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Les fondements de la notion d’hypertexte

2. Édition et informatique

2.1. Quelques repères historiques

2.1.1. Les fondements de la notion d’hypertexte

L’esprit humain ne fonctionne pas d’une manière linéaire. La lecture et l’acquisition des connaissances se font d’une façon globale.

La conversation orale est, elle aussi, rarement linéaire. Dans notre langage quo-tidien, nous sommes souvent confrontés à des situations où le sujet initial est délaissé pour « ouvrir une parenthèse », pour développer un détail ; un vocabulaire adéquat est intégré à la discussion : « revenons-y ! Où est-ce qu’on était ? De quoi on parlait ? etc. »

D’autre part, le texte a connu deux évolutions majeures :

De l’oralité à l’écrit : en passant de la forme orale à la forme écrite, le texte a suscité de nouveaux procédés de « lecture ». Devenu objet fini, figé, il a nécessité de nouvelles opérations de classement (tables de matières) ou d’interrogation (index).

L’évolution de l’objet-livre : l’évolution a continué avec le second passage du

papyrus ou volumen : rouleau qu’on lisait de gauche à droite de manière linéaire, au codex qui permet, en attachant les différentes feuilles d’un livre de s’y repérer, d’y

cir-culer différemment. De nouveaux besoins sont nés avec l’arrivée du nouveau support. Parmi ces nouveaux outils de lecture, Jean CLEMENT distingue :

ceux qui servent à l’organisation de la surface de la page [de] ceux qui servent à gérer le volume du livre. Les premiers favorisent une lecture tabulaire, fondée sur la liberté du parcours de la page. Ils trouvent leur aboutissement dans ce qu’il est convenu d’appeler la mise en page mosaïque. (…) Les seconds facilitent la lecture savante et encouragent l’encyclopédisme.1

L’hypertexte peut donc être considéré comme une nouvelle étape de cet achemi-nement. Que ceci soit considéré comme une évolution de notre façon de penser ou comme un retour vers les origines, la question n’a pas manqué de susciter des débats.

Ainsi, Christian VANDENDORNE dans Du Papyrus à l’hypertexte2 conteste l’assimilation du Cédérom à un nouveau papyrus3

. Il réfute ce rapprochement qui, pour légitimer l’insertion du nouveau support, ignore que rien (à part l’arbitraire de la navi-gation dans une hyper fiction) ne rapproche le Cédérom de ce vieil ancêtre.

Par ailleurs, quelques chercheurs considèrent cette évolution comme une ma-nière de rompre avec l’objet-livre. « L’édition électronique, écrit Jean CLÉMENT, franchit le texte de son rapport au livre, (…) L’objet-livre disparaît complètement et avec lui tous les repères typographiques et outils de lecture qui lui sont attachés »4.

Loin de dévaluer le livre, le texte numérique et l’hypertexte constituent des moyens annexes à la lecture. Ils ne peuvent, et ne visent nullement à remplacer le livre mais tentent de proposer aux usagers de nouvelles perspectives qui nécessitent l’adoption d’une nouvelle manière de manipuler et de lire le texte. On avait auparavant crié à la mort du livre, menacé par la radio, le cinéma et la télévision ; rien n’en était si ce n’est la migration de quelques lecteurs vers ces nouveaux supports au détriment du livre qui n’arrivait pas à répondre à leurs attentes.

Il semble donc que l’hypertexte est à la fois une révolution technique et un acheminement naturel dans l’évolution de la science herméneutique. Michel BER-NARD considère tout parcours non linéaire d’un texte écrit, à travers notes, index et

1 Jean CLÉMENT, « Du livre au texte. Les implications intellectuelles de l’édition électronique », dans

Sciences et techniques éducatives, le Livre électronique, Hermes, décembre 1998, Vol 5, n° 4, p.403.

2Christian VANDENDORPE, Du Papyrus à l’hypertexte, Paris, La Découverte, 1999, p. 192

3 le titre : CD-ROM : the New Papyrus a été attribué par Lambert au recueil des communications de la grande conférence organisée en 1986 par Microsoft pour le lancement du nouveau média.

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concordances et toute tentative de comparer des textes une pratique proche de l’hypertexte.

L’érudit médiéval qui travaillait devant une roue à livres pour accéder rapide-ment à plusieurs comrapide-mentaires des Écritures utilisait un procédé mécanique qui n’est pas très éloigné du fameux MEMEX imaginé par Vannnevar Bush, précur-seur de l’hypertexte, et l’informatique n’a fait qu’accélérer le processus. Mais, ici encore, le saut quantitatif est tel que l’on peut y voir un changement essentiel.1

D’autres genres de textes invitent d’ailleurs à une manipulation semblable à celle de l’hypertexte. La lecture d’une revue ne se fait pas de manière linéaire. Le lecteur est orienté au moyen des titres de première et des en-têtes des pages ; il choisit parmi une multitude de rubriques celles qui peuvent l’intéresser. Le journal est, par ailleurs, un support multimédia, ou plus précisément « bi-média », dans le sens où il fait appel sou-vent conjointement au texte et à l’image.

L’encyclopédie et le dictionnaire nécessitent un mode de lecture semblable. Ain-si, un article du Grand Larousse Universel propose souvent, en plus de la définition une rubrique encyclopédique, qui offre pour ceux qui souhaitent plus de précision des élé-ments supplémentaires ; le lecteur est parfois orienté vers les pages bibliographiques pour lire d’autres documents traitant du sujet.

Notons, enfin, que la notion d’hypertexte n’est pas spécifique à l’informatique. Gérard Genette, utilise le terme hypertexte pour désigner le point d’intersection entre

l’hypotexte (un texte précédant le produit artistique) et l’intertexte (qui vient après).

Même dans cette acception, la notion d’interactivité et de méga texte recrée les fonde-ments de l’hypertexte. Plusieurs théoriciens de l’hypertexte n’ont d’ailleurs pas hésité à relever dans quelques approches de la création et de la critique littéraires maints points de convergence avec la technique de l’hypertexte.2

Ainsi, J.- L. Lebrave fait remarquer que Stendhal « anticipait sur les dispositifs hypertextuels dans ses pratiques intellec-tuelles » et ce en faisant relier des fragments de ses différents ouvrages en mimant ce qui constitue aujourd’hui une édition en blocs ou en introduisant des chiffres et des

1 Michel BERNARD, Introduction aux études littéraires assistées par ordinateur, PUF, 1999, p. 150.

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icones aux marges de ses livres pour noter ses pensées, ce qui est l’équivalent, dans un hypertexte moderne d’un « ancrage »1

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