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Roberto Schwarz s’est affirmé depuis comme une des figures majeures de la critique brésilienne, connue notamment pour ses études sur l’œuvre de Machado de Assis. Quand il publie ce texte, en 1970, il s’était déjà distingué notamment par A sereia e o desconfiado, un recueil d’essais déjà signalé et paru en 1965. Exilé à Paris depuis le début de l’année 1969, alors qu’il enseignait la théorie de la littérature à l’Université de São Paulo, il se consacre à la rédaction de sa thèse de doctorat soutenue à Paris III. C’est à cette période qu’il fait paraître son essai, dans une version française rédigée en 1969-1970, « Remarques sur la culture et la politique au Brésil, 1964-1969 », accueillie par Les Temps modernes244. Quand il le republie à São Paulo, aux éditions Paz e Terra245, l’auteur le fait précéder d’une note datée de 1978, l’année de son retour au pays : il y prend, sans les expliciter, quelques distances avec les constats et opinions émis huit ans plus tôt. Mais entre temps, sans quitter Paris, en fait sur

242 Ibid., p. 228.

243 Ibid., p. 227.

244 In : Les Temps modernes, n° 288, Paris, 1970.

245 La maison d’éditions Paz e Terra, à laquelle nous avons déjà vu le nom du père d’Ana Cristina Cesar associé, a été fondée en 1965 par Ênio Silveira, alors également directeur de la maison d’édition Civilização Brasileira. L’une comme l’autre constituèrent des foyers de résistance à l’étouffement de la vie intellectuelle. « Paz e Terra », dont le nom fait référence à l’encyclique Pacem in Terris, se caractérisa par un œucuménisme démocratique et fédéra un ample spectre allant du catholicisme progressiste aux communistes : Fernando Gasparian, Alceu Amoroso Lima (alias Tristão de Athayde), l’économiste Celso Furtado, le dramaturge Dias Gomes, le journaliste et romancier Érico Veríssimo, le sociologue Fernando Henrique Cardoso (qui allait présider le destin du Brésil de 1990 à 2000)… Elle publia notamment la remarquable revue Argumento, dont la parution fut interrompue par la censure au cinquième numéro.

une initiative de Cacaso, il a mis un pied dans l’histoire de la « poésie marginale » en signant un recueil de poèmes, Corações veteranos, paru en 1974 sous le sceau de la collection « Frenesi ». Or celle-ci constituait, nous l’avons vu, une sorte de famille soudée par son maître-d’œuvre, Cacaso, grand agitateur de cette nébuleuse marginale. Et ce poète aux interventions critiques et théoriques avait, en 1972, emboîté le pas à l’analyse de Roberto Schwarz, la retranscrivant avec quelques imperceptibles nuances pour la revue des éditions Vozes, une maison d’origine franciscaine246.

Sans doute faut-il ne pas trop appuyer le trait des divisions. Mais force aussi est de constater que les éléments de cette discussion allaient perdurer longtemps. Jusqu’à se déplacer et resurgir quinze ans plus tard dans la polémique autour du poème « Póstudo » d’Augusto de Campos, opposant cette fois directement Roberto Schwarz à Augusto de Campos247

. Indice de la prégnance du débat et de la réalité des pôles en présence. Le critique s’y élevait une nouvelle fois contre la conversion pop de la culture, le « prêt-à-consommer ». Et ses mises au point les plus récentes, de nouveau sur le tropicalisme, n’indiquent guère l’apaisement ou la révision des points de vue. Voici, par exemple, ce que Roberto Schwarz répondait dernièrement aux journalistes de Folha de S. Paulo qui l’interrogeaient sur la formule « snobisme de masse248 » qu’il appliquait au mouvement en 1970 :

246 Antônio Carlos de Brito, « Tropicalismo : sua estética, sua história », in Revista de cultura Vozes, Petrópolis, année 66, vol. LXVI, novembre 1972, in : Não quero prosa, op. cit., pp. 139-152). Le texte conforte notre lecture de 1972 comme année charnière : heure du bilan tropicaliste (« Le tropicalisme, en tant que mouvement, est entré dans sa phase de déclin. », ibid., p. 151) dans l’attente d’un autre courant.

