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La définition d’un principe de vision par le Plan Construction

Chapitre II : Genèse du champ de la construction en terre crue en terre crue

1. Un possible advenu : le Domaine de la terre

1.2 La définition d’un principe de vision par le Plan Construction

A partir des transformations objectives du champ économique français, une restructuration du champ de la construction est envisagée pour qu’il puisse participer à la diminution de la « contrainte extérieure » sur la politique intérieure et prendre part à une expansion économique internationalisée pour faire face à la saturation de la demande intérieure. Dans ce cadre, le Plan Construction participe à orienter la structuration du champ de la construction en définissant un principe de vision conforme à la résolution des enjeux en vigueur.

1.2.1 La priorité aux économies d’énergie dans la production des matériaux de

construction et à l’expansion internationale du champ de la construction

Au sein du Plan Construction, un constat relatif à l’état des connaissances et des compétences françaises dédié à l’habitat du Tiers Monde, c’est-à-dire un habitat à faible coût, soulève la nécessité

374 TABUTIN Dominique, « La population du Tiers monde : évolution depuis 1950 et perspectives », in Espace, populations, sociétés, 1985-3. Les mutations démographiques du Tiers monde. pp. 641-648.

375 « Le monde riche (Europe, Amérique du Nord, U.R.S.S., Japon, Australie et Nouvelle- Zélande) passera entre

1983 et 2020 de 1,15 milliard d'habitants à 1,35 milliard (hypothèse moyenne des Nations-Unies) tandis que le monde sous-développé doublera quasiment sa population, passant de 3,51 à 6,45 milliards d'habitants, doublement déjà plus qu'effectué entre 1950 et 1983. » in Ibid, p. 642.

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d’investir ce champ qui était désinvesti depuis la décolonisation, à la différence d’autres pays qui avaient maintenu ou renforcé leurs efforts dans ce domaine. Afin de faire face à cette situation en défaveur de la France, le Plan Construction engage et concentre les recherches sur des voies jugées « utiles » et « originales »376. En raison du renchérissement du prix du pétrole, notamment pour les pays en développement, les économies d’énergie dans la production des matériaux de construction sont mises au premier plan.

Une exploration préalable est entreprise sur différents terrains comme les voiries et réseaux divers (VRD), la construction en terre, les apports des opérations d’habitat très économique dans le monde, etc. A partir des explorations menées, les recherches à effectuer visent à modifier le rapport de forces à l’œuvre au sein du champ de la construction. Le secrétaire permanent du Plan Construction, Michel Chatry377, indique ainsi : « Si l’hégémonie du béton et du parpaing de ciment est économiquement et sociologiquement forte dans les pays du Tiers Monde, elle doit être amendée, sinon combattue, pour son seul coût énergétique, d’ailleurs souvent doublé ou triplé par les distances de transport de ciment. La création de mini-cimenteries, la multiplication des stations de broyage de clinker avec incorporation de matériaux locaux, mais plus encore, par ordre décroissant d’énergie incorporée, le développement de la terre cuite, des chaux, du plâtre, des liants mixtes plâtre-chaux ou ciment-argile, de la terre armée, stabilisée organiquement, etc., sont des voies sur lesquelles la recherche française doit être massivement engagée. »378Dans la perspective de tourner l’économie française vers la demande extérieure, le Plan Construction participe au développement de l’activité des professions du bâtiment sur des marchés étrangers en engageant des recherches sur des aspects techniques de la construction : projets, procédés, matériels et matériaux.

Pour remplir les conditions de possibilité d’expansion d’un marché, des recherches portant sur le climat, les agents locaux de la construction et les modes de vie des habitants sont également mises en œuvre. En vue de susciter l’intérêt des professionnels du bâtiment sur les voies entreprises par le Plan Construction, les recherches effectuées s’accompagnent d’expérimentations in situ permettant ainsi de transposer des résultats de recherche dans des conditions concrètes d’un espace déterminé. Concepteurs, entreprises de construction, fabricants de matériaux, de matériels et de composants, etc. peuvent ainsi plus facilement s’insérer sur les marchés extérieurs. Par le biais de cette insertion, le Plan Construction participe à construire des marchés dédiés à la construction, notamment en limitant les coûts de transaction des entreprises françaises, mais il participe aussi à construire l’Etat français dans l’espace social transnational et dans les espaces sociaux localisés. Les recherches et les expérimentations ne sont donc pas seulement des instruments de connaissance, elles sont aussi des instruments de domination par lesquels l’Etat peut accroître son pouvoir symbolique, elles sont enfin des instruments de construction du monde social en passant par la construction de l’espace.

