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Les confessions d’Alix Cléo Roubaud

Conclusion partielle

CHAPITRE 3 : Une œuvre photobiographique

II. « Un multiple autoportrait »

2.2. Les confessions d’Alix Cléo Roubaud

Écriture de soi, autoportrait quotidien : Alix Cléo Roubaud se dit de multiples façons. Mais pour qui ? Pour elle d’abord, pourrions-nous donc répondre, pour se donner forme, s’appréhender, pour se donner une image de soi. Mais ce n’est pas tout : le « tu » ou le « vous » du Journal désignent, comme nous l’avons vu, un autre destinataire, celui à qui elle demande de lire ses cahiers après sa mort : Jacques Roubaud. Souvent l’adresse prend la forme de l’aveu, du bilan, voire du repentir. Se projetant dans la mort, lui parlant depuis cette disparition, Alix Cléo Roubaud lui redit son inconditionnel amour :

matin vendredi soleil tu es dans le train Jacques

je n’ai aimé que vous

j’ai aimé Dieu fort mal:nous tâcherons de régler nos comptes à l’amiable

pour les papiers ayez quelque indulgence.Je n’ai pas souvent été au bout d’un projet

(aussi pour les négatifs non tirés)333

Mais un autre destinataire est aussi présent dans le Journal, en plus de Jacques Roubaud : la jeune femme s’adresse aussi à Dieu. Alix Cléo Roubaud était catholique et plus les années passent plus l’importance de sa foi est prégnante dans le Journal. Elle se rend à la messe régulièrement, lit le théologien Thomas d’Aquin, les œuvres du mystique chrétien Pseudo-Denys l’Aréopagite, s’intéresse aux anges. Le 5 décembre 1982, elle note ainsi : « les anges : pseudo-Denys ; st Thomas ; […]. / messe toutes les semaines depuis septembre.334 » Quelques jours plus tard, le 3 janvier 1983, elle consigne être allée à une messe dominicale nocturne :

333 Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 115. 334 Ibid., p. 210.

Messe hier soir aux Blancs-Manteaux.Sermon d’un père indochinois sur l’épiphanie;zèle de logicien-théologien;distinction de l’universel et du particulier (expounded with great indignation and glee);lecture de l’arrivée des trois mages à Jérusalem où Hérode souffre d’une grande inquiétude.

L’importance de la religion est rarement évoquée dans l’étude de l’œuvre de l’artiste, elle est pourtant fondamentale. Sa foi se heurte sans doute à l’image de l’artiste libre, frondeuse, irrévérencieuse que l’on a d’elle. Comment concilier Alix Cléo Roubaud passant la nuit à boire avec Jean Eustache et photographiant sa nudité avec cette jeune femme qui se rend de manière hebdomadaire à la messe ? Inclure cette dimension religieuse, c’est admettre la nuance, cesser les projections pour voir la complexité d’Alix Cléo Roubaud et de son œuvre335.

Dans son testament Alix Cléo Roubaud donne des consignes pour que ses funérailles soient religieuses : « Je souhaite être enterrée en France ; selon le rite catholique ; aussi simplement que ; aussi rapidement après ma mort que possible aussi336. » Dans son journal intime, elle réfléchit à sa foi de manière philosophique :

Position,je crois,thomiste,et c’est aussi ceci:Dieu est quelqu’un avec qui on ne joue pas;ce n’est pas un adversaire dans une stratégie,ni un partenaire de jeu. – Pour Thomas:l’orgueil,ce péché qui n’implique pas la chair,c’est jouer avec Dieu.

– à jouer avec Dieu,on perd à tous les coups.337

Il est étonnant de voir comme la foi prend une importance cruciale dans les derniers mois de sa vie : les références à la religion sont de plus en plus

335 Entre le 5 décembre 1982 et le 3 janvier 1983, Alix Cléo Roubaud écrit en date du 12 décembre 1982 : « vivre / vivre en dépit des nuits. » On pourrait inférer de cette entrée qu’une nuit difficile et désespérée s’est intercalée entre deux moments de piété ; de sorte que l’on peut constater sur cet exemple la juxtaposition de deux Alix Cléo Roubaud que le Journal nous donne à lire et que l’on écarte trop souvent. Cf. Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 210.

