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b) Le prix de l’aluminium et ses origines

Dans le document aux et siècles L ’ aluminium (Page 157-161)

À l’inverse de l’électricité, l’aluminium se conserve et se recycle indéfiniment. Son stockage permet de s’affranchir d’une contrainte et son prix n’a pas à être modulé. Le cycle de prix — s’il existe — s’avère beaucoup plus long6. Dans ces conditions, la politique de prix d’EDF est-elle applicable ? Est-il nécessaire de vendre au coût marginal pour atteindre l’optimum ? Est-ce économiquement possible7 ? Pour fonder une réponse sur une pratique répondant à d’autres

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Source : EDF, Cahier 30, DEPS, Tarification, juin 1995. 2

Dans les années 1980, EDF a tenté d’obtenir de Pechiney et d’autres clients importants un effacement, au moins partiel, en heures pleines, en contrepartie d’un tarif préférentiel. Le procédé de production s’est avéré incompatible avec toute modulation.

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La crise actuelle y incite… 4

Il en va tout autrement avec le livre de W. Waroquaux, Calcul économique et électricité, Coll. Que sais-je ? PUF, 1996.

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D’après J.-P. Biasutti, dans les Formes de la concurrence, Cours 2007. 6

Dans les années 1980, aux fins de construction d’une nouvelle usine, il était estimé à 5 ou 6 ans. 7

Médan et Warin fournissent une réponse, p. 24 : « On sait qu’une tarification au coût marginal (optimum de premier rang) conduit toujours le monopole naturel à faire des pertes… il est possible d’envisager la tarification au coût moyen. L’optimum social n’est pas atteint, mais c’est un moindre mal… Cependant, ce type de

critères, il convient de revenir à la situation de l’aluminium dans les années 1890, comparable à celle de beaucoup d’autres produits1 à leurs débuts, et de considérer les conditions de création de la demande pour un produit nouveau. La question, fondamentale, sera abordée de manière empirique. Pour l’aluminium à ses débuts, il existait — comme pour l’électricité — des substituts qui constituaient des points de comparaison. La compétition entre eux a duré plusieurs décennies2. Sur le sujet, Wallace3 fournit de nombreuses informations relatives aux États-Unis. Ainsi, quand l’aluminium électrolytique est apparu sur le marché, en 1888-1889, l’aluminium chimique se vendait $10/lb. Le prix du nouveau produit a alors été fixé à $5/lb, mais cela ne permettait que d’éliminer un concurrent déjà en place sans offrir de développement au marché. En 1890, le prix est donc abaissé à $ 2/lb pour des lots de 500 lbs qui trouvèrent difficilement preneur. En 1891, une guerre des prix avec un concurrent, Cowles4, porte le prix à 50 cents/lb, puis, en 1892-1893, il remonte à 75 cents/lb. Ensuite, une baisse est rendue possible par le passage à l’hydroélectricité et par l’amélioration du procédé, le prix diminue à 33 cents, par étapes. De 1899 à 1904, le prix reste inchangé. Mais, dès 1898, un prix spécial pour le câble en aluminium avait été fixé à 29 cents/lb au moment où le cuivre se vendait 14 cents/lb. Cela rendait l’aluminium compétitif pour la construction de lignes de transport d’électricité, alors en plein essor5.

Au cours des années suivantes, la hausse des prix des métaux concurrents, le cuivre, l’étain et le zinc, a conforté la position de l’aluminium comme le montre le tableau ci-dessous.

Prix US de métaux non ferreux 1900-1907

Année 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 Prix moyen

Al 99 % ¢/lb 33 33 33 33 33 35 36 42

Ratio des prix

Al/Cu 2,04 2,05 2,84 2,50 2,58 2,24 1,88 2,10 Al/Sn 1,10 1,24 1,23 1,17 1,18 1,11 0,98 1,10 Al/Zn 7,51 8,11 6,28 6,36 6,69 6,11 5,95 7,23

Source : D. H. Wallace, op. cit.

L’aluminium a construit son succès sur une stratégie de baisse du coût de l’énergie et sur l’amélioration du rendement du procédé de production. La recette était bonne. La comparaison

tarification pose aussi des problèmes (asymétrie d’information, méconnaissance des coûts, partage des rentes). » On retrouve des situations déjà envisagées précédemment. L’aluminium a cessé d’être un monopole naturel depuis l’expiration des brevets d’origine… En France, sa nationalisation a été effective dans les années 1980 et virtuelle pendant les nombreuses années de contrôle des prix.

