3. Etude thématique
3.1. Les thèmes traités à l’époque
3.1.2. D’après la critique
André FEJES consacre en effet, dans son Théâtre naturaliste en France, publié en 1925, un chapitre1 aux sujets traités par le théâtre naturaliste. Il constate que les au-teurs de cette école n’ont pas hésité à reprendre quelques thèmes chers à leurs prédé-cesseurs (principalement Augier et Dumas fils) comme « le mariage, l’adultère, les luttes financières et les conflits d’intérêt, les intrigues de courtisanes et des chevaliers d’industrie ». Ils ont cependant abandonné d’autres sujets (le divorce, les conflits entre classes sociales et les luttes politiques et religieuses. Ils ont enrichi la sphère
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tique par « la peinture des toutes les classes de la société, même des plus basses, par la recherche de cas psychologiques nouveaux, et par l’introduction au théâtre de la physio-logie, de la pathologie et de la psychiatrie (…) non plus seulement les passions nobles (…) mais les passions les plus viles, l’ivrognerie, la débauche, ou même les maladies, la folie, l’hystérie »1
L’auteur énumère les thèmes suivants :
Thèmes Titres
Amour
amour passion : cause de malheurs ou de crimes
Thérèse Raquin, Zola Renée, Zola
l’Arlésienne, Daudet
Fromont jeune et Risler aîné, Daudet Henriette Maréchal, les Goncourt
amour chaste éprouvé par une fille publique La Fille Elisa, Goncourt, Ajalbert la passion pure et ses suites Amour, Hennique
La Revanche de Dupont d’Anguille, Méténier
l’homme hésitant entre deux femmes Ménages d’artistes, Brieux
femme qui aime un jeune homme qui l’abandonne
Raphaël, Coolus
l’homme tombant amoureux d’une femme indigne
Grappin, Salandri
Charles Demailly, Goncourt, Alexis et Méténier
Sapho, Daudet
Manette Salomon, Goncourt La Pelote,Bonnetain et Descaves Mariage
obstacles au mariage Les Résignés, Céard
Ceinture dorée, Augier Un beau mariage Augier Prose, Salandri
Jobards, Guinon et Denier
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Comme ils sont tous, Fabre
problèmes de famille Grand’mère, Ancey Le Maître, Jullien L’argent, Fabre
adultère
les causes de l’adultère la Rançon, Salandri
Les conséquences de l’adultère Monsieur Chaumont, Salandri La Crise, Boniface
Numa Roumestan, Daudet
Ménage à trois
La Parisienne, Becque Monsieur Lmblin, Ancey
Monsieur Betsy, Alexis et Méténier
Inceste
Leurs filles, Wolff L’Ecole des veufs, Ancey
adultère et inceste La Sérénade, Jullien
sujets politiques, sociaux, financiers physiologiques…
satire politique La Crise, Boniface Numa Roumstan, Daudet Le Candidat, Flaubert
problèmes sociaux La cage, Descaves
amour fraternel Les Frères Zemganno, Goncourt, Alexis, Métinier
amitié Les Inséparables, Ancey
conflits entre deux devoirs Deux Patries, Hennique
(étude de caractère) femme juive Esther Brandès, Hennique
(étude de caractère) mœurs bretonnes La Mer, Jullien
sujets financiers L’Argent, Fabre
L’Argent d’autrui, Hennique Corbeaux, Becque
psychologie et physiologie Thérèse Raquin, Zola Renée, Zola
Rolande, Gramont Simone, Gramont
L’Avenir, Ancey Thérèse Raquin, Zola Nana, Zola et Busnach
La Fille Elisa, Goncourt, Ajalbert Sœur Philomène, Goncourt, Byl, Vidal
alcoolisme L’Assommoir
hystérie Germinie Lacerteux, Goncourt
folie Mirages, Lecomte
Tableaux de mœurs
études de courtisanes Leurs filles, Wolff L’Ecole des veufs, Ancey La Navette, Becque Belle Petite, Corneau
Fin de Lucie Pellegrin, Alexis En famille, Métinier La Confrontation, Métinier La Casserole, Métinier Le Loupiot, Métinier Lui, Métinier Le Lézard, Métinier
Peinture des milieux
La bourgeoisie Monsieur Lamblin Pot-Bouille La Lutte pour la vie La Pelote
Rolande Les Corbeaux
Les Chapons, Descaves et Darien
La noblesse L’Obstacle
La Menteuse Simone
Les Petites marques, Boniface
Les ouvriers L’Assommoir, Zola et Busnach Jacques Bouchard, Wolff Le Loupiot, Méténier
Les paysans L’Arlésienne, Daudet Le Maître, Jullien
Les marins La Mer, Jullien
Les peintres Manette Salomon, Goncourt
Les journalistes Charles Demailly, Goncourt, Alexis et Méténier
