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PREMIÈRE PARTIE : LES RACINES DU MAL : UNE TYPOLOGIE DU DÉMONIAQUE

Chapitre 3. Une société infernale : les démoniaques

A. Les hommes

2. Les femmes démoniaques

a. L’adolescente

L’adolescente démoniaque chez Bernanos, Mauriac et Green symbolise bien souvent l’être impur, autrefois révolté et désormais vidé. Vivant dans un univers étouffant, elle décide de se révolter, quitte à se perdre. C’est le cas de Germaine Malhorty dans Sous le soleil de

Satan de Bernanos. Fille d’un riche fabricant de bière, un notable du bourg de Campagne, la

jeune fille aspire à fuir l’univers familial où rien ne l’attire. La révolte pointe dans le cœur de cette jeune fille qui n’a pour vautre avenir que celui d’une bourgeoise respectable : « Cette petite vie bourgeoise, respectable, l’honnête maison de briques, la brasserie bien achalandée avec le moteur à gaz pauvre – les égards que se doit à soi-même une jeune personne, fille de commerçant notable – oui la perte de tous ces biens ensemble ne l’inquiétait pas une minute »603. Mouchette a le goût du risque : elle attend le moment d’ « oser », c’est-à-dire de « vivre » en accomplissant un acte qui engage réellement son destin. L’amour qu’elle donne à Cadignan est précisément cet engagement et elle est profondément déçue quand elle

602 F. WEDEKIND, Lulu, Théâtre complet, tome II, op. cit., p. 188. 603

comprend qu’il est « un autre rustre, un autre papa lapin »604. Dépossédée de son rêve, elle se retrouve face à une vie qu’elle juge médiocre et va alors riposter en s’adonnant aux mensonges qui vont précipiter sa perte.

Comme Mouchette, Adrienne Mesurat, l’héroïne éponyme du roman de Julien Green, est prisonnière de sa famille. Vivant entre un père violent et une sœur malade, Adrienne a été élevée sans aucune affection. L’arrivée des journaux et l’heure des repas sont les moments forts des journées qui se déroulent de manière identique. Ne supportant pas l’étroitesse de sa vie, elle « fait entrer l’autre dans l’univers figé qui est le sien à la faveur d’une rencontre fortuite et anodine »605 avec le docteur Maurecourt : « Ce souvenir avait laissé une impression très forte dans l’esprit d’Adrienne, un peu comme un rêve que l’on oublie difficilement à cause de son caractère singulier, et c’était en effet une espèce de rêve éveillé que cette promenade lui faisait songer »606. Ce rêve d’amour va dès lors dominer complètement sa vie et lorsque son père décide d’intervenir auprès de Maurecourt, la jeune fille, sous l’influence de la passion incontrôlable qu’elle porte au docteur, précipite son père dans les escaliers. Une fois son père mort, elle se jette dans les bras de Mme Legras et tombe ainsi sous la coupe d’un nouveau tyran. Adrienne finit donc par se perdre dans cet univers dominé par des êtres féroces et autoritaires. Mais la jeune fille est aussi victime des forces mauvaises qui sont en elle : « Trop de choses la guettaient, prêtes à s’imposer à elle dès qu’elle serait dans l’obscurité, trop de souvenirs impatients de repasser dans sa mémoire, trop de scrupules, trop de remords, trop de fantômes contre lesquels il fallait lutter »607.

L’héroïne de Mont-Cinère de Julien Green, Emily Fletcher, est elle aussi séquestrée par sa famille. La jeune fille vit dans une ambiance dominée par la tristesse et la haine. Soumise depuis son plus jeune âge aux caprices d’une mère dominatrice et avare, elle se réveille au contact de sa grand-mère qui fait tout pour la convaincre qu’elle peut prendre son destin en main. Même si la grand-mère n’arrive pas à la sauver, elle lui ouvre les yeux et petit à petit Emily va rejeter sa mère et l’existence qu’elle lui fait mener. À l’instar d’Adrienne, Emily est une solitaire : seul le pasteur va exercer une sorte de fascination qui va se transformer en attirance sentimentale. Il représente, aux yeux d’Emily, quelqu’un qui pourrait la comprendre : « C’était à lui qu’elle demanderait conseil. Elle lui expliquerait tout, et bien certainement, il la

604

G. BERNANOS, Sous le soleil de Satan, Œuvres romanesques, op. cit., p. 83.

605 M. DYÉ, « La peinture de la misère dans Adrienne Mesurat », Autour de Julien Green, au cœur de Léviathan, Besançon, Presses universitaires Franc-Comtoises, 2000, p. 31.

