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CHAPITRE I : ELABORATION D’UNE NANO-ÉTHIQUE

2. Quelle éthique pour les nanotechnologies ?

2.3 Une éthique générique

Dans la deuxième partie au premier chapitre de ce travail, la constatation a été faite de la difficulté de donner une définition claire et précise des objets nanométriques et, par voie de conséquence, de circonscrire l’objet éthique des nanotechnologies et d’élaborer à partir de ce dernier une nano-éthique.

Prenant également acte de cette difficulté majeure, une contribution récente (2012) de Marie-Geneviève Pinsart propose une éthique générique76. Elle circonscrit sa réflexion à l’objet nano comme « un mixte de machine et de vie comme ce que fait, par exemple, l’ingénierie tissulaire qui crée des objets hybrides alliant des matériaux nanostructurés et des cellules vivantes pour remplacer des tissus défaillants »77 et prend acte de l’hétérogénéité de ces « machine-organismes nano ». Selon l’auteure, seul un savoir générique peut être élaboré sur un objet hétérogène puisque la difficulté réside dans le fait qu’un savoir synthétique est désormais impossible, l’objet hétérogène se situant sur plusieurs champs disciplinaires78. Elle propose une définition de l’éthique générique par la négative79 et liste tout ce qu’une éthique générique n’est pas. Nous résumons cette définition sous forme de schéma. L’éthique générique n’est pas ou n’est pas seulement :

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Cf Première partie, Chapitre I, 4 Nanotechnologies et physique quantique de ce travail.

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Peter Kunzmann, Franz-Peter Burkard, Franz Wiedmann, Atlas de la Philosophie, Deutscher Taschenbuch Verlag GmbH & Co. KG, Munich, 1991 / 1993, Librairie Générale Française, Paris, 1993, p. 185.

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Marie-Geneviève PINSART, « L’hétérogénéité des objets nanos : deux nouvelles méthodes pour activer une éthique générique » in : Céline KERMISCH, Marie-Geneviève PINSART (éds), Les

nanotechnologies : vers un changement d’éthique ? Nanotechnologies : towards a shift in the scale of ethics ?, Bruxelles, Belgique, éditions E.M.E. & InterCommunications s.p.r.l., 2012, p. 63-86.

77 Ibid, p. 64. 78 Ibid, p. 68-69. 79 Ibid, p. 74-77.

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Figure 5 : Définition par la négative de l’éthique générique

L’auteure précise bien dans son propos qu’une seule de ces approches ne suffit pas à cerner les problèmes éthiques de l’objet nano hétérogène. Il faut noter que ces différentes approches ne semblent pas se référer obligatoirement à une théorie morale particulière, à part la deuxième affirmation de la définition, à savoir que l’éthique générique n’est pas une éthique de type conséquentialiste. Nous nous trouvons donc devant le fait qu’un faisceau d’approches est nécessaire en vue d’élaborer une nano- éthique. Nous retrouvons finalement l’écueil auquel se heurtent les éthiciens et qu’a soulevé sur un autre plan Vanessa Nurock, à savoir qu’un seul modèle éthique parmi les trois principales théories morales que sont l’éthique des vertus, le conséquentialisme et le déontologismene suffit pas à élaborer une nano-éthique.

Marie-Geneviève Pinsart complète son propos en dressant un tableau permettant l’élaboration d’une éthique générique. Ce tableau est à double entrée : une entrée horizontale qui contient les différents acteurs (un individu = le patient, une discipline = la médecine, une institution = l’armée) ; une entrée verticale qui liste plusieurs intentions d’utilisation d’un nano-objet (A : assurer la traçabilité d’un objet nano, B = étendre l’application d’un dispositif nano au diagnostic du diabète). A chaque croisement d’un acteur et d’une intention, il faudra répondre à la question de savoir si des enjeux éthiques émergent ou non. Si la réponse est affirmative, il faudra dans un

1) Une approche plongeante = application de notions éthiques pré-

élaborées sur l'objet nano. 2) Une éthique de type

conséquentialiste 3) Une démarche de circonscription

des domaines : nanomatériaux, nanométrologie, nanoélectronique,

nanobiotechnologie.

