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ET LA DIVERSITE DES ACTEURS « VUS PAR LE HAUT »

A TRAVERS LES ACTIVITES PRODUCTIVES

A) Du guide découverte au guide promotionnel

I- III6- Enseignements

Les entreprises du tourisme représentent un poids considérable dans l’économie mondiale et

en France notamment. Ces dernières sont dominées par des grands groupes de niveaux

national ou international, adoptant des logiques liées à l’économie de marché multipliant les

opérations de cessions et acquisitions pour assurer un développement capitalistique. Ces opérations dominent aussi les organismes professionnels patronaux qui ne parviennent pas à représenter significativement les « indépendants ». Fort de leurs positions, elles dictent (ou orientent pour les plus optimistes) les politiques publiques tout en développant leurs propres stratégies de marque.

d’une activité et sites Internet. Ces avis devront être faits d’informations relatives à des expériences personnelles

de consommation et être destinés à une restitution au public. La norme pourra être appliquée – de manière volontaire - par les sites de vente en ligne (produits et services), les sites dédiés aux avis de consommateurs, que

ces derniers les collectent pour le compte d’une enseigne donneur d’ordre, ou pour leur propre compte dans le

cadre de leurs activités ». AFNOR, 2012.

http://www.afnor.org/groupe/espace-presse/les-communiques-de- presse/2012/mai-2012/avis-de-consommateurs-sur-internet-la-future-norme-afnor-definit-les-premieres-exigences-de-fiabilite (consulté le 17/08/12).

Face aux enjeux du développement durable, les entreprises communiquent beaucoup sur les efforts consentis, très calculés, essentiellement tournés vers la diminution des charges liées aux consommations des fluides et à la gestion des déchets. Pour témoigner face au public de leurs efforts, elles construisent leurs propres référentiels et leurs propres signes de reconnaissance « éco-responsable ». Des signes qui vont ensuite être « institutionnalisés » à travers les médias et les marques territoriales (nationales et régionales). A ces derniers se rajoutent les signes officiels (ou reconnus comme tels) portés par les Institutions mais qui

vont pour l’essentiel être appropriés par les plus grands groupes.

Ainsi, s’il existe beaucoup de démarches de qualification éco-responsable, finalement peu

d’établissements sont concernés. Le nombre de démarches est très souvent décrié, y compris

par ceux et celles qui en gèrent, mais il ne diminue pas, chacun s’auto justifiant du bien fondé

de sa démarche200. Le nombre de démarches augmente au contraire avec une tendance en

faveur des marques ombrelles dont l’objectif se veut de faciliter le choix des clientèles ! Dans

ce contexte, l’Union Européenne réfléchit à un label européen du tourisme de qualité fixant des critères minimum de qualité ! A cela devraient se rajouter les Critères Mondiaux de

Référence pour le Tourisme Durable

La reconnaissance de toutes ces démarches par les clientèles est faible. De plus, il est presque

impossible pour ces dernières d’en connaître le contenu, à moins de faire un travail d’expert.

Simultanément, les grands groupes élaborent leur propre stratégie en se donnant les moyens de communiquer dessus et mettre en avant leurs engagements en faveur de la durabilité. Les clientèles vont alors davantage reconnaître les marques commerciales que les démarches institutionnelles. Ainsi la marque « constitue le meilleur signe de qualité qui soit » (François Clair, gérant associé de Protourisme, 2009).

Cette réalité entraîne une véritable confusion entre normes, labels, marques territoriales,

marques commerciales… que vont alimenter certains médias (délibérément ou non) voulant

apporter une information « claire et synthétique » aux citoyens (et futurs consommateurs) sur les démarches relevant du tourisme durable. En quelque sorte, cette confusion se retrouve dans la marque nationale Qualité Tourisme qui reconnaît une hétérogénéité de démarches avec une place prépondérante accordée aux offres de chaines.

200L’exemple des Cahiers Espaces sur Qualité & Tourisme (n°102 de septembre 2009) est significatif : sur les 25 articles, un seul auteur était « indépendant » vis-à-vis du contenu. Les autres articles sont rédigés par les responsables de démarches qualifiantes qui en faisait la promotion sans apporter la moindre analyse critique.

