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Les fondements du droit forestier à l’origine du jacobinisme forestier

Section I : Un fort jacobinisme : une réalité en matière forestière

A. Les fondements du droit forestier à l’origine du jacobinisme forestier

La Constitution grecque consacre la protection de la forêt, ce qui traduit la volonté d’une intervention verticale de l’État en matière forestière. Derrière cet interventionnisme, se trouve le désir de créer un cadre strict de protection afin de lutter contre la dégradation du milieu forestier507. Cela explique pourquoi il est fait une référence expresse à la forêt, malgré une référence à la notion plus large de l’environnement qui comprend la forêt508. Suite à une présentation générale de l’affirmation expresse de la forêt dans la Constitution (1), nous analyserons une particularité grecque, à savoir la définition constitutionnelle de la forêt (2).

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Il s’agit notamment des incendies de forêts, du défrichement illicite, de l’intégration de la forêt suite aux incendies au Plan de Ville. Cette argumentation figure dans les discussions au Parlement grec.

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D’après une partie de la doctrine, la notion d’environnement s’étend à la forêt et la référence exacte à la forêt n’est pas indispensable pour un cadre de protection. ALIVIZATOS N.- PAULOPOULOS P., La protection constitutionnelle de la forêt et des terres boisées, nov. 1988, Nom.Vim., p.1581 ; PAPADIMITRIOU G., « La Constitution environnementale : encadrement, contenu et fonction », Nomos et Physis, 1994, p. 387. Nomos kai Physis, 2/94 ; MARIA E.-A., La protection juridique des

1. Le cadre constitutionnel de l’action forestière

En Grèce, l’article 24§1 et l’article 117 §3 et §4 sont consacrés à la protection de la forêt. Tout d’abord, l’article 24 sur la protection de l’environnement dans son 1er § comprend deux alinéas relatifs à cette protection. Plus précisément, il affirme la nécessité de protéger la forêt, en soulignant que « la loi prévoit ce qui touche à la protection des forêts et des étendues forestières ». En outre, selon le même article de la Constitution « la rédaction d’un cadastre des forêts constitue une obligation de l’État » et consacre l’interdiction de modifier les forêts et les étendues forestières, sauf si leur exploitation forestière ou un autre usage imposé par l’intérêt public prime sur l’économie nationale509. À part ces dispositions, la protection de la forêt est aussi prévue à l’article 117 qui fait partie des dispositions transitoires de la Constitution. Cet article impose une obligation constitutionnelle de reboisement510 et prévoit en faveur de l’État la possibilité d'exproprier les forêts ou les espaces forestiers appartenant à des personnes physiques ou morales de droit privé ou public pour des raisons d'utilité publique511. Enfin, une particularité hellénique est la définition constitutionnelle de la forêt, prévue dans la déclaration interprétative de la Constitution grecque.

2. La définition de la forêt

Comme nous l’avons souligné, en Grèce la définition de la forêt prend des dimensions juridiques qui conduisent à son inscription dans la Constitution.

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PAPADIMITRIOU G., « La Constitution forestière », Nomos et Physis, .préc., p.387.

510

Article 117§3 de la Constitution hellénique.

511

La constitutionnalisation de la définition de la forêt fait partie d’une question plus large portant sur l’opportunité de définir juridiquement un bien naturel comme la forêt. C’est pourquoi avant d’aborder la constitutionnalisation, il convient de remonter à l’histoire de la définition de la forêt et aux raisons constitutionnelles qui ont justifié sa constitutionnalisation. Derrière celle-ci se cachent des raisons de sécurité juridique destinées à identifier l’espace forestier et à le délimiter par rapport aux terrains consacrés à des usages différents. Cette délimitation devient indispensable en l’absence d’un cadastre forestier, bien que la réalisation de ce dernier soit également imposée par la Constitution.

En Grèce, cette problématique remonte à la naissance de l’État après la Révolution. La première illustration juridique de la définition de la forêt fut réalisée dans une circulaire de 1872 et répondait à des critères productifs512. Le premier texte de valeur juridique date de 1888 et définit la forêt dans son premier article, en posant de manière cumulative les critères de la végétation forestière et de la productivité513, sans inclure les espaces qui avaient perdu leur caractère forestier514. Cette définition fut répétée dans l’article 57 de la loi N.3077/1924 dite « Sur le Code forestier »515. En 1927, de manière novatrice, furent considérés comme sols forestiers les espaces à caractère forestier non soumis à l’exploitation. En outre, pour la première fois, l’expression « étendue forestière » fut utilisée pour désigner une catégorie particulière de sols forestiers516.

