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CHAPITRE I : ELABORATION D’UNE NANO-ÉTHIQUE

2. Quelle éthique pour les nanotechnologies ?

2.6 Proposition d’un modèle de réflexion éthique avec une dimension temporelle

2.6.2 Interférence entre l’élaboration de normes éthiques, la logique économique et la stratégie

Face à l’incertitude des conséquences du développement des nanotechnologies, en particulier les effets des nanoparticules sur les êtres humains et l’environnement, l’idée d’un moratoire a été émise à plusieurs reprises lors du débat public sur les

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CEA, Dossier de Presse, 12 juin 2007, Nanobiotechnologies - Nanomédecine : Quels espoirs, quelles

limites ? sur le site Internet www.cea.fr/presse.

CEA , Dossier de Presse, Voyage de presse CEA Grenoble - Mercredi 5 novembre 2008, « Nanosafe ».

Recherches dans les domaines de la production et de l’utilisation sécurisée des nanomatériaux ; Applications aux nouvelles technologies de l’énergie, sur le site Internet www.cea.fr/presse.

CEA, Dossier de Presse, février 2008, Les effets des nanoparticules sur la santé et l’environnement, sur le site Internet www.cea.fr/presse.

CEA, Dossier de Presse, novembre 2008, Sécurité des nanomatériaux et applications aux nouvelles

technologies de l’énergie, sur le site Internet www.cea.fr/presse. 119

CNRS EDITIONS, collection Nature des sciences, 15 rue Malebranche, 75005 PARIS : MORET Roger, Nanomonde. Des nanosciences aux nanotechnologies, Paris, CNRS éditions, Centre de vulgarisation de la Connaissance, coll. Nature des sciences, 2006.

78 nanotechnologies qui s’est tenu en France du 15 octobre 2009 au 24 février 2010120. Un moratoire serait un moyen appréciable de laisser le temps aux experts en toxicologie et aux éthiciens d’élaborer une réflexion sur les nanotechnologies, mais cette hypothèse semble incompatible avec la logique économique. Après la course spatiale qui a drainé des budgets considérables particulièrement aux Etats Unis, en ex-URSS et en Europe, la « course nano » a pris le relais dans la logique économique mondiale. Un sentiment d’urgence teinte cette logique, quitte à prendre des décisions dans la précipitation de peur d’être distancé par les pays concurrents et de devenir hors course (outsider pour utiliser le mot anglais dans le champ lexical du sport et de la compétition).

En restant uniquement concentré sur les applications des nanotechnologies à la médecine, force est de constater qu’un discours de la promesse est opérant également sur les études économiques prospectives.

Si nous effectuons une analyse détaillée du rapport du LEEM (Les entreprises du médicament) publié en mars 2009121, les titres et les encadrés choisis se révèlent être des exemples concrets de ce type de discours. Citons quelques phrases dont nous soulignons les termes significatifs : « Dès les années 60, l’importance des nanotechnologies était anticipée » (titre p. 10) ; « Au même titre que l’automobile au début du 20ème siècle, les nanotechnologies pourraient être la prochaine évolution industrielle » (encadré p. 11) ; « Les nanomatériaux en santé et en cosmétique restent un challenge brevetaire important bien que l’espace concurrentiel soit peu occupé » (titre p. 40) ; « L’ensemble des applications des nanotechnologies pourraient représenter une opportunité proche de 3000 milliards USD d’ici 2015 » (titre p. 48) ; « Selon certaines estimations, le marché mondial des applications des nanotechnologies à la médecine devrait atteindre 170 milliards de dollars en 2015 » (titre p. 50) ; « Les produits issus des applications des nanotechnologies à la médecine sont porteurs d’une forte valeur ajoutée et ne sont qu’aux premiers stades de leur développement » (encadré p. 52). L’utilisation de verbes au mode conditionnel (pourraient, devrait) et le choix d’un vocabulaire relevant du registre de l’avenir (anticipée, évolution industrielle, opportunité, estimations, développement) contribuent à l’élaboration de ce discours de

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Documents et comptes rendus des débats accessibles sur le site Internet www.debatpublic-nano.org, site Internet de la commission particulière du débat public Nanotechnologies (CNDP) lors du déroulement du débat public. L’adresse du site n’existe plus en 2014. Il faut aujourd’hui se référer au site : www.debatpublic.fr beaucoup moins riche en documentation.

