses et charmantes lumières comme le génie du mal, le diable en personne, a dû en inventer pour l’usage des femmes qui font ses affaires dans ce monde ; car tout ce qui est mensonge leur va à merveille, et cette lumière est une flatterie. 234

Barbey d’Aurevilly ne reprend pas tous les motifs qui composent le mythe romantique de Satan : la révolte délibérée contre Dieu, la nostalgie du ciel et la souffrance de l’ange déchu disparaissent.

Les personnages de ses romans et nouvelles sont engagés dans le mal de manière totale et absolue. Pour Barbey, le diabolisme se trouve dans cette attirance pour tout ce qui est contraire à l’ordre naturel, notamment dans le domaine de la sensualité. Ses personnages sataniques ont un appétit de la chair qui confine la plupart du temps à l’anéantissement. Privé de sa dimension charnelle, le diable n’est jamais représenté mais il se retrouve pourtant partout, ce qui le rend d’autant plus terrible. Il y a peu de mentions de « Satan » dans l’œuvre de Barbey et le mot « diable » figure souvent comme apostrophes235, dans des expressions

231 P. COLLA, L'Univers tragique de Barbey d'Aurevilly, Paris, La Renaissance du livre, La lettre et l'esprit, 1965, p. 49

232

J-A. BARBEY D’AUREVILLY, L’Amour impossible, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit.,1964, p 107.

233 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, L’Amour impossible, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit., p. 118.

234

J -A. BARBEY D’AUREVILLY, L’Amour impossible, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit., p 56. 235 « Eh ! de quoi diable es-tu digne, si tu n’es pas digne d’être capucin ? » (Une histoire sans nom, OC, tome II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1966, p. 271) ; « J’ai habité là... Diable ! il y a tout à l’heure trente-cinq ans ! » (Le Rideau Cramoisi, Les Diaboliques, OC, tome II, op. cit p. 22) ; « car, le diable m’emporte ! c’est bien parfaitement du tokay que nous avons bu aujourd’hui » (Un prêtre marié, OC, tome I, op. cit., p. 1047)

populaires236, des métaphores237, des comparaisons238 et des comparaisons relatives239. La relation peut ainsi se dissoudre de plus en plus jusqu’à prendre l’inconsistance du vague : la présence du diable se fait alors diffuse mais n’existe pas moins autour des personnages. Le « diable » se retrouve non comme référence à l’esprit du mal, à Satan lui-même, qu’à un démon folklorique, « un mauvais génie » comme le souligne le Robert dans la mesure où il n’a quasiment jamais de majuscules dans l’œuvre de Barbey.

L’une des rares mentions concernant le diable se trouve dans Un prêtre marié : « Le Diable, qui a le bras long, l'avait passé à travers les boues de l'étang pour tirer jusqu'à lui, par les pieds, le prêtre marié »240, et est attribuée aux dires d'un paysan. L’originalité de Barbey consiste donc en ce que tout en confirmant l'existence du démon chez les personnages, il refuse de le représenter explicitement. C’est pourquoi, plus que les noms de « Satan » ou du « diable », on trouve les mots de « démon » ou des « démons ». Lorsque le Démon est mentionné, c’est pour signifier qu’il a pris possession de ses personnages. La Vellini, dans

Une vieille maîtresse, est décrite ainsi :

Les pertes que je faisais m’atteignaient bien davantage ; mais ce n’était pas l’effet de la perte, ce n’aurait point été le sentiment de la ruine qui m’aurait donné les épouvantables colères que je dévorais. Non ! c’était uniquement le sentiment de mon impuissance contre cette infernale Malagaise, contre ce démon, immobile et nonchalant, qui, le cigare allumé, semblait sucer du feu avec des lèvres incombustibles, et se rire de mon faible génie se débattant devant le sien !241