336 Le testament d’Alix Cléo Roubaud est une note manuscrite datée du 1er octobre 1980, puis revue en décembre 1981. Ce document est conservé dans le Fonds Alix Cléo Roubaud sous la forme d’un acte notarié (« Dépôt de testament »), daté de juillet 1983.

nombreuses. Mais si Alix Cléo Roubaud en appelle à Dieu dans le Journal, c’est d’abord pour reconnaître ses fautes et lui demander de l’aide :

O God help me I must stop ah this melancolic nonsense the pills the booze I simply want to stop I am slowly waking up after Friday night don’t even know what I took booze is destroying me and therefore us

it must be a decision338

Dans cet extrait, Alix Cléo Roubaud se livre à un examen de conscience, et détaille les péchés véniels (alcool, cachets) auxquels elle a succombé ; elle se confesse. L’espace des aveux n’est pas le confessionnal d’une église mais le journal intime et c’est sans l’intermédiaire d’un prêtre qu’elle avoue ses péchés à Dieu. La confession, sacrement de pénitence et de réconciliation, passe par le repentir. Et ce n’est pas simplement de sa consommation excessive d’alcool et de drogues dont elle se repent, mais d’un péché plus terrible encore : « l’absurdité mélancolique339 ». Le péché de mélancolie, aussi appelé « acédie », est étudié par Thomas d’Aquin dans la Somme théologique — dans laquelle toute une « question » lui est consacrée :

L'acédie, selon S. Jean Damascène, est « une tristesse accablante » qui produit dans l'esprit de l'homme une dépression telle qu'il n'a plus envie de rien faire, à la manière de ces choses qui, étant acides, sont, de surcroît, froides (et inertes). Et c'est pourquoi l'acédie implique un certain dégoût de l'action. C'est ce que démontre la Glose commentant le Psaume (107, 18): « Ils avaient toute nourriture en horreur. » Certains la définissent « une torpeur de l'esprit qui ne

338 Ibid., p.113 : « Ô mon Dieu aide-moi il faut que j’arrête ah l’absurdité mélancolique les cachets l’alcool je veux m’arrêter tout simplement je me réveille lentement après la nuit de vendredi je ne sais même pas ce que j’ai pris l’alcool me détruit donc nous détruit / il faut une décision […] » — traduction Jacques Roubaud, in Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 114.

339 Ibid. Notons que Jacques Roubaud a participé à la Bible des écrivains parue chez Bayard en 2001. Il a traduit le Qohélet (l’Ecclésiaste), livre du doute de Dieu et « livre par excellence de la tentation mélancolique, de la délectation morose ; où on est près de céder aux appels du “démon méridien”, bien connu des Pères du Désert, sous le plein soleil.», écrit-il dans Jacques ROUBAUD, Sous le soleil. Vanité des vanités, Paris, Bayard, 2004, p. 17. Le Qohélet est connu pour sa formule « Vanité des vanités, tout est vanité ». Cette traduction est un hommage à Alix Cléo Roubaud, nous a-t-il confié.

peut entreprendre le bien ». Une telle tristesse est toujours mauvaise, parfois en elle-même, parfois en ses effets.340

L’acédie, cette tristesse spirituelle, fait partie des sept péchés capitaux, sous la catégorie de la « paresse », et peut être considérée comme un péché mortel en ce qu’elle peut détruire la vie spirituelle341. Alix Cléo Roubaud y fait explicitement référence dans le Journal : « accidia is a sin by any standards really.342 » L’expression la plus aiguë de l’acédie est la tentation du suicide dont Alix Cléo Roubaud fait état à de nombreuses reprises dans le Journal :

Don’t you see anyone who tries to kill himself bravely once a year is in no state of grace.Possibly I should privately straighten out a few theological points.Born sinner, guilty of the worst:unrepenting pride of self-destruction.To be at least in a state of grace instead of trying for sanity.

