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Le secteur agricole se caractérise par la longueur de ses ajustements aux signaux de marchés, c’est-à-dire qu’entre la décision de produire et la récolte/parturition, il s’écoule un laps de temps appréciable qui ne permet pas au producteur agricole de répondre rapidement aux signaux du marché. De plus, même s’il le pouvait, la fixité des actifs agricoles, la périssabilité des produits ainsi que la matière première « vivante », soit animale ou végétale, font en sorte qu’une réorientation ou une suspension des activités est difficilement envisageable. Par conséquent, la problématique entourant une telle situation est que les incitatifs individuels auxquels font face les producteurs mènent à une situation sous- optimale, notamment suivant des chutes de prix. En effet, parce que le marché est dynamique, que des délais importants existent entre la prise de décision, l’action et le résultat, que les actifs sont fixes, que la production est atomistique et périssable, le producteur agricole maintien ou même augmente sa production, et ce, même si les prix chutent (Doyon 2012). En d’autres mots, les mécanismes naturels de marché sont insuffisants et résultent en situations sous-optimales. Cette situation est illustrée à l’aide de la théorie des jeux à la figure 1.

6 La tragédie des communaux a été avancée par Garrett Hardin en 1968 et réfère aux problèmes occasionnés

par la production animale sur un terrain public lorsque les droits de propriété ne sont pas clairement définis. De fait, la stratégie optimale pour un individu est de maximiser le nombre d’animaux dans le champ afin d’en retirer le plus de bénéfices possibles. Mais, à l’échelle de la communauté, de graves problèmes s’ensuivent, car tous les animaux sont appelés à mourir faute d’une production végétale suffisante pour les nourrir. D’où l’appellation de tragédie des communaux (Hardin, 1968).

Figure 1. Matrice des gains des producteurs agricoles dans un contexte de chute des prix, selon le dilemme du prisonnier.

Producteur A Producteur B Baisse Augmente ou maintien Baisse [7,7] [-10,10] Augmente ou maintien [10,-10] [-5,-5]

Dans une économie simplifiée comprenant deux producteurs agricoles, à la suite d’une chute significative du prix de leurs extrants (output), chaque producteur est confronté à deux choix, soit réduire sa production pour répondre au signal de marché (baisse de prix), soit maintenir ou augmenter sa production. Cette dernière option est motivée par le désir du producteur de rencontrer ses obligations financières et, en raison de la situation atomistique de sa production, s’il est le seul à réduire sa production, l’impact sur le prix de marché ne sera pas significatif. Ainsi, dans notre économie simplifiée où l’impact d’une baisse est positif, si le producteur A réduit (augmente) sa production alors que le producteur B la maintient/augmente (réduit), alors le producteur A enregistre une perte (gain) et le producteur B un gain (perte). La stratégie dominante est donc pour chaque producteur d’augmenter ou de maintenir sa production. L’équilibre de Nash [-5,5] est toutefois sous- optimal puisque le gain net le plus important est la solution de coopération, soit [7,7].

Bref, le producteur a pour incitatif de continuer de produire afin de faire face à ses obligations financières, par exemple, alors que collectivement, il est absurde de continuer de surproduire en période baissière des prix. Bien que l’agriculture soit un secteur privé, la situation énoncée s’apparente à la tragédie des communaux dans le sens où, les incitatifs individuels mènent éventuellement à une situation individuellement et collectivement néfaste (Doyon, 2012). De plus, aux incitatifs individuels précédemment mentionnés s’ajoute le caractère multidimensionnel de l’exploitation agricole (habitation, famille, travail, responsabilités financières, etc.). Le marché n’arrive donc pas, seul, à coordonner

(horizontalement) les producteurs afin que le prix puisse jouer rapidement son rôle de régulation du marché (Idem). Il est donc pertinent de se questionner sur les éléments clés d’une coordination efficace en agriculture, puisque le marché mène à une situation sous optimale. Tel qu’illustré à la figure 1, dans l’éventualité où, dans cette économie simplifiée, les deux producteurs arrivaient à se coordonner, ils augmenteraient significativement leurs gains.