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La variété des situations va du prix à fixer pour le nouvel appareil d’Apple à celui de l’introduction en Bourse de l’action Facebook, pour prendre des exemples d’actualité.

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Le moment où cette compétition a cessé d’influer sur le prix relatif a pu passer inaperçu alors qu’il aurait dû s’accompagner d’un tournant de la stratégie. Voir la comparaison cuivre-aluminium sur une longue période. 3 Market Control in the Aluminum Industry, Donald H. Wallace, Harvard University Press, 1937.

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La lutte entre les deux entreprises, pour des questions de brevet, a été féroce. 5

Un ratio de 2 entre les prix de l’aluminium et du cuivre est justifié par les propriétés électriques et les masses volumiques respectives des deux métaux.

pourrait être poursuivie1, avec des enseignements sans doute différents car les récents écarts du marché surprennent (voir parties B § a IV les échanges internationaux et B § b VI les grandeurs économiques les plus influentes, les prix). En effet, le prix du cuivre a beaucoup augmenté depuis la fin des années 1930. Aujourd’hui, il vaut couramment 3 ou 4 fois plus cher que l’aluminium à poids égal. On peut supposer que, dans l’après-guerre, la concurrence entre le cuivre et l’aluminium ne portait plus sur du câble électrique — l’électrification était presque terminée — mais sur des produits beaucoup plus sophistiqués et coûteux comme les applications électroniques. Étonnamment, il n’y a pas eu d’inversion du phénomène avec l’électrification en Asie…

c) Le monopole

La théorie économique du monopole est connue, « le monopole naturelest caractérisé par des coûts moyens décroissants… » et il a intérêt à produire au maximum de sa capacité. Les circonstances de la naissance de l’industrie de l’aluminium ont déjà été énoncées, monopole naturel pendant la durée des brevets de l’électrolyse ignée2 et marché protégé par des barrières à l’entrée. L’industrie s’est ensuite efforcée de mener une stratégie de pouvoir dans tous les domaines. La notion de monopole ne suffit pas à caractériser le fonctionnement de l’entreprise. Elle investit et opère suivant deux possibilités, au moins, la maximisation absolue de la production — « les tonnes » — ou bien la maximisation sous contrainte de minimisation de la consommation d’électricité qui conduit à une production légèrement inférieure3 mais économe. Dans sa croissance, le monopole, plus que toute autre firme, recherche les économies d’échelle et court le risque du surinvestissement. Médan et Warin ajoutent des développements théoriques qui n’ont pas encore été évoqués. D’abord, ils acceptent les rendements croissants qui « correspondent à l’existence d’économies d’échelle ». Ensuite ils introduisent, en relation avec la théorie des marchés contestables, les « économies d’envergure qui résultent des complémentarités existant dans la production de différents biens ou services. Alors le monopole se justifie si la fonction de coût d’un groupe de différents produits est sous-additive… » Ce type de situation a justement motivé l’intégration verticale de l’industrie de l’aluminium qui a perduré jusqu’aux années 1980, l’époque des grands bouleversements. Ni le risque d’excès d’investissement, ni la coexistence de plusieurs monopoles locaux ne sont envisagés à ce stade. Il faudra y revenir plus tard, au titre de l’incomplétude de l’information et de l’incertitude.

D’autres caractéristiques du monopole sont rappelées ci-dessous avec leurs conséquences. Le monopole est précaire, sa gestion influe sur la structure du marché. Il fixe le prix du produit pour autant qu’il conserve un pouvoir de marché qui peut lui échapper dans deux cas : soit un excès d’investissement — ou une crise exogène — fait chuter les prix et met à l’épreuve sa solidité financière, soit un profit élevé provoque l’arrivée de compétiteurs. Après la succession de sauts technologiques de l’après-guerre dont l’importance a sans doute été sous-estimée, Joan Robinson décrit parfaitement la situation de l’aluminium : «Comment la concurrence peut elle se maintenir si chaque entreprise qui se crée vend moins cher que ses concurrents, bénéficie de plus d’économies d’échelle et par conséquent baisse ses prix jusqu’à ce qu’elle soit en situation de monopole ?»4.La

1 Cf. par exemple : The Rise of Big Business in the World Copper Industry 1870-1930, par Christopher Schmitz, Source : The Economic History Review, New Series, Vol. 39, No. 3 (Aug., 1986), pp. 392-410; Published by: Wiley-Blackwell on behalf of the Economic History Society ; Stable URL: http://www.jstor.org/stable/2596347 2

Vingt ans pour le brevet Hall, quinze pour celui de Héroult, mais divers additifs ont prolongé la situation de quelques années.

