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Une institutionnalisation étatique pour la recherche et l’expérimentation : le Plan Construction l’expérimentation : le Plan Construction

Chapitre I : L’appropriation historique de la terre crue dans un espace rural et urbain français crue dans un espace rural et urbain français

3.1 Une institutionnalisation étatique pour la recherche et l’expérimentation : le Plan Construction l’expérimentation : le Plan Construction

A l’aube de la Libération, les agents du champ du pouvoir investis dans la planification privilégient la reconstruction des infrastructures et délaissent celle des logements. C’est à partir de l’hiver 1953-1954 et de l’Appel de l’Abbé Pierre pour les sans-abri que l’Etat participe significativement à l’effort de construction de logements, en privilégiant une production quantitative alignés sur les principes de l’urbanisme moderne issu de la charte d’Athènes de 1933, elle-même élaborée lors du IVe Congrès international d'architecture moderne (CIAM). La planification territoriale est conçue par des experts visant à rationaliser l’architecture en privilégiant le style international dans une zone où l’abstraction des contextes territoriaux dans ses différentes dimensions (historique, géographique sociale, environnementale, etc.) est de mise pour faire « table rase » avant la réalisation d’un ouvrage. C’est dans ce contexte que sont construits les « grands ensembles », c’est-à-dire des ouvrages comprenant plus de 500 logements, à l’instar des 13 000 logements construits en 1954 à Sarcelles, en une seule opération. Tandis qu’à la fin des années 1940, le seuil des 100 000 logements n’est pas atteint, plus de 300 000 sont construits par an dès la fin des années 1950301. Si la demande quantitative de logements est assurée, les incertitudes sur les conditions symboliques et matérielles d’existence propres à l’habitat et entre les groupes sociaux se multipliaient302.

A partir de la fin des années 1960, les programmes d’une ampleur semblable à celle des « grands ensembles » sont restreints pour privilégier des petites unités303. Cela s’illustre par exemple avec le concours lancé en 1969 par le ministre de l’Equipement Albin Chalandon pour construire 70 000 maisons individuelles, appelées « chalandonnettes »304, par simple dérive patronymique du ministère, qui sont conçues sur un modèle semblable à celui des « Levittowns » développé aux Etats-Unis à partir des années 1950, c’est-à-dire des maisons préfabriquées à faible coût qui avaient été conçues par le promoteur immobilier William Levitt car, selon le président Herbert Hoover et dans le contexte de Guerre froide, la maison individuelle constituait la meilleure solution pour faire face à la diffusion du communisme305. Les « chalandonnettes » n’ont pas convaincu les habitants comme les politiques, mais la perspective d’améliorer les conditions matérielles de l’habitat devient fondamentale. Autour des années 1970 se structure un marché de construction de maisons individuelles dans lequel l’efficience de l’Etat est fondamentale306. Les objectifs quantitatifs atteints par une production de masse sont délaissés au profit d’opérations expérimentales.

301 DESPORTES Marc et PICON Antoine, De l'espace au territoire. L'aménagement en France XVIe-XXe siècles, Paris, Presses de l'école nationale des Ponts et Chaussées, 1997, 150-151.

302 CHAMBOREDON Jean-Claude et LEMAIRE Madeleine, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement. » in Revue française de sociologie, 1970, 11-1. pp. 3-33. Pour disposer d’éléments sur le contexte de l’enquête, voir : PASQUALI Paul, « Deux sociologues en banlieue. L'enquête sur les grands ensembles de Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire (1966-1970) »,in Genèses, 2012/2 (n° 87), p. 113-135.

303La circulaire Guichard du 21 mars 1973, relevant du ministre de l’Equipement Olivier Guichard, marque un coup d’arrêt à l’édification des « grands ensembles ».

304 STEINMETZ Hélène, « Les Chalandonnettes. La production par le haut d'une accession bas de gamme », in

Politix, 2013/1 (n° 101), pp. 21-48.

305 BONNEUIL Christophe et FRESSOZ Jean-Baptiste, L’événement anthropocène. La terre, l’histoire et nous, Paris,

Le Seuil, coll. « Anthropocène », 2013, p. 134.

