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2. Édition et informatique

2.2. Problèmes de terminologie

2.2.1. Hypertexte

L’hypertexte est un terme nouveau. Même si le concept est créé depuis une cin-quantaine d’années, il n’est adopté par la presse grand public qu’en 1987. Le Petit

La-rousse Illustré (édition 1995) le définit comme :

(n.m.) Technique ou système qui permet, lors de la consultation d'une base docu-mentaire de textes, de sauter d'un document à l'autre selon les chemins préétablis ou élaborés à cette occasion.

Le terme est absent des éditions encyclopédiques des dictionnaires français jus-qu'à une récente date. Ainsi, il ne figure dans Le Grand Robert de la Langue Française que dans l'édition de 2001 où sa définition semble plus inspirée des pratiques informa-tiques et littéraires:

HYPERTEXTE: n.m. et adj. - 1965, répandu v. 1988; calque de l'angl. des Etats-Unis hypertext de hyper- et text.

Inform. Fonction, qui dans un document informatique, permet de définir des ren-vois directs entre un élément (texte, image…) et d'autres, situés ou non dans le même fichier.

HYPERTEXTUEL, ELLE: adj. - 1993 en littérature v. 1987, de hypertexte et tex-tuel.

Seules les versions récentes du correcteur orthographique de Word le reconnais-sent, et celles-ci rejettent l’adjectif « hypertextuel ». Il s’agit pourtant d’un terme fré-quemment utilisé dans tous les documents qui traitent de la question, puisqu’on ne lui connaît pas de synonyme (contrairement à édition électronique ou édition assistée par ordinateur).

Pour saisir le sens du terme, il faut revenir en un premier lieu à son acte de nais-sance, à savoir le sens que lui donne Ted Nelson : « par hypertexte, j’entends

simple-ment écriture non séquentielle ».

2.2.1.1. La non séquentialité.

Peu bavarde, cette définition pointe la caractéristique principale de l’hypertexte: sa non séquentialité. Celle-ci est, par ailleurs, soulignée dans les définitions ultérieures de l’hypertexte. « L’hypertexte, écrivent A. MILON et F. CORMERAIS, contrairement au livre, se pense comme une somme non séquentielle d’informations, somme qui rend possible de multiples parcours de consultation »1.

La séquentialité est caractéristique de la présentation traditionnelle du texte. Ted Nelson considère qu'elle n'est nullement naturelle mais imposée par le support papier.

Une structure de pensée n’est pas séquentielle par elle-même. C’est un système de tissage d’idées (ce que j’aime appeler une structangle). Aucune des idées ne vient nécessairement la première ; et mettre ces idées en morceaux, puis les disposer sous la forme d’une présentation séquentielle, est un processus arbitraire et com-pliqué.

C’est aussi, souvent, un processus destructeur, dans la mesure où, en dégageant le système global du réseau pour le présenter séquentiellement, nous pouvons diffici-lement éviter de casser – c’est à dire de perdre- certains des réseaux du texte qui

sont une partie de l’ensemble.

Bien sûr, nous pratiquons cette sorte de décomposition séquentielle et simplifica-trice tout le temps ; mais cela ne signifie pas que nous devons le faire, cela signifie simplement que nous y sommes obligés. (…)2

Cette séquentialité est contraire à la manière naturelle de penser et impose à tous une manière unique de circuler dans le document. L’hypertexte propose une solution qui

1

Franck CORMERAIS et Alain MILON, Gestion et management de projet multimédia, Paris, L’Harmattan, coll. « communications en pratique », 1999, p. 26.

2 Ted Nelson cité dans le site « discours et communiqués » à partir de morceaux choisis et traduits de ses textes publiés.) http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/tasca-2001/extraits-nelson.htm, (ici

permet à tout lecteur de se déplacer dans différentes parties du texte en fonction de ses désirs ou de ses besoins.