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Etude du LEEM (Les Entreprises du Médicament) Applications des nanotechnologies à la médecine.

Etude sur la compétitivité et l’attractivité de la France. Horizon 2025, mars 2009. Etude téléchargeable

79 la promesse dans le discours économique à visée marketing des nanotechnologies. Ce discours est étayé dans ce document de nombreux schémas et graphiques à la logique évolutive utilisant des flèches chronologiques qui vont du passé vers le futur et des graphiques avec des courbes ascendantes qui illustrent la croissance constante et inéluctable du développement des nanotechnologies dans le domaine de la thérapie et du médicament.

La pensée prospective fait partie de l’élaboration de la stratégie économique et des perspectives de développement d’un pays ou d’un groupe de pays et elle influe sur la planification des efforts financiers que consacrent les états à tel ou tel type d’activité. Ainsi l’Union européenne dans le cadre de son 7e PCRD (Programme-Cadre de Recherche et Développement) pour les années 2007-2013 octroie 32 413 millions d’euros pour le programme « coopération » dont 3475 millions d’euros pour le thème « nanosciences, nanotechnologies, matériaux et nouvelles techniques de production »122. La valeur fondamentale des nanotechnologies est alors la compétition économique et géopolitique entre grandes puissances. Elles sont d’ailleurs présentées comme telles dans de nombreuses études ou analyses, ainsi Nathalie Kosciusko-Morizet alors secrétaire d’Etat chargée de l’écologie auprès du ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire commence sa contribution en ces termes : « Pour l’économie française, et plus largement pour l’économie européenne, il s’agit d’un secteur clé dans la compétition mondiale pour l’économie de la connaissance et de l’innovation »123.

Dans cette perspective, la science et la recherche qui la sous-tend, ont-elles encore leur propre légitimité ? Les sommes considérables dévolues au développement des nanotechnologies impliquent pour les Etats concernés que la science ait un but précis et que la recherche débouche sur des résultats exploitables et rentables. La recherche entre alors dans un processus téléologique et devient subordonnée à des objectifs économiques et sociaux dans le sens où une de ses obligations est d’être créatrice de

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Décision du Conseil du 19 décembre 2006 relative au programme spécifique « Coopération » mettant en œuvre le septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des activités de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) 2006/971/CE, nanosciences, nanotechnologies, matériaux et nouvelles techniques de production p. 68-76 et annexe II p. 142, téléchargeable en suivant le lien : http:// eur-lex.europa.eu.

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Nathalie Kosciusko-Morizet, « Nanomatériaux et nanotechnologies : développer les connaissances et partager le savoir pour prévenir les risques », Dossier Nanotechnologies : science et conscience, La Revue

de la Fondation pour l’innovation politique, Deux mille cinquante 2050, Paris, Presse Universitaire de

80 richesses et d’emplois. Les rapports entre la science et la société évoluent avec les nanotechnologies : les résultats de la recherche doivent induire un retour sur investissement pour les Etats concernés et doivent concourir à gagner la course « nano », ou tout du moins ils doivent permettre de ne pas rater le prochain train de la croissance et du développement économique. Le fait que, non seulement des fonds publics débloqués par les Etats, mais aussi des fonds privés émanant de l’industrie – en particulier au Japon et aux Etats Unis – soient injectés dans la recherche sur les nanotechnologies, a pour conséquence une « marchandisation » des résultats scientifiques et une course au dépôt de brevets. La réflexion éthique sur les nanotechnologies ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur ce processus téléologique qui atteint la recherche et la science. Une des questions à poser est celle de savoir si la place de la science dans notre société est encore en train d’évoluer et peut- être pas à son avantage. Glisse-t-elle en effet vers une orientation régie principalement par des intérêts socio-économiques, vers une société où les nanotechnologies seront le nouvel eldorado au détriment d’intérêts humains et environnementaux ? La réflexion éthique doit donc prendre en compte aussi l’aspect économico-politique et s’articuler selon les trois niveaux temporels envisagés dans le schéma : court, moyen et long terme (cf Figure 11).