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A la fin des années 1960, dans le cadre des groupes de travail des commissions préparatoires du VIème Plan (1971-1975), l’idée d’un Plan Construction émerge pour participer à l’amélioration de l’habitat. La création en mai 1971 du « Plan Construction »307 vise à aligner le principe de vision du champ de la construction au principe de vision du champ du pouvoir dans la recherche d’une amélioration du cadre de vie. Autrement dit, dans le registre de l’approche cognitive des politiques publiques, il s’agit d’aligner le référentiel sectoriel sur le référentiel global. Dans un contexte préoccupant de l’habitat, son existence tient en partie à la collusion de Robert Lion, Inspecteur des Finances, à la Direction de la Construction dès juin 1969 et Raymond Sajus, ingénieur des Ponts et Chaussées et adjoint du Directeur de la Construction, arrivé en septembre 1969, et avec l’appui de Paul Delouvrier, à l’époque Délégué général au district de la région de Paris.

Pour limiter la dépendance à un ministère, le caractère interministériel est privilégié avec un fonctionnement en administration de mission. Ainsi, les ministères des Finances, de l’Industrie, de la Recherche participent au fonctionnement du Plan Construction dont le pilotage relève en grande partie du ministère de l’Equipement, créé en 1966 par la fusion du ministère de la Construction et du ministère des Travaux Publics. Le budget du Plan Construction relève principalement du « budget civil

de recherche et développement géré par la DGRST, budgets d’études de la direction de la construction et de la direction du BTP, enveloppe réservée de logements sociaux »308. Au-delà de la coordination entre les différents ministères en partie effectuée au sein du Comité Directeur, le Plan Construction constitue aussi une instance de « concertation » entre des agents du champ bureaucratique, relevant à la fois des ministères comme de différents établissements et agences publiques (par exemple l’Agence Nationale de Valorisation de la Recherche (ANVAR), ou encore l’Agence pour l’Environnement et les Economies d’Energie (l’ex-ADEME)), et du champ de la construction (maîtres d’ouvrage, architectes, bureaux d’études, industriels, associations d’usagers, etc.).

La recherche et l’expérimentation constituent les deux instruments du Plan Construction et se fixe trois objectifs. D’abord, pour participer à la résolution de la problématique de l’habitat de l’époque et pour reprendre son slogan de lancement, il s’agit de « rendre possible » un habitat de meilleure qualité en élargissant l’espace des possibles des technologies pouvant être utilisées en participant éventuellement à des alternatives architecturales plus ou moins radicales. Ensuite, le Plan Construction doit participer à l’industrialisation du bâtiment pour réduire les coûts de construction et de gestion des ouvrages et correspondre aux « caractéristiques de la main-d’œuvre employée par le secteur, une main-d’œuvre nouvellement immigrée et peu qualifiée »309. Enfin, il s’agit de participer à consolider la position du champ de la construction français dans la compétition internationale, permettant ainsi d’attirer des industriels dans les modalités d’action du Plan Construction pour leur faciliter un positionnement sur d’éventuels débouchés.

L’expérimentation vise à évaluer, d’une part, l’appropriation des innovations en matière d’habitat par les usagers et, d’autre part, l’efficience d’un procédé sur une série déterminée. Ainsi, lorsque des recherches portant sur des innovations techniques ou organisationnelles sont

307Au cours de son existence et au fil de ses attributions, l’organisme initialement nommé « Plan Construction » change plusieurs fois de noms, devenant successivement « Plan Construction et Habitat » (PCH) en 1983, puis « Plan Construction et Architecture » (PCA) en 1987. En 1984 est créé le « Plan Urbain » qui fusionne en 1998 avec le Plan Construction pour constituer le « Plan Urbanisme Construction Architecture » (PUCA).

308 Plan Urbanisme Construction Architecture, Rendre Possible : du Plan de Construction au Puca : 40 Ans de Réalisations Expérimentales, Paris, Collection Recherche. La Défense, Cerema, 2012, p. 21.

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développées, il s’agit de les insérer dans une opération expérimentale pour vérifier la viabilité de leurs usages (par exemple en tant que procédé de fabrication et de mise en œuvre) et de leur rentabilité (mesurer par l’écart avec les calculs prévisionnels). Selon si l’évaluation est positive, il devient alors possible de passer à une production en grande série en les insérant sur un marché. Comme le souligne Thierry Coanus, « le point fort du nouveau référentiel (sa volonté d’ancrage dans les « exigences profondes de la société ») passe alors par la réintroduction de « l’habitant », de « l’usager » dans une approche jusque-là seulement technologique. »310La recherche et l’expérimentation conduisent ainsi à mettre en place des programmes de recherche pluridisciplinaires disposant de passe-droits pour faciliter les opérations expérimentales (par exemple, les Prêts Locatifs Aidés (PLA) destinés aux Offices HLM qui leur offraient un soutien étatique dans le financement des opérations).