C’est en 1929, date de la première loi consacrée aux forêts dite « Sur le Code forestier », que la définition de la forêt fut révisée517 et que celles des sols forestiers et des espaces boisés furent données518. Cette définition affirmait le caractère

512

Circulaire 64991/10/1872 « Sur les forêts et les périphéries forestières », KOUROUSOPOULOU E., Propriété forestière et gestion, Athènes 1978, p.62-63, note 32.

513

Article 1er alinéa a de la loi N. AXN 1888.

514

MARIA E.-A., La protection juridique des forêts, Thèse, op. cit., p. 55.

515

Cette définition ne fut pas modifiée substantiellement par le décret de 14/7 - 1/8/1927 « Sur l’établissement d’un nouveau système d’attribution de la fiscalité forestière et la modification de certaines dispositions du code forestier ».

516

Article 65 du décret de 14/7 - 1/8/1927.

517

Article 45 §1 de la loi 4173/1929 de 11-5-1929 J.O.R. A’ 205/1929 « Sur le Code forestier » .

518

Dite « Περί κυρώσεως και τροποποιήσεως του Ν∆ 11/11 Μαίου 1929 », sur la validation et modification du ND 11/11 mai 1929.

économique de la forêt et la divisait en trois catégories selon leur potentiel économique519.

Même si le texte législatif forestier suivant fut édicté quarante ans plus tard sous la dictature en 1969, la définition de la forêt ne fut pas modifiée520 : le texte élargissait les interventions admises dans les forêts et prévoyait l’aliénation des forêts qui n’avaient pas de caractère protecteur ni d’importance particulière au niveau de l’exploitation, ce qui reflétait la priorité donnée à l’agriculture sur l’environnement521. Sans aucun doute, la loi de 1969 était un recul par rapport à celle de 1929, car à l’époque le problème de la destruction des forêts à cause d’un cadre juridique inadapté et de l’urbanisation existait déjà522.

En revanche, la Constitution de 1975 fut une étape majeure en matière forestière, parce que pour la première fois la Constitution du pays intégrait la protection de l’environnement et la nécessité de protéger la forêt. Mais, la définition de la forêt présente dans l’article 3 de la loi 998/79523 posait des problèmes d’interprétation qui ouvrirent la voie à un vrai débat juridique. La question était de savoir si pour la qualification forestière l’unité organique suffisait ou si de manière cumulative une condition de productivité était exigée. Cela donna lieu à deux décisions contradictoires : celle de la Juridiction civile suprême qui se déclara en faveur de la condition de la productivité524 et celle de la juridiction administrative suprême525 qui ignora cette condition, attitude adoptée par la Cour Suprême spéciale

519

MENOUDAKOS K., « La protection des écosystèmes forestiers avant et après la Constitution 1975/2001 », préc.

520

Décret législatif 86/18/1/1969 « Sur le Code forestier »J.O.R. 7A / 18-169.

521

MENOUDAKOS K., « La protection des écosystèmes forestiers avant et après la Constitution 1975/2001 », préc.

522

MENOUDAKOS K., « La protection des écosystèmes forestiers avant et après la Constitution 1975/2001 », préc.

523

Article 3 de la loi 998/1979, « Sur la protection des forêts et les étendues forestières du pays », du 29/12/1979 , (J.O.R., A’289, 29/12/1979).

524

Arrêt d’Areios Pagos 607/1990 et 1847/1994.

525

qui trancha la question526. Cette décision entraîna une définition de la forêt que reprit la Constitution de 2001 en tant que déclaration interprétative de l’article 24527.

Si nous nous interrogeons sur l’opportunité de définir juridiquement la forêt dans la Constitution, ce qui semble être l’objet de la Science et non du Droit, nous pouvons trouver une réponse dans des raisons de sécurité juridique. Comme cela fut souligné pendant les longues discussions parlementaires au sujet de la révision constitutionnelle de 2001, l’insertion de la forêt dans la Constitution assure une sécurité juridique qui impose au législateur, à l’Administration et au juge de prendre en compte les exigences de la science forestière, ce qui restreint leur marge d’appréciation528.