4) Une approche d'accompagnement éthique du développement des nanos .5) Une mise en amont de la discipline éthique. 6) Une éthique de

52 deuxième temps identifier si des aspects éthiques « semblent être mis à mal » ou bien sur quels aspects éthiques particuliers notre attention devra-t-elle se focaliser80.

Après l’analyse de ce tableau, nous pouvons constater d’un point de vue critique qu’il va falloir tenir compte de la pluralité des acteurs en présence et de leur différent niveau d’implication dans la société. Les problèmes éthiques qui vont émerger, être identifiés et posés au niveau individuel (le patient), au niveau d’une discipline (la médecine) et au niveau institutionnel (l’armée) vont permettre d’élaborer une nano-éthique spécifique à chaque niveau.

Les problèmes éthiques ne seront pas de même ampleur selon qu’il s’agira : d’un cas particulier, le protocole thérapeutique appliqué en vue de la guérison ou l’amélioration de l’état d’un patient dans une logique bénéfice/risque n’aura d’impact que sur le corps du patient lui-même ; d’un cas plus général, au niveau d’une équipe médicale ou de la discipline de la médecine car l’aspect technique d’une nouvelle thérapie est en lien avec des aspects scientifiques, des aspects de progrès des techniques médicales, des aspects économiques ; d’un cas général et institutionnel, l’utilisation et la traçabilité d’un nano- objet au sein de l’armée n’a pas à première vue une fonction thérapeutique mais des impacts sur la performance et l’efficacité d’une stratégie militaire via éventuellement le corps du militaire.

Il semble difficile d’en faire une synthèse puisque les implications éthiques ne se situeront pas sur le même plan. Il faudrait alors envisager de circonscrire une éventuelle nano-éthique, certes non pas à une circonscription des domaines (nanomatériaux, nanométrologie, nanoélectronique, nanobiotechnologie), mais à chaque niveau « sociétal ». De plus, dans l’entrée verticale du tableau, on est bien obligé de prendre comme exemple un objet nano précis et, de ce fait, pratiquer tout de même une éthique de terrain, ce qui semble en contradiction avec la définition proposée par l’auteure d’une éthique générique.

Un deuxième écueil est celui d’identifier les « aspects éthiques ». L’auteure précise dans sa définition d’une éthique générique qu’elle n’est pas « une approche plongeante », c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une application de notions éthiques pré-

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Marie-Geneviève PINSART, « L’hétérogénéité des objets nanos : deux nouvelles méthodes pour activer une éthique générique » in : Céline KERMISCH, Marie-Geneviève PINSART (éds), Les

nanotechnologies : vers un changement d’éthique ? Nanotechnologies : towards a shift in the scale of ethics ?, Bruxelles, Belgique, éditions E.M.E. & InterCommunications s.p.r.l., 2012, p. 80.

53 élaborées sur l'objet nano. Selon quels critères et selon quelle pertinence les aspects éthiques peuvent-ils alors être sélectionnés ? Comment évaluer ceux qui seront « mis à mal » et ceux « auxquels il faudra prêter attention » ? A quelles références les membres d’un comité d’éthique vont-ils recourir ? Auront-ils tous les mêmes références étant donné qu’un comité d’éthique est constitué habituellement de personnes provenant d’horizon différent81 ?

Enfin, une incompatibilité entre une éthique générique et l’éthique médicale peut apparaître. D’après la définition, une éthique générique n’est pas une éthique de type conséquentialiste ; elle ne vise pas l’impact du risque et ne fonctionne pas selon la logique de coût/bénéfice. Au contraire, l’éthique médicale est basée sur une axiologie bénéfice/risque. La question se pose alors de savoir comment articuler une éthique générique et l’éthique médicale.

En conclusion de cette analyse, le tableau pour élaborer une éthique générique reste un outil qui serait un préalable pour poser et lister les problèmes éthiques selon les différents acteurs. Cependant en l’état actuel du tableau, n’apparaissent pas les « conflits éthiques » qui peuvent survenir entre les acteurs, les divergences d’analyse entre les différents niveaux sociétaux, les contradictions entre les différents champs d’application d’un même nano-objet. Si ces conflits ne sont pas résolus dans une perspective consensuelle, comment élaborer une nano-éthique ? Il nous semble que l’éthique dialogique est plus à même de souligner ces conflits.