Ainsi, dans les années 1970, le Plan Construction a par exemple participé aux recherches et aux expérimentations dédiées à l’architecture solaire. Le choc pétrolier de 1973 affecte sensiblement le champ de la construction où le chauffage du bâti représente un tiers de la consommation énergétique nationale311. Tandis qu’une réglementation thermique apparaît pour la première fois en avril 1974, différentes recherches consacrées à l’énergie solaire, l’éolien, l’énergie marémotrice et la biomasse sont impulsées par la délégation générale à la Recherche scientifique et technique (DGRST) ou encore l’Agence pour les économies d’énergie (AEE) créée en 1974. Le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et le Plan Construction se positionnent également sur ces enjeux énergétiques.

Le CNRS élabore le Programme interdisciplinaire de recherche pour l’énergie solaire (Pirdes) le 2 juillet 1975 regroupant environ 150 chercheurs et des entreprises privées. Parmi les actions thématiques programmées du Pirdes, l’une d’entre elles est dédiée à l’habitat solaire. Un programme de recherche consacré à l’architecture solaire est également lancé par le Plan Construction visant, d’abord, à développer les études météorologiques pour identifier des territoires plus ou moins exposés à l’ensoleillement en France, ensuite, à approfondir la recherche fondamentale dédiée à l’architecture solaire, enfin, à effectuer des réalisations expérimentales de logements sociaux disposant d’équipements utilisant les énergies renouvelables. Ces expérimentations trouvent leur objectivation dans le programme « Habitat original par la thermique » (HOT) du Plan Construction qui démarre en 1975 et s’arrête en 1981312.

Le début des années 1980 marque un coup d’arrêt à la promotion de la politique énergétique dédiée à l’énergie solaire. Au moins deux raisons à cet arrêt peuvent être évoquées : d’une part, les systèmes de chauffage solaire encore en cours d’expérimentation présentent un surcoût non-négligeable et d’autres solutions aux systèmes de chauffage peuvent être envisagées pour augmenter les économies d’énergie, d’autre part, le prix de l’énergie électrique baisse et la politique énergétique s’oriente considérablement vers le nucléaire. Seuls les DOM-TOM sont encouragés à mener des programmes sur l’énergie solaire en raison de leur climat plus propice à cette énergie et de leur

310 COANUS Thierry, Les aventures des sciences sociales au Plan Construction Autopsie d’une rencontre entre appareil d’État et chercheurs au sein d’un organisme interministériel (1969-1972), ENTPE - Laboratoire ASTER,

mai 1992, p. 25.

311 CHAUVIN-MICHEL Marion, « Architectures solaires et politiques énergétiques en France : de la crise pétrolière à la crise solaire », in Annales historiques de l’électricité, 2013/1 (N° 11), p. 29.

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éloignement géographique qui les empêche de bénéficier d’une production énergétique métropolitaine313.

En matière de construction en terre, le Plan Construction manifestait un intérêt dès les années 1970 puisqu’il finançait des recherches auprès de l’Association grenobloise de recherches architecturales (AGRA) pour la définition d’une filière terre ou encore la protection du matériau terre, à l’Union interprofessionnelle du BTP (UTI) pour une recherche consacrée au béton de terre armé, au Centre expérimental de recherches et d’études du BTP (CEBTP) pour un programme portant entre autres sur les badigeons de protection des bétons de terre, à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Rennes pour une recherche dirigée par Michel Laquerbe et portant sur la cristallisation des argiles à froid314.

L’institutionnalisation de l’élargissement des possibles en matière de construction et de matériaux n’est pas seulement étatique, mais il est spécifié pour la terre crue par des trajectoires sociales de certains agents les conduisent à être investis dans la contre-culture architecturale et à participer, à leur manière, à cette institutionnalisation.

3.2 De l’incorporation d’entrepreneurs de cause à

l’institutionnalisation d’un laboratoire d’idées : l’association

CRATerre et le projet d’une exposition

Au-delà des frontières métropolitaines, les perspectives de développement autonome promues en Chine par Mao Zedong ou en Inde par Mohandas Gandhi ont participé à la dynamique des années 1970 visant l’élaboration de technologies dites « intermédiaires », « appropriées », « douces », « alternatives »315. Selon Witold Rybczynski, l’expression « technologies appropriées » est apparue lors d’une conférence organisée en 1968 au College de l’Université d’Oxford en Angleterre et qui rassemblait « des dirigeants de l’industrie britannique, des représentants des organisations internationales […] ainsi que des représentants officiels du Ministère britannique du Développement