606 J. GREEN, Adrienne Mesurat, Œuvres complètes, tome I, op.cit., p. 301. 607

comprendrait : elle agirait selon ses vues »608. Mais cette attirance restera en suspens et ne connaît pas, à ce titre, la force de celle d’Adrienne pour Maurecourt. Emily va perdre son existence individuelle et devenir un objet dans un milieu familial où la valeur principale est l’argent. Pour aller contre ce mouvement, elle se révolte de manière radicale comme le montre un certain sadisme à l’encontre de sa mère. Elle se réjouit de tout ce qui peut arriver de mal à cette dernière et pour la contrarier, elle n’hésite pas à se marier. Reprenant ce qu’elle croit être le contrôle de sa vie, elle devient maîtresse de Mont-Cinère. Elle va ainsi se livrer à des actes qui indiquent une montée de la folie et de la démence, ce qui rappelle là encore le personnage d’Adrienne Mesurat. Lorsqu’elle se rend compte qu’elle est désormais sous la domination d’un mari vénal, elle met le feu à la demeure et se laisse consumer.

Enfin, Chantal, dans Journal d’un curé de campagne de Bernanos, est elle aussi révoltée contre sa famille, et particulièrement contre sa mère dont elle ne supporte pas la passivité. Comme Mouchette, elle a aimé mais a été déçue : il s’agit de son père. Et comme elle, elle a été déçue par ce père en qui elle croyait. De héros, de modèle, il devient un homme dans toutes ses imperfections, et cela, Chantal ne peut le supporter : « Mon père était tout pour moi, un maître, un roi, un dieu – un ami, un grand ami. Petite fille, il me parlait sans cesse, il me traitait presque en égale, j’avais sa photographie dans un médaillon, sur ma poitrine, avec une mèche de cheveux. Ma mère ne l’a jamais compris. Ma mère... »609. Cette déception est venue de la découverte de la liaison de son père avec l’institutrice dont Chantal obtient le départ après la mort de sa mère. Bien vite, elle manifeste clairement son intention auprès du curé d’Ambricourt qui est de se tourner vers le mal : « Vous pouvez bien me damner si vous voulez, je m’en moque ! »610. D’ailleurs, elle aura elle aussi l’envie de se tuer mais ne mettra pas son projet à exécution.

b. L’épouse

• La femme mariée, veuve ou divorcée

Les femmes mariées démoniaques tentent à la fois de s’intégrer à un monde qui les étouffe et de s’en dégager. Leur rôle est à la fois de bouleverser, d’éveiller, mais aussi de

608 J. GREEN, Mont-Cinère, Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 175.

609 G. BERNANOS, Journal d’un curé de campagne, Œuvres romanesques, op. cit., p. 1136. 610

« dominer, de posséder »611 et de s’affirmer auprès des autres. Dans Mont-Cinère, Emily se marie afin d’avoir un statut qui lui permettra d’hériter de la demeure convoitée : « elle ne demandait qu’une chose : Mont-Cinère. [...]. Elle vivrait là comme il lui plairait, maîtresse de ses biens, maîtresse de sa vie »612. Le mariage ne lui apporte aucune satisfaction : basé uniquement sur le goût de la propriété, il se veut aussi refuge contre la cruauté de sa mère. Mais son mari, Frank, s’enferme, comme l’explique Michael O’Dwyer , « dans le silence, un silence hostile qu’il adopte comme une arme contre Emily »613. Mais cette dernière, rongée par la convoitise de la propriété, est indifférente à son mari comme à la fille de ce dernier. Lorsque la mère s’en va, la jeune fille n’a plus qu’à détruire son mariage. Mais elle est bientôt au désespoir quand elle découvre que son mari a des droits sur sa propriété. C’est ce qui la poussera à vouloir étrangler la fille de son mari dans un accès de rage : « Son visage changea. Avant qu’on eut le temps de l’en empêcher, elle se laissa tomber sur la petite fille et lui étreignit la gorge de ses mains »614.

