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Dans le champ de la construction : un désintérêt pour la Coopération Au cours des années 1970 et 1980, les pays en voie de développement pouvaient constituer Au cours des années 1970 et 1980, les pays en voie de développement pouvaient constituer

Chapitre II : Genèse du champ de la construction en terre crue en terre crue

3. Un possible non-advenu : l’Institut International de la Construction en Terre Construction en Terre

3.2 La révision d’un principe de vision : un désintéressement pour la terre terre

3.2.3 Dans le champ de la construction : un désintérêt pour la Coopération Au cours des années 1970 et 1980, les pays en voie de développement pouvaient constituer Au cours des années 1970 et 1980, les pays en voie de développement pouvaient constituer

des marchés porteurs pour les entreprises françaises de BTP. A partir de 1985, elles « réorientent leurs

activités à l'étranger vers les marchés porteurs que sont l'Amérique du Nord, l'Europe, l'Asie du Sud-Est mais aussi vers certains pays d'Afrique comme le Nigeria. L'activité des firmes françaises s'est beaucoup développée dans les pays de la Communauté Européenne au cours des toutes dernières années, notamment au Royaume-Uni et en Espagne. »450 Cette structuration transnationale est ressentie par certains agents du champ français de la construction en terre crue. Philippe Michel, l’agent en poste au Plan Construction & Habitat et à l’ENTPE raconte : « En 86, il se passe quelque chose qui va changer

pas mal d’aspects de la problématique, c’est que la majorité politique change. C’est l’arrivée du gouvernement Chirac et la politique technique va changer aussi. C’est-à-dire que les solutions qui ont trait à l’habitat vernaculaire français, à son patrimoine à restaurer, à entretenir, et d’un autre côté à l’exportation d’une filière terre, en particulier à travers le Tiers monde, ça, ça n’intéresse plus vraiment les nouveaux décideurs. Il s’agit dorénavant de stimuler les exportations de Monsieur Bouygues et consorts. Donc on fait comprendre au Plan Construction qu’il faut qu’il passe tout ça à la poubelle, en achevant les contrats et les opérations lancées et en recentrant ses financements sur des filières jugées

448 DENORD François et SCHWARTZ Antoine, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Paris, Raisons d’agir, p. 95. 449En 1986, l’ancien secrétaire permanent du Plan Construction & Habitat, Jean-Paul Alduy, quitte son poste de directeur de la recherche et du développement au sein de la holding coordonnant les activités « bâtiment » du groupe Valeo suite à la prise de contrôle de ce groupe par la holding financière française Cerus (Compagnies européennes réunies) appartenant à l’homme d’affaires italien Carlo De Benedetti, dont l’administrateur-directeur général était Alain Minc, qui venait de quitter Saint-Gobain.

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plus d’avenir. Voilà, donc en 86, il y a un retournement de situation qui n’est pas du tout favorable. D’ailleurs, ça va exploser tout ce qui était difficilement, besogneusement, méthodiquement en train de se construire. »

En 1987, au sein du Plan Construction, le programme REXCOOP est évalué. Les propos figurant dans le bilan synthétique451 permettent de saisir l’appréciation faite du programme et des perspectives envisagées par les agents du Plan Construction vis-à-vis de la Coopération. Bien que constituant une réussite pour l’institution, le programme REXCOOP témoigne d’un manque d’intérêt de la part de différents agents à partir de 1985. Ce constat peut être objectivé par le budget consacré au programme REXCOOP. En effet, les crédits accordés au programme REXCOOP triple entre 1982 et 1984, passant de 7 à 21 millions de francs. En revanche, entre 1984 et 1986, les crédits baissent de 19 %, passant de 21 à 17 millions de francs.

Evolution des crédits du Programme REXCOOP

Année 1982 1983 1984 1985 1986

Crédits français (toutes sources

confondues) 7 MF 13 MF 21 MF 20 MF 17 MF

Source : Données compilées à partir des informations disponibles dans le bilan synthétique du Programme REXCOOP.