(so tired of myself all over again).343

La jeune femme se dit « coupable du pire » et bien qu’elle note qu’il s’agit d’un orgueil sans repentir, elle ne cesse, ici (« si fatiguée de moi-même de nouveau ») et à travers l’ensemble du Journal, de dire sa colère et son incompréhension face à son comportement : « why o God did I dot it why o God I still don’t understand344 », écrit-elle après sa tentative de suicide d’août 1980.

Difficile de s’intéresser à la confession dans une démarche autobiographique sans convoquer les figures de Saint Augustin et de Jean-Jacques Rousseau. Si le premier compose une œuvre littéraire en quête de Dieu et de

340 THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa, IIae, question 35, article 1. 341 Ibid., article 3.

342 Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 85 : « accidia est un péché selon tous les critères. », traduction Jacques Roubaud, in Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 86.

343 Ibid., p. 76 : « Ne vois-tu pas que quelqu’un qui essaye bravement de se tuer une fois par an n’est pas en état de grâce.Peut-être je devrais,de manière privée,éclaircir quelques points de théologie.Pécheur né,coupable du pire:l’orgueil sans repentir de l’autodestruction.Être au moins en état de grâce au lieu d’essayer de garder ma raison. / (si fatiguée de moi-même de nouveau). », traduction Jacques Roubaud, in Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 76.

344 Ibid., p. 73 : « Pourquoi mon Dieu l’ai-je fait pourquoi mon Dieu de n’arrive pas à comprendre », traduction Jacques Roubaud, in Alix Cléo ROUBAUD, Journal, op. cit., p. 75.

l’absolution, le second se détache de la dimension strictement religieuse pour n’en conserver que les valeurs d’humilité et de sincérité. Alix Cléo Roubaud ne s’inscrit-elle pas dans cet héritage pour lequel l’autobiographie est une déclinaison de l’aveu ? « Que la trompette du jugement sonne quand elle voudra ; je viendrai ce livre à la main me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. », écrit Rousseau au début des Confessions345. Tout comme le Journal d’Alix Cléo Roubaud, il semble que ses photographies participent de cette volonté de transparence, celle de se dire absolument et sans secret à une puissance supérieure. La photographie est, elle aussi, traversée par une dimensions religieuse.

En effet, dans le Journal, Alix Cléo Roubaud désigne parfois sa série Si quelque chose noir comme un chemin de croix photographique :

[…] meanwhile the grey summer leaks away ant [sic] I shall be thirty soon and I panic,sheer,steep panic as I am terrified of killing myself,as I listlessly watch myself building up to it,not daring to tell Jacques nor anyone as blank August creeps up,my family far away and not a single photograph in months except the bleak via crucis with the final blank wall and nothing else except a window which should end the whole thing and thank God,the God who stares blankly on me through that window,thank God the window is two stories high […].346

Si quelque chose noir pourrait donc être étudié dans son rapport à la Passion du Christ, en lien avec les événements qui précèdent et accompagnent la mort du Christ. Nous pourrions nous demander si Alix Cléo Roubaud nous montre le chemin qui conduit à sa propre mort – il s’agirait alors d’une transposition de ce thème religieux – ou si la série commémore la Passion et devient alors un acte de

345 Jean-Jacques ROUSSEAU, Confessions, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, 1959, p. 6.

346 Alix Cléo ROUBAUD, op. cit., p. 134 : « […] cependant l’été gris s’en va comme une fuite d’eau et j’aurai bientôt trente ans et j’ai peur,pure,abrupte panique je suis terrifiée à l’idée que je vais me tuer,et je me regarde m’y préparer avec indifférence,je n’ose rien dire à Jacques ni à personne et le mois d’août vide rampe,ma famille loin et pas une seule photo pendant des mois sauf Via Crucis ,morne,avec le mur final vide et rien d’autre qu’une fenêtre qui devrait mettre fin à tout et je remercie Dieu,le Dieu qui me regarde dans expression,heureusement que la fenêtre n’est qu’au deuxième étage […]. », traduction Jacques Roubaud, in Alix Cléo ROUBAUD, Journal,

dévotion, une manière de recevoir la grâce, de s’unir au Christ dans ses souffrances.