L’emprise démoniaque devient plus voilée et donc plus mystérieuse, énigmatique : « La hantise psychique et la possession diabolique des personnages étant dues aux dérèglements intérieurs, les récits de Barbey d’Aurevilly, situés aux frontières du pathologique et du

236 « Alors, je n’étais qu’un bambin de sous-lieutenant, fort épinglé dans ses uniformes, mais très gauche et très timide avec les femmes, quoiqu’elles n’aient jamais voulu le croire, probablement à cause de ma diable de figure... »(Le Rideau Cramoisi, Les Diaboliques, OC, tome II, op. cit., p. 23) ; « et, le diable m’emporte, tout plébéien que je suis, et quoique ce soit peu philosophique, je ne puis m’empêcher de trouver cela beau. » (Le

Bonheur dans le crime, Les Diaboliques, OC, tome II, op. cit., p. 101)

237 « Car l’adoration qu’il a inspirée une fois, ce diable d’homme ! me fait l’effet de durer toujours » (Le Plus bel

amour de Don Juan, Les Diaboliques, OC, tome II, op. cit., p. 60).

238 « j’étais possédé, comme les dévots disent qu’on l’est du diable. » (Le Rideau Cramoisi, Les Diaboliques,

OC, tome II, op. cit.,p. 43) ; « une admirable jeune fille, piquante et provocante en diable »(Le Bonheur dans le crime, Les Diaboliques, OC, tome II, op. cit., p. 95) ; « Tentatrice comme elles le sont toutes, qui tenteraient

Dieu dans son ciel, s’il y en avait un, et le Diable dans son enfer, elle semblait vouloir agacer, tout ensemble, et le désir et le danger » »(Le Bonheur dans le crime, Les Diaboliques, OC, tome II, op. cit., p. 109) ;« Elle apporta une petite lampe d’albâtre qui déversait une de ces fausses et charmantes lumières comme le génie du mal, le diable en personne, a dû en inventer pour l’usage des femmes qui font ses affaires dans ce monde »(L’Amour

impossible, OC, tome I, op. cit., p. 56.)

239

« Or, ce fut justement à cause de cette diable de tabatière » (Une histoire sans nom, Œuvres romanesques

complètes tome II, op. cit., p. 353.)

240 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Un prêtre marié, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit.,, p. 838. 241 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit,., p. 279.

surnaturel, se prêtent ainsi à une double interprétation surtout que les faits diaboliques à proprement dits sont beaucoup moins décrits qu'allusivement évoqués »242. Cela se retrouve dans ses personnages dont aucun d’entre eux n’est le diable lui-même : « Au lieu du démon objectif, Barbey nous décrit, surtout dans Les Diaboliques, des manifestations subjectives de maladies psychiques revêtant les formes d’une démonialité ou d’une démonophobie »243. Ces forces cachées au plus profond des personnages, qui renversent les obstacles que pourrait leur opposer la raison et, de surcroît, la morale, et qui produisent de terribles désastres, sont bien la partie infernale de l’homme. Malgré cela, les adjectifs « diabolique » et « satanique » sont utilisés de façon sporadique et celui de « démoniaque » n’est pas employé.

Barbey d’Aurevilly met en scène dans ses récits des personnages qui sont attirés par l’extrême dans le mal. Il ne s’intéresse donc qu’à des cas exceptionnels : « Les Diaboliques ne sont point des diableries, ce sont des diaboliques : des histoires réelles de ce temps civilisé et si divin que – quand on s'avise de les écrire – il semble que ce soit le diable qui ait dicté » 244. Le diable de Barbey d’Aurevilly n’a que peu de points communs avec celui mis en scène dans la littérature fantastique du XIXe siècle. Ainsi « Quoique l’auteur cherche à redécouvrir le mystère du mal et une croyance à l'omniprésence du démoniaque, la figure du diable disparaît de ses récits, remplacée par le concept moral de vice et de corruption. Si Satan intervient encore, son ingérence est indirecte et se fait à travers la volonté humaine »245. Nombreux sont les personnages de Barbey qui se caractérisent par une nature perverse et corrompue qu’ils cachent sous un masque d'honorabilité. Tel est le cas du père Riculf d’Une histoire sans nom qui suscite chez Lasténie un sentiment d’« étonnement, de l'autre une fascination trouble, se prolongeant même après le départ du moine, due comme le suggère l’auteur « au souvenir dévastateur »246. Le père Riculf, moine sensuel, féroce et inquiétant, assume le rôle de Satan : « Il y avait à peine deux mois que le Père Riculf était parti, et le mal qu’il avait apporté dans cette maison s’y précisait. La graine diabolique qu’il y avait semée, selon Agathe, commençait de lever !... » 247.