Selon le secrétaire général du programme REXCOOP, Daniel Biau, la réduction des engagements en 1986 est principalement liée à la crise de l’Agence Coopération et Aménagement et à la réorganisation des services de la Coopération. Par ailleurs, il indique aussi qu’ « aucun nouveau

coopérant civil ne sera affecté à des projets REXCOOP à partir de 1985. Ce problème est lié au freinage général de l’assistance technique française dans les pays africains. »452

Dans ce même bilan, Paul Bernard, ingénieur des Ponts et Chaussées, mentionne des critiques formulées lors de l’évaluation du programme et permettent de comprendre les limites des modalités du programme REXCOOP453. Ces critiques portent principalement sur le décalage entre des schèmes cognitifs adaptés à l’économie économique mais appliqués à l’économie symbolique de certains pays. Ce décalage passe par le langage, par la posture, par les finalités du programme et est porteur d’une distinction consacrant les pays occidentaux.

Concernant le langage, l’usage de certains termes suscite une réflexion pour l’avenir de la coopération. Par exemple, le « développement » sous-entend « la définition d’une unité de mesure, la proposition d’un modèle de référence, le nôtre ». Qualifier un habitat de « formel » ou d’ « informel »

participe à sanctionner et sanctifier certains types d’habitat, à les promouvoir ou les rejeter. La posture des pays occidentaux dans la coopération est également critiquée pour son paternalisme, décrite comme relation « de maîtres à disciples », de « donneurs de leçons », d’une « conception erronée que

notre corps de connaissances a une valeur universelle et que notre devoir est d’en faire profiter les

451 REXCOOP, Bilan synthétique du Programme REXCOOP, Ministère de l'Equipement, du Logement, des Transports et de la Mer, 1988, 45 p.

452 BIAU Daniel, « Quelques repères pour situer REXCOOP », in REXCOOP, Bilan synthétique du Programme

REXCOOP. Ministère de l'Equipement, du Logement, des Transports et de la Mer, 1987 p. 34

453 BERNARD Paul, « Quelle amélioration des connaissances ? », in REXCOOP, Bilan synthétique du Programme

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autres, sans chercher véritablement à nous informer de leur propre patrimoine. » ou de « s’efforcer de regarder les réalités à travers la vision des partenaires locaux ». Cette perspective vise à remettre en

cause le transfert de savoir et de savoir-faire.

Enfin, les critiques concernent également la définition des finalités du programme. Il est constaté que la construction de l’habitat « informel » constitue la norme dans certains pays du monde. Les modalités de construction étant subordonnées à la nature et au volume des matériaux pouvant être acquis à bas prix454 ou gratuitement, la monétarisation des échanges économiques, postulée dans l’économique économique, n’est pas un rapport social dominant de l’économie symbolique. Ainsi, il est noté qu’il « faut certainement se munir d’une logique différente pour travailler dans cet univers, où

la force de production est attachée non pas à un appareil classique avec maîtres d’ouvrages, ingénierie et entrepreneurs, mais à l’initiative des individus, aux mécanismes de l’auto-promotion (terme que préfère [René] de Maximy à celui d’autoconstruction, plus restrictif), dans une hiérarchie inversée où la technologie cède le pas à l’utilisation imaginative de tous les matériaux disponibles. […] Comment espérer qu’une économie de marché pourra s’établir dans ce secteur si on persiste à offrir des matériaux qui, même très économiques, apparaîtront encore hors de prix par rapport à ceux qui ne coûtent rien, sauf les heures de travail consacrées à leur transformation ? […] On conçoit en tout cas que, face à ces

questions vitales, celles de techniques et de procédés viennent en dernier lieu. »455 Enfin, il évoque l’européanisation à laquelle il conviendrait de « réfléchir dès maintenant et imaginer des synergies

plutôt que de souffrir d’une concurrence trop directe après 1992. »456La structuration d’un espace social européen impliquent de réviser les stratégies de chacun des champs du pouvoir nationaux pour s’ajuster aux exigences et dont l’ajustement est variable selon l’espace des possibles qui incombe à chacun des champs du pouvoir.

