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5.1 CONTRIBUTION THÉORIQUE

5.1.1 Identification des déclencheurs de la PCSST

Une identification plus précise, plus fine des déclencheurs de la PCSST a permis d’atteindre le premier objectif de l’étude. Cette identification des déclencheurs de la PCSST aide à connaitre les motivations des entreprises à prendre en charge la SST. Les déclencheurs de la PCSST identifiés dans cette étude sont principalement les mesures incitatives et les interventions externes dissuasives.

Les mesures incitatives sont les incitatifs économiques et les incitatifs non économiques. Les incitatifs économiques sont les subventions et les primes allouées par les compagnies d’assurances publiques ou privées aux entreprises (Kankaanpää, 2010). Les résultats montrent que ces incitatifs ont eu des répercussions sur les entreprises. Les incitatifs économiques ont joué un rôle déclencheur de la PCSST à partir du moment où les dirigeants des entreprises, comme l’entreprise E2, ont reçu des primes (ristournes). Cela a renforcé leur compréhension de la rentabilité d'investir dans la prévention et de financer des activités de la SST. Habitués à la réparation des dommages causés par les ATMP, ces dirigeants ont compris la nécessité d’agir de manière proactive, ce qui leur a permis de continuer à recevoir des primes pour promouvoir la santé et la sécurité sur les lieux de travail. Les incitatifs économiques ont servi de déclencheur. Ces résultats montrent que le fonds de prévention (Nadeau, 2001), énoncé dans le modèle de départ, est un fonds d’utilisation et ne constitue pas un déclencheur de la PCSST. Ces résultats vont dans le sens des travaux sur les incitatifs économiques qui ont montré l’impact des mesures économiques (subventions, primes d’assurance) (Elser et Eeckelelaert, 2010; Kankaanpää, 2010; Nadeau, 2001; Tompa et al., 2007) pour renforcer le respect des lois et règlements de SST (Elser et Eeckelelaert, 2010; Frick et Kempa, 2011), l’amélioration de la performance des entreprises en SST (Uegaki et al., 2010), l’autonomie dans la gestion de la SST (Elser et Eeckelelaert, 2010) et l’investissement en SST (Elser et al., 2010; Nadeau, 2001; Uegaki et al., 2010). Cependant, les récompenses des jours sans accidents occasionnent

la compétitivité entre les employés et l’intimidation des victimes d’accident. Ce sont des sources de sous déclaration (Pérusse, 2005; Tompa et al., 2007).

La PCSST a été déclenchée également par des incitatifs non économiques. Les résultats montrent que l’embauche de nouveaux dirigeants compétents en SST, la participation aux grands prix SST, la connaissance des accidents graves ou répétitifs sont des déclencheurs de la PCSST. Des accidents répétitifs ou graves ont été rapportés comme des déclencheurs de la PCSST dans trois cas sur cinq. N’eût été ces accidents graves, soldés par un décès dans le cas E5 et leur répétition dans les cas E3 et E4, la PCSST ne serait pas déclenchée. L’apparition des accidents a poussé les dirigeants qui ont décidé d’agir au risque de ternir leur image ou réputation. Ces constats ont été observés dans d’autres travaux dans lesquels les auteurs relèvent que des accidents conduisent les entreprises à assumer leur responsabilité, soit pour préserver leur image ou leur réputation (Dobigny et al., 2010; Gey et Courdeau, 2009; Mouton, 2006; Munar, 2010). Par exemple, Mouton (2006) explique que la connaissance d’un accident « met en doute la capacité de l’entreprise à maîtriser les risques que son activité génère. Les entreprises s’exposent de plus en plus à des réactions de mécontentement à la fois populaire et médiatique » (p. 21). L’apparition des accidents graves (décès), comme dans le cas E5 amène aussi les entreprises à vouloir respecter la Loi pour éviter la récidive (Cunningham et Johnston, 1999). En cela, l’adoption de la Loi C21 depuis 2004 portant amendement du Code criminel canadien oblige les entreprises ou leurs dirigeants à assumer leurs responsabilités. Ils peuvent être poursuivis pour des manquements ou des négligences causant des blessures graves ou décès.