d’Outre-Mer. »316 Cette conférence tentait de susciter l’intérêt des industriels britanniques pour développer les technologies dans les pays dits « sous-développés »317 d’Asie et d’Afrique suite à l’obtention de leur indépendance. Dans le cadre de cette dynamique, l’économiste Ernst Friedrich Schumacher est un de ses principaux promoteurs. Selon lui, les technologies qu’il qualifie d’ « intermédiaires » répondent à certaines exigences. D'abord, elles doivent impliquer une création d’emplois dans l’espace rural pour endiguer les migrations vers l’espace urbain et réduire le taux de chômage. Ensuite, elles doivent nécessiter davantage de main-d’œuvre que de capitaux, tout en étant simples d’utilisation pour limiter la dépendance à celle-ci. Enfin, la production issue de ces technologies

313 Ibid., p. 39.

314 Voir Annexe n°5 : Liste des recherches du Plan Construction achevées ou en cours en 1981.

315 Pour approfondir le contexte de ces technologies, voir : RYBCZYNSKI Witold, Paper Heroes un regard sur la

technologie appropriée, Paris, Parenthèses, 2000, 158 p. Il importe de souligner que cet ouvrage est publié en

1983 par les éditions Parenthèses et traduit de l’américain par l’architecte membre de l’association CRATerre, Hubert Guillaud.

316 Ibid., p. 12.

317 Pour une histoire de la croyance ethnocentrique du « développement », voir : RIST Gilbert, Le développement.

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doit être principalement consommée localement318. Des agents portés sur la construction en terre se sont inscrits dans ce mouvement et peuvent être considérés comme des entrepreneurs de cause. Ils succèdent à un architecte égyptien, Hassan Fathy, qui avait pu concevoir un projet architectural au milieu du XXème siècle et dont les modalités ne pouvaient que conforter les dispositions incorporées d’agents investis dans la contre-culture architecturale.

Encadré : Le village de Gourna conçu par l’architecte Hassan Fathy : un instrument de manipulation symbolique

Hassan Fathy (1900-1989) était un architecte égyptien. Diplômé en 1926 du département d’architecture de l’Ecole Polytechnique du Caire, il travaille dans un premier temps pour des municipalités où, confronté à une population rurale pauvre, il est amené à proposer des projets architecturaux peu onéreux en passant notamment par l’emploi de la brique de terre crue. Ses travaux permettent de le caractériser comme un spécialiste de l’architecture de terre, principalement connu et reconnu par la publication de son ouvrage Construire avec le peuple319. Dans cet ouvrage, Hassan Fathy évoque l’histoire du chantier d’un village égyptien appelé « Gourna », situé près de Louxor, qui a duré trois ans (1945-1948). L’objectif de l’architecte était de construire un village où, selon ses termes, les « fellahs [c’est-à-dire les paysans] mèneraient le genre

de vie que je souhaite pour eux »320. Il s’agit de reloger une population vivant sur et dans des nécropoles, correspondant à l’ancien Gourna, en édifiant en trois ans, et avec les traditions locales, 900 logements321et quelques équipements tels qu’une mosquée, un théâtre, une école des métiers, une école primaire, un hammam, une briqueterie, etc., avec un budget initial de 50 000 livres égyptiennes.

Comme le remarque le philosophe de l’urbain Thierry Paquot, la signification de l’expression « avec le peuple » dans le titre de l’ouvrage signifie davantage « pour le peuple », au sens où Hassan Fathy n’a pas effectué la construction du village de Gourna en y faisant participer les habitants. Selon Thierry Paquot, « construire avec le peuple » signifie donc « construire pour le bonheur du peuple », selon les intentions qui étaient celles d’Hassan Fathy322.

Au bout de trois ans de chantier, des équipements ont été réalisés mais seuls une centaine de logements a été édifié et 94 000 livres égyptiennes ont été dépensées, soit près du double du budget initial. Comme l’écrit Hassan Fathy lui-même, « l’expérience de Gourna a échoué. Le village n’a

jamais été terminé et ce n’est pas encore une communauté villageoise prospère. »323 Dans son ouvrage, l’architecte explique l’échec du projet par différentes raisons. Il parle d’un « obscurantisme

paysan »324pour exprimer l’inertie des habitus des Gournis à maintenir un mode de vie dans l’ancien Gourna ; il évoque un manque d’artisans disposant d’un savoir-faire propre à la construction en

318Sur ce point, voir l’ouvrage paru initialement en 1973 de SCHUMACHER Ernst Friedrich, Small is beautiful. Une

société à la mesure de l’homme, Paris, Editions du Seuil, 1979, 315 p.

