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dénoncèrent là une attitude « subjective et intuitive118 ». Sous-tendue par une compréhension néoconcrète du temps plus héraclitéenne qu’éléate, la ligne de démarcation entre les deux courants devait bientôt également dériver vers le champ politique.

Du sujet phénoménologique à l’artiste citoyen

Le début des années soixante fut marqué au Brésil, aujourd’hui encore un des pays les plus inégalitaires au monde, par la montée en puissance des mouvements sociaux. Sous la présidence de João Goulart, qui remplace le démissionnaire Jânio Quadros en 1961, la gauche exerce une pression croissante en faveur de la revalorisation d’un pouvoir d’achat rongé par l’inflation et de la redistribution des richesses, dont l’une des pierres de touche devait être la

116 « Foi sem dúvida em torno da linguagem (visual e literária) que se estabeleceram os pontos centrais da polêmica concretismo-neoconcretismo. […] Passou-se da semiótica saxônica (Peirce) e da teoria da informação (Norbert Wiener) para uma filosofia mais especulativa […].

» Há no concretismo uma crítica semelhante ao pensamento mecanicista em arte e mesmo uma preocupação com os procedimentos “abertos” da ciência contemporânea (vejam-se as especulações em torno das geometrias não euclidianas e, mais precisamente, a atração que a cinta de Mœbius exercia sobre Lygia Clark e Lygia Pape, por exemplo). […]

» Com Merleau-Ponty, para Gullar o principal teórico de suas manobras anticoncretas, vinha não apenas a fenomenologia, mas até um certo existencialismo. Enquanto a episteme concreta incluía o homem sobretudo como agente social e econômico, apesar da propalada autonomia da cultura, o neoconcretismo repunha a colocação do homem como ser no mundo e pretendia pensar a arte nesse contexto : tratava-se de pensá-lo enquanto totalidade. Era o retorno das intenções expressivas ao centro do trabalho da arte. Resgatava-se a noção tradicional da subjetividade contra o privilégio da objetividade concreta. », Ronaldo Brito, Neoconcretismo. Vértice e ruptura do projeto construtivo brasileiro, São Paulo : Cosac & Naify edições, 1999, pp. 55-58 (1ère éd. : Rio de Janeiro : Funarte, 1985).

117 Haroldo de Campos, « Da fenomenologia da composição à matemática da composição », in : Teoria da Poesia concreta, op. cit., p. 96. Le texte a paru intialement en 1957.

réforme agraire. Dans un contexte de Guerre froide, de polarisation Est-Ouest, de décolonisation et de révolution cubaine, elle lutte aussi pour une indépendance plus marquée à l’égard des États-Unis, autrement dit un renforcement du contrôle de l’État sur la vie économique et la nationalisation de secteurs stratégiques. Grèves et manifestations agitent le pays, à la ville comme aux champs. Bon nombre d’intellectuels, des dramaturges, des cinéastes, des compositeurs, des poètes, décident de mettre leur art au service d’une pédagogie des masses, d’une idéologie de l’émancipation et du développement. En témoignent, par exemple, la création et les activités du Centre Populaire de Culture (CPC) au sein de l’Union Nationale des Étudiants (UNE), à partir de 1961.

L’adhésion à cet élan populiste de Ferreira Gullar découle d’une certaine manière de ses prises de positions antérieures, prônant une meilleure intégration de l’homme au monde. Le sentiment de mener une réflexion néoconcrétiste à huis clos, au sein d’une poignée d’artistes, débouchant sur une expression de plus en plus hermétique, l’amène à se rapprocher du Parti Communiste Brésilien, auquel il adhère en 1964. À cette époque, son langage artistique se simplifie, pour s’inspirer par exemple des formes de la poésie de « cordel », survivance d’une littérature populaire de colportage.

Les concrétistes, soucieux de ne pas se laisser déborder sur leur flan gauche, répondent par un déplacement des mots d’ordre révolutionnaires vers le champ esthétique, une esthétisation de la politique en somme, sans, ce faisant, s’épargner les épithètes d’idéaliste et de formaliste que leur adresseront leurs détracteurs. En 1961, ils ajoutent dans cet esprit un post-scriptum au

118 Voir le bref historique retracé par Jacques Donguy dans les Cahiers du Refuge, n° 98, Marseille : Centre international de poésie Marseille, août 2001, p. 13.

« Plan pilote pour la poésie concrète » : « “sans forme révolutionnaire il n’y a pas d’art révolutionnaire” (Maïakovski)119

». Profession de foi poétique prise à la revue Tendência de Belo Horizonte qui l’avait faite sienne dès 1957, la citation du poète russe devient d’une opportune ambivalence politique en un moment où la gauche brésilienne a le vent en poupe. Un an plus tard, ils publient des poèmes sur le thème de Cuba, d’une intrépidité politique limitée quand on sait que les autorités brésiliennes entretiennent, depuis 1960, de bonnes relations avec Fidel Castro : « Stèle pour vivre n° 3 - Estela cubana », de Décio Pignatari, « Cubagramma » d’Augusto de Campos. Enfin, pour ne pas être en reste avec l’idéal d’engagement qui fleurit un peu partout, Décio Pignatari parle dans le n° 2 de leur nouvelle revue, Invenção [Invention] (qui connaîtra à son tour cinq livraisons), « pulo da onça » de [bond du jaguar] ou de « salto participante » [saut participatif], à propos de la recherche d’une « poésie formelle et de contenu révolutionnaire120 ».

Par-delà les divergences politiques, on pourrait s’étonner d’une curieuse coïncidence idéologique inscrite dans la représentation du poète, selon laquelle l’infrastructure économique demeure la référence et le cœur de toute chose : d’un côté, le discours marxisant s’emploie à faire de lui un ouvrier, de l’autre les images économicistes du poème s’accomodent de la langue de « marché ». Quoi qu’il en soit, l’affrontement politique fut si virulent qu’il a laissé des traces et couve encore aujourd’hui, à l’heure où la plupart de ses acteurs sont encore vivants.

119 « “sem forma revolucionária não há arte revolucionária” (maiacóvski). », in : Teoria da Poesia concreta, op. cit., p. 158.

120 « […] intentando uma poesia formal e conteudisticamente revolucionária », in : A Literatura no Brasil, Afrânio Coutinho (dir.), vol. 6, Rio de Janeiro : José Olympio, 1986, p. 250.