Comme en témoignent certains appels d’offre lancés au cours de la fin des années 1970 et le début des années 1980, le Plan Construction réoriente ses priorités. A titre d’exemple, l’hebdomadaire

Le Moniteur publie un appel d’offres du Plan Construction le 5 mars 1979 sur les « techniques

376 CHATRY Michel, « Les orientations du Plan Construction », in Actes du colloque « Recherches françaises et

Habitat du Tiers Monde », op. cit., p. 12

377 L’occupation de ce poste s’effectue entre le départ d’Alain Maugard en mai 1981 et la nomination de Jean-Paul Alduy en juillet 1981.

378 CHATRY Michel, « Les orientations du Plan Construction », in Actes du colloque « Recherches françaises et

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exportables en bâtiment et VRD ». La perspective est commerciale et vise à mettre au point des produits (matériaux, procédés) à faible coût.

Des recherches sur des thèmes plus précis (tel matériau, tel procédé) ont été soutenues par le Plan Construction et négociées directement avec des équipes, tout en ouvrant une phase de bilans et de prospective, à dominante socio-économique, afin de fournir un cadre à la recherche technique. En 1980 deux appels d’offres ont été lancés : « Economie des échanges internationaux de bâtiment » et « Habitats adaptés » qui permettaient de sélectionner une douzaine de recherches considérées pertinentes. Des recherches complémentaires sur les modes de production de l’habitat dans les villes du Tiers Monde et des analyses d’opérations considérées comme exemplaires dans les pays non-francophones ont également été lancées. Au cours de cette période, la logique d’exportation à moyen terme était une priorité étroitement mêlée à celle de la coopération.

Au début de l’année 1981, Michel d’Ornano, ministre de l’environnement et du cadre de vie379, définit trois objectifs à atteindre pour 1985 : réduire de 50 % la consommation d’énergie par rapport aux années 1980, augmenter de 25 % la productivité de la filière construction et positionner la France parmi les premiers pays exportateurs en matière de construction380. Ces objectifs participent à définir la politique scientifique et technique et la politique industrielle de l’époque. Des programmes définis par un objectif quantifié et une échéance datée sont alors mis en place. C’est le cas du programme H2E85 (Habitat économique en énergie à l’horizon 85) qui propose la construction à l’horizon 1985 de « quatre cent mille logements neufs par an en réduisant de 60 % la consommation d’énergie pour le chauffage, de 30 % pour la production d’eau chaude sanitaire, et en stabilisant les autres usages. Sans surcoût passées les premières expérimentations. » C’est aussi le cas du programme Habitat 88, visant à « construire moins cher pour construire plus et mieux »381 en réduisant de 25 % les coûts de construction.

Quant à l’objectif de positionner la France parmi les premiers pays exportateurs en matière de construction, il s’inscrit dans les perspectives définies par le cadre de l’aide au développement française : un objectif de solidarité qui vise à ce que la richesse produite par les pays développés puissent profiter aux pays sous-développés ; un objectif stratégique où l’aide au développement constitue « une sorte de protection contre l’envie et la colère des pays pauvres »382 ; un objectif mercantile qui est de participer au positionnement de la France à l’échelle internationale en vendant aux pays sous-développés des biens (par exemple des équipements) et des services (par exemple des formations pour les techniciens en utilisant des techniques françaises afin de promouvoir des exportations) ; un objectif culturel pour construire et entretenir des affinités avec ces pays. Le Gouvernement Mauroy a révisé cette stratégie en y ajoutant d’autres thèmes : celui du « développement auto-centré », celui du « co-développement » en organisant de « nouveaux types de

rapports plus contractuels avec les pays en développement », celui de la « cohérence à long terme des

379 Suite aux élections législatives de 1978, dans le cadre de la composition du troisième gouvernement du premier ministre Raymond Barre (1978-1981), Valéry Giscard d’Estaing confie à Michel d’Ornano, ayant occupé successivement le ministère de l’Industrie (1974-1977), puis le ministère de la culture et de l’environnement (1977-1978), le ministère de l’environnement et du cadre de vie (1978-1981).

380 Plan Urbanisme Construction Architecture, Rendre Possible : du Plan de Construction au Puca : 40 Ans de Réalisations Expérimentales, Paris, Collection Recherche. La Défense, Cerema, 2012, p. 71

381 Ibid, p. 81

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actions » en passant par une coordination des aides, enfin, celui visant à encourager les coopérations

entre les pays en voie de développement spatialement proches383.

1.2.2 La réfraction des enjeux du champ du pouvoir au sein du Plan

Construction

En juin 1981, le Plan Construction organise un colloque international rassemblant 300 participants. Intitulé « Recherche française et Habitat du tiers monde », ce colloque est l’occasion de faire un état des lieux des recherches achevées ou en cours lancées par les appels d’offres dédiés au thème « bâtiment et échanges internationaux » du Plan Construction de 1979 à 1981384.

