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Les imprécisions de l’édition du Journal

I. Une œuvre construite

III. Des journaux d’Alix Cléo Roubaud au livre publié

3.1. Les imprécisions de l’édition du Journal

Le Journal d’Alix Cléo Roubaud, dans sa seconde édition, est accompagnée d’un paratexte augmenté : en plus de la quatrième de couverture présente dans l’édition de 1984 et gardée telle quelle pour la seconde version, Jacques Roubaud ajoute une introduction et un appendice. Des erreurs se trouvent dans le paratexte roubaldien : dans l’introduction (uniquement présente dans l’édition de 2009), dans la quatrième de couverture ainsi que dans les légendes accompagnant les photographies reproduites. Nous nous proposons de corriger ou, le cas échéant, de préciser certaines des informations données par Jacques Roubaud. Si certaines des précisions apportées ne sont pas nécessaires à une introduction, elles nous semblent néanmoins utiles à la compréhension de l’œuvre et de son auteure que nous souhaitons produire ici. Nous apporterons, dans un premier temps, des informations biographiques, dans un second temps, des informations techniques liées au référencement des œuvres photographiques.

Revenons à l’affirmation, de la quatrième de couverture analysée ci-dessus,: « Alix écrivait, depuis 1971 au moins, un journal […] » qui dévoile que le Journal n’est en réalité qu’une partie du journal de l’auteure. Il est également intéressant de noter que la même phrase est présente dans l’introduction, seule la date change « Elle écrivait, depuis 1970 au moins, un journal […] ». L’année de différence entre les deux phrases témoigne d’une contradiction au sein du péritexte de Jacques Roubaud qui ne modifie pas fondamentalement notre appréhension d’Alix Cléo Roubaud, mais qui dévoile par les incertitudes de datations de Jacques

Roubaud les inévitables lacunes qui accompagnent tout travail de mémoire. Il est probable qu’au moment de la réédition de 2009 et de la rédaction de son introduction, Jacques Roubaud se soit replongé dans ses archives et ait ainsi gagné en précision. Plus avant dans son texte, il donne des indications sur les cahiers précédant ceux publiés : « J’ai relu, pour cette présentation, dans l’ordre même de leur écriture, la totalité de ces cahiers et de ceux qui les précédaient (sept en tout), sur treize années, depuis janvier 1970.172 » Jacques Roubaud a choisi de publier six cahiers ; il semble en posséder sept couvrant la période 1970-1979. Précisons en outre, une fois de plus, que la « totalité » évoquée ici ne concerne que les documents en sa possession.

En outre, l’introduction de Jacques Roubaud mêle données historiques et considérations théoriques sur le travail d’Alix Cléo Roubaud. Dès le début de la biographie esquissée dans les premiers paragraphes, et certainement pour expliquer le bilinguisme du Journal, Jacques Roubaud note qu’Alix Cléo Roubaud « était canadienne173 ». S’il s’agit effectivement de sa nationalité officielle, le détail est plus complexe : sa famille, originaire d’Ottawa (ville à forte prédominance anglophone, l’anglais en étant la langue officielle), faisait partie de la minorité historique et linguistique franco-ontarienne174. De père anglophone et de mère francophone, Alix Cléo Roubaud a donc toujours oscillé, géographiquement comme familialement entre les deux langues. Elle a débuté des études supérieures à Ottawa où elle a, comme l’indique Jacques Roubaud, étudié l’architecture et la psychologie avant de s’inscrire en philosophie à l’université d’Aix-en-Provence puis à l’université Paris VIII. Il semblerait également qu’elle ait suivi des cours de chinois et de journalisme à l’Université de Carleton. Elle s’était aussi inscrite, en 1968 ou 1969 à l’université d’Ottawa, aux cours du département d’Arts Visuels créé et dirigé par Alain Desvergnes175. C’est lui qui a initié Alix Cléo Roubaud à la photographie comme elle l’écrit dans une lettre à ses

172 Jacques ROUBAUD, « Introduction » à Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 9. 173 Ibid., p. 7.

174 Nous tenons ces renseignements et ceux qui suivent du frère d’Alix Cléo Roubaud : Marc Blanchette.

175 Dans un courrier du 29 septembre 2011, Alain Desvergnes écrit : « Vous avez déjà dû commencer à voir et certainement à apprécier la personnalité d'Alix Cléo Blanchette, celle que j'ai connue sous ce nom quand j’ai eu le privilège de l’avoir comme étudiante au département d’Arts Visuels que j'avais créé en 1967, à l’Université d'Ottawa. Elle s’est inscrite en 1968 ou 69, sans certitude sur les dates. »

