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iii. Les premiers faits stylisés de l’électrification

Dans le document aux et siècles L ’ aluminium (Page 81-84)

Suivant l’idée de Kaldor, il semble intéressant de dégager des faits stylisés qui seront testés dans les autres pays à étudier :

a) Le potentiel hydroélectrique tend à être utilisé à son maximum — une fois défini le droit de l’eau ; b) L’absence de charbon et/ou de pétrole sur le territoire évite la dispersion des efforts mais ne

permet pas une éventuelle concurrence, en principe favorable au consommateur ;

c) Un fort degré de développement de l’éclairage au gaz, atteint en 1890-1900, a ralenti la percée de l’électricité ;

d) Des connaissances scientifiques de haut niveau sont indispensables lors de la mise en place d’une nouvelle technique, pour en valoriser les retombées ;

e) Seuls des laboratoires de recherche appliquée permettent un développement organisé ; ils orientent la fabrication des équipements, la diffusion des modes opératoires chez les installateurs et des habitudes chez les consommateurs ;

f) Un potentiel industriel dynamique favorise la mise en œuvre des inventions ou des améliorations : la production et l’exportation — pour la Suède, du gros matériel électromécanique ;

g) L’information, voire la formation du potentiel humain facilite l’apprentissage des nouvelles techniques et de leur application ;

h) Le démarrage d’une nouvelle industrie requiert des capitaux à risques et un esprit d’entreprise — un marché des capitaux actif ;

i) Une tradition de consensus dans le choix des priorités nationales réduit la dispersion des efforts ;

l’indice de démocratie de The Economist, plaçait la Suède au 1er rang sur 165 pays, en 2008 ; j) Une bonne entente entre l’État et les municipalités a facilité le passage du gaz à l’électricité ; les

municipalités ont été les premières à mettre en place la distribution et ont ensuite conservé un rôle dans le domaine ;

k) La politique de neutralité pendant les deux Guerres Mondiales a eu des conséquences positives sur l’évolution des domaines de croissance ;

l) Le découpage en périodes de rythme de croissance proche se présente ainsi : 1890-1930, 1930-1960 ; 1930-1960-1990 ; depuis 1990 ;

Ces douze faits stylisés peuvent être regroupés en plusieurs catégories : i. Les ressources naturelles (a, b)

ii. La technologie, par le niveau de connaissance — adaptabilité — des spécialistes, des exécutants et des consommateurs (c, d, e, f, g)

iii. L’esprit d’entreprise des industriels et des banquiers (c, e, f, h, i) iv. Le niveau de consensus national (h, i, j, k)

v. Le découpage de la croissance dans le temps (l)

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Contre + 41 % en France pour la même période, soit une différence considérable en valeur : +19 millions de personnes en France contre + 2 millions en Suède. Source : perspective usherbrooke.ca, op. cit.

Ce regroupement sera éventuellement revu. Quant au découpage en périodes, il reste évidemment à adapter en fonction de la situation des autres pays.

iv. La production d’aluminium en Suède

Faible au regard du potentiel hydraulique, la production d’aluminium n’est pas nulle. La revue,

Light Metal Age, a publié en décembre 2013 deux listes, celle des usines d’électrolyse et celle de la refusion dans le monde. Voici les résultats, avec les indications de capacités annoncées de chaque établissement. La production primaire, connue par ailleurs, a été ajoutée1.

a) Aluminium primaire

1. La société Sundsvall dispose d’une unité de production d’une capacité 130 000 t/an dénommée Kubikenborg Aluminium AB (Kubal). De 1998 à 2011, sa production a peu varié autour de 100 000 tonnes par an, avec cependant une réduction volontaire à 70 000 tonnes en 2009. La quantité d’électricité consommée par cette production est de l’ordre de 1,5 TWh, soit environ 1 % de la consommation d’électricité du pays.

b) Aluminium secondaire

2. La capacité de production annoncée de chaque site est indiquée ci-dessous :

Sweden Älmhult Stena Gotthard 90 000 t/an

Sweden Aseda Profilgruppen AB

Sweden Charlottenberg Nemak

Sweden Finspong Sapa Heat Transfer 65 000 t/an

Sweden Gränges Gränges Aluminium 15 000 t/an

Sweden Helsingborg AB Elektrokoppar 58 000 t/an

Sweden Vetlanda Sapa 35 000 t/an

Source : Light Metal Age2

3. La production secondaire annuelle n’est pas publiée mais les capacités installées laissent penser que cette production pourrait être supérieure à la production primaire, par la refusion de déchets.

4. La Suède constitue un bon exemple de processus d’électrification à partir de l’hydraulique, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui, c’est pour cela qu’elle a été choisie. Le progrès technique est rendu visible par la tension des lignes de transport, 50 kV, puis 130, 220 et 380 kV, ou par leur longueur, et il est daté ; la croissance se mesure par la production annuelle exprimée en TWh — 62 TWh en 2008, elle plafonne. Le processus daté rappelle les situations et les difficultés passées. Il permet aussi la comparaison avec le rythme de croissance de l’aluminium, car les deux ont été plutôt concomitants dans les pays développés. Par rapport à eux, la Suède a suivi un chemin original, la production d’aluminium y a commencé plus tard, à un niveau modeste ; ensuite, elle n’a pas constitué un axe privilégié de la croissance. Plusieurs causes semblent plausibles : 1) la volonté précoce de préserver le cadre de vie qui

1

Source : USGS, différentes années.

s’est traduite par une limite légale de la puissance hydraulique pouvant être installée ; 2) l’éloignement des sources de bauxite ; 3) la présence de minerai de fer, le développement d’une sidérurgie spécialisée et d’une industrie de gros matériel électrique ; et enfin, 4) la neutralité d’un pays peu peuplé, pendant les deux conflits du XXe siècle.