242 M. WANDZIOCH, Le Romanesque horrifiant de Barbey d'Aurevilly, Katowice, Uniwersytet Śla̜ski, 1991 p. 24.

243

P. COLLA, L'Univers tragique de Barbey d'Aurevilly, op. cit., p. 78.

244 J-A, BARBEY DAUREVILLY, Préface des Diaboliques, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit., p. 1291.

245

M. WANDZIOCH, Le Romanesque horrifiant de Barbey d'Aurevilly, op. cit., p. 25.

246 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une histoire sans nom, Œuvres romanesques complètes, tome II, op. cit., p. 295.

247 J-A, BARBEY DAUREVILLY, Une histoire sans nom, Œuvres romanesques complètes, tome II, op. cit., p. 297.

Le personnage du père Riculf n’est pas le seul ecclésiastique qui exerce un envoûtement diabolique. Dans L’Ensorcelée, l’abbé de la Croix-Jugan avec sa laideur, son orgueil démesuré et surtout sa chute, suivie d’une punition terrible, fait penser à la figure de Satan, ange déchu. L’abbé se sert de sa séduction démoniaque et n’hésite pas à assujettir les êtres lorsqu’il estime cela nécessaire. Sa domination ressemble étrangement à de l’ensorcellement : « Aux yeux d’une âme faite comme celle de Jeanne, ce prêtre inouï semblait se venger de l’horreur de ses blessures par une physionomie de fierté si sublime qu’on en restait anéanti comme s’il avait été beau ! Jeanne ne savait pas ce qu'elle avait mais elle succombait à une fascination pleine d'angoisse »248. Malgré ce physique qui fait « plus penser au diable qu’au bon Dieu »249, l’abbé se joue de la passion qu’il a inspirée à Jeanne Le Hardouey. Aussi, ce « démon en habit de prêtre »250, répandant autour de lui le malheur, appartient à ces êtres maléfiques doués d'un pouvoir démoniaque qui, après avoir envoûté l’esprit de leurs proies, provoquent leur dépossession totale.

De même, Sombreval, l’ancien prêtre d’Un prêtre marié, possède un physique qui n’a rien en commun avec celui d’un doux prêtre. Comparé à un Satyre251, il est très laid, comme le souligne plusieurs fois le narrateur : « ses épaules, un peu voûtées, touch[ent] ses oreilles »252. Il a une « nuque fortement animale, les pommettes saillantes, les mains velues, le rictus, l’aspect noir et cynique »253 d’un orang-outan. Il est aussi pourvu d’une « peau de bête »254 et d’une « voix un peu caverneuse »255 qui complétent ce terrifiant portrait. Sombreval vit avec sa fille au château du Quesnay où il passe tout son temps dans son laboratoire de chimiste. Il est si inquiétant que son intérieur lui-même est véritablement « diabolique », seule fois où l’adjectif est employé dans le roman :

