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6.2. Fondements d’un nouveau modèle

6.2.1. Gouvernance

6.2.1.1. Le membership

Les membres représentent le cœur de la coopérative et dans l’optique de préserver le premier principe coopératif, l’adhésion devrait demeurer volontaire et ouverte à tous. Par conséquent, dans le cadre de ce nouveau modèle, chaque producteur-membre devrait détenir une part coopérative « traditionnelle », en plus d’avoir des droits de livraison, soit des parts proportionnelles au volume produit comme c’est le cas dans les coopératives nouvelle génération et hybride. Par contre, la nouveauté de ce modèle est l’ajout d’un

membership passif, c’est-à-dire qu’un nombre restreint d’anciens producteurs-membres,

idéalement ceux qui ont agi en tant qu’administrateurs sur le conseil d’administration, ainsi que des producteurs actuels, pourraient devenir des membres « mentors » afin de conserver leur expertise au sein de la coopérative lorsqu’ils se retirent de la production. Le tableau 16 présente, globalement, les principales caractéristiques du sociétariat multiple de ce nouveau modèle coopératif.

Tableau 17. Caractéristiques du sociétariat multiple de cette nouvelle structure coopérative.

Membership actif Membership passif

Traditionnel Proportionnel Mentorat

• Un membre/un vote • Valeur des parts invariable • Parts non transférables

• Vote proportionnel conditionnel • Prise/perte de valeur des parts • Parts échangeables

• Anciens producteurs-membres • Vote exclusivement au sein du

conseil des membres

Ce « double membership » permettrait à ce nouveau modèle de préserver des valeurs coopératives vibrantes et de bénéficier des avantages rattachés aux parts de livraison ainsi qu’à la prise/perte de valeur des parts. De plus, la coopérative pourrait garder une expertise déterminante pour son développement, grâce au mentorat des anciens producteurs- membres, ce qui aiderait, par le fait même, au transfert intergénérationnel autant au niveau des producteurs que des administrateurs. Les caractéristiques ainsi que le fonctionnement du conseil des membres seront plus amplement détaillés dans la prochaine section.

6.2.1.2. Le processus décisionnel

Le système de votation de la coopérative traditionnelle se base exclusivement sur le principe démocratique d’un membre-un vote. Ce fondement doit être préservé dans le cadre de ce nouveau modèle. Par contre, le caractère commercial des coopératives agricoles modernes et la nécessité qu’elles s’adaptent à leur réalité d’affaires nécessitent qu’il y ait la possibilité d’avoir recours à un vote proportionnel pour certaines décisions. Ainsi, à l’instar des coopératives nouvelle génération et hybrides, le vote proportionnel est un outil supplémentaire qui permettrait de faciliter le processus décisionnel des coopératives pour certains aspects de leur développement, et ce, selon certaines conditions.

6.2.1.3. Le conseil d’administration

Dans l’optique d’assurer la pérennité de la coopérative, le conseil d’administration devrait intégrer des compétences spécifiques, en gestion, en finance, en marketing, etc., et ce, grâce à la participation d’individus externes. C’est notamment le cas de la coopérative analysée au chapitre 5, Fonterra, qui intègre quatre membres externes sur son conseil d’administration, sans toutefois que ceux-ci détiennent un droit de vote. En effet, les CA de

coopératives ont, historiquement, été strictement composés par les membres élus en assemblée, tel que le prescrit le deuxième principe coopératif concernant le pouvoir démocratique du membership. Cependant, cette façon de procéder a parfois été associée à d’importantes lacunes au niveau de certaines compétences spécifiques mentionnées ci-haut. Ainsi, en intégrant ces administrateurs externes au sein du CA, il serait dès lors possible de limiter le problème de contrôle et de bénéficier d’un conseil stratégique beaucoup plus solide. Par contre, dans le cadre de l’élaboration d’un modèle coopératif théorique propre à la réalité canadienne, il pourrait être envisageable de donner un droit de vote pour ces individus externes, et ce, conditionnellement à la latitude offerte par la législation canadienne à cet effet (cette éventualité sera considérée dans le cadre du chapitre 8). Par conséquent, les administrateurs externes ont l’incitatif de faire partie du conseil d’administration et peuvent prendre position en vertu des compétences pour lesquelles les membres de la coopérative ont voté pour leur participation à leur CA.

Également, mentionnons que les membres du CA pourraient provenir d’autres secteurs rattachés à la production agricole, tels que la transformation, la consommation, la distribution ou encore, la vente au détail. De cette façon, les profils des différents administrateurs de ce conseil seraient complémentaires; par exemple, de jeunes producteurs devraient côtoyer ceux détenant une plus grande expérience, des individus de chacune des provinces canadiennes devraient représenter la réalité de leur région, etc. Ainsi, le CA deviendrait très représentatif du secteur de production de la coopérative et serait en mesure de prendre des décisions éclairées pour le bien-être de l’institution, donc de ses membres.

6.2.1.4. Le conseil des membres afin d’amoindrir les problèmes du principal-agent et de contrôle

Tel que présenté dans l’analyse de Fonterra, la présence d’un conseil des membres permet d’assurer une certaine vigie afin que le développement de la coopérative respecte les principes fondateurs de la coopération à travers son processus décisionnel. Ainsi, cette instance permettrait d’assurer la liaison entre les membres, le conseil d’administration et la direction, en s’assurant que la voix de chacune des parties prenantes soit considérée de façon équivalente. En effet, l’intérêt est de limiter les problèmes du principal-agent et de

contrôle qui peuvent survenir entre les différentes composantes de la coopérative. Par exemple, les membres et la direction (CA et gestionnaires) peuvent avoir des aspirations divergentes quant à l’avenir de la coopérative, comme au niveau du maintien ou de la fermeture d’un service non rentable en région. C'est pourquoi le rôle du CM serait d’établir un pont entre les différentes composantes de la gouvernance, et ce, tout en priorisant une démarche fondée sur les principes coopératifs. De ce fait, le CM pourrait rapporter aux membres, lors des assemblées générales, les apports des gestionnaires et du CA quant à l’évolution de leur coopérative en plus de minimiser les problèmes de contrôle et du principal-agent ci-haut mentionnés; ce conseil assure ainsi la surveillance des activités de la coopérative et priorise une évolution basée sur les valeurs coopératives, souvent oubliées dans des décisions d’affaires plus complexes.

