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2 Bref historique du fantastique symboliste

2.2 L’héritage

2.2.2 Un fantastique de l’étranger digéré

2.2.2.1 Hoffmann

Comme le signale Charles Nodier, « [l]’Allemagne, favorisée d’un système particulier d’organisation morale, porte dans ses croyances une ferveur d’imagination, une vivacité de sentiments, une mysticité de doctrines, un pendant universel à l’idéalisme, qui sont essentiellement propres à la poésie fantastique »208. Il n’est donc en rien étonnant que ce soit à un auteur de ce pays à qui l’on fait souvent remonter le succès du fantastique en France. Nous avons déjà étudié l’apparition du fantastique en France et mentionné l’auteur des Contes fantastiques, mais pour nous rendre compte de l’impact qu’il a pu avoir, relevons cette phrase de Marcel Schneider : « En tant que genre littéraire possédant ses lois, son esthétique et son atmosphère propres, le fantastique en France est né vers 1825 et cela sous l’ascendant de

207 RÉGNIER Henri de et JAMMES Francis, Correspondance (1893-1936), Édition critique par Pierre Lachasse,

Paris, Éditions Garnier, 2014, p. 63.

68 Hoffmann qui a orienté de façon définitive la génération romantique »209. Cette déclaration laisse bien sous-entendre à quel point fut importante l’arrivée des traductions d’Hoffmann en France, même si ce dernier avait déjà pu laisser parler de lui avant cela. Un engouement exponentiel se déclenche pour les écrits si pittoresques provenant d’Outre-Rhin : « Trois textes d’Hoffmann paraissent en revue en 1828 ; le chiffre monte à dix en 1829 et à vingt et un en 1830. […] les premières traductions en volume, dès 1830, s’insèrent d’emblée dans deux vastes entreprises d’ “Œuvres complètes” qui se combattent sans pitié et qui entraînent la grande presse dans leurs litiges »210. Ainsi, les écrits d’Hoffmann sont loin de laisser le mouvement romantique indifférent, ils eurent même un impact majeur déjà largement relevé et commenté par de nombreux critiques que nous résumerons brièvement grâce aux propos de Mariska Koopman-Thurlings :

Avec ses Fantasiestüche in Callots Manier, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann lança en 1814 un nouveau genre qui, grâce à l’article que Jean-Jacques Ampère lui consacra dans le Globe du 2 août 1828 et grâce aux traductions de ses contes par Loève-Veimars, connut une véritable vogue en France entre 1828 et 1833. Les plus grands auteurs au nombre desquels figurent Honoré de Balzac, Charles Nodier, Théophile Gautier, Prosper Mérimée, Gérard de Nerval et plus tard Guy de Maupassant, se lancèrent dans le genre. Le titre de Contes fantastiques donné par le traducteur français de l’œuvre d’Hoffmann fournit l’épithète dont la critique littéraire se servira dans la suite211.

Une épithète née d’un « contresens »212 et qui couvrira jusqu’à nos jours une littérature aux frontières plus ou moins floues comme nous avons pu déjà le démontrer.

Selon Jean-Baptiste Baronian, la nouveauté d’Hoffmann est qu’ « il apporte une dramaturgie du fantastique et non plus des bribes composites de surnaturel »213, il donne au genre une structure et une forme que nous pouvons retrouver jusque de nos jours avec de minimes évolutions. L’avènement du conte en prose est porté en ce début de XIXe siècle par le

succès de l’auteur allemand, largement imité et copié. Cette forme brève qui se détache de la poésie à pu trouver matière où se déployer et se faire reconnaître, marquant ainsi les lettres françaises. De plus, nous pouvons avancer que ces premiers contes fantastiques ont permis, à travers l’action de Loève-Veimars, de préparer le public à ce genre. En effet, il fut reproché au traducteur d’intentionnellement modifier ou lénifier certains passages des contes sur lesquels il

209 SCHNEIDER Marcel, Histoire de la littérature fantastique en France, op.cit., p. 9.

210 HOFFMANN Ernst Theodor Amadeus, Contes fantastiques II, introduction de José Lambert, Paris, Garnier-

Flammarion, 1980, p. 13.