L’hébergement semble être la filière la plus dynamique au niveau des démarches entreprises. Ces dernières concernent les grands groupes et/ou les établissements « haut et très haut de gamme » situés dans les principales destinations (stations, grandes villes). Les hébergements

diffus (gîtes ruraux, chambres d’hôtes…) situés principalement dans les espaces ruraux et naturels tentent aussi, avec des moyens bien moins importants, de se positionner. Le tourisme à vocation sociale propose des démarches assez abouties mais peu visibles. La filière du voyage et plus encore la restauration, sont encore peu impliquées même si quelques initiatives

récentes témoignent d’une volonté de progresser en la matière. Dans tous les cas, ces démarches sont difficiles à identifier par les touristes. Ainsi, comme le notent Reinauld et

Vandewalle (2010) à propos des voyagistes, « l’achat d’un produit touristique durable sera le

fruit d’une recherche ciblée par un consommateur averti ou… d’un heureux hasard ».

Très majoritairement les démarches se référant au développement durable privilégient la gestion environnementale. Les référentiels sont par conséquent semblables, plus ou moins

contraignants201. Ces démarches en oublient l’essentiel, à en croire les principales attentes des

clients : l’authenticité, la rencontre, le partage, la connaissance du territoire…

La prédominance des grands groupes et la similitude des principales démarches auto

proclamées « tourisme durable » tendraient donc à standardiser l’offre plutôt qu’à la

diversifier. Schéou (2011) note que « le système de certification, par le biais du passage

obligé par une grille de critères, entraîne l’appauvrissement de la diversité des démarches existantes du fait de l’harmonisation des labels ».

Devons-nous indiquer que la formule standardisée du développement ignore les solidarités, les savoir et savoir-faire des sociétés traditionnelles, et qu’il faut repenser et diversifier le développement de façon à ce qu’il préserve les solidarités

propres aux enveloppements communautaires (Hessel S., Morin, E., 2011).

Des initiatives isolées, de la part de professionnels (acteurs de l’économie sociale et solidaire

et du tourisme à vocation sociale, acteurs « indépendants ») voulant s’engager concrètement

en faveur du tourisme durable, émergent un peu partout. En dehors des politiques dominantes,

elles ne peuvent bénéficier d’importants moyens de communication, les rendant « peu

lisibles » auprès des clientèles touristiques. L’explosion du e-tourisme leur ouvre de nouvelles

201

Reinauld et Vandewalle (2010) notaient, concernant l’analyse des principaux voyagistes, que les

engagements étaient souvent formulés de manière vague : « « nous favorisons », « nous privilégions », « nous

opportunités. Faut-il encore que les acteurs porteurs de durabilité en soient conscients et

qu’ils puissent en maîtriser les techniques.

A travers cette première partie, nous pouvons tirer quelques enseignements fondamentaux quant à la diversité des acteurs concernés par le tourisme et à la prise en compte de cette

dernière dans l’application du concept de durabilité. Plusieurs entrées sont envisageables pour

cela : la caractéristique des activités, les échelles d’intervention, les statuts des organisations,

les fonctions, les logiques de développement… (cf. illustration 17). Illustration 17 : La diversité des acteurs liés au tourisme

Arcuset, L., 2013

Nous choisissons d’entrer par les activités et leur lien au tourisme. En analysant les textes

économiques ou encore les pratiques des touristes, nous observons des activités

caractéristiques du tourisme (hébergement, restauration, voyages…), des activités

partiellement touristiques (transport, environnement, sports et loisirs…) et des activités non

touristiques, qui n’en demeurent parfois pas moins importantes, voire fondamentales (nous y

incluons notamment les activités et les acteurs qui sont exclus du secteur, sur un territoire donné, pour une population donnée comme les non-partants).

