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1. Situer l’œuvre dans son contexte

1.2. Les Goncourt et le théâtre

1.2.2. Attributs

L’interrogation de la base FRANTEXT nous permet de relever 936 occurrences de la forme THEATRE2 dans le Journal des Goncourt. Le théâtre constitue donc une vraie obsession.

1.2.2.1. Récits des aventures et mésaventures avec le quatrième

art.

1 Nous ne prenons pas en considération ici les articles de presse publiés par les Goncourt au début de leur carrière dans L’Éclair et Le Paris et regroupés sous le titre Mystères des théâtres en 1853. Ces articles ne nous semblent pas exprimer, en effet, de vision théorique générale et se contentent de comptes rendus des pièces et de l’activité dramatique de l’époque.

2 Nous avons limité la recherche à cette forme. Le noyau textuel issu de cette recherche étant déjà assez large, nous l’avons parfois élargi, en fonction du contexte, à des occurrences d’autres termes du même champ lexical.

Aussi, le Journal, est-il utilisé par les Goncourt pendant les premières années, comme support regroupant des morceaux appelés « théorie sur le théâtre », (janvier 1852), « Théâtre » (mai 1854). Ils songent même à produire un roman sur le théâtre ou une pièce mettant en scène un auteur dramatique : « Type charmant, pour le théâtre, d'un homme remplissant les théâtres sans faire aucune pièce, en promettant un feuilleton de Saint-Victor, en allant beaucoup au café, en tutoyant tous les vaudevillistes »1; Les deux frères vont jusqu’à noter une tirade pour le théâtre.2

Il est ainsi l’espace où se trace l’histoire de leur création théâtrale, de la simple idée non formulée, à la datation des débuts et des fins de composition, ainsi peut-on lire dans une note de juillet 1879 : « J'ai publié mon théâtre avec une préface contenant des idées qui méritent une discussion.»3

Aux angoisses liées aux représentations se mêlent tantôt l’enthousiasme tantôt la déception et le récit des succès ou (beaucoup plus souvent) des échecs qui les suivent. Le Journal constitue « entre autres, la chronique de leurs malchances. On y trouve plus de renseignements sur le mauvais accueil fait à leurs œuvres que sur la genèse de celles-ci »4.

Les Goncourt y reproduisent par ailleurs les critiques qu’ils ont pu lire ou en-tendre et s’en défendent aussitôt. Ils y précisent leurs genres et auteurs préférés et y no-tent leurs préférences.

Il semble donc que, malgré leur acharnement, n’ayant pu réaliser pour la scène les mêmes succès que dans le roman, l’histoire et la critique littéraire, les frères Gon-court aient gardé pour le théâtre une amertume que la réussite des autres n’a pu que ra-viver. Le théâtre, moyen d’ascension sociale et d’enrichissement ne leur réussit pas ; et ce n’est, -pensent-ils- certainement pas dû à leur incompétence mais à l’imperfection de ce moyen d’expression artistique et à la mauvaise ambiance qui y règne.

1

Le 17 octobre 1860, Journal, Tome 1, p. 624.

2 Le 5 mars 1858, Journal, Tome 1, p. 333. Nous pensons voir dans ce « type » le modèle d’Anatole, le peintre bohême de Manette Salomon

3 Le 15 juillet 1879, Journal, Tome 2, p. 835.

4

Curieuse, la perpétuité de ces haines littéraires ! Elles nous ont jetés à la porte du théâtre, où, certainement, nous aurions fait quelque chose et quelque chose de neuf, elles ont tué mon frère... et ces haines ne sont pas désarmées 1

On peut également lire dans une note du 19 novembre :

Ce matin, presse exécrable. Au fond, le débat est au-dessus de la pièce. On ne veut pas de faiseurs de livres au théâtre et il y a une espèce de rage, chez les journa-listes affiliés aux gens de théâtre, de voir les romanciers prendre possession de l'Odéon... et cette pauvre Renée, je la crois décidément assassinée.2

