• Aucun résultat trouvé

Influence de l’´ echelle d’analyse sur l’´ etude de l’inter action forme urbaine urbanisme

des pratiques de mobilit´ e quotidienne

2.2. INTERACTIONS ENTRE FORME URBAINE ET MOBILIT ´ E QUOTIDIENNE

2.2.3 Influence de l’´ echelle d’analyse sur l’´ etude de l’inter action forme urbaine urbanisme

Difficult´es pratiques `a ´etudier les liens entre forme urbaine et mobilit´e quotidienne

L’´etude empirique des liens entre forme urbaine et mobilit´e quotidienne poss`ede plusieurs ´ecueils, th´eoriques et pratiques.

D’apr`es Mignot et al. (2004), la compr´ehension fine des interactions entre la forme urbaine et les caract´eristiques de la mobilit´e se heurte `a au moins cinq grandes cat´egories de difficult´es :

– le d´ecoupage des espaces,

– les caract´eristiques de la mobilit´e analys´ees (par exemple la distance, le temps de trajet, le partage modal),

– l’isolation du facteur « forme urbaine » des autres d´eterminants de la mobilit´e, – le choix du type de mobilit´e consid´er´ee (par exemple les d´eplacements domicile-

travail),

– le sens de la causalit´e : d’apr`es Wiel (1999) il est plus appropri´e de parler de co-production des ph´enom`enes que de causalit´e simple.

Dans le cadre de cette th`ese, la question du d´ecoupage des espaces occupe une place particuli`ere, au cœur de r´eflexions multiscalaires sur les liens entre forme ur- baine et mobilit´e ; les d´eplacements domicile-travail seront analys´es `a chaque fois que cela est possible, constatant avec Korsu et Massot (2006) qu’ils repr´esentent en- core la moiti´e environ des distances parcourues, et jouant d’apr`es plusieurs auteurs (Schwanen et al., 2001) un rˆole particuli`erement structurant sur les localisations des individus17. L’isolation du facteur forme urbaine sera ici r´ealis´ee par une contex-

tualisation, aussi fine que possible, d’aspects socio-´economique (richesse, type de d´eveloppement) et g´eographiques (contexte spatial) des zones urbaines pour les- quelles une approche morphologique serait entreprise.

Une autre source de difficult´e pratique pour l’´etude des liens entre forme urbaine et mobilit´e vient de la disponibilit´e des donn´ees. Bien souvent, dans ce type d’´etudes, la m´ethodologie retenue et les donn´ees mobilis´ees sont co-produites ; en particu- lier, le d´ecoupage des espaces est fr´equemment fix´e de fa¸con exog`ene, et n’est pas n´ecessairement discut´e : si la notion d’aire urbaine fonctionnelle semble faire consen- sus, elle peut ˆetre d´efinie de multiples mani`eres, d´ebouchant sur une grande vari´et´e de d´elimitations. De fait, il est souvent impossible d’appliquer la mˆeme m´ethodologie `a des villes diff´erentes, surtout si elles appartiennent `a des pays distincts : les orga- nismes de donn´ees nationaux produisent des donn´ees non compatibles, `a la fois sur le plan g´eographique (les mailles d’obtention des donn´ees ne se correspondent pas) et sur le plan des attributs observ´es (les m´ethodologies d’enquˆetes peuvent diff´erer,

2.2. INTERACTIONS ENTRE FORME URBAINE ET MOBILIT ´E QUOTIDIENNE

les cat´egories d’individus ne pas se correspondre, etc.).

Des d´emarches internationales existent pour proposer des donn´ees harmonis´ees entre les villes de diff´erents pays. Les bases de donn´ees de l’Audit Urbain (2004) et de l’UITP (2001), qui ont d´ej`a ´et´e cit´ees sont parmi les plus importantes dans le do- maine de mobilit´e, mˆeme si elles ne sont pas uniques18et pas toujours compl`etement

harmonis´ees19. En plus de ces bases de donn´ees internationales, un grand nombre de donn´ees sont disponibles depuis des comptes statistiques nationaux ou r´egionaux. Les comparaisons sont alors le plus souvent nationales : il y a un enjeu m´ethodologique `a rendre comparables des donn´ees provenant de contextes g´eographiques, et d’objets techniques, diff´erents. Il semble toutefois judicieux de s’interroger sur les effets de l’h´et´erog´en´eit´e de l’´echelle de collection des donn´ees sur des approches macrosco- piques de liens entre forme urbaine et mobilit´e. C’est ce qui est propos´e `a travers l’´etude, `a trois ´echelles g´eographiques, des liens entre densit´e urbaine et part des trajets r´ealis´es en automobile, `a Paris et `a Londres.