La photographie reprend des thèmes religieux comme c’est le cas pour Si quelque chose noir ; et elle est aussi un acte religieux, une nouvelle forme de confession. L’autoportrait est explicitement rapproché de l’aveu pénitent, un an plus tard exactement, en août 1981 : « autoportrait photographique,comme la transposition du regard de Dieu,une métaphore,un relai.Comme la confession est une relai opéré par le repentir.347 » L’autoportrait est transfert du regard de Dieu, en concrétisant l’image de soi, il permet de se regarder, comme Dieu nous contemple. Pour Alix Cléo Roubaud il se présente comme une façon de s’exposer au regard divin, de dire « voilà ce que je suis », comme l’on dit en confession « voilà ce que j’ai fait ». Ainsi elle s’adresse à son Créateur : comme le regret d’un péché est destiné à Dieu, l’image permet de se tourner vers lui. Elle peut être, selon Alix Cléo Roubaud, « l’équivalent visuel348 » de cette « forme spécifique de la conversation à trois termes qu’est la confession349 ».

La photographie et le Journal tissent donc un rapport commun avec Dieu : se dire sans détour, sans concession pour espérer, en retour, le pardon, l’absolution. Mais, chez Alix Cléo Roubaud, la dévotion côtoie toujours l’impertinence sans pour autant qu’elles se contredisent. Dans le paragraphe qui suit ses réflexions sur l’autoportrait et le regard de Dieu, elle ajoute très exactement, avec une insolence que sa foi laisse intacte : « La photographie est:comme se déshabiller devant le médecin(savoir);l’amant(le don);la société(la séduction,l’uniforme).Et cependant la forme spécifique de la conversation à trois termes qu’est la confession doit avoir son équivalent visuel.350 » En l’espace de quelques phrases, Alix Cléo Roubaud affirme donc que la photographie réunit l’impensable : Dieu et le strip tease.

347 Ibid., p. 147.

348 Ibid. 349 Ibid. 350 Ibid.

2.3. « Toutes les photographies sont moi. »

L’autobiographie se présente comme mise à nu de soi. Mise à nu symbolique (tout dire), mise à nu littérale (dévoiler son corps dans les images). Si le Journal apparaît avec évidence comme une entreprise autobiographique et participe en cela à cet « multiple autoportrait » qu’évoque Jacques Roubaud, il n’en va pas de même avec toutes les photographies. L’autoportrait entendu comme représentation de l’artiste par lui-même rejoint cette démarche mais qu’en est-il des photographies de Cambridge, des portraits de Jean Eustache, des paysages de Saint-Félix ?

Dans l’un des deux textes reproduits à la fin de son Journal, en appendice, Alix Cléo Roubaud déclare à la manière du « Madame Bovary, c’est moi351 » de Flaubert : « Toutes les photographies sont moi.352 » Si la phrase prêtée à Flaubert l’identifie avec son personnage ou avec son roman tout entier, elle affirme que l’autobiographie ou l’autoportrait ne sont pas réductibles à la représentation explicite, directe, de leur auteur. Alix Cléo Roubaud poursuit : « Toutes les photographies que je prends sont moi en ce simple sens que tout fabriqué (produit, travail) contient le fabriquant (producteur, travailleur)353. » Quel que soit le référent de l’image, elle affirme clairement que toute image prise par elle est elle. Chaque photographie porte la marque de son créateur, et en exprime la vision singulière.

Pour vérifier ces dires, nous nous proposons d’analyser en détail l’une des séries les plus décisives de son œuvre, mais de prime abord abstraite et donc éloignée de tout autoportrait : Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration.

351 Cette phrase est attribuée à Flaubert sans qu’aucun écrit n’en fournisse la preuve tangible. À ce sujet, voir les travaux d’Yvan Leclerc. URL : http://flaubert.univ-rouen.fr/ressources/mb_cestmoi.php.

