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2. L’édition des Goncourt : état des lieux

1.1. Les éditions « papier »

1.1.1. Statut particulier des manuscrits : variantes et brouillons

Soucieux de leur postérité, les Goncourt semblent avoir porté une importance particulière au devenir de leurs œuvres, ils ont ainsi décidé, eux-mêmes, de l’édition posthume de leurs textes. Deux faits majeurs justifient cet intérêt :

D’une part, le testament d’Edmond, donnant vie à l’Académie Goncourt, a pré-cisé le sort des manuscrits des deux frères :

Après ma mort, il sera trouvé dans ma petite armoire de Boulle, placée dans

mon cabinet de travail, une série de cahiers portant pour titre : Journal de la vie Littéraire, commencé par mon frère et moi le 2 décembre 1851. Je veux que les cahiers auxquels on joindra les feuilles volantes de l’année courante, qui seront dans un buvard placé dans le compartiment de ma bibliothèque, près de ma table de travail, soient immédiatement cachetés et déposés chez Me Duplan, mon notaire, où il resteront scellés vingt ans, au bout desquels ils seront remis au dé-partement des manuscrits de la Bibliothèque nationale et pourront être consultés et livrés à l’impression. Si la garde de ces volumineux manuscrits chez le notaire faisait quelque difficulté, ils seraient aussitôt remis à la Bibliothèque nationale et ne pourront être consultés et livrés à l’impression qu’au bout de vingt ans. Enfin si par impossible, la Bibliothèque nationale refusait le dépôt, je demande-rais à la famille Daudet de les garder jusqu’à l’expiration des vingt ans1

.

D’autre part, les Goncourt semblent avoir pris soin de détruire toute variante du

Journal, les brouillons et autres textes. Ayant légué à la future Académie la totalité de

leurs biens, les Goncourt ont garanti que peu de choses ne s’éparpille et la Bibliothèque nationale a pu acheter une grande partie de l’héritage « textuel » des deux frères.

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Edmond déclare par ailleurs, dans l’introduction au théâtre, avoir détruit maintes expériences théâtrales des débuts les jugeant de peu de valeur. On peut en déduire que c’était probablement, chez les Goncourt, une pratique courante de faire disparaître, de leurs armoires tout ce qu’ils jugeaient indignes de figurer dans leur bibliographie.

1.1.2. Rôle de l’Académie Goncourt

La création de l’Académie Goncourt a garanti, d’autre part, la publication pos-thume des œuvres complètes des frères Goncourt, une large entreprise commencée en 192, a duré une quinzaine d’années et a donné lieu à une édition définitive chez Flam-marion et Fasquelle (1921-1936 ; 33 titres et 46 vol.). Cette édition reprise entre 1985 et 1986 par la maison Slatkine a donné lieu à une édition en fac-similé en 21 volumes.

Cette édition définitive a permis en quelque sorte de mettre sur le même plan toutes les œuvres et de leur donner la même chance d’être connues par le public. Ainsi, il a été possible de conserver des textes des Goncourt au moins deux états originaux : d’une part les textes qu’ils ont publiés, eux-mêmes, de leur vivant et les textes publiés pour la première fois ou réédités par l’Académie.

Un fait mérite d’être signalé. Les Goncourt, bibliophiles, ont tenté de leur vivant des éditions regroupées de leurs textes. Ainsi Edmond a publié un volume qu’il a appelé

Théâtre dans lequel il a regroupé ses deux premières pièces : La Patrie en Danger et Henriette Maréchal. Devant l’impossibilité de faire jouer l’une et l’échec de l’autre sur

scène, l’auteur s’est offert le plaisir de les éditer pour les préserver de l’oubli. Il écrit ainsi dans la préface à La Patrie en Danger :

Je me résigne, à peu près de la même manière qu’on se suicide, à imprimer cette pièce, un peu consolé cependant par un pressentiment vague, qui me dit qu’un jour, un jour que nous devons tous espérer, cette œuvre mort-née sera peut-être jugée digne d’être la voix avec laquelle un théâtre national fouettera le patrio-tisme de la France1.

Une entreprise similaire concerne l’Art du XVIIIème siècle. Des essais et

biogra-phies que les deux frères ont consacrés aux différents peintres de ce siècle, le survivant a publié trois volumes consacrés aux différentes écoles de peinture. Une troisième

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rience a été tentée à propos de la Femme au XVII ème siècle. La publication en un volume

de leurs Préfaces et manifestes littéraires a d’ailleurs été raillée par les contemporains.

1.1.3. Les Grands absents

Cet intérêt particulier n’a toutefois pas pu protéger quelques uns de ses textes de l’oubli et de grosses lacunes caractérisent l’édition des Goncourt.

Nous notons, ainsi, que le Théâtre n’a jamais été réédité à part les deux textes faisant partie du volume Théâtre signalé plus haut. Quelques réimpressions ont eu lieu, à savoir celle de Germinie Lacerteux en 1902.1 Mais il n’existe, à ce jour, aucune édi-tion critique. L’édiédi-tion définitive ignore elle aussi les autres expériences dramatiques. Quant aux pièces adaptées par une tierce personne (Renée Mauperin, Les Frères

Zem-ganno par exemple), elles n’ont fait l’objet d’aucune édition.

Il a fallu attendre les années quatre-vingt pour qu’une équipe de chercheurs commence à s’intéresser aux œuvres de Goncourt. Ce qui a donné lieu, en plus des études, à une multitude d’éditions critiques ainsi qu’à la publication d’inédits et de la correspondance des Goncourt.

Les Cahiers Goncourt ont, par ailleurs, contribué à la création de plusieurs bi-bliographies et à la constitution de plusieurs séquences épistolaires, qui seront par la suite publiés dans des volumes distincts.

L’œuvre des Goncourt a ainsi connu, pendant des décennies, le mépris des lec-teurs et des chercheurs.

1.1.4. Le Retour à la mode

Il a fallu attendre l’édition critique du Journal par Robert Ricatte2

pour « re-mettre à la mode » la lecture des Goncourt ; et ce n’est qu’aux alentours des années70 et 80 que les chercheurs et les éditeurs ont commencé à s’intéresser aux textes

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Soulignons au passage que les trois textes exclus de notre corpus (A bas le progrès, la Faustin et la nuit

tiens. Ce n’est qu’alors qu’on a assisté à l’édition en poche de quelques romans, à la publication de quelques inédits, à la réédition de l’œuvre complète dans les années quatre-vingt et à la mise en disponibilité de la correspondance.

Deux autres dates ont en outre, relancé l’édition des Goncourt ; il s’agit de l’édition définitive de l’œuvre complète entreprise par l’Académie Goncourt dans les années vingt et la réédition en fac-similé de cette même édition chez Slatkine dans cette même période.

Signalons enfin que le Journal des Goncourt, publié par Robert Ricatte en trois volumes fait actuellement l’objet d’une édition estimée à une dizaine de volumes.1