319 FATHY Hassan, Construire avec le peuple. Histoire d’un village d’Egypte : Gourna, Paris, Actes Sud, 1999, 432

p.

320 Ibid., p. 23.

321 Ibid., p. 246.

322 PAQUOT Thierry, « Hassan Fathy, construire avec ou pour le peuple? », in Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 109, 2009, pp. 15-25.

323 FATHY Hassan, Construire avec le peuple. Histoire d’un village d’Egypte : Gourna, op. cit., p. 239. 324 Ibid., p. 240.

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terre traditionnelle325 ; une « hostilité bureaucratique »326 correspondant à la réticence des fonctionnaires au projet, par d’ailleurs peu soutenu par l’Etat ; la nécessité de devoir conduire le chantier tout en devant gérer l’épidémie du choléra327, ou encore des causes religieuses comme l’implication du diable, « Iblis »328, dans le projet, autant de raisons avancées par Hassan Fathy pour expliquer l’échec de son projet.

Pour l’architecte Jacques Vérité, l’échec du projet de Gourna s’explique par la faible résistance mécanique de la terre qui implique des volumes bâtis conséquents, conduisant à des chantiers longs (notamment pour la fabrication des briques de terre) où le coût de la construction, reposant principalement sur l’emploi de la main-d’œuvre, devient élevé329. S’il considère la vision de l’architecte comme étant réductrice330, ramener l’échec du projet à la faible résistance du matériau l’est tout autant. Il s’agit de négliger les déterminismes sociaux au profit d’un déterminisme technologique exclusif, celui de la faible résistance du matériau terre. Les facteurs de l’échec du projet peuvent tout à fait s’articuler et ne pas être exclusifs les uns des autres. Mesurer l’efficience de chacun d’entre eux pour connaître leur contribution dans l’échec du projet pourrait être intéressant. Toutefois, il convient de souligner qu’un projet d’aménagement, tel que celui de Gourna, qui n’est pas soutenu par l’Etat, à travers ses différents instruments, est un projet sans véritable soutien.

A la lecture de l’ouvrage Construire avec le peuple et de quelques éléments de littérature abordant le projet, il semble que l’échec du projet soit lié, en dernière analyse, à un décalage entre les schèmes de perception et d’appréciation d’Hassan Fathy et la tendance du champ économique égyptien, c’est-à-dire un décalage entre la conduite d’un chantier selon une représentation et une organisation relevant davantage d’une économie symbolique, caractéristique des sociétés précapitalistes, que d’une économie économique, affirmée au sein des sociétés capitalistes (dans ses différentes modalités, comme par exemple le capitalisme d’Etat ou de marché, etc.). Dit autrement, l’habitus d’Hassan Fathy était en décalage avec les structures sociales dominantes du champ du pouvoir égyptien du milieu du XXème siècle. L’échec du projet exprime la tentative de concilier des pratiques inconciliables par leur incohérence propre et systématique.

Dans la littérature dédiée à l’architecture de terre, Hassan Fathy est souvent considéré comme un « visionnaire »331, un « héraut »332 ou encore comme un « grand pionnier »333, dont l’ouvrage

Construire avec le peuple « demeure une référence et continue à éveiller des vocations »334 et où

325 Au cours du chantier, quarante-six maçons ont été formés. Voir : FATHY Hassan, Construire avec le peuple, op.

cit., p. 302. 326 Ibid., p. 240.

327 Ibid., pp. 265-271.

328 Ibid., p. 272.

329 VERITE Jacques, « Le discours sur le matériau terre : une escroquerie intellectuelle » in HABITER, n°184, 4e semestre 1984, pp. 48-51.

330 Il affirme ainsi que « l’analyse de l’échec de Gourna [par Hassan Fathy] est globalisante et réductrice. » in

VERITE Jacques, Le matériau terre : réalités et utopies, op. cit., p. 329. Pour une analyse plus détaillée de son argumentaire sur Hassan Fathy, se référer aux pages 317 à 334.

331 GUILLAUD Hubert, « Architecture de terre : L'héritage en « re-création » durable », in PAQUOT Thierry éd., Philosophie, ville et architecture. La renaissance des quatre éléments, Paris, La Découverte, « Armillaire », 2002, p. 137.

332 WILSON Ariane, « Objectif terre », in Criticat, n°13, 2014, p. 97.

333 DETHIER Jean, « 1789-1979, l’art moderne de bâtir en terre crue : une saga universelle initiée en France », in

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