Variabilit´e des liens entre forme urbaine et mobilit´e quotidienne avec l’´echelle d’analyse

Pour illustrer ce probl`eme d’´echelle d’´etude, les travaux de Kenworthy et Laube (1996) sont mobilis´es, et notamment la courbe reliant l’utilisation des v´ehicules particuliers et la densit´e urbaine pour les d´eplacements domicile-travail, pour 46 villes dans le monde. Les chiffres utilis´es pour produire la courbe de la figure 2.5 proviennent de l’ouvrage de Newman et Kenworthy (1999). La m´ethodologie est la suivante : les donn´ees sont conserv´ees pour 44 de ces villes, et recalcul´ees pour Paris et Londres, `a trois niveaux g´eographiques imbriqu´es (voir figure 2.4) :

– la zone centrale (respectivement Paris intra-muros et l’int´erieur de la ” ring- road ” `a Londres),

– la zone interm´ediaire (respectivement Paris plus les trois d´epartements de pe- tite couronne, et les arrondissements (boroughs) les plus centraux pour le cas de Londres),

– les zones les plus vastes sont respectivement l’Ile-de-France et le Grand Londres, qui sont correspondent toutes deux `a des entit´es administratives (d’apr`es l’Au- dit Urbain (2004), cependant, les limites de l’aire fonctionnelle de Londres sont plus ´etendues que le Grand Londres).

Il est int´eressant de constater la grande sensibilit´e des donn´ees `a l’´echelle d’ana- lyse. Dans le cas de Paris, l’hypoth`ese de Kenworthy et Laube (1996) se trouve v´erifi´ee par le jeu d’´echelles propos´e : `a une plus grande densit´e correspond une plus grande utilisation des transports en commun.

Le cas de Londres est plus contrast´e : l’hyper-centre londonien (zone situ´ee `a

18

On peut par exemple citer la base CEMT, Conf´erence Europ´eenne des Ministres des Transports

l’int´erieur de la ring-road) est un centre d’affaires d’une telle importance que les habitants ont presque d´esert´e cette zone, ce qui se traduit par une faible densit´e r´esidentielle de « Central London ». Si « Greater London » et « Inner London » suivent encore la courbe de Kenworthy et Laube (1996), le point correspondant `a « Central London » (espace trop restreint pour ˆetre vraiment pertinent pour l’´etude de la mobilit´e quotidienne) s’´ecarte largement de cette courbe.

Dans l’ensemble, ces r´esultats incitent `a une certaine prudence dans l’exploitation de bases de donn´ees internationales pour lesquelles la d´elimitation g´eographique ne serait pas coh´erente, puisque les valeurs des indicateurs sont sensibles `a l’´echelle de mesure. Il est toutefois possible de relativiser ce constat : la forme globale du nuage de points ne serait peut-ˆetre pas affect´ee sensiblement par une variabilit´e dans l’´echelle de mesure, y compris d’un grand nombre de villes.

L’influence de la d´elimitation de la ville sur la valeur des indicateurs est impor- tante. A titre d’exemple, on peut calculer la densit´e nette de population et la part modale des trajets effectu´es en v´ehicule particulier `a trois ´echelles g´eographiques, pour Paris20 et Londres21 (figure 2.4). Les r´esultats obtenus (figure 2.5) sugg`erent `a la fois une certaine prudence quant `a la comparaison d’entit´es urbaines dont les contours ne sont pas strictement comparables, puisque les points de chaque ville, `a chacune des trois ´echelles, s’´ecartent beaucoup les uns des autres et simultan´ement un effet mod´er´e sur les r´egressions elles-mˆemes : les trois points correspondant `a Paris suivent assez correctement la forme de la courbe globale.