La plupart des épouses démoniaques, insatisfaites de leur mariage, en sont venues à haïr leur mari. Elles connaissent ainsi une certaine révolte qui s’apparente à celles des jeunes filles : beaucoup ne supportent pas d’avoir contracté des mariages arrangés dans le seul intérêt de leur famille. Ulrique, dans Le Malfaiteur de Julien Green, ne supporte pas son mari, Raoul. Elle se comporte comme un véritable tyran envers cet homme qu’elle exècre : « Quatre années de mariage n’avaient pu effacer la honte et le ridicule de se voir livrée par l’entremise de sa mère à un petit homme velu dont les approches lui faisaient horreur. [...] C’était peu que de se refuser à lui et de lui donner à entendre qu’elle le trompait ; elle voulait plus, elle trouvait son mari trop patient et trop résigné »615. Elle multiplie les frasques : elle quitte le domicile familial sans son mari, séduit de jeunes gens fournis par son amie Arlette, livre sa cousine au plus beau d’entre eux, Gaston Dolange, pour se venger de lui.

Dans Léviathan de Green, Mme Grosgeorge, bien que n’ayant jamais manqué de rien, n’est pas heureuse. Elle a rapidement considéré son mari comme un homme ridicule et égoïste et elle éprouve pour lui une haine indéfinissable. Elle ne supporte pas l’hypocrisie bourgeoise qu’incarne son mari.

611 A. MORAUD, « La femme, lieu de conflit dans les romans de François Mauriac », Mauriac romancier,

op.cit., p. 46.

612

J. GREEN, Mont-Cinère, Œuvres complètes, tome I, op. cit., pp. 219- 220.

613 M. O’DWYER, « Les mal-aimés chez François Mauriac et Julien Green », Les Mal aimés dans l'œuvre de

François Mauriac, op. cit., p. 60.

614 J. GREEN, Mont-Cinère, Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 269. 615

Il n’était pas désagréable de se sentir l’âme un peu scélérate lorsque le sort avait uni votre vie à celle d’un homme comme M. Grosgeorge en qui s’épanouissait toute la fausse pudeur bourgeoise. Dans ses tête-à-tête avec son mari, elle prenait aisément son parti de ne pas avoir un cœur pur. Il lui suffisait, par exemple de voir l’indignation avec laquelle ce vieillard vicieux et dissimulé commentait l’assassinat de M. Sarcenas, qu’il eut lui-même laissé mourir de faim et le viol d’une femme à qui tant de fois il avait arraché un triste consentement au prix de quelques pièces de monnaie. Voilà donc à quoi menait la méconnaissance de soi-même : à cette ridicule parade de respectabilité. 616

L’ennui et le désespoir ont rendu cette femme amère et la violence qu’elle maîtrise sans cesse a « peu à peu endurci son cœur au point de la rendre indifférente à la souffrance d’autrui »617. Elle se définit ainsi comme la conscience « plus chargée que la plus effroyable criminelle »618.

C’est aussi cette hypocrisie que Thérèse Desqueyroux, l’héroïne de Mauriac, déteste chez son mari. Contrairement à Ulrique et Mme Grosgeorge, Thérèse ira jusqu’à tenter de tuer son mari. Thérèse Desqueyroux est sans doute le personnage le plus représentatif des héroïnes démoniaques. « Ange plein de passions »619, elle ne sait rien si ce n’est, obscurément, qu’une « puissance forcenée »620 l’habite dont elle ne connaît pas encore le nom. En épousant Bernard, elle a obéi à des exigences familiales, sociales, matérielles : par son mariage, elle a en effet permis de réunir deux grands domaines. Son mariage est avant tout un mariage d’intérêt qui va se révéler bien vite décevant. Thérèse se heurte dans le mariage au manque de compréhension de Bernard « à qui l’amour est profondément inconnu »621. Il s’intéresse avant tout à l’enfant qu’elle porte, symbole de l’honneur de la famille. Thérèse ne supporte pas sa vie conjugale et va chercher à s’en évader par le crime. Face à ce mari qu’elle trouve ridicule, elle se dit que « Cela n’aurait eu aucune importance que cet imbécile disparût du nombre des vivants […] C’est par habitude que l’on donne une importance infinie à l’existence d’un homme. Robespierre avait raison ; et Napoléon, et Lénine… »622. Son crime, en somme, n’est pas autre chose qu’un refus : « [Thérèse] aspire à une existence individuelle, à l’affirmation de sa personnalité, par opposition aux femmes de la famille qui s’anéantissent tout de suite dans l’enfantement »623.