Il est, par ailleurs, nécessaire de distinguer une présentation hypertextuelle d’une présentation « simplement multiséquentielle »1.

A la première correspond ce que Ted Nelson appelle l’Hypertexte étendu

(com-pond hypertext). Il s’agit d’un système de renvois : un mot, une image ou une partie de

texte renvoient à une (ou plusieurs) autres et la construction du texte se fait en fonction de cette navigation.

A ce mode de fonctionnement, Nelson oppose l’hypertexte à « blocs » ou « fragments » (chunk style hypertext). Le choix porte sur l’ordre de lire des portions ou des séquences des textes proposées dans un fonctionnement qui rappelle la manière de consulter un dictionnaire ou de lire un journal.

La réalisation et la manipulation d’un hypertexte à fragments rappelle, par ail-leurs, les pratiques liées à la consultation d’une base de données. Anne CHENET consi-dère, à juste titre, que la principale différence entre une base de données et un hyper-texte est celle de l’usage que l’on veut en faire : si l’on a besoin d’une information pré-cise, on aura recours à une base de données (pour une bibliographie, par exemple) ; mais si l’on désire « naviguer dans la base de données à son gré, comme on feuilletterait un livre »2 c’est l’hypertexte qui s’impose.

LAUFER et SCAVETTA3 considèrent, enfin, l’hypertexte comme un « hybride qui transgresse les frontières établies ». Il s’appuie sur trois modes de fonctionnement : il ressemble à une base de données mais utilise les anciennes méthodes d’accès direct ; il constitue un réseau sémantique dont les matériaux textuels sont peu structurés ; et il utilise « des procédés d’interfaçage intuitif, quasi gestuel».

1 GIFFARD, op. cit., p.102.

2 Anne CHENET, Eléments pour la conception d’un système multimédia, ADBS éditions, 1992, p.16.

3

2.2.1.2. La liberté.

La liberté est la seconde caractéristique de l’hypertexte. Dans l’introduction de leur Texte, hypertexte, hypermédia LAUFER et SCAVETTA définissent l’hypertexte comme : « un ensemble de données textuelles numérisées sur un support électronique, et qui peuvent se lire de différentes manières »1

Jean SÉGURA écrit : « L’hypertexte est un auxiliaire logiciel qui permet une libre navigation dans l’information. La démarche s’apparente alors à la façon dont notre cerveau fonctionne, par association d’idées» 2

.

Or la liberté de choisir son chemin dans un hypertexte nécessite de la part du concepteur la mise en œuvre de plusieurs procédés qui garantissent la transparence et la continuité de la navigation. Un bon document hypertextuel doit :

Informer le lecteur de ce qu’il y a derrière chaque nœud afin qu’il puisse déci-der d’y aller ou de rester sur la page initiale. L’affichage ne doit pas envahir la page et la lisibilité de celle-ci doit être sauvegardée.

Offrir une assistance ; pour que le lecteur soit orienté dans sa lecture, le logi-ciel doit lui rappeler, quand il en sent le besoin, le parcours qu’il a déjà effectué. La page initiale ou les pages visitées doivent rester accessibles ; faute de quoi, l’hypertexte risque de se transformer en labyrinthe où il est difficile de s’orienter, donc de choisir.

Proposer plusieurs accès ; lors de la lecture d’un texte littéraire, par exemple, une fonction « lecture » ou « consultation » doit être doublée par une fonction « re-cherche » ; le tout peut être enrichi par différents outils documentaires (biographies, bibliographie, index, etc.). Une interconnexion entre ces différentes fonctions enrichit la navigation et offre un enrichissement supplémentaire.

La notion de liberté est liée au concept d’interactivité. L’interactivité est « la propriété de ce qui permet un échange »1. Elle suppose une sorte de dialogue entre

1 Ibidem, p. 3.

2

l’homme et la machine via un écran et un ensemble de « boutons ». La manipulation d’un hypertexte rompt avec la passivité de la lecture traditionnelle.