Au Plan Construction, le départ en 1986 du secrétaire permanent, Jean-Paul Alduy, avait déjà amorcé un changement d’orientation du Plan Construction et le conseiller scientifique, Michel Chatry, se consacrait davantage à des enseignements dispensés à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Philippe Michel raconte : « On sentait un flottement, des incertitudes, d'éventuels accords européens

étaient envisagés pour coaliser des acteurs de différentes nationalités autour d’axes de recherche partagés, etc. Intéressant, mais ça traînait sans vraiment déboucher sur du concret qui aurait renouvelé les ambitions et les motivations. Bref, une phase d’un certain délitement, du moins c’était mon ressenti, assez partagé autour de moi d’ailleurs. »

En 1984, le départ de Michel Prunier et l’arrivée de Michel Gerodolle à la direction de l’ENTPE ont, selon Philippe Michel, « cassé toute dynamique « tiers-mondiste ». [Michel Gerodolle] s'intéressait

au matériau et comprenait que le labo investisse là-dessus, pas aux techniques constructives et aux pratiques vernaculaires, en France ou ailleurs ; il voulait que le labo fasse de l’éprouvette, fasse du calcul, élabore des modèles, et point à la ligne. Sa stratégie n’était pas compatible avec la mienne et visait un gros pôle matériau avec l’INSA de Lyon ». Il estimait que son travail « n’était plus une priorité »

et devenait « un atypisme un peu gênant aux entournures. […] Je m’étais donc donné comme objectif

454Sur ce point, il peut être mentionné l’intérêt des pays en développement pour le béton de ciment. Voir : WILHITE Harold, Consumption and the transformation of everyday life. View from South India, New York, Palgrave Macmillan, 2008, pp. 113-121.

455 BERNARD Paul, « Quelle amélioration des connaissances ? », in REXCOOP, Bilan synthétique du Programme

REXCOOP, op. cit., pp. 12-15. 456 Ibid, p. 17.

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d’achever les engagements pris, sans plus, ajoute-t-il. » Ce changement, à la fois institutionnel et

scientifique, peut en partie s’expliquer par la stratégie entreprise au milieu des années 1980 par les grandes écoles de s’internationaliser pour apprécier leur position dans le champ national de l’enseignement et de la recherche457. Cette internationalisation implique notamment de s’aligner sur le principe de vision dominant du champ ou par rapprochement avec les logiques scientifiques des autres institutions (comme l’INSA de Lyon par exemple).

A la fin de l’année 1988, bien qu’estimant avoir construit « une certaine image, une certaine

notoriété aussi, et un bon réseau relationnel chez les décideurs, plutôt côté X-Ponts ou politique il est vrai, que dans [son] propre corps d’origine », Philippe Michel a préféré quitter son poste au Plan

Construction et à l’ENTPE. Ce désengagement peut d’abord s’expliquer institutionnellement. Les deux affectations étaient liées par accord entre les deux structures. « Ce genre d’équilibre tient tant que les hommes qui les ont élaborés et promus sont en poste. Après, leurs successeurs peuvent voir les choses différemment. » Les agents de l’ENTPE et du Plan Construction, respectivement Michel Prunier et Jean-Paul Alduy (ou son prédécesseur, Alain Maugard), qui avaient pu définir le poste occupé par Philippe Michel, n’étaient plus à la direction de chacune des institutions, les agents ayant pris leur succession rendaient vraisemblablement incertaine la possibilité pour Philippe Michel de maintenir la position occupée puisque leur successeur pouvait redéfinir son poste. De plus, Avec la décentralisation et la déconcentration, le champ bureaucratique pouvait inviter les agents à intégrer les collectivités territoriales ou des services déconcentrés (comme les directions départementales de l’équipement). Un agent de la Direction du Personnel du Ministère de l’Equipement fit savoir à Philippe Michel que « 6 ans d’administration centrale, ça suffisait » et que pour la gestion de sa carrière, il serait judicieux

de « passer à un poste de terrain. […] On m’a proposé des postes liés à des aménagements de

circulations automobiles par exemple, puisque j’avais suivi l’option « Transports » à l’Ecole… Je suppose que personne n’en voulait. »