Les acrobates les Frères Zemganno
lutteurs de foire Méténier
Souteneurs Métinier
filles publiques Métinier La morale
idée morale La Lutte pour la vie, Daudet La Menteuse, Daudet
« leçon morale mêlée à des détails immo-raux »
L’Assommoir, Zola et Busnach Pot-Bouille, Zola et Busnach Nana, Zola et Busnach
La Fille Elisa, Goncourt et Ajalbert
pièces « amorales » Monsieur Lamblin Les Inséparables L’école des veufs La Sérénade, Jullien La Meule, Lecomte La Parisienne Becque
Monsieur Betsy, Alexis et Méténier La asserole
Lui La Brême
La Fin de Lucie Pellegrin, Alexis
Liste des thèmes
Il s’agit là d’un catalogue précieux qui brosse dans les moindres détails les diffé-rents thèmes traités par les écrivains naturalistes, donc ce que le spectateur et la critique dramatique pouvait voir à l’époque des Goncourt. Ceci nous permet en effet de détecter l’horizon d’attente dans lequel a été reçue l’œuvre et la matière de laquelle se sont ins-pirés les Goncourt - puisqu’évidemment, ils ne peuvent pas produire indépendamment de ce qu’ils voient et entendent quitte à s’en distinguer-.
Mais au-delà de ce catalogage, il nous semble important de rendre compte des remarques et des constats élaborés par André FEJES dans cette approche.
En effet l’auteur du Théâtre naturaliste fait remarquer que la peinture des mi-lieux sociaux existait avant les Naturalistes, mais ces derniers ont contribué à l’élargissement du « domaine de l’art dramatique par la peinture de toutes les classes de la société, même des plus basses, par la recherche de cas psychologiques nouveaux, et par l’introduction au théâtre de la physiologie, de la pathologie et de la psychiatrie »1
. Maintes sujets étaient ainsi traités dans le Drame romantique, dans les pièces réalistes d’Augier et de Dumas fils ou même par les classiques, c’est l’intérêt porté à l’étude des caractères, c’est la recherche d’une explication par le milieu ou par la physiologie qui désormais expliquerait le comportement des individus.
Les sujets sociaux et politiques, aussi rares qu’ils soient avant le Naturalisme et présents dans le théâtre depuis l’apparition de ce courant, ne constituent que rarement le thème principal d’une pièce de théâtre naturaliste « parce qu’ils appellent la discussion, la critique, les thèses, toutes choses contraires à l’objectivité naturaliste. »2
Ils sont ainsi introduits dans les pièces en marge d’une intrigue amoureuse ou autre et constituent une trame de fond de l’analyse des mœurs.
Dans le même ordre d’idées, l’auteur énumère « une catégorie de pièces très rares auparavant ; ce sont les simples tableaux de mœurs, en général de mauvaises mœurs, d’où l’action est presque absente. Par de telles œuvres, ajoute-t-il, allant à l’encontre du principe même du théâtre qui est l’action, l’art semblait revenir à son en-fance, aux productions informes des primitifs ; cependant toutes ces pièces ne doivent pas être mises sur le même rang, les unes témoignent encore d’un certain souci de l’art, les autres ne cherchant qu’à reproduire fidèlement la réalité la plus grossière et la plus vile »3. C’est d’ailleurs dans ces pièces que l’on peut voir, selon lui, « l’expression la plus parfaite du naturalisme au théâtre.»4
1 FEJES (1925), op. cit., p. 91-92
2 Idem, p. 96
3 Idem, p. 98
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Enfin, la dernière constatation, considérée d’ailleurs comme l’un des reproches majeurs à l’encontre du théâtre naturaliste, est que celui-ci est considéré comme immo-ral. Or, la question de l’immoralité du théâtre naturaliste peut être facilement contestée. En effet, partant d’un constat simple : « l’art et la morale sont deux choses différentes par leur essence même, puisque l’art tend vers le beau et la morale vers le bien », les naturalistes ont rejeté toute fonction utile et moralisante au théâtre en prétendant y subs-tituer la reproduction de la réalité. Or l’espace théâtral ne peut pas admettre TOUTE la réalité des sentiments et des actions. La pudeur oblige à certaine réserves.