Nous observons en effet des situations différentes selon les territoires dépendant de facteurs

comme leur caractéristique dominante (urbain, rural, naturel…) ou encore leur niveau de touristicité... En France, plusieurs échelles territoriales interviennent en faveur du tourisme en

exerçant des compétences ou des missions : l’Europe, l’Etat, les collectivités territoriales et

des territoires de projets (comme les Pays Loi Voynet ou les parcs naturels). Au sein des territoires nous retrouvons les activités productives, en premier lieu les entreprises. Celles-ci peuvent être représentées et/ou organisées à travers des fédérations, des syndicats, des chaines intégrées ou volontaires, des réseaux. Certaines activités productives, de par leur statut et

leurs valeurs, se distinguent en faisant partie de l’économie sociale et solidaire comme les

structures touristiques à vocation sociale. Entre les organisations publiques et les activités

productives, de nombreuses structures d’économie mixte vont intervenir, notamment en

termes de gestion d’équipements.

Au sein des territoires, des groupes sociaux jouent certainement les principaux rôles : les habitants, les salariés et les touristes. Ces groupes sociaux sont complexes : ils entretiennent entre eux des relations fondamentales, ils peuvent se chevaucher : un habitant peut être aussi bien salarié ou touriste, et inversement.

Les organismes publics, mixtes ou privés, mais aussi les groupes sociaux, vont exercer et/ou

bénéficier des fonctions que nous proposons de classer en trois catégories selon qu’elles

soient principalement liées à :

- La connaissance (nous y incluons la recherche, la formation et l’ingénierie),

- L’action (nous y plaçons les différents programmes de développement et

d’accompagnement),

- La reconnaissance (nous y mettons les démarches de marquage, de labellisation, de

certification… ainsi que les démarches de communication à travers les différents médias).

Les fonctions vont relever des stratégies qui peuvent se définir selon :

- les intérêts défendus qui peuvent être :

o individuels / collectifs. Dans le premier cas, des individus s’expriment en leur

nom propre ou au nom des intérêts qu’ils représentent directement (leur entreprise, leur association, leur commune). Dans le second cas, les individus

s’expriment au nom d’un groupement, d’un collectif représentant plusieurs

entités (organisation professionnelle ou salariale, groupement de

communes…).

o minoritaires / majoritaires, dominants / significatifs / marginaux, consensuels /

conflictuels, publics / privés, internes / externes…

- les temporalités : à court, moyen et/ou à long terme, prospective…,

- les idéologies ; elles peuvent être « de droite », « du centre », « de gauche »,

extrémistes, écologiques, humanistes…,

- les croyances : philosophiques, religieuses,

- les enjeux ; ils peuvent être territoriaux, sectoriels, durables…,

- les cibles : population locales, entrepreneurs, salariés, habitants, touristes…

La mise en œuvre des stratégies dépend des moyens qui peuvent être :

- humains (mobilisation du savoir, du savoir-faire, du savoir être),

- techniques ou technologiques (outils de communication, d’aides à la décision, de construction…),

- financiers (financements publics, privés, mixtes…).

Tant au niveau des intérêts qu’à celui des moyens, un acteur peut être concerné par plusieurs d’entre eux202

, ceux-ci pouvant parfois être jugés comme « contradictoires » ou « dangereux »

(un élu qui est aussi chef d’entreprise par exemple).

Concernant la temporalité, il peut y avoir des évolutions (plus ou moins radicales) sur les

stratégies et/ou les moyens. Il peut y avoir aussi des évolutions sur le nombre d’acteurs en jeu,

certains se « retirant du jeu » (plus ou moins brutalement,) n’ayant plus (définitivement ou

temporairement) d’implication (volontairement ou non) dans le processus de développement

touristique. Ces évolutions sont nombreuses dans le tourisme comme le rappellent Sacareau

(1997)203 et Lazzarotti (2010) car « il est changements, renouvellements et transformations en cours ».

