• Aucun résultat trouvé

d) Conclusion : la politique européenne de la concurrence

Dans le document aux et siècles L ’ aluminium (Page 172-175)

La transposition de ce qui précède, aux pratiques européennes est effectuée par François Souty, cité par Médan et Warin (p. 108) : « le droit américain, plus que centenaire, influence et façonne d’une manière déterminante l’application des droits de la concurrence dans la plupart des pays développés ». Le constat est clair et peu surprenant en raison du pouvoir de la première économie mondiale. En droit, « la politique de la concurrence est mise en œuvre par la Commission européenne… Elle dispose de pouvoirs d’enquête et inflige des sanctions lors de pratiques anticoncurrentielles. » Les dispositions ne présentent pas d’intérêt particulier en raison de leur faible ancienneté. Pourtant, un cas récent concerne un producteur d’aluminium de longue date et reste dans les mémoires.

IV. Échanges internationaux et géographie économique

Pour produire de l’aluminium, la houille blanche et la bauxite constituent des avantages absolus. En France, en Suisse, en Écosse, à la différence des États-Unis, la production d’électricité a commencé dans des montagnes difficiles d’accès donc peu propices à la croissance de l’industrie et même, plus grave, au développement régional. Il fallait apporter les matières premières sur les lieux de production et remporter les produits. La géographie physique et la facilité des échanges ont donc conditionné la réussite initiale des projets mais aussi influé sur leur avenir. Plus tard, l’importance stratégique du métal et la grande quantité d’électricité nécessaire à sa production ont rendu la spécialisation et le transport essentiels. Quatre aspects interdépendants vont être évoqués, avant d’en venir aux échanges internationaux et à la géographie économique proprement dits.

Le commerce international

: c’est, depuis Ricardo, l’objectif assumé de toute spécialisation de la production, agricole ou industrielle. Les dotations factorielles et les avantages naturels y jouent un rôle crucial. Ce commerce s’évalue au niveau des nations — c’est une tautologie — et non au niveau des régions, écrivent Jean-Louis Mucchielli et Thierry Mayer2 qui expliquent : « les facteurs de production sont relativement immobiles. La mobilité des travailleurs est beaucoup plus faible entre les pays qu’à l’intérieur des pays… Les flux d’investissements directs entre pays, bien que fortement croissants, restent faibles, lorsque comparés aux flux de marchandises3… » et concluent : « c’est parce que les pays peuvent difficilement s’échanger des facteurs de production tels que le travail, le

1

En gras dans le texte.

2 Économie Internationale, J.-L. Mucchielli et T. Mayer, Éditions Dalloz, 2005. 3

En termes de flux, les ordres de grandeur diffèrent. Par exemple, en 1986, une usine de 220 000 tonnes de capacité a coûté en chiffres ronds 1 milliard de dollars. 25 ans plus tard, elle a généré 5 500 000 tonnes de produit à 1 800$/t, soit un chiffre d’affaires de l’ordre de 10 milliards de dollars, et elle est encore en activité !

capital, la terre ou le sous-sol qu’ils s’échangent des produits incorporant ces richesses factorielles ». Ils notent et le point est d’importance pour l’électricité, que les régions ne disposent pas en général1

d’instruments de politique commerciale ni de moyens de réguler les flux de capitaux.

La spécialisation

: l’électrolyse est en soi une spécialité par opposition au recyclage des déchets. La différence entre les deux tient à la nature chimique des impuretés ou des éléments d’addition qui influent sur les propriétés métallurgiques du produit. Il existe une autre spécialisation, dans la forme donnée au métal — plaques, billettes, fils et lingots — dans les dimensions et les poids unitaires, et enfin dans la pureté2 primaire du produit. Le catalogue des producteurs est varié et évolutif, il s’adapte à la demande — nouveaux formats et nouvelles compositions. En fait, les usines d’un producteur ne produisent pas toute la gamme des produits du catalogue, elles sont spécialisées.

La géographie économique

: Marshall a développé, en premier, le concept d’économies externes à partir d’une observation de la localisation de l’industrie. Des décennies plus tard, Paul Krugman a créé une discipline, l’économie géographique, et construit un modèle de localisation qui intègre les rendements d’échelle croissants, les coûts de transports et les retombées économiques de l’agglomération régionale. Application pratique : le nombre d’usines et les critères de localisation de l’électrolyse n’ont rien de commun avec ceux des usines de recyclage.

Le transport

: longtemps la théorie économique a considéré le transport comme gratuit parce que la localisation de la production n’était précisée qu’au regard du pays d’origine. L’idée qu’à l’intérieur d’un pays, le transport pouvait être la contrepartie payante de la grande taille des unités de production a changé cette façon de voir et accrédité l’existence des rendements d’échelle croissants, dans nombre de domaines. Ainsi, apparaissait une possibilité d’arbitrage3 entre la taille de l’unité de production et les coûts de transport, des produits comme des matières premières. Bien entendu, cet arbitrage évolue à moyen/long terme avec la croissance des quantités produites et le déplacement de la demande, nationale ou internationale. Dans l’aluminium à ses débuts, le coût de transport de l’électricité était prohibitif et imposait une localisation tout près de la chute d’eau. Il a beaucoup diminué dans le temps grâce au progrès technique — courant alternatif, redresseurs et réseau interconnecté de lignes de transport à haute tension — pour se stabiliser4 dans les années 1980. Les autres coûts de transport à considérer portent sur l’alumine et les produits carbonés dont les quantités sont importantes.

