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Cannibalisme et créationnisme

Sur l’axe généalogique, ils recyclent les manifestes d’Oswald de Andrade. A toutefois disparu, et ce n’est pas qu’une nuance, la forte charge corrosive, l’humour que leur prédécesseur mettait dans ses interventions. L’idée

Moderne de la Ville de Paris-Association française d’action artistique, 1987, p. 425.

102 « Se Guerreiro Ramos pôde até mesmo dar um exemplo de “redução tecnológica” na indústria automobilística (caminhões) brasileira, “em que se registra a compreensão e o domínio do processo de elaboração de um objeto, que permitem uma utilização ativa e criadora da experiência técnica estrangeira”, nós, que não vemos o poema em sua materialidade com nenhum tipo de liturgia extra-humana, poderemos dizer — por mais que o paralelismo caminhões-poemas melindre a sensibilidade dos licornes de um romantismo poético de tipo idealista (tantas vezes ocultos sob a capa do realismo mais terra-a-terra) — que a poesia concreta oferece o exemplo de uma “redução estética”, em que o pensamento poético de determinados autores estrangeiros (Mallarmé, Apollinaire, Joyce, Cummings, Pound), nunca antes relacionados num mesmo contexto e para propósitos definidos, foi posto criticamente em função das necessidades criativas de uma poesia brasileira, já pressentidas por alguns de seus mais inventivos precursores (Oswald, Cabral), apresentando características próprias e inconfundíveis de formulação no grupo brasileiro, ainda face à evolução paralela e até certo ponto comum de um Eugen Gomringer, e adquirindo assim aquela criadora validade não só em âmbito nacional, mas como produto brasileiro de exportação no campo das idéias. », Haroldo de Campos, « Contexto de uma vanguarda » [Contexte d’une avant-garde], in : Teoria da poesia concreta, op. cit., p. 154. Ce texte, dont une note annonce qu’il fut écrit en juillet 1960, n’a été publié qu’en 1963 (Jornal de Letras [Journal de lettres], Rio de Janeiro, février-mars 1963), certains éléments nourrisant aussi l’article d’Haroldo de Campos « A poesia concreta e a realidade nacional » [La poésie concrète et la réalité nationale], in Tendência, Belo Horizonte, n° 4, 1962.

103 « […] àquela ideologia artística que se dispõe a promover e exportar, não produtos acabados, mas matéria-prima, a matéria-prima do primitivismo nacional », Augusto de Campos, « Boa

de la poésie « Bois brésil », empruntée au texte de 1924, légitime un programme de « production » du poème, « objet en soi et pour lui-même ». L’« Anthropophagie » de 1928 justifie, quant à elle, toutes les transpositions et réappropriations possibles. Mais cette ouverture cosmopolite professée, qui se manifeste concrètement par un travail systématique d’exhumations et de traductions de certaines œuvres clés de leur paideuma, est en fait animée d’une fibre nationaliste visant à faire de leur Brésil le cœur des révolutions esthétiques passées, présentes et à venir.

Dans cette logique, Haroldo de Campos soutient que la littérature brésilienne n’a jamais connu « d’enfance (in-fans, qui ne parle pas). Elle n’a pas eu d’origine “simple”. Elle n’a jamais été in-forme. Elle est “née” adulte, formée, sur le plan des valeurs esthétiques, parlant le code le plus élaboré de son époque104

. » Aux antipodes de l’idée de « formation » d’un art national qui doit s’émanciper progressivement, dans la douleur, de ses modèles exogènes, thèse qu’avait développée Antonio Candido dans A formação da literatura brasileira105

[La Formation de la littérature brésilienne], les théoriciens et poètes concrets cherchent au contraire à démontrer, au fil de leurs monographies et interventions, que la littérature brésilienne a finalement tout pratiqué, si ce n’est tout inventé, comme Monsieur Jourdain la prose, intuitivement, spontanément et sans le savoir. Pour Augusto de Campos, le poète Joaquim de Sousândrade (1833-1902), méconnu par son siècle, avait déjà écrit un grand chant contre

palavra sobre a música popular », , in : Augusto de Campos, Balanço da bossa e outras bossas, São Paulo : Perspectiva, 1968 (1ère éd.), 1986 (2ème éd.), p. 61.

104 « Nossa literatura […] não teve infância (in-fans, o que não fala). Não teve origem “simples”. Nunca foi in-forme. Já “nasceu” adulta, formada, no plano dos valores estéticos, falando o código mais elaborado da época. », Haroldo de Campos, O Sequestro do baroco na formação da literatura brasileira : o caso Gregório de Mattos, Salvador : Fundação Casa de Jorge Amado, 1989, p. 64.

l’Usure, O Inferno de Wall Street [L’Enfer de Wall Street106], plusieurs décennies avant les Cantos :

Que Sousândrade se soit révélé, sous plusieurs aspects, un précurseur de Pound lui-même, ne doit étonner personne : il s’agit d’un hasard possible et décelable dans le domaine de la littérature comparée à travers la méthode de recherche archéologico-prospective que Pound recueillit comme modèle pour sa critique idéogrammique […]107.