Dans le cas E5, ce sont plutôt les interventions externes dissuasives qui ont déclenché la PCSST. C’est à la suite d’un accident mortel que les inspecteurs ont recommandé à l’entreprise de prendre des mesures consécutives aux conclusions de leur enquête. Les interventions externes dissuasives ont contraint l’entreprise à s’intéresser à la PCSST. Par ailleurs, lors de la sélection des cas, cette entreprise avait témoigné de l’existence d’un système de PCSST, mais l’analyse approfondie montre une carence de PCSST.

Elle n’a pas rempli les conditions de pérennisation la PCSST, car son élan de PCSST après l’accident de 2001 n’a pas été maintenu dans le temps. Ces résultats rejoignent ceux de Pires (2008) dans son étude de cas au Brésil lorsqu’il explique qu’en recourant « aux sanctions seulement, les inspecteurs ont temporairement réussi à ramener les entreprises dans le système formel, mais l’absence de toute forme d’aide technique ou juridique a empêché la recherche de solutions pérennes » (p. 238). Les interventions externes dissuasives peuvent déclencher la PCSST, mais la PCSST demeure un acte de volonté interne à l’entreprise, et principalement de ses dirigeants.

Par ailleurs, à la suite des résultats, les interventions externes dissuasives ont été séparées des interventions externes pédagogiques pour leur rôle de déclencheur. Les interventions externes pédagogiques ont eu plutôt un rôle de soutien et d’accompagnement à la PCSST. Dans certains cas, les entreprises (sauf E5) ont sollicité le soutien des interventions externes, comme celles des acteurs étatiques (inspecteurs) et non étatiques spécialisés (firmes-conseils) dans divers aspects de la SST. Les inspecteurs ont accompagné le processus de la pérennisation par l’assistance, l’information et des conseils. Les ASP ont contribué par la formation tandis que les firmes-conseils et la mutuelle de prévention, à travers la réalisation des audits, détectent les points à améliorer et font des recommandations à mettre en œuvre par les entreprises avant le prochain audit. Le suivi des intervenants externes dans l’application des recommandations permet de maintenir la PCSST dans le temps. Ces cas sont analogues aux situations où les interventions externes ont apporté des « solutions juridiques ou techniques » (Pires, 2008, p. 227). Cependant, « les inspecteurs qui se sont bornés à imposer des sanctions sans les accompagner d’une assistance technique et juridique (stratégie d’aide pédagogique) n’ont obtenu que des changements mineurs » (Pires, 2008, p. 237). C’est l’exemple du cinquième cas.

Les interventions externes dépendent finalement de l’attitude adoptée par les entreprises à leur égard. Dans les cas E1 et E2 où les conditions de pérennisation sont

présentes, les entreprises sont allées chercher des ressources pour résoudre leurs problématiques. Elles demandent les avis des inspecteurs qui les accompagnent dans leur processus; ils donnent des conseils et fournissent des idées pour pérenniser la PCSST (Grabe, 1991; Robens, 1972). Cette étude s’inscrit ainsi dans le débat sur les interventions des inspecteurs. La littérature mentionne qu’en raison de leur sous- effectif, les inspecteurs sont limités dans leurs activités (Desmarais, 2004, 2013; Pires, 2008; Robson et al., 2007). Elle fait savoir également qu’ils interviennent de manière dissuasive ou pédagogique (Piore et Schrank, 2006, 2008; Pires, 2008). Cette thèse confirme, dans la majorité des cas (4/5) le rôle des inspecteurs qui peuvent agir comme des accompagnateurs pédagogiques. Ils interviennent dans certains cas pour conseiller, assister, informer, cela traduit leur rôle pédagogique.

Ces résultats ont permis d’atteindre le premier objectif de la thèse à savoir l’identification des déclencheurs de la PCSST. L’étude de ces déclencheurs a renseigné davantage sur le rôle des interventions externes permettant d’observer que la substitution des milieux du travail par des inspecteurs n’est pas automatique, d’autant plus qu’il y a des entreprises qui recourent aux interventions externes. Dans cette étude, les intervenants externes ont utilisé la contrainte dans un cas sur les cinq étudiés, cela confirme aussi l’attentisme des entreprises parfois réactives. Il a fallu des accidents graves ou répétitifs pour que les entreprises puissent déclencher la PCSST. Cela a été constaté dans trois cas sur les cinq étudiés. Les deux autres cas ont montré qu’il existe des entreprises qui ne sont pas réactives, ce qui pourrait expliquer leur différence en remplissant les conditions de pérennisation.