Ces fourneaux couverts de trépieds, surmontés à leur tour de vasques ou d’appareils, qui déconcertaient, par la complication de leur forme, l’imagination du prêtre qui les voyait pour la première fois, les bouillonnements, les frémissements des matières soumises à l’action du feu et qui susurraient alors d’un susurrement sinistre, comme si elles s’impatientaient d’être contenues en ces métaux incandescents qu’elles pouvaient briser ; cette atmosphère saturée de l’odeur des gaz, tout ce que voyait, entendait, respirait l’abbé Méautis lui paraissait marqué d’un caractère diabolique... Il était bien chez Sombreval.256

248 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, L’Ensorcelée, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit., p. 604. 249

J-A. BARBEY D’AUREVILLY, L’Ensorcelée, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit., p. 606. 250

J-A. BARBEY DAUREVILLY, L’Ensorcelée, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit., p. 663. 251 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Un prêtre marié, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit.,p. 890 et 892.

252

J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Un prêtre marié, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit.,p. 889. 253 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Un prêtre marié, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit.,p. 890. 254 Ibid.

255 Ibid. 256

Il apparaît le plus souvent couvert de sueur et de suie et cette noirceur contribue à susciter la peur chez les habitants. De même dans une nouvelle issue des Diaboliques intitulée À un

dîner d’athées, un abbé figure parmi les convives de ces curieux dîners donnés à la gloire de

l’athéisme. Ce prêtre, qui raconte la plus piquante histoire, est décrit ainsi par le narrateur : « Celui qui la raconta, de tous ces diables, était le plus froid cependant... Il l’était comme le derrière de Satan, car le derrière de Satan, malgré l’enfer qui le chauffe, est très froid, – disent les sorcières qui le baisent à la messe noire du Sabbat »257. Le nom de ce prêtre « sans foi », Reniant, est équivoque et le personnage dans son entier n’est pas sans rappeler l’abbé Cénabre dans L’Imposture de Bernanos. D’autant que dans cette description, on retrouve le motif du « froid » associé à l’enfer, qui est dominant chez Bernanos.

L’abbé Reniant n’est pas le seul nom équivoque chez les démoniaques aurevilliens dans la mesure où Barbey rêvait sur leur parallélisme avec la réalité, sur leur aspect mimétique. Dans son œuvre, le personnage implique un nom, qui est créé soit par parallélisme avec le héros, soit pour l’enrichir par un nom évocateur pour tous. Beaucoup de démoniaques chez Barbey d’Aurevilly se réfugient derrière des surnoms, des doubles identités ou des noms ambivalents. Dans À un dîner d’athées, la Pudica est le surnom donné à Rosalba qui fonctionne par antithèse : Rosalba n’est en effet pas du tout pudique. De même, nombreux sont les démoniaques qui ont une double identité faisant écho à leur propre complexité, qui peut aller jusqu’au dualisme. Parmi eux, on peut citer Gourgue-Sombreval, Jeanne-Madelaine de Feuardent-Le Hardouey, Hauteclaire-Eulalie, Albertine-Alberte, Marguerite-Madelaine et Ryno de Marigny. L,e père de Calixte porte lui un double nom, « Sombreval », qui révèle son côté byronien. Dans Le Bonheur dans le crime, Hauteclaire porte le nom d’une épée qui est aussi l’antithèse de la vérité : la jeune femme n’est pas « claire ». Le faux nom d’« Eulalie », qu’elle adopte par la suite, a lui aussi un double sens : « celle qui parle bien » ou « celle qui parle à bon escient ». Or, la parole est absente chez Hauteclaire : elle ne parle jamais. Mme du Tremblay de Stasseville, dans Les Dessous de cartes d'une partie de Whist, porte elle aussi un nom ambivalent. Elle est présentée comme débile (d’où l’idée de trembler) et en même temps comme Mme de Givre (d’où l’idée de trembler de froid). Mais ce tremblement est contagieux : elle est « froide à vous faire tousser », et sur un plan symbolique, sa froideur se traduit par des épigrammes qu’elle décoche à tous, sans exception, si bien qu’elle fait trembler la province.