247 Cf. Folha de S. Paulo, 27 janvier 1985 (le poème d’Augusto de Campos), 31 mars 1985 (le commentaire de Roberto Schwarz) et 7 avril 1985 (la réplique d’Augusto de Campos). On retrouvera les deux premières pièces du dossier dans : Roberto Schwarz, Que horas são ?, São Paulo : Companhia das letras, 1989, pp. 57-66.

248 La formule se trouve p. 76 de son essai. Elle vient après des allusions à un certain « opportunisme » et la quête d’une « intégration » dans le système (p. 75), ou l’idée selon

Je n’ai rien contre le snobisme, encore moins contre le snobisme de masse, qui sont des formes d’insatisfaction et d’actualisation. Je n’ai pas davantage condamné l’allégorie tropicaliste du Brésil absurde. Au contraire, j’ai cherché à montrer son fondement historique et sa réussite artistique. Volontairement ou non, elle fixait et montrait l’expérience de la contre-révolution victorieuse, ou de la modernisation conservatrice, qui au lieu de dissoudre le fond archaïque du pays le réitérait en des formes ultra-modernes. Les allégories de l’absurde-Brésil, avec son puits d’ambiguïtés, son va-et-vient entre la critique, le commercialisme et l’adhésion, sont la trouvaille et la contribution du mouvement. Il n’empêche, en esthétique, et pas seulement en esthétique, les réussites ont leur prix, qui est partie prenante du problème. C’est là le champ exploré par la critique dialectique, qui cherche à extraire quelque vérité de l’enchevêtrement artistique. […]

Verdade tropical249 est une œuvre peu commune, qui va rester. Sa qualité est faite, parmi divers mérites, de ses faiblesses. Qui n’a pas d’yeux pour le voir passera à côté de ce qui dérange et du haut degré de contradiction du livre. En cela réside sa principale force, son énergie historique, davantage que ses mérites littéraires évidents. Quelque chose de semblable vaut pour le Tropicalisme lui-même250.

laquelle ces compositions sont « de construction simple, faciles à reconnaître ou à produire. Il s’agit d’un truc de langage […] à la portée de beaucoup. » (« […] é de construção simples, fácil de reconhecer ou produzir. Trata-se de um truque de linguagem […] ao alcance de muitos. », ibid., p. 76).

249 Mélange d’essais et de mémoires, le livre de Caetano Veloso constitue aussi une sorte de récit subjectif et de plaidoyer en faveur de ce que fut le tropicalisme. Il en existe une traduction française : Caetano Veloso, Rock tropical et révolution, trad. Yves Coleman et Violante do Canto, Paris : Le Serpent à Plumes, 2003.

250 « Não tenho nada contra o esnobismo, muito menos contra o esnobismo de massa, que são formas de insatisfação e de atualização. Também não censurei a alegoria tropicalista do Brasil absurdo. Pelo contrário, procurei mostrar o seu fundamento histórico e seu acerto artístico. Deliberadamente ou não, ela fixava e fazia considerar a experiência da contra-revolução vitoriosa, ou da modernização conservadora, que em vez de dissolver o fundo arcaico do país o reiterava em meio a formas ultramodernas. As alegorias do absurdo-Brasil, com seu poço de ambigüidades, com seu vaivém entre a crítica, o comercialismo e a adesão, são o achado e a contribuição do movimento. Ainda assim, em estética, e não só nela, os acertos têm seu custo, que é parte do problema. É este o campo explorado pela análise dialética, que procura desentranhar alguma verdade do emaranhado artístico. […]/Verdade tropical é uma obra incomum, que vai ficar. A sua qualidade é feita, entre vários méritos, de suas fraquezas. Quem não tenha olho para estas passará batido pelo incômodo e pelo alto grau de contradição do livro. São eles a sua principal força, a sua energia histórica, maior do que os seus méritos literários óbvios. Algo semelhante vale para o próprio Tropicalismo. », entretien de Marcos Augusto Gonçalves et Rafael Cariello avec Roberto Schwarz, Folha de S. Paulo, São Paulo, 11 août 2007, p. E 9.

Un art empoissonné de lever les « malentendus »… Mais revenons à cette croisée des chemins, où s’interrompt le tropicalisme et où commence la poésie marginale. Transformation ? Continuité ? Rupture ? Les acteurs, nous l’avons vu, peineront à s’accorder sur une réponse.