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Il a été dit plus haut que la première des deux stratégies était pratiquée par les Américains qui voulaient des tonnes à vendre et la seconde par les Français qui manquaient d’électricité et… aiment les défis !

fragilité d’un monopole vient donc du renouvellement de la technologie, l’industrie de l’aluminium en a fait l’expérience douloureuse. Se référant à Schumpeter, Médan et Warin le confirment : « La notion de rendements croissants va donc de pair avec la notion d’innovation ».

Avec le recul du temps, ce qui a guidé les débuts de l’entreprise, c’est que le prix élevé de l’aluminium chimique ouvrait un marché restreint et qu’il devait être fortement abaissé pour créer de nouveaux débouchés ; ensuite, jusqu’à la différenciation mise en évidence par la Première Guerre, les prix des autres métaux non ferreux ont servi de repère pour élargir la part de marché.

d) La technologie

En matière de technologie, dans le monde du capitalisme industriel où s’est développée l’industrie de l’aluminium, la référence à Schumpeter est incontournable. McCraw, l’auteur de l’analyse du livre de Berle and Means citée plus haut1, a aussi écrit un livre sur Schumpeter qu’il cite ainsi : "Without innovations, no entrepreneurs ; without entrepreneurial achievement, no capitalist returns and no capitalist propulsion2". Un bref commentaire3 dit que Schumpeter a écrit cette synthèse lapidaire pendant la Grande Dépression. À l’époque, ce dernier ne partageait pas l’opinion de ses contemporains qui pensaient que la technologie avait atteint ses limites et le capitalisme dépassé son apogée. Au contraire, il considérait que le mouvement incessant de création est la caractéristique essentielle du capitalisme et que tout entrepreneur peut voir son produit remplacé par un meilleur produit, son activité remplacée par une autre, mieux organisée ou supportée par une meilleure stratégie. Cette évolution, technologique et/ou organisationnelle, a fait l’objet d’une théorisation dans le cadre de « la contestabilité d’un marché » qui sera bientôt étudiée ; elle s’applique bien à l’aluminium. Elle se retrouve aujourd’hui en première ligne de l’actualité, dans un cadre plus complexe en raison de la grande diversité des situations.

Il existe aussi une forme de rente — naturelle ou acquise — qui a longtemps constitué un repère dans l’étude de la production. Dans les années 1980, de façon réductrice, il était admis que les atouts étaient partagés — inégalement — entre trois grands producteurs : Alcoa avait la bauxite, Alcan l’électricité et Pechiney la technologie. Faute de capitaux4, l’atout technologique qui aurait pu être déterminant après les progrès des années 1980 n’a pas compensé l’accès privilégié aux matières premières. L’évolution technologique fera, dans la dernière partie, l’objet d’analyses car la relation, dans le temps, entre le progrès technique et l’investissement en capital a conditionné la croissance du XXe siècle. Il est probable que la même conjonction se produise aujourd’hui dans d’autres domaines aussi techniques. Il n’existe de solution correctrice ni pour l’industrie de l’aluminium, ni pour l’économie des pays en cours de désindustrialisation. Pour l’aluminium, une nouvelle rupture pourrait venir de l’obligation mondiale de protection de l’environnement contre les gaz à effet de serre — notamment le CO2. Alors, peut-être, la compétition reprendra à la base, avec de nouveaux paradigmes, peut-être aussi avec de nouvelles techniques. Elle nécessitera de nouveaux investissements par les entreprises qui en auront les moyens et, bien entendu, dans les pays qui leur offriront les meilleures conditions…

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Cf. {2e partie § 1. II. iii.}. 2

« Sans innovation, pas d’entrepreneur; sans la réussite de l’entreprise, pas de rendement du capital et pas de croissance capitaliste ». Traduction libre.

3 Rediscovering Schumpeter: The Power of Capitalism, Q&A with: Thomas K. McCraw, Published Harvard Business School Website: May 7, 2007 Author: Sean Silverthorne.

4 C’est pour cette raison que Pechiney a vendu « at cost » la moitié de sa part dans la toute nouvelle usine de Bécancour (Québec) en 1987.

Dans le document aux et siècles L ’ aluminium (Page 157-161)