Ensuite, tout en étant lié à la modification institutionnelle, ce désengagement peut aussi s’expliquer par le sens pratique de l’agent. En tant que connaissance pratique de sa position dans l’espace social, Philippe Michel a incorporé la nécessité du principe de vision qui s’imposait au sein du champ du pouvoir. Cette incorporation manifestée par un sens des limites a suscité un décalage entre les espérances subjectives et les chances objectives, rapport qui détermine l’illusio, l’intérêt de persévérer dans un espace social. La perspective d’un déclassement, un rapport de disconvenance entre les schèmes de perception et d’appréciation et la structure sociale, une dépréciation de l’intérêt à s’investir, l’incertitude croissante d’une potentielle actualisation des dispositions et des capitaux, tout concourait à ce que la connaissance pratique de la place occupée soit en dernière analyse l’incorporation d’une soumission à un verdict. Celle-ci peut prendre la forme de l’émotion, témoignant d’un constat de résignation. Philippe Michel explique : « Tenter de rester […] me semblait humiliant et

j’estimais que si mes petits mérites n’avaient pas convaincu au bout de 6 ans, ni chez l’un, ni chez l’autre, alors autant aller voir ailleurs, changer radicalement de vie et m’étalonner à l’aune d’autres critères. J’en avais encore l’âge, la possibilité et la disponibilité. […] Ce que j’ai compris, c’est que je n’intéressais plus personne, ni l’ENTPE, ni le Plan Construction, donc j’ai regardé les offres qui m’étaient faites, j’ai même fait des déplacements, je suis allé voir deux postes ou trois. C’était, pour moi en tout cas, sans aucun mépris, c’était déprimant. Donc après, j’ai fait le choix de rompre les ponts. Il fallait

457 LAZUECH Gilles, « Le processus d'internationalisation des grandes écoles françaises » in Actes de la recherche

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bien reconstruire aussi un avenir personnel, ce qui prend un certain temps. […] On ne se fait pas créateur

d’entreprise en claquant des doigts. C’est toute une construction, des étapes par lesquelles il faut passer. » Le sens du déplacement vise ici à rendre possible un rapport de convenance avec l’espace social en s’y désengageant pour se positionner dans un autre champ, impliquant ainsi des concessions pour sa conversion.

Parmi les concessions effectuées, celle de quitter la fonction publique pour le privé, avec tout ce que cela implique en termes de carrière, mais aussi celle de quitter la France pour s’installer au Maroc pour y vivre. En ce sens, « changer radicalement de vie » est à prendre au pied de la lettre. Son désir de s’installer au Maroc s’effectue par la contrainte de ses conditions d’existence. « J’avais plus

de copains au Maroc qu’ailleurs, si vous voulez. C’est tout. Je suis un affectif. Un méditerranéen. Je vais là où la chaleur est la plus dense, je dirais. La chaleur humaine aussi. Je suis allé vers des trucs qui me branchaient parce que j’avais des amis, j’avais… Les conditions de la Tunisie étaient meilleures à l’époque pour créer son entreprise. Mais bon voilà, je suis allé au Maroc, parce que moi, le Maroc, c'était plus profond, culturellement aussi. La culture a toujours été quelque chose de très important pour moi. J’étais attiré par la profondeur historique et culturelle. Donc c’est plutôt ça qui m’attirait vers le Maroc. Bon, après, les opportunités… De toute façon, vous prenez le risque maximum, vous coupez les ponts et vous brûlez vos vaisseaux […] bah j’ai fait ça aussi, c’est-à-dire que j’étais condamné à…

sauf à appeler Papa-Maman… Il fallait que ça marche. » Le capital accumulé lui permit de démarrer à

Marrakech une activité dans le domaine de la construction. Par exemple, il monta une opération expérimentale, semblable à celle de l’Isle d’Abeau, de trois programmes immobiliers pour valoriser à nouveau la construction en terre crue dans la région avant de développer une activité dans la communication à Casablanca.

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