211 KOOPMAN-THURLINGS Mariska, Vers un autre fantastique. Étude de l’affabulation dans l’œuvre de Michel

Tournier, op.cit., p. 55.

212 HOFFMANN Ernst Theodor Amadeus, Contes fantastiques II, introduction de José Lambert, op.cit., p. 15. 213 BARONIAN Jean-Baptiste, Panorama de la littérature fantastique de langue française, op.cit., p. 55.

69 travaillait214. Par exemple, dans « Le violon de Crémone » pour lequel « le traducteur retient l’histoire et ne garde de la narration que le strict nécessaire » ; le conseiller Crespel, « héros “ironique” chez Hoffmann (au sens allemand du mot), devient un héros sympathique chez Loève-Veimars. Comme dans Le Majorat, notre traducteur évite de mettre en scène des protagonistes ridicules : ils doivent être pris au sérieux, sinon le fantastique se dissipe »215. Ainsi, cette entrée de plein pied du lectorat français dans le fantastique s’est faite de manière préparée et guidée, il a été accompagné dans son imaginaire.

Cela transparaît d’autant plus dans la présentation d’Hoffmann qui fut faite à l’époque. Véritable succès commercial, les contes fantastiques et leur auteur ont fait l’objet de stratégies de ventes et de communication à tel point que fut même créé un mythe d’Hoffmann, nourri par les traducteurs et les éditeurs :

Indépendamment de la sélection et de la présentation des textes, Loève-Veimars a en tout cas poussé l’interprétation d’Hoffmann dans une direction toute particulière en la dramatisant et en la reliant étroitement à la vie même de l’écrivain. Grâce à son premier traducteur d’envergure, Hoffmann est devenu un personnage mythique, aussi fantastique que ses personnages216.

Voici par exemple le portrait fantasque qui en est fait au début du premier volume : Hoffmann dessinait, il composait des vers, de la musique, dans une sorte de délire ; il aimait le vin, une place obscure au fond d’une taverne ; il se réjouissait de copier des figures étranges, de peindre un caractère brut et bizarre ; il craignait le diable, il aimait les revenants, la musique, les lettres, la peinture ; ces trois passions qui dévorèrent sa vie, il les cultivait avec un emportement sauvage ; Salvator, Callot, Beethoven, Dante, Byron, étaient les génies qui réchauffaient son âme : Hoffmann vécu dans une fièvre continuelle ; il est mort presque en démence217.

Est en plus placé derrière cette présentation haute en couleur l’article de Walter Scott « Sur Hoffmann et les compositions fantastiques » (1827), dans lequel il présente à son tour Hoffmann sous des traits caricaturaux, dénonçant ses écrits comme le fruit d’un cerveau malade. Ainsi, l’imaginaire allemand est mis à la sauce française, il est déguisé et dévoyé d’autant plus que l’auteur n’a plus voix au chapitre étant mort en 1822. Néanmoins, c’est peut- être en partie grâce à ce travail commercial que Hoffmann connut un succès bien plus prépondérant en France que dans son pays d’origine, comme nous pouvons l’observer à travers ce témoignage de Gautier parut en 1836 dans la Chronique de Paris : « Hoffmann est populaire

214 HOFFMANN Ernst Theodor Amadeus, Contes fantastiques I, introduction de José Lambert, Paris, Garnier-

Flammarion, 1979, p. 10.

215 Ibid., p. 312. 216 Ibid., p. 18. 217 Ibid., p. 38.

70 en France, plus populaire qu’en Allemagne. Ses contes ont été lus par tout le monde : la portière et la grande dame, l’artiste et l’épicier en sont contents »218.

Ainsi, Hoffmann est bien souvent présenté comme celui qui permit l’avènement de l’ère du fantastique en France. Néanmoins, aussi vrai qu’il marqua de nombreux auteurs de la première partie du XIXe siècle, son influence fut supplantée dans la deuxième moitié par un autre auteur fantastique étranger : Edgar Allan Poe.