Fig.2.4 – Contours des entit´es urbaines, `a plusieurs ´echelles, pour Paris et Londres. La grille de densit´e de population provient de la base de donn´ees de l’Agence Eu- rop´eenne de l’Environnement (2002).

20

Paris intra-muros, Paris + les trois d´epartements de petite couronne, Ile-de-France

21

Int´erieur de la « ring-road » (Central London), borough les plus centraux (Inner London), Grand Londres (GLA)

2.2. INTERACTIONS ENTRE FORME URBAINE ET MOBILIT ´E QUOTIDIENNE

Fig. 2.5 – Densit´e et mode de transport. Sources : Newman et Kenworthy (1999) pour l’ensemble des villes ; Mayor of London (2006); Courel et al. (2005) pour les donn´ees de Londres et Paris `a diff´erentes ´echelles

La section pr´ec´edente a permis de mettre en ´evidence la complexit´e des liens entre pratiques d’am´enagement, usage du sol, infrastructures de transport et pratiques de mobilit´e quotidienne des individus. Le constat effectu´e soul`eve deux questions relatives `a l’am´enagement des m´etropoles europ´eennes :

1. Qui am´enage la ville ? En plus de la diversit´e d’acteurs, institutionnels ou priv´es, on mettra en ´evidence la complexit´e de liens entre niveaux de comp´etence territoriale.

2. Quelles actions d’am´enagement peuvent participer `a construire une m´etropole dite ≪soutenable≫?

Les interactions entre forme urbaine et mobilit´e quotidienne sont au cœur d’un foisonnement de recherches sur les modalit´es d’action sur la ville, que ce soit par l’´etude th´eorique d’instruments ´economiques (le p´eage urbain peut ˆetre vu comme une internalisation d’externalit´es de congestion ; en d’autres termes, l’usager de la route fait perdre du temps aux autres automobilistes par sa seule pr´esence, et en paye le prix), ou par la diffusion de≪bonnes pratiques d’urbanisme≫(Cahn, 2003).

La r´egulation individuelle permet sans doute d’encadrer les pratiques de mobi- lit´e quotidienne et d’usage du sol, mˆeme si les effets `a long terme d’une telle poli- tique sont difficiles `a contrˆoler : les gains environnementaux esquiss´es compensent- ils les in´egalit´es sociales qui proviendraient ´eventuellement d’une taxation de la mobilit´e ? Les gains collectifs provenant d’un encadrement des choix de localisa- tion compenseraient-ils les pertes d’efficacit´e ´eventuelles li´ees `a des formes d’habitat congestionn´ees ou pollu´ees ? A titre d’exemple, Orfeuil (2008) ´evoque le gain que repr´esente pour la collectivit´e le fait que les automobilistes soient leur propre chauf- feur : un r´eseau de transport collectif offrant les mˆemes performances que le syst`eme routier actuel coˆuterait extrˆemement cher, et personne ne l’envisage.

Les travaux empiriques qui ont ´et´e ´evoqu´es lors de la section 2.2 sont sou- vent accompagn´es de recommandations ou au moins de questionnements sur les impl´ementations pratiques pouvant d´ecouler des r´egularit´es statistiques observ´ees. D’apr`es Bertaud (2001), ≪les am´enageurs disposent de trois outils pour tenter de

contrˆoler (indirectement) la structure spatiale urbaine : des r´egulations d’am´enagement, des investissements dans les infrastructures, et la taxation fonci`ere≫. On pourrait y

ajouter d’autres instruments financiers, comme la taxation ou le financement de la mobilit´e : les politiques de p´eage urbain ou de tarification du stationnement pour- raient, `a moyen terme22, avoir des cons´equences sur l’usage du sol ; `a l’inverse, les

22. Le plus ancien p´eage urbain date de 1975, `a Singapour, et correspond `a une situation insulaire particuli`ere. Dans les autres villes ayant impl´ement´e un p´eage urbain (Londres, Stockholm), la mesure est trop r´ecente pour avoir eu des effets tangibles sur l’urbanisation.