A partir des situations, des fonctions et des stratégies, il est possible de proposer des

typologies d’acteurs. Par exemple, Jacques Perret a élaboré une typologie des

entrepreneurs204, avec :

- les passionnés, plutôt jeunes, indépendants, construisant leur activité professionnelle

autour d’un projet de vie,

- les entrepreneurs, créant leur entreprise (souvent de taille modeste) pour en vivre

correctement en s’attachant à « coller » aux évolutions du marché,

- les industriels, gérant des entreprises de taille souvent importante et spécialisées dans

le tourisme,

- les rénovateurs, liés à d’autres secteurs mais recherchant à se diversifier en proposant

des prestations complémentaires mettant en valeur leurs savoir-faire et les richesses locales,

- les labellisés, proposant une prestation bénéficiant d’une marque et/ou d’un label et

représentant souvent une vitrine de leur filière,

- les héritiers reprenant l’activité familiale en y « apportant des changements mineurs en

ayant des pratiques largement influencées par leur histoire, leur héritage… »205.

Cette diversité d’acteurs va ou ne va pas s’inscrire dans une logique de durabilité. Les acteurs voulant s’inscrire dans cette durabilité, encore largement minoritaires, vont œuvrer plus ou plus ou moins activement, sincèrement, efficacement et ce, en poursuivant des objectifs pouvant être très différents. Nous avons mis en évidence que parmi les entreprises, celles qui

appartiennent à d’importants groupes (concernant « les industrielles » et « les labellisées »),

fortes de leur puissance économique, s’organisent pour influencer les politiques touristiques

portées par les institutions. Elles vont s’approprier le concept de développement durable, le

redéfinir à partir de savoir-faire qu’elles maîtrisent. Le développement durable va alors

correspondre à une offre qu’il faut standardiser à partir de critères quantitatifs liés

203 In : Porteurs de l’Himalaya. Le trekking au Népal. Belin, 1997. Collection Mappemonde.

204

Cette typologie prenait en compte des critères qualitatifs liés à la trajectoire professionnelle, à leur situation sociale ou encore à leur perception du territoire et vis-à-vis du tourisme durable et des critères plus quantitatifs

comme le secteur d’activité, la gamme de la prestation et la taille de l’entreprise mais aussi l’âge (de l’entrepreneur et de l’entreprise), la spécialisation (pluriactivité ou non), la période de fonctionnement (activité saisonnière ou non), la clientèle ciblée…

205 Cette typologie sera reprise dans le guide de l’AFIT Piloter le tourisme durable dans les territoires et les entreprises (2001).

principalement au management environnemental. Nous sommes donc bien loin du concept de

durabilité tel qu’il est proclamé dans la Déclaration de Rio.

Ceci peut s’expliquer par la perte d’influence des institutions qui continuent à rédiger des

textes devant favoriser le développement et le tourisme durables sans se donner les moyens de les faire appliquer, laissant pas conséquent les acteurs partisans du néolibéralisme revisiter le concept, pour en faire un instrument de leurs politiques de croissance basée sur le

consumérisme. Ceci peut aussi s’expliquer par le manque de culture de la durabilité des

acteurs du tourisme, publics et privés, dû à une recherche, une formation et une ingénierie encore jeunes et peu développées. Dans une société où le court terme domine, les fonctions

liées à la reconnaissance vont s’imposer et précéder les fonctions de connaissance.

Dans ce système, le plus grand nombre des acteurs et la diversité de ces derniers ne sont que très partiellement pris en compte. Nous pensons plus particulièrement aux jeunes citoyens, aux non-partants, aux salariés et aux entrepreneurs indépendants (« les passionnés et « les rénovateurs » de la typologie de Perret). Nous reprenons alors un questionnement de Schéou (2011) : « Que deviennent ces acteurs exclus ? Doivent-ils disparaître de la scène touristique ? Quelle est la légitimité du système qui les écarte ainsi ? ».

Pour qu’il y ait changement de système, il convient auparavant d’analyser plus précisément la

situation « sur le terrain » pour savoir comment il serait possible de le conduire. C’est ce que

nous proposons de faire dans la seconde partie de cette recherche à partir d’expériences

variées, liées à la fois aux fonctions de la connaissance et de l’action, assurées par des acteurs

publics et privés, ayant comme point commun de vouloir tendre vers un développement durable du tourisme.

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