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La querelle alla aussi se nicher dans d’autres détails, qui ont à voir avec l’historiographie littéraire. Chacun se mit à revendiquer l’héritage oswaldien, en en retenant tout ce qui était susceptible d’indiquer une continuité entre son œuvre personnelle et la nature ou les écrits du moderniste : qui le caractère programmatique, qui l’engagement communiste. Chacun se prévalant après coup de liens personnels avec l’aîné. Ainsi Ferreira Gullar déclarait-il le 9 septembre 1985, lors d’un débat organisé par le Collège Freudien de Rio de Janeiro : « J’ai été l’ami d’Oswald de Andrade. Je ne le crie pas sur tous les toits, mais je peux dire qu’en 1953, quand j’ai fêté mes 23 ans [Ferreira Gullar est né le 10 septembre 1930], j’ai reçu comme cadeau, dans un petit appartement où j’habitai, à Glória [quartier de Rio de Janeiro], la visite d’Oswald de Andrade121. » L’écrivain moderniste, introduit par un ami commun, Oliveira Bastos, avait eu connaissance du recueil A luta corporal dans une version encore inédite et venait de la sorte « saluer le jeune poète » : « Alors est née une courte amitié, car il allait mourir en 1954122. »

La version qu’Augusto de Campos fournit en 1978, dans un texte dont il dit qu’il fut écrit en 1966, est autre. Il cite un article de presse d’Oswald de Andrade, daté du 28 août 1953 et rédigé après une visite que lui auraient rendue quelques jours auparavant les futurs concrétistes (Augusto de Campos et Décio Pignatari) : « Il y a une génération de tout nouveaux au Brésil […]. Oliveira Bastos s’annonce comme critique. Un critique enfin ! Il y a le poète

121 « Eu fui amigo de Oswald de Andrade. Não faço alarde disso, mas posso dizer que, em 1953, ao completar 23 anos, recebi como presente, num pequeno apartamento onde morava,ali na Glória, a visita de Oswald de Andrade. », Ferreira Gullar, « O que é o Brasil ? » [Qu’est-ce que le Brésil ?], in Ferreira Gullar, Indagações de hoje [Questionnements d’aujourd’hui], Rio de Janeiro : José Olympio, 1989, p. 118.

Carlos de Oliveira qui me parle de Luci Teixeira et du poète Goulart [en fait Ferreira Gullar]. Et Flávio de Aquino. Il y a ici même à São Paulo des jeunes qui expérimentent : Décio Pignatari, Augusto et Haroldo de Campos, Ruy Nogueira, Paulo Cesar da Silva et d’autres123. » Affirmations à nouveau incompatibles avec celles de Gullar, en 1985 :

FERREIRA GULLAR — […] Au cours du passage de 53 à 54, j’étais chez lui [Oswald de Andrade] à São Paulo. Les frères Campos, qui habitaient à São Paulo, ne connaissaient pas Oswald de Andrade.

ANTONIO SERGIO MENDONÇA — Ils l’ont connu par l’intermédiaire d’Oliveira Bastos.

FERREIRA GULLAR — L’œuvre d’Oswald, ils l’ont connu grâce à moi. Je raconte les choses comme elles se sont passées. Pendant le carnaval de 1955, Augusto de Campos prend contact avec moi […]. Il a cité Mário de Andrade. Je lui ai dit qu’il manquait le plus important qui était Oswald de Andrade. « Non, Oswald de Andrade était un anarchiste », m’a dit Augusto de Campos, à Spaghettilândia, tandis que le carnaval s’était attablé dans les parages de Cinelândia. Alors je lui ai dit : « Qu’il soit anarchiste ou non, peu m’importe. Ce que je sais, c’est que dans les recherches pour un nouveau langage, je crois qu’Oswald est celui qui nous intéresse, en tout cas pour moi. Je crois que tu ferais bien d’aller lire Oswald de Andrade, Serafim Ponte Grande [roman expérimental de 1933],

Pau Brasil124. »

122 « Aí nasceu uma curta amizade, pois ele morreria em 1954. », ibid., pp. 118-119.