parents : « c’est lui [Alain Desvergnes] qui m’a montré la première chambre noire de ma vie ; je lui ai dit que j’avais une dette à son égard de ce simple fait.176 » Ces précisions permettent de donner à son intérêt théorique pour l’image et à sa pratique de la photographie une origine plus lointaine et déterminante et de renforcer l’hypothèse du choix – Alix Cléo Roubaud aurait préféré la photographie, à la recherche universitaire, à la traduction ou à l’écriture – avancée par Jacques Roubaud dans son introduction au Journal : il y écrit que ce n’est qu’en 1978 que la photographie devient « son unique et essentielle activité, et la seule qui soit destinée à être tournée vers l’extérieur, à affronter le regard d’autrui177 ». Alain Desvergnes a également précisé que, dès cette époque, la « “causa mentale” [d’Alix Cléo Roubaud] étaient les images et les mots, l’un dans l’autre ». Selon Jacques Roubaud, la décision de se consacrer entièrement à la photographie et à la littérature a été prise à La Bourboule, station de cure thermale où Alix Cléo Roubaud soignait son asthme :

En tout cas, à partir d’août 1978 (moment de son premier séjour thérapeutique à La Bourboule (du second, trois ans plus tard, elle parle dans ce livre)), c’est dans ces moments d’expression secrète qu’elle en vint à concentrer tout son effort d’écriture. […]

Plus précisément, c’est en ce moment, dans ces journées d’isolement total mais paisible, qu’elle découvre que c’est par la photographie, qui n’était jusqu’alors qu’une des voies possibles qu’elle envisageait, et qu’elle n’avait pratiquée que de manière épisodique (elle ne devait retenir presque aucune de celles qu’elle avait prises jusque-là), devient, avec le Journal, son unique et essentielle activité, et la seule qui soit destinée à être tournée vers l’extérieur, à affronter le regard d’autrui.178

Aucun document ne permet de corroborer ou d’infirmer cette prise de décision présentée ici comme un événement. Il pourrait s’agir d’une construction rétrospective de Jacques Roubaud, qui lui permettrait d’imposer Alix Cléo

176 Alix Cléo ROUBAUD, Lettre à sa famille du 30 juillet 1982, Fonds Alix Cléo Roubaud. 177 Jacques ROUBAUD, « Introduction » à Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 13. Notons que Jacques Roubaud date ailleurs cette décision du mois d’août 1979 : cf. Jacques ROUBAUD, « Postface » in Hélène GIANNECCHINI, Une Image peut-être vraie. Alix Cléo Roubaud, op.cit., p. 185.

Roubaud comme photographe. Jacques Roubaud fait d’ailleurs de la photographie le deuxième sujet du Journal, sujet qui trouve sa présence renforcée par l’ajout conséquent de nouvelles photographies dans la deuxième édition du Journal.

Enfin, Jacques Roubaud présente la pratique photographique et sa théorie ou sa conceptualisation comme étant profondément liées dans la démarche d’Alix Cléo Roubaud : « l’œuvre photographique et la pensée (chez elle inséparable)179 ». Il identifie Ludwig Wittgenstein comme une influence notoire pour Alix Cléo Roubaud ; il évoque sa « découverte de Wittgenstein180 » qui devient « sa fascination (pas seulement intellectuelle) pour Wittgenstein181 », puis sa « réflexion sur le statut de l’image chez Wittgenstein182 ». Cependant, la thèse d’Alix Cléo Roubaud – « Wittgenstein, style et pensée : Remarques sur l’écriture philosophique » commencée en 1976 sous la direction de Jacques Bouveresse –, n’est, du reste, nulle part mentionnée. Jacques Roubaud évoque uniquement « des études de philosophie à Aix-en-Provence et à Paris183 » et parle « d’essais philosophiques à des fins universitaires ou non184 ». Il est certain que Ludwig Wittgenstein est une influence majeure pour l’artiste, perceptible dans son travail plastique – nous aurons l’occasion d’en parler. Sa thèse, bien que délaissée, n’est certes qu’un aspect parmi d’autres du rapport qu’elle entretenait avec la pensée du philosophe autrichien, mais nous renseigne tout de même sur l’exigence et l’approfondissement de ses recherches. Il nous semble pareillement important de préciser que des textes universitaires, des essais sur Ludwig Wittgenstein sont présents dans le Fonds Alix Cléo Roubaud et que ces recherches scientifiques ont, comme nous le verrons, contribué à la construction de son œuvre.

179 Ibid., p. 12. 180 Ibid., p. 8. 181 Ibid., p. 11. 182 Ibid. 183 Ibid., p. 8. 184 Ibid., p. 10.