De son côté, sous un titre transparent quant à ses intentions, Morfologia de Macunaíma108, le « Morphologie » détournant la somme de Vladimir Propp sur le conte, Haroldo de Campos laisse entendre que Mário de Andrade avait, dans son roman paru en 1928, compris les principes exposés par le théoricien russe, sans même avoir eu besoin d’en avoir connaissance. La quintessence du propos se retrouve dans la préface qu’Haroldo de Campos donne à la première édition française de Macounaïma ou le héros sans aucun caractère :

Apportant la preuve d’une semblable “imagination structurale” [celle dont fait preuve Vladimir Propp], le Macounaïma de Mario de Andrade, publié la même année 1928, fait en quelque sorte le parcours inverse. Il ne s’achemine pas vers l’analyse du “corpus” fabuleux qui conduirait à l’identification d’une infrastructure ou protofable. Comme il s’agit d’une œuvre d’art et non d’une enquête scientifique sur le folklore, il va vers la constitution d’une archifable “omnibus”. Mario de Andrade a réussi intuitivement à distinguer ce qu’il y avait d’invariant dans la structure du conte folklorique pour justement, à des fins artistiques, pouvoir jouer de façon créative avec les éléments variables sur le schéma de base […]. Mario de Andrade a su tirer le meilleur parti romanesque de cette “loi de transférabilité” que Propp la même année 1928 avait réussi à postuler (sans que le folkloriste de Leningrad et le poète rhapsode de la “Paulicée déboussolée” aient jamais eu le moindre contact ou même la moindre

106 Le long poème ne constitue en fait qu’une partie de O Guesa errante, treize chants dont la parution s’échelonne de 1866 à 1884, à São Luís, New York et Londres, selon les résidences du poète.

nouvelle l’un de l’autre)109.

Se dégage finalement de ces théories la notion d’un temps antilinéaire (à l’instar de ce qui advient sur le plan du langage), discontinu, procédant par bonds, par rencontres et coïncidences magiques. Mais cette conception va curieusement de pair avec une forme de créationnisme, c’est-à-dire une façon de créer ex nihilo, relevant elle d’un insécable espace-temps, créationnisme bien illustré par un titre comme la somme poétique de Haroldo de Campos, Galáxias110 [Galaxies]. Au fil des cinquante textes composés et mûris sur une période de treize années, jusqu’à leur publication intégrale en 1984, s’y déploie un ambitieux parcours « épico-épiphanique ». Le vers, qui veut s’inscrire dans une veine « baroque » — en réalité plus volontiers néobaroque, dans l’esprit de Lezama Lima ou de Severo Sarduy —, y est volontiers kaléidoscopique, dans la mesure où chaque partie du monde s’y emboîte et s’y rejoint.

4. Conste llation s : le néo concrétisme

Il y avait là assurément une façon d’écrire l’histoire contre l’histoire dont ne pouvaient se contenter ceux qui se valaient de phénoménologie et d’une philosophie moderne du temps. De plus, s’ils suscitent intérêts et adhésions à la faveur du renouvellement des références et de l’audace péremptoire dont ils font preuve, le ton définitif des manifestes, en phase avec une pratique

108 Haroldo de Campos, Morfologia de Macunaíma, São Paulo, Perspectiva, 1973.

109 Mário de Andrade, Macounaïma, trad. Jacques Thiériot, Paris : Flammarion, 1979, pp. 15-16.

110 Cf. sa version française : Haroldo de Campos, Galaxies, trad. Inês Oseki-Dépré & Haroldo de Campos, La Souterraine : La Main Courante, 1998.

concrétiste polémique et arrogante, en irrite plus d’un. C’est que la radicalité du discours n’exclut pas d’opportunes stratégies d’exclusions et d’alliances.

Une première scission avec quelques cariocas intervient dès 1957, débouchant deux ans plus tard sur la création du mouvement néoconcret. Par la suite, le rapprochement avec les écrivains du Minas Gerais réunis autour de la revue Tendência, entre 1961 et 1963, ne va pas sans provoquer de sérieuses dissensions à Belo Horizonte, après l’excommunication des dissidents Mário Chamie et Cassiano Ricardo qui fondent au cours de cette même période une nouvelle avant-garde identifiée à la revue Poesia-Práxis. En 1967, une nouvelle radicalité tente de se faire une place au soleil, à coups d’actions spectaculaires et de déclarations fracassantes : le groupe Poema Processo [Poème processus], conduit par Wlademir Dias Pino. Mais entre-temps, depuis 1965, le trio des Campos-Pignatari a amorcé un nouveau virage vers le pop art et ses dérivés, qui aboutit en deux ans à sceller un pacte tacite avec les tropicalistes bahianais111

Avant d’aller plus loin dans cette aventure qui fournit l’arrière-plan de l’enfance et de l’adolescence d’Ana Cristina Cesar, et sans chercher à retracer le panorama complet de ces ultimes avant-gardes, nous nous concentrerons essentiellement sur le premier de ces épisodes, dont les points de clivage vont constituer l’un des fonds de référence immédiat de la « poésie marginale » des années soixante-dix.

111 Cf. sur ce point, entre autres, Silviano Santiago, « Paulistas e mineiros », in : Vale quanto pesa (Ensaios sobre questões culturais) [Le poids des choses (Essais sur les questions politico-culturelles)], Rio de Janeiro : Paz e Terra, 1982, p. 191.