5. La production annuelle d’aluminium primaire de la Suède, de 1934 — première année de production — à 1961, est comparée ci-dessous à celle de la Suisse, la seule qui soit restée à la même échelle dans la période de croissance de l’après-guerre. Le choix de la Suède, d’une croissance modeste de la production y apparaît clairement. Les développements ultérieurs ont confirmé cette décision.

Production d’aluminium comparée, Suède et Suisse

Source : L’Aluminium, Pierre Barrand et Robert Gadeau, Éditions Eyrolles, 1964.

Le nombre de pays producteurs d’aluminium a augmenté après 1980 quand de nouveaux venus, disposant d’énergie bon marché et de capitaux, ont acheté la meilleure technologie disponible. Leur situation initiale était totalement différente de celle des fondateurs. Ils se sont vite développés, car leurs usines étaient plus grandes et plus productives que les anciennes, ils n’appartiennent pas à la même « génération », mais leurs besoins sont restés de même nature. Le cas complexe de la France, pays du brevet Héroult, est bien décrit dans la littérature tant pour l’électricité que pour l’aluminium. Ses particularités seront présentées. Ensuite, pour des raisons à venir, les États-Unis et le Canada seront les exemples privilégiés de l’analyse économique. Leur évolution en matière d’électricité, spécifique en raison des dimensions du continent, mérite une description détaillée. La littérature montre que les autres producteurs anciens ont reproduit peu ou prou les mêmes schémas.

III. De nouveaux exemples, France, États-Unis et Canada

Dans le monde de l’aluminium, la France et les États-Unis ont occupé une place particulière qui aurait pu être prédominante. Les inventeurs des deux pays avaient fait jeu égal, à quelques mois près, mais la partie industrielle qui s’est engagée ensuite était très inégale, en dépit de l’intrépide stratégie d’Adrien Badin de construire une usine en Caroline du Nord, en 1912. S’il avait réussi…

Un exemple illustre l’irréductible différence de taille : la première usine américaine d’aluminium utilisant l’hydroélectricité a été construite par La Pittsburgh Reduction Company en 1896 sur l’énergie des Chutes du Niagara. Quel fleuve français aurait soutenu la comparaison alors qu’en 1892, la SEMF avait installé en Maurienne, à La Praz (Savoie), la première usine d’électrolyse de la vallée de l’Arc ? La suite a été à l’avenant, avec notamment les découvertes d’immenses ressources

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en charbon et en gaz. La compétition était ouverte dans un seul domaine : la technologie ; elle n’a malheureusement pas suffi à compenser !

i. La France

À ce stade, le premier exemple est naturellement celui de la France qui, au moment crucial, la fin du XIXe siècle, avait les savants, les brevets, l’audace et l’expérience, tant du côté de l’électricité (Aristide Bergès, le « Père » de la Houille Blanche) que du côté de l’aluminium (de Sainte Claire-Deville, le chimiste, à Paul Héroult, l’électro-chimiste). Elle disposait en outre d’importants gisements de cette bauxite qui doit son nom aux Baux-de-Provence où elle fut découverte. Que sont devenus au fil des ans ces incontestables avantages absolus ? La réponse générale revient aux historiens.

Historien de l’économie, Albert Broder1 dresse un tableau de la France aux XIXe et XXe siècles qui met à l’épreuve de nombreux paramètres. Il distingue électrochimie et électrométallurgie, deux domaines connexes dans lesquels l’industrie française a longtemps occupé une place de premier plan2. À propos de l’industrie électrique, il parle de « dépendance technique et de subordination industrielle au tournant du XXe siècle » en raison des difficultés de création de la Compagnie Générale d’électricité en 1898. Il note que certains matériels sont fabriqués en France, sous licence et dans des filiales de compagnies étrangères, et il ajoute : « La France ne dispose pas d’une industrie de biens d’équipement correspondant à sa situation dans le monde ». Dans ce domaine, les USA, l’Allemagne et la Suède ont une avance certaine. Il souligne l’étrange attachement à l’éclairage au gaz « qui donne toute satisfaction », notamment à Paris, et le manque d’intérêt des capitaux pour des investissements dans l’industrie. L’électrification urbaine progresse lentement, les tramways s’implantent difficilement faute de trouver une rentabilité satisfaisante dans la croissance de la demande de transport. Ces lenteurs expliquent peut-être la place prépondérante prise par l’État dans tous les domaines, et ses multiples interventions, contrôle des prix, barrières protectionnistes, législation, nationalisation.

Dans le document aux et siècles L ’ aluminium (Page 81-84)