2.3.1. Éléments clés d’une coordination efficace

L’optimisation de la circulation de l’information entre les agents économiques, tant horizontalement que verticalement, est une première étape afin de tendre vers une coordination efficace de la production agricole. En effet, le partage horizontal de l’information est déterminant, car il permet aux producteurs agricoles de reconnaître que leurs décisions individuelles se répercutent sur l’ensemble de la filière. De fait, grâce à l’information horizontale, les producteurs peuvent se coordonner et répondre collectivement aux signaux du marché. Également, il importe de considérer le partage vertical de l’information puisque les demandes des consommateurs orientent de plus en plus la production agricole. Ainsi, la circulation verticale de l’information doit permettre une rétroaction entre les producteurs agricoles et les consommateurs pour que les produits mis en marché correspondent à leurs attentes. L’atteinte d’une coordination plus efficace permet alors de mieux identifier les besoins ainsi que les attentes des consommateurs et d’y répondre plus promptement. Dans le cas de la figure 2, le partage horizontal d’information est l’élément clé, notre modèle faisant abstraction de la consommation, c’est-à-dire que seule la réponse au signal de baisse de prix y est analysée.

Bien que l’information soit importante, elle ne change pas fondamentalement les incitatifs des individus à se coordonner horizontalement pour atteindre la solution optimale. Or, rappelons que la coordination horizontale est une condition nécessaire, mais non suffisante, permettant de coordonner plus efficacement la production agricole. En effet, les producteurs d’une même filière doivent se coordonner entre eux sur une quantité à produire, ainsi qu’une qualité minimum à respecter, et ce, afin de pouvoir se coordonner verticalement, par la suite, avec les autres acteurs de la filière. Effectivement, la

Optimiser la circulation de l'information entre les agents Favoriser l'alignement des incitations Assurer la coordination horizontale Minimiser les coûts de transaction coordination verticale est intimement liée, voire tributaire de l’organisation horizontale des producteurs agricoles. Westgren (1994 : p.568) expose clairement cette affirmation dans son article qui traite de la coordination au sein de la production de volaille :

For most agricultural industries it is necessary to have some horizontal coordination to create an effective vertical coordination. That is, at the level of the farm, it is necessary to have an institution, such as a cooperative, that can centralize the bargaining and other elements of vertical transactions with buyers and/or suppliers.

Ainsi, comment peut-on créer un alignement des incitations, c’est-à-dire que tout le monde travaille de concert, dans une même direction, au moyen d’incitatifs et/ou de règles? Rappelons d’abord que, selon Olson (1965), les incitatifs peuvent être de natures économique ou encore sociale, comme la recherche de prestige, de respect, d’amitié, etc.

En fait, les coopératives ont été, dans plusieurs cas, une tentative de créer un alignement des incitatifs afin d’assurer une coordination (horizontale) des producteurs. Toutefois, dans sa forme traditionnelle, elle se heurte à une définition des droits de propriété qui brouille les incitatifs à l’échelle des producteurs agricoles. Par conséquent, ceux-ci peuvent être tentés de contourner les règles et devenir resquilleurs puisqu’ils ne considèrent plus leur situation comme étant avantageuse. Ainsi, le mode de coordination choisi doit permettre de créer suffisamment d’incitatifs pour que les producteurs agricoles ne veuillent pas contourner les règles, et ce, afin de limiter la problématique du resquillage: «en maintenant des droits de propriété distincts, les partenaires conservent des incitations fortes» (Royer, 2009 : p.150). Ainsi, l’alignement des incitations doit permettre de contrecarrer le resquillage des producteurs agricoles et d’éviter les décisions individuellement rationnelles, mais collectivement irrationnelles.

Figure 2. Processus afin de permettre une réponse optimale des producteurs agricoles aux signaux du marché.

La figure 2 montre qu’en optimisant la circulation de l’information et en favorisant l’alignement des incitations, il est alors possible pour un secteur agricole d’assurer une coordination horizontale entre les producteurs.

Finalement, le mode de coordination déterminé doit permettre de minimiser les coûts de transaction en ordonnant les relations entre les agents. «De fait, une coordination adaptée et efficace des transactions permet de réduire les coûts de transaction et donc le coût total des échanges ce qui a pour résultat final de rendre les agents impliqués dans ce mode de coordination plus performants» (Royer, 2009 : p.62). Bref, la coordination horizontale, l’alignement des incitations, la circulation de l’information ainsi que la minimisation des coûts de transaction sont les moyens afin d’atteindre le but ultime de la coordination : répondre collectivement, et de façon optimale, aux signaux du marché (tel que démontré à la figure 2).