352 Alix Cléo ROUBAUD, « Toutes les photographies sont des photographies d’enfance », in « Appendice » au Journal, op. cit., p. 225.

Fig. 18 : Sans titre, série Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration, 1980-1981, épreuve argentique, 18 x 23,8 cm, MNAM-Centre Georges Pompidou.

Cette image est un tirage gélatino-argentique sur papier de taille moyenne, de dix-huit centimètres de large sur vingt-quatre centimètres de long. On y voit une masse noire, surmontée par ce qui ressemble à des flammes, se découper sur un fond clair. Ces formes sombres sont surmontées par un halo gris qui les dédouble jusqu’au bord supérieur de l’image. Le cadrage est frontal et l’image est absolument plate : aucun point de fuite, aucune ligne perspective ne confère de profondeur à la composition. C’est une photographie abstraite : au premier regard on ne reconnaît rien, on ne distingue pas de formes connues.

Pourtant, si la photographie Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration est abstraite, elle semble convoquer une autre image, il s’en dégage une forme familière. Contrastée, présentant des zones plus ou moins opaques, elle évoque une radiographie, ou l’agrandissement d’une radiographie. Alix Cléo Roubaud qui devait subir régulièrement de tels examens pour vérifier la santé de ses poumons nous en proposerait ici peut être une réécriture. Les rayons X qui permettent l’examen radiologique sont de la même famille physique que les rayons lumineux. Ils permettent d’impressionner un film radiographique, comparable à la pellicule photographique. La différence fondamentale entre ces

deux types de rayons est que les rayons X peuvent traverser la matière corporelle « molle », peu dense : ils traversent ainsi la chair et sont absorbés par les os. En conséquence, les os apparaissent en blanc et les zones où il y a de l’air (comme les poumons par exemple) en noir. Cette image pourrait dont être semblable à une vue de ses poumons ou à l’agrandissement d’un détail de son appareil respiratoire. Elle serait à la fois photographie et radiographie. Et ce sont précisément ces difficultés de santé, cette respiration difficile qu’Alix Cléo Roubaud met en scène dans cette photographie. Le 20 novembre 1980, elle écrit : « Tiré épreuve des cyprès de St Félix. Prise la nuit avec ouverture 10-15 minutes.Légère oscillation de bas en haut de l’appareil due sans doute à ma respiration.quinze minutes la nuit au rythme de la respiration […]354.» Comme l’indique cette citation, l’image de Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration qui semble abstraite présente en réalité un paysage : Alix Cléo Roubaud prend une photographie d’une allée de cyprès qui bordent la maison familiale de Jacques Roubaud, à Saint-Félix, où ils étaient en vacances à l’été 1980. Sur une planche-contact figure le paysage initial. En agrandissant la vignette, on obtient l’image d’un paysage construit, avec une profondeur de champ et l’on comprend que Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration en est une interprétation.

Doc. 6 : Détail d’une planche-contact, 1980, Fonds Alix Cléo Roubaud.

Contrairement à cette image, où l’on distingue d’emblée une ligne de cyprès noire entre le chemin au premier plan et l’étendue du ciel, les images de la série Quinze minute la nuit au rythme de la respiration contiennent un mouvement. Elle a également aboli les différents plans qui donnent à l’image sa profondeur pour parvenir à une image plate ; elle ne se concentre que sur les cyprès. Il n’y a d’ailleurs pas de tirage de ce paysage. Ce qui intéresse Alix Cléo Roubaud n’est donc pas le paysage objectif mais le paysage vécu.

Le titre de ces images Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration et la citation relevée de son Journal nous fournissent des indications sur le dispositif photographique. La vitesse d’obturation est de dix à quinze minutes : les capteurs sont exposés à la lumière pendant près d’un quart d’heure. Un tel temps de pose est rendu possible par la nuit : il y a peu de lumière ce qui permet de ne pas bruler la pellicule – sans quoi nous ne verrions rien. Plus l’appareil est ouvert longtemps plus les flous sont prononcés, les mouvements enregistrés. C’est sur ces aspects