1.2.2.2. L’actualité théâtrale

L’actualité théâtrale apparaît ainsi comme l’autre occupation des Goncourt. Mémoires de la vie littéraire, leur œuvre abonde en comptes rendus de pièces aux-quelles ils ont assisté ou en ont été témoins de la création ou des répétitions : (le Retour

du mari d’Uchard). Ils reproduisent aussi craintes et rumeurs et ultérieurement critique

mondaine ou journalistique. Ils agissent ainsi en chroniqueurs ou soiristes, peu objectifs certes (on peut ainsi lire la critique acharnée qu’Edmond réserve à Zola, son « ami », quand il sent qu’il est en train de prendre la voie pour être précurseur dans la théorisa-tion pour un nouveau théâtre) :

( A propos de Zola) Fouetté par la pièce de Daudet sans collaboration, par l'an-nonce de Germinie Lacerteux mise au théâtre par moi seul, le voilà qui a déclaré qu'il veut écrire une pièce tout seul ; et tout en déclarant que les temps ne sont pas arrivés pour accoucher du théâtre original qu'il veut faire, qu'il se réserve, il s'an-nonce comme le messie du théâtre, -et cela, le jour où il fait jouer ce Ventre de Pa-ris, ce vieux mélo, tout plein des effets d'un Dennery gaga et au succès volé grâce à la scène de la petite fille avec sa boîte à musique dans le ventre3 ».

« (…) Becque qui se met de la partie et m'attaque en compagnie de Zola, procla-mant que toute ma carrière dramatique se borne à une gloire et un rêve : la gloire d'avoir mis au théâtre le bal de l'opéra et le rêve d'y mettre le bal de la boule-noire. Ah ! Le petit méchant et le terrible ironique !... oui, il prétend être le seul, l'unique rénovateur du théâtre! Saperlotte, il lui faudra pour cela une autre langue que celle de Michel Pauper ! 4

Quant à son vrai ami, Daudet, il ne tarit d’éloges à son égard au sujet de son adaptation de Sapho, en tachant de signaler, au passage, que ses propres conseils y étaient pour grand chose.

1 Le 3 mars 1885, Journal, Tome 2, p. 1138.

2 Le 19 novembre 1886, Journal, Tome 2, p. 1281

3 Le 18 février 1887, Journal, Tome 3, p. 16. 4 Le 29 août 1887, Journal, tome 3, p. 55.

Le Journal permet ainsi de dessiner de l’actualité théâtrale une réalité subjective et simpliste qui distingue le bon du mauvais théâtre et qui préfère catégoriquement les classiques aux modernes.

1.2.2.3. Le théâtre : espace de mondanité

Le théâtre est aussi dans cette société de la seconde moitié du Dix-neuvième siècle un espace de mondanité. C’est le lieu où l’on se rend souvent ; source d’ennui pour Edmond :

Un symptôme curieux de l' ennui que me fait le théâtre, c' est que tout cela ne me semble pas vivant ; ça m'a l' air de tableaux peints, plats et vivants qu' on déroule, comme ces écrans qu' on dévidait 1

Il reste une obligation sociale puisqu’il s’y rend souvent invité par des amis ou des collègues. Un homme de lettres est obligé de connaître ce qui se joue dans les salles parisiennes les plus célèbres. On se rend au théâtre aussi pour rencontrer et être vu par les gens de la société, comme on irait au restaurant ou au salon de la Princesse Ma-thilde. C’est l’espace parisien par excellence, par opposition aux villes où il n’y a même pas de théâtre. C’est aussi, notent ironiquement les Goncourt, une caricature de cette société qui fait de tout une mode.

Ainsi les Goncourt sont-ils à la fois attirés et dégoûtés par cet endroit auquel ils réservent un intérêt mais aucun plaisir. Seule, semble-t-il, l’ambiance des coulisses (peuplée par les actrices célèbres auxquelles ils ont réservé une partie de leur œuvre) les fascine vraiment.