Au niveau de son fonctionnement, le conseil des membres de ce nouveau modèle se dissocierait de celui de Fonterra dans le sens où les administrateurs seraient à la fois des membres actifs de la coopérative, représentant chacun une province du Canada, mais également des membres de soutien, soit les mentors, qui seraient élus en assemblée par l’ensemble des producteurs-membres. De cette façon, l’intégration d’individus qui ne sont plus producteurs, mais qui connaissent les réalités du secteur et qui ont idéalement participé au CA, pourrait ajouter une dimension de neutralité entre les membres et la direction, et permettrait également de réduire les problèmes du principal-agent et de contrôle de la coopérative. Ces membres passifs auraient également l’avantage d’aider au passage intergénérationnel de la coopérative, tant au niveau des producteurs qu’au sein même des dirigeants du conseil d’administration, en favorisant le maillage de toutes les parties prenantes.

6.2.1.5. Le problème du coût d’influence

Le problème du coût d’influence est une dimension difficile à neutraliser complètement étant donné que la coopérative est la propriété de ses membres et que la multiplicité des parties prenantes peut amener une dynamique particulière entre ces différents groupes. En effet, le pouvoir ascendant des membres au sein d’une coopérative est un élément qui oriente définitivement, autant au sens positif que négatif du terme, le processus décisionnel

ainsi que la mise en place de la stratégie d’affaires. La clé du succès pourrait être de tendre vers une plus grande homogénéité du membership en offrant une vision claire et transparente du portrait de la coopérative en temps réel, ainsi que des grandes propositions du CA et des gestionnaires concernant son évolution. Il serait ainsi possible de faire converger la volonté des membres avec celle de la direction, notamment au niveau de la compétitivité et de la pérennité de l’institution, puisqu’il est très complexe d’éliminer complètement cette problématique. C’est pourquoi il semble qu’une meilleure circulation de l’information pourrait améliorer le problème du coût d’influence et assurer une coordination horizontale plus efficace des producteurs.

6.2.1.5.1. Circulation de l’information entre les agents

Tel que mentionné dans le chapitre 2, portant sur les éléments clés d’une coordination efficace, il appert que la circulation horizontale de l’information est indispensable à la concertation des producteurs agricoles. De cette façon, les décisions prises individuellement peuvent être collectivement bénéfiques et assurer une réponse plus prompte aux signaux du marché. La coopérative doit donc intégrer cette dimension à son fonctionnement et assurer une circulation optimale de l’information parmi ses membres, notamment par des publications internes pouvant informer les producteurs sur les tendances du marché, des comportements stratégiques à adopter pour assurer la pérennité de leur entreprise, etc. Il faut également que les producteurs puissent avoir une rétroaction de la part des consommateurs concernant leurs attentes en matière de produits agricoles. Le positionnement de la coopérative, pour assurer cette circulation verticale de l’information, est indispensable pour son développement et une écoute active des besoins des consommateurs lui permettrait de se démarquer de la compétition.

6.2.1.6. La proactivité et la résilience du modèle coopératif

Grâce à une définition claire des rôles et responsabilités de chacune des parties prenantes ainsi que qu’une circulation efficace de l’information, la gouvernance coopérative, dans le cadre de ce nouveau modèle, serait plus aisée étant donné que les problèmes internes seraient limités le plus possible. Par contre, certaines lacunes pourraient persister au niveau de la proactivité et de la résilience de la coopération par rapport à l’entreprise à capital-

actions, notamment à cause du pouvoir ascendant des membres. Altérer le pouvoir démocratique des membres a été écarté d’emblée puisqu’il est à la base du concept coopératif. Cependant, la lenteur dans la prise de décisions doit absolument être corrigée. Par conséquent, la gouvernance coopérative doit emprunter le pas de la technologie et accélérer le processus décisionnel impliquant l’ensemble des membres afin d’être proactif et de faire preuve d’une meilleure capacité d’adaptation par rapport à la conjoncture des marchés, qui change rapidement dans le secteur agricole. Il s’agit d’une condition sine qua

non afin que ce nouveau modèle parvienne à assurer une coordination efficace et adéquate

d’un secteur agricole donné.

Concrètement, la coopérative pourrait détenir un site unique où les producteurs seraient en mesure de se connecter à un réseau intranet. De cette façon, ils pourraient exercer aisément leur droit de vote, peu importe leur horaire ou leur localisation. Le processus de votation pourrait ainsi s’échelonner sur un laps de temps prédéterminé et, pour que la décision prise soit effective, un pourcentage de participation serait obligatoire et connu en tout temps par les membres. Par conséquent, outre les assemblées annuelles où tous les membres devraient être conviés dans un même endroit, les décisions demandant un positionnement rapide du

membership seraient exclusivement prises par le biais de la plateforme informatique. En

procédant de cette manière, le processus décisionnel de la coopérative serait beaucoup plus diligent et les orientations prises, par la suite, assureraient à la coopérative un positionnement stratégique selon l’évolution de son contexte d’affaires.