Nombre de ces épouses insatisfaites dans leur mariage sont à la recherche du plaisir sensuel. Elles se rapprochent à cet égard des adolescents démoniaques : elles partagent avec eux leur quête perpétuelle du plaisir. Ce sont souvent des femmes vieillissantes qui

616

J. GREEN, Léviathan, Œuvres complètes, tome I, op. cit., pp. 714-715. 617 J. GREEN, Léviathan, Œuvres complètes, tome I, op. cit., p. 711. 618 Ibid.

619

F. MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, Œuvres romanesques et théâtrales, tome II, op. cit., p. 29. 620 F. MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, Œuvres romanesques et théâtrales, tome II, op. cit., p. 26.

621 F. MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, tome II, op. cit., p. 54. 622 F. MAURIAC, Thérèse Desqueyroux, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, tome II, op. cit., p. 77. 623

découvrent au contact d’adolescents des élans inconnus. Dans Le Mal de Mauriac, Fanny Barrett suscite le scandale dans son entourage car elle a divorcé pour se remarier avec Donald Larsen, un indubitable débauché. Fanny est une femme « libre, passionnée et dominatrice »624 et sa vie est un scandale aux yeux de tous. Lors de la rencontre entre Fanny et Fabien à Venise, Cyrus explique que la jeune femme est une « chienne de chasse étonnante pour lever les génies naissants »625. Une fois Fabien séduit, Fanny abandonne son rôle de femme fatale pour jouer celui de mère carresssante et empressée : elle se souvient du « petit Fabien qu’elle attirait sur ses genoux » et déclare sans ambiguïté au jeune homme qu’elle veut l’aimer « chastement comme lorsque tu étais petit garçon »626. Mais, à sa façon, elle « empoisonne »627 la vie de Fabien, cet être pur qu’elle a détourné de la religion et de ses valeurs.

Dans Monsieur Ouine de Bernanos, Ginette de Néréis est réputée pour son attirance envers les jeunes adolescents. Elle entretient visiblement une relation avec Ouine dont la nature n’est pas clairement définie dans le roman. Pour autant, la présence au château du professeur de langues ne choque personne : « […] la société bien pensante n’a que des égards pour ce pensionnaire correct qu’on voit tirer son chapeau à tout venant »628. Le récit ne met jamais en scène Ouine et Ginette ensemble, ce qui contribue à préserver l’ambiguïté de leur relation. Jambe-de-Laine est une femme suspecte qui mène une vie de débauche, elle sous-entend d’ailleurs à Steeny avoir désiré beaucoup d’hommes. Les appellatifs qu’elle donne à Steeny (« mon chéri », « mon ange », « cher ange ») indiquent que les deux personnages entretiendraient des relations intimes.

À l’instar de Jambe-de-Laine, Simone Alfieri, l’héroïne d’Un Mauvais rêve de Bernanos, aime séduire les jeunes gens. Elle a ainsi séduit Olivier, tout en sachant parfaitement qu’il n’aime pas les femmes : « elle connait bien sa faiblesse, ce besoin inavoué d’amitié masculine qui le hante depuis tant d’années »629. Simone Alfieri utilise les faiblesses d’Olivier afin de mieux s’emparer de lui, et par là même, de le désespérer : « Vous méprisez votre corps parce qu’il est l’instrument du péché. Vous le redoutez et le désirez à la fois comme une chose étrange, dont vous enviez sournoisement la possession »630. Olivier lui dit qu’il va se tuer parce qu’il ne s’aime plus : « C’est votre faute. Je vous déteste, je vous

624

B. COCULA, Phèdre « en filigrane » ou les avatars d’un mythe obsédant, Nouveaux Cahiers François

Mauriac, n° 9, Paris, Grasset, 2001, p. 110.