257 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, À un dîner d’athées, Les Diaboliques, Œuvres romanesques complètes, tome II, op. cit,., p. 196.

La plupart des personnages de Barbey sont des êtres obsédés ou souillés par le péché. L’orgueil constitue le plus souvent le facteur primordial : la monstruosité des personnages aurevilliens vient de la transgression des lois humaines et divines, ce qui leur confère un pouvoir contre nature :

Et c'est ici que réside entre autre l'originalité de Barbey d'Aurevilly qui, en situant la source du mal dans la nature perverse de l'homme rompt avec la conception relativement optimiste de la nature humaine dominant à l'époque romantique où la monstruosité morale et la volonté de faire le mal étaient explicables par une intervention plus ou moins directe d'obscures forces extra-humaines voire sataniques.258

Dans l’œuvre aurevillienne, en effet, les personnages sont avalés dans la spirale d’un sentiment absolu qui les éloigne d’un Dieu dont l’existence n’est pas remise en cause. Ainsi, Barbey évoque, dans Une vieille maîtresse, le personnage de la Vellini en puisant dans un lexique religieux. Pour Ryno, qui a commencé par être « excommunié de sa vie »259, elle devient un « Dieu » qu’il va « adorer »260. Par la suite, la Vellini va inciter son amant à l’adultère par une lettre écrite sur la feuille d’un vieux missel. On retrouve chez la Vellini l’association « caméléon/chimère » de Mme de Mme de Gesvres dans L’Amour impossible. La Vellini est remarquable dans sa façon d’être protéiforme, insaisissable : d’origine espagnole, fille d’un toréador portugais, elle a épousé un lord anglais, vit en France et se fait passer souvent pour italienne. Elle se transforme en fonction des regards qui sont posés sur elle : « Elle échappe à l’observation la plus aiguisée. C’est du feu grégeois ou du vif argent incarné »261. La Vellini s’épanouit dans une ambiguïté perpétuelle, se faisant tantôt homme, tantôt femme : c’est un « être changeant, beau et laid tout ensemble »262 dont « la poitrine extrêmement plate [...] lui donnait fort un air de jeune garçon déguisé »263. Le démoniaque est donc un être qui n’existe pas en tant que tel, mais dans la seule mobilité de ces métamorphoses successives : il est un et multiple, identique et autre à la fois.

La majorité des personnages démoniaques chez Barbey sont des athées ou des mauvais croyants. Dans À un dîner d’athées, d’anciens révolutionnaires et militaires de l'Empire se réunissent pour des dîners où ne sont invités que des athées : « C’étaient ces dîners comme le

258 M. WANDZIOCH, Le romanesque horrifiant de Barbey d'Aurevilly, op. cit., p. 26.

259 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit,., p. 284.

260

J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit,., p. 287.

261 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit,., p. 232.

262 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit,., p. 237.

263 J-A. BARBEY D’AUREVILLY, Une vieille maîtresse, Œuvres romanesques complètes, tome I, op. cit,., p. 235.

Diable peut seul en tripoter pour ses favoris... Et de fait, les convives de ces dîners-là n’étaient-ils pas les très grands favoris du Diable ?... »264. Le personnage principal de la nouvelle, le commandant de Mesnilgrand, jouit d’une très mauvaise réputation : « Il est venu passer hier la soirée à la maison, disait une jeune fille à une de ses amies. – Ma chère, il y a rugi tout le temps. C’est un démoniaque. On finira par ne plus le recevoir du tout, M. de Mesnilgrand. »265. Chez Barbey d’Aurevilly, le personnage démoniaque est aussi animé du démon de la connaissance, telle Mme de Ferjol, dans Une histoire sans nom, qui veut parvenir à la connaissance du mal. Pour cela, comme l’explique Magdalena Wandzioch : « elle soumet impitoyablement aux tortures physiques et psychiques sa propre fille dont l'esprit s'égare