123 « Há uma geração de novíssimos no Brasil […]. Oliveira Bastos anuncia-se um crítico. Um crítico enfim ! Há o poeta Carlos de Oliveira que me fala de Luci Teixeira e no poeta Goulart. E Flávio de Aquino. Há aqui mesmo em São Paulo, meninos que pesquisam — Décio Pignatari, Augusto e Haroldo de Campos, Ruy Nogueira, Paulo Cesar da Silva e outros. », Oswaldo de Andrade, dans sa rubrique « Telefonema » [Coup de fil], in Correio da Manhã, São Paulo, 28 août 1953, cité par Augusto de Campos, « Poesia concreta : memória e desmemória », [Poésie concrète : mémoire et démémoire], in : Augusto de Campos, Poesia antipoesia antropofagia [Poésie antipoésie anthropophagie], São Paulo : Cortez & Moraes, 1978, pp. 55-69.

124 « FERREIRA GULLAR — […] Na passagem do ano, de 53 para 54, eu estava na casa dele em São Paulo. Os irmãos Campos, que moravam em São Paulo, não conheciam Oswald de Andrade. ANTÔNIO SÉRGIO MENDONÇA — Conheceram através do Oliveira Bastos.FERREIRA GULLAR — A obra de Oswald eles conheceram através de mim. Estou contando a história como foi. No carnaval de 1955, o Augusto de Campos me procura […]. Citou Mário de Andrade. Falei que estava faltando o mais importante que era Oswald de Andrade. “Não, o Oswald de Andrade era um anarquista”, me disse Augusto de Campos, na Spaghettilândia, enquanto o carnaval

Ces clivages secondaires, qu’il ne nous appartient ni ne nous importe de trancher, montrent en tout cas combien est privilégié l’auteur polymorphe du modernisme de São Paulo, sur tout autre, y compris Mário de Andrade. La querelle en relaie d’autres encore, comme la traditionnelle rivalité entre l’« hédoniste » Rio de Janeiro, ancienne capitale impériale en phase de destitution, et la « laborieuse » São Paulo, fer de lance économique et cœur industriel de la nation. De cette concurrence découlent bien des nuances dans le rapport à la notion de modernité, auxquelles se surajoutent des différences en matière de cultures littéraires. Tandis que les concrétistes usent et abusent de leurs lectures de Joyce, Cummings, et surtout Pound125, non sans un certain terrorisme intellectuel, Ferreira Gullar avoue la prédominance d’une culture française dans sa formation :

Augusto [de Campos] m’a dit : “Nous ne nous comprenons pas parce que ta formation est plus française, et la nôtre est davantage de littérature anglaise”. Et comment a surgi Mallarmé dans cette histoire ? […] je pensais que le problème fondamental portait sur la syntaxe et non la graphie des mots. Et je citais, alors, Un Coup de dés, de Mallarmé, pour étayer ma thèse. Alors ils ont couru lire Un coup de dés qui s’est mis à faire partie de leur liste de précurseurs. Mais je lisais Mallarmé depuis plusieurs années, parce que ma formation est de fait de littérature française126.

Les disputes de fond se ramifient parfois dans des vétilles, comme cette revendication de l’antériorité de la lecture de Mallarmé, révélatrice néanmoins

comia em volta ali na Cinelândia. Aí eu disse : “Se ele era anarquista ou não, isso pouco me importa. O que sei é que dentro da pesquisa de uma linguagem nova, acho que Oswald é o que nos interessa, pelo menos a mim. Acho bom você procurar ler Oswald de Andrade, Serafim Ponte Grande, Pau Brasil.” », in Ferreira Gullar, Indagações de hoje, op. cit., p. 119.

125 Voir plus loin.

126 « O Augusto me disse : “Nós não nos entendemos porque a tua formação é mais francesa, e a nossa é mais de literatura inglesa”. E como surgiu Mallarmé nessa história ? […] acreditava que o problema fundamental era da sintaxe e não da grafia das palavras. E citava, então, Un coup de dés, de Mallarmé, para fundamentar a minha tese. Aí eles foram correndo ler Un coup de dés que passou a integrar a sua lista de precursores. Mas eu já lia Mallarmé há muitos anos, porque a

des références vers lesquelles chacun va spontanément ou qu’il s’autorise. Tout cet ensemble de dissensions définit, au bout du compte, deux conceptions apparemment irréconciliables de l’œuvre artistique, qui allaient à nouveau s’affronter, sous d’autres formes, après le putsch des généraux.

5. L a comète trop icaliste