Durant l’ouverture de ce colloque, un ingénieur polytechnicien en poste à la Direction des Affaires Economiques et Internationales (DAEI) des ministères de l’Equipement et des Transports – également président de séance lors du colloque - rappelle les priorités devant être prises en considération par l’administration. Cet ingénieur n’est autre que Jean-Paul Alduy385, nommé Secrétaire Permanent du Plan Construction en juillet 1981 – soit un mois après la tenue du colloque - en remplacement d’Alain Maugard, le secrétaire permanent et chef du service de la politique technique qui prend la direction du cabinet de Roger Quillot, ministre de l’équipement et du logement386.

Il dresse un contexte comportant cinq points. Premièrement, l’unification du marché mondial par l’intégration croissante de certains pays du Tiers Monde et la convergence de leurs modes de production et de consommation vers les systèmes socio-économiques des pays industrialisés – en passant notamment par la monétarisation des économies – impliquent une modification des rapports sociaux (entre les pays mais aussi entre les groupes sociaux à l’intérieur de chacun des pays). Cela affecte l’habitat et, par conséquent, le domaine de la construction.

Deuxièmement, cette ouverture des marchés étrangers rend possible l’expansion économique des pays qui souhaiteraient accroître leur marché en passant par une augmentation des échanges économiques avec les pays en développement. En outre, cette expansion économique peut s’affirmer par un ensemble d’innovations pouvant intéresser les pays en développement qui modifie leur appareil de production dédié à la construction. Sur ce point, l’ingénieur indique que la France doit être en mesure d’identifier des débouchés pour les bâtiments dits « complexes » (hôpitaux, écoles, etc.) ou

383 Ibid.

384 Voir en annexe les projets de recherche du Plan Construction.

385 Jean-Paul Alduy est né en 1942 de deux parents anciennement sénateurs et maires. Il a une formation de polytechnicien (X 1962, promotion 1967 du corps des Ponts et Chaussées) et est également diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Au cours des années 1970 et 1980, il occupe successivement différents postes, à la direction de l’Organisme Départemental d’Etudes des Alpes-Maritimes en 1968, à la direction technique de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne (IAURP) en 1971, directeur général du Bureau Central d’Etudes Techniques de la République de Côte d’Ivoire de 1976 à 1980, à la direction de la DAEI avant d’être nommé en 1981 secrétaire permanent du Plan Construction. Un poste qu’il occupe jusqu’en 1985 avant d’être chef du service de la politique technique de la direction de la construction au ministère de l’Urbanisme et du Logement, puis, en 1986, il prend brièvement la direction de la recherche et du développement au sein de la Holding coordonnant les activités « bâtiment » du groupe Valeo. L’occupation de ce poste est brève en raison de la prise de contrôle de Valeo par Cerus (Compagnies européennes réunies), une holding financière de l’homme d’affaires italien Carlo De Benedetti.

386 Plan Urbanisme Construction Architecture, Rendre Possible : du Plan de Construction au Puca : 40 Ans de Réalisations Expérimentales, op. cit. p. 65.

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bien « par des réponses nouvelles aux problèmes d’un habitat très économique différent : au niveau des matériaux, des composants, de l’ingénierie, etc. »387

Troisièmement, en plus de la résolution des problèmes de matières premières, de main-d’œuvre, de technologie s’ajoute celle cruciale de l’énergie. Du fait que le développement implique une production plus conséquente, les problèmes d’énergie sont soulevés comme étant déterminants pour l’avenir des pays en développement. La recherche doit donc mettre l’accent sur des technologies, une conception du bâti et des matériaux économes en énergie.

Quatrièmement, les inégalités sociales des pays en développement suscitent des économies de la construction sensiblement différentes des pays industrialisés. Il importe donc d’élaborer « des

modes d’approche des problèmes totalement originaux »388. Enfin, et non des moindre, le poids du secteur du bâtiment pèse dans la balance des paiements française et le solde peut être amélioré par les exportations.

Lorsque Jean-Paul Alduy devient secrétaire permanent du Plan Construction, en raison de ses années passées en Côte d’Ivoire et à la Direction des Affaires Economiques Internationales du Ministère de l’Equipement et des Transports, il est incliné à poursuivre les efforts du Plan Construction dans le développement de la construction en terre crue pour contribuer à la résolution des enjeux définis par le champ administratif. Il est appuyé par un conseiller technique, Michel Chatry389, qui supervise le pilotage technique des actions du Plan Construction. Dans ce cadre, l’expression des priorités au sein du Plan Construction trouve leur objectivation dans la définition de programmes où la construction en terre est promue.

1.3 L’expérimentation du Domaine de la Terre : une structuration de

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