Les quatre dimensions qui précèdent ont été traitées séparément jusqu’à ce que Krugman en propose, à la fin des années 1990, une synthèse qui a ouvert une large voie de réflexion aux économistes. Depuis, on observe une unification de l’étude des échanges, nationaux et internationaux, et la mise en œuvre de stratégies mondiales d’implantation. Pourtant, il semble encore logique de traiter les situations du passé avec les outils économiques anciens et d’étudier séparément les échanges internationaux et la localisation de la production. La littérature spécialisée

1

Deux contre exemples sont fournis, dans un État fédéral, par le Québec qui jouit des droits sur l’eau et les utilise pour développer son industrie, et au Royaume-Uni par l’Écosse.

2

L’amélioration des procédés et une lente évolution des procédures d’exploitation a réduit les quantités d’impuretés contenues, surtout fer et silicium, et diminué les écarts-types. Aujourd’hui, la production mondiale est homogène autour de la norme de 99,7 % Al, la différenciation horizontale au sens donné par Mucchielli et Mayer (p. 41) a pratiquement disparu. La différenciation verticale, par la qualité, demeure et correspond à la difficulté de fabrication - outillages spéciaux et taux de rebuts plus élevés. Les prix en reflètent l’existence. 3

Dans le cas de l’aluminium, la classique hypothèse « toutes choses égales par ailleurs » perd sa force parce que justement les choses diffèrent. Voir la partie spécifique à la production.

4

Ce qui n’implique aucunement que les contraintes d’approvisionnement aient disparu. Le fournisseur de courant inclut les pertes – la notion d’iceberg de Samuelson s’applique parfaitement – dans sa tarification.

décrit en détail plus de cent ans de fonctionnement — aux États-Unis1 surtout et dans le monde occidental — d’une industrie que les guerres ont placée en tête des besoins stratégiques des pays belligérants et qui a su assurer ses débouchés au passage de la guerre à la paix. Le besoin d’électricité a toujours constitué un critère incontournable de localisation des usines d’électrolyse qui se traduit en avantage comparatif tant au sein d’un pays — ou d’une région — qu’entre pays producteurs. Les alternatives thermiques2 de production du courant ont pallié dans le temps le manque d’hydraulique. Elles ont facilité la concurrence internationale et amplifié l’interventionnisme des États qui en contrôlent peu ou prou la production.

Au début du XXIe siècle, le renchérissement prévisible du kWh aux court et moyen termes ainsi que l’application des nouveaux règlements environnementaux par les pays industrialisés, incitent les producteurs à revoir la répartition de leurs usines, chez eux et à l’étranger, et leurs capacités respectives de production. Le moment semble opportun pour effectuer un bilan des évolutions mondiales et pour anticiper une répartition géographique satisfaisante des productions entre première et seconde fusion. Idéalement, cette réflexion devrait poser la question des lois de la concurrence et des ententes, car le passé a montré que les suiveurs de l’industrie, livrés à eux-mêmes, survivent difficilement. Sinon, les pays qui disposent aujourd’hui d’une électricité à bas prix parce qu’ils sont adossés à une rente — Canada, Golfe Persique, Australie — ou pour d’autres raisons — Russie, Chine, Brésil — sont sûrs d’emporter la mise suivant la théorie de l’oligopole et des rende-ments croissants. Les choses vont vite. Dans la plupart des cas, il reste aux pays consommateurs-nets à rationaliser le recyclage chez eux ; plus leurs bases seront larges et structurées, plus ils disposeront de marges de manœuvre.

En somme, tout se passe aujourd’hui comme si l’aluminium était devenu une « matière première minérale », localisée là où son coût de production est compatible avec le prix du marché mondial. Les besoins en métal dépendent du niveau et du mode de développement atteint par chaque pays. Pour les satisfaire, un transformateur achète au producteur3 le mieux offrant, a priori le plus proche, et il est vraisemblable que des échanges — ou swaps — se pratiquent entre producteurs pour compenser les déplacements géographiques de la demande. La transformation en produits semi-finis et en biens de consommation s’effectue dans des installations existantes ou bien s’organise peu à peu suivant les règles éprouvées de l’économie géographique. Alors, il semble plausible que les usines de recyclage obéissent aux mêmes principes de localisation que les usines de transformation dont elles reprennent les produits en fin de vie4. Elles devraient en conséquence se situer à proximité de celles-ci, à supposer qu’elles bénéficient d’effets d’échelle comparables. En présence de rendements constants — ou presque — ces dernières seront petites et nombreuses. Certaines pourraient être situées près des points de collecte des déchets et donc plus proches des lieux de consommation que les usines d’électrolyse.

Les concepts de l’économie internationale constituent un corpus, évolutif lui aussi, dont les aspects relatifs aux échanges vont être présentés avec quelques indicateurs usuels.

1

Les États-Unis constituent à la fois l’exemple le mieux documenté et le plus significatif. Le cas de la France a été traité par René Lesclous dans son livre Histoire des sites producteurs d’aluminium, Les choix stratégiques de Pechiney 1892-1992, Les Presses de l’École des Mines, Paris 2004.

2

Il est difficile de croire que les quantités d’électricité produites par l’éolien ou le solaire et leur prix puissent un jour concurrencer le thermique pour la production d’aluminium primaire.

3

Ici, sauf exigences de pureté particulières, le producteur peut être l’électrolyseur ou le recycleur. La transaction s’effectue directement, ou via le LME ou d’autres marchés comme Shanghai – voir plus loin.

4

Dans le document aux et siècles L ’ aluminium (Page 172-175)