625 F. MAURIAC, Le Mal, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, tome I, op. cit., p. 675. 626

F. MAURIAC, Le Mal, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, tome I, op. cit., p. 724. 627 F. MAURIAC, Le Mal, Œuvres romanesques et théâtrales complètes, tome I, op. cit., p. 723. 628 G. BERNANOS, Monsieur Ouine, Œuvres romanesques, op. cit., p. 1359.

629 G. BERNANOS, Un Mauvais rêve, Œuvres romanesques, op. cit., p. 898. 630

hais »631. Petite provinciale normalienne, mariée au comte d’Alfieri, Simone est entraînée à la suite d’une aventure dans le « vertige de la vanité comblée »632. Dans ce mariage qui flatte son orgueil, il n’y a pas de place pour l’amour : « Ni ma rancœur, ni mes sens, nulle force au monde ne m’arrachera à moi-même, ne me fera la chose d’un autre, heureuse et comblée »633. Très vite, elle va être empoisonnée par la vie de son mari, sans pour autant être victime. Il y a en effet en elle un consentement intérieur qui la rend coupable : « Le poison était pour moi sans vertu », dira-t-elle. La seule chose qu’elle aime dans son mari c’est son vice, « ce que je prétendais réprouver »634.

Qu’elle ait tué ou non son mari ne change pas le fait que le mal soit bien ancré en elle. Après le décès du comte Alfieri, elle rentre comme secrétaire chez Ganse dont la mauvaise réputation est notoire. Le vieil homme va se nourrir d’elle, de sa vie, et surtout de son mal pour écrire ses romans. C’est ainsi que peu à peu germe en elle, sous l’influence de Ganse, l’idée du crime qui « ne lui causait nulle répulsion, nulle crainte, et le crime accompli, elle ne sentirait nul remords. C’était simplement une image montreuse entre tant d’autres, et qu’elle fût réalisée, la distinguerait à peine des images monstrueuses qu’elle avait senti grouiller en elle dès l’enfance et qui remplissaient déjà ses rêves »635. Ce crime lui apparaît comme un rêve et elle voit maintenant le château de la tante d’Olivier, toutes les circonstances du meurtre à perpétrer et, aidée par la drogue, elle tue déjà en pensée. Cette volonté de désespérer se retrouve bien évidemment chez Thérèse Desqueyroux qui, dans La Fin de la

nuit, se vit seule dans son appartement rue du Bac à Paris. Thérèse porte désormais le poids

des actes révolus : en dépit de ses efforts, elle reste prisonnière du passé. Poussée par son besoin d’amour irrépressible, elle s’en va vers les jeunes hommes tels Georges Filhot, le fiancé de sa fille ou Mondoux. Elle les attire, puis se plaît ensuite à les désespérer, demeurant une empoisonneuse.

• La femme non mariée

La femme démoniaque non mariée concrétise le péché : péché tentateur et adorable mais d’autant plus néfaste, et redoutable. Elle a bien souvent le rôle de corruptrice. Dans Le

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G. BERNANOS, Un Mauvais rêve, Œuvres romanesques, op. cit., p. 969. 632 G. BERNANOS, Un Mauvais rêve, Œuvres romanesques, op. cit., p. 966. 633 G. BERNANOS, Un Mauvais rêve, Œuvres romanesques, op. cit., p. 964. 634 Ibid.

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Fleuve de Feu de Mauriac, Gisèle nourrit à la fois le désir et la peur du péché. Son côté

violemment animal, l’appétit vorace de son instinct, se voilent de dissimulation et de timidité. Malgré ses élans de lucidité, Gisèle conserve ce caractère trouble, cette équivoque que l’on est inévitablement tenté de qualifier de malsaine. Indubitablement enfoncée dans la concupiscence charnelle, elle est une « brebis perdue et retrouvée, toujours au moment de se perdre encore »636, voici qu’elle symbolise la pureté pour Daniel Trasis : « Gisèle ! Pureté survivant à toute caresse ; neige plus forte que le soleil »637. Ainsi, « Daniel oubliait le