En effet, le lecteur se déplace dans le texte selon sa propre manière de penser et non celle qui lui est imposée par l’auteur. Or, la réalisation des liens nécessite de la part du concepteur un choix prédéfini. « L’hypertexte implique que l’auteur ait à l’avance isolé au maximum des unités d’informations considérées comme auto-suffisantes, et ait déterminé tous les modes de lecture pertinents, un rude travail»2.

La liberté de lecture est donc, en réalité, limitée par les choix définis par l’auteur et les liens préétablis qu’il a imposé à l’utilisateur. L’hypertexte ne serait donc qu’une chimère et le projet idéal serait celui qui limiterait le moins la liberté du lecteur.

2.2.1.3. L’exhaustivité.

L’exhaustivité peut être considérée comme le troisième pilier de la notion d’hypertexte.

Les nouvelles capacités de stockage, permettant l’accès sans limites à des cen-taines de bases de données (en ligne) ou le stockage de dizaines de volumes sur un sup-port ultra-léger (le cédérom), ont créé chez les concepteurs d’hypertexte de nouvelles pratiques éditoriales.

Il semble, en effet, ridicule aujourd’hui d’éditer sur un cédérom une unité tex-tuelle isolée (par exemple un roman ou une pièce de théâtre) quand le support nous au-torise à en reproduire une dizaine3.

L’édition des grands corpus d’œuvres littéraires profite doublement du support numérique puisque celui-ci lui permet à la fois de stocker un nombre important de textes et d’y accéder aisément. Ceci intègre dans l’étude littéraire des textes de nou-velles dimensions (qui ne sont pas forcément postérieurs à l’évolution technologique du

2 CHENET, op cit. p. 26.

3 Les édition Bibliopolis, après avoir publié séparément les œuvres complètes de plusieurs romanciers de la seconde moitié du XIX ème siècle, a regroupé ces textes sur un CD-Rom unique : Romanciers

support électronique mais qui ont pu en tirer profit). Le texte n’est plus considéré comme un tout fermé (comme l’a souvent considéré l’approche structuraliste), mais comme un objet ouvert à différents liens, à une multitude de textes qui lui sont reliés ; d’où la naissance de nouvelles approches critiques et de nouveaux objets d’étude. La sociologie de la littérature, la critique des sources et la littérature comparée, pour n’en citer que celles-ci, font appel à des documents autres que le texte objet d’étude. La cri-tique génécri-tique prend en considération une autre dimension : l’avant-texte est l’ensemble des états du texte dont la manipulation permet de comprendre le chemine-ment de la pensée et du style de l’auteur. Une citation « dénichée » dans l’œuvre litté-raire peut être reproduite dans son intégralité et ramenée à son contexte initial.

Aussi peut-on résumer cette caractéristique en citant la revue Sciences et

tech-niques éducatives :

Le principe consiste ici à projeter sur une base de données textuelles non structu-rée un réseau de liens activables par l’utilisateur qui autorise des parcours de lec-ture motivés ; tel fragment textuel (telle « page ») que je suis en train de lire peut ainsi être reliée à d’autres fragments que je peux faire apparaître d’un simple clic de souris sur telle ou telle partie du texte de départ1.

Pour rappeler les différentes caractéristiques de l’hypertexte, arrêtons la défini-tion suivante : nous appellerons hypertexte tout document ou ensemble de documents de type textuels, présentés sous support numérique dont le mode de consultation autorise différents parcours de lecture. Le lecteur, libre de choisir les parties qui l’intéressent (qu’on appellera selon les logiciels, nœuds ou fiches), disposerait de liens clairement établis et d’une interface adéquate.

Le préfixe hyper souligne donc l’aspect multiple et est utilisé dans le sens ma-thématique de « hyperespace » : espace à n dimensions ; il est d’ailleurs utilisé dans d’autres termes.