L’importance de cette jurisprudence intégrée dans la Constitution consiste en ce que la qualification forestière ne dépend pas de critères quantitatifs, mais uniquement de critères qualitatifs conformément à la science forestière, comme l’unité organique du territoire529. Pour cette raison la loi530 établit la définition de la forêt à partir de critères quantitatifs -dont une surface de 0,3 ha et une densité forestière de 25%-, ce qui donna lieu à un long débat sur la constitutionnalité qui, à part sa dimension théorique, eut un impact pratique majeur, étant donné que le cadastre forestier était en cours de réalisation. L’adoption des critères prévus par cette loi pouvait entraîner la déqualification forestière de nombreux terrains. C’est pourquoi le Comité de suspension du Conseil d’État 531 suspendit l’exécution de la décision du Ministre de l’Agriculture qui prévoyait de réaliser des Chartes forestières532 en

526

Cour suprême spéciale A.E.D. 27/1999.

527

« On entend par forêt ou écosystème forestier l’ensemble organique de plantes sauvages à tronc en bois sur la surface nécessaire du sol qui, avec la faune et la flore existant dans le même lieu, constitue, par le biais de leur interdépendance et de leur influence réciproque, une bio-communauté particulière (bio-communauté forestière) et un environnement naturel particulier (forestier). Il y a étendue forestière quand, dans l’ensemble ci-dessus, la végétation sauvage en bois, haute ou basse, est éparse ».

528

Rapport du Parlement grec sur la Révision Constitutionnelle de 2001, Assemblée du 7/2/2001, p.224.

529

C.E. grec 4550/2011.

530

Loi n° 3208/2003 du 24/12/2003 « Sur la protection des écosystèmes forestiers, la réalisation du

cadastre et la réglementation de droits réels sur les forêts » , J.O.R. 303/24/12/2012.

531

C.E. grec Comité de Suspensions 202/205.

532

SIFAKIS A., « Schémas spécifiques de la procédure de ratification des Chartes forestières de la loi 3889/2010 », Per.Dik.., 2011, p. 445.

fonction de nouveaux critères de la définition de la forêt, dont l’application aurait entraîné la déqualification de plusieurs hectares533.

La question de la constitutionnalité était très complexe à cause de la dimension européenne du débat. Étant donné que la définition de la loi dont la Constitutionnalité était en question figurait dans les règlements « Forest Focus »534 et « Feder »535, une question préjudicielle fut adressée à la Cour de Justice des Communautés Européennes (C.J.C.E.).

Cependant, la présence de la définition de la forêt dans la législation communautaire ne devait pas conduire à l’illusion d’une définition de la forêt à portée juridique universelle au niveau européen. Cette précision fut l’objet de la décision C.J.U.E., 4e ch., 22 avr. 2010, aff. C-82/09, Dimos Agiou Nikolaou Kritis. En répondant à la question préjudicielle du Conseil d’État grec sur la compatibilité de la définition grecque de la forêt avec celle de l’Union Européenne, la Cour retint que, d’une part, cette définition s’appliquait seulement aux actions des États liées au Règlement et que, d’autre part, elle ne remplaçait pas les définitions nationales mais coexistait avec elles536.

Ainsi, aucun critère de surface strict n’était exigé pour la qualification forestière : seule était exigée la condition d’« ensemble organique »537. Les raisons présentées conduisirent à l’inconstitutionnalité de la loi à cause de ces critères quantitatifs intégrés à la définition de la forêt538.

533

MENOUDAKOS K., « La protection des écosystèmes forestiers avant et après la Constitution 1975/2001 », préc.

534

Article 3a du règlement No 2152/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la surveillance des forêts et des interactions environnementales dans la Communauté (Forest Focus).

535

Article 30 du Règlement (CE) N° 1974/2006 de la Commission du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agropole pour le développement rural (Feder) (J.O.U.E. n° L 368 du 23 déc.)

536

Revue « Sinigoros », 2010, p. 81 ; BOUVERESSE A., « Note sur l’arrêt C.J.U.E., 4e ch., 22 avr. 2010, aff. C-82/09, Dimos Agiou Nikolaou Kritis », préc.,.

537

Arrêt du C.E. grec Ass. 32/13.

538

À l’origine du débat sur la constitutionnalisation de la forêt il y a la volonté du législateur d’identifier l’espace forestier, en l’absence d’un cadastre forestier dont la réalisation est une obligation imposée à l’État par la Constitution de 1975 afin de mettre un terme au grand débat autour de la définition de la forêt539 . Cette cadastration n’ayant pas été réalisée depuis 1980, un décret fut pris pour régler les paramètres pratiques de cette réalisation540. Le Conseil d’État grec considéra que la non réalisation d’un cadastre était une faute grave de la part de l’Administration et qu’il s’agissait aussi d’un manquement par rapport à l’environnement, ce qui pouvait entraîner un recours en responsabilité devant le Conseil d’État541. En 2003, le Conseil d’État donna un délai de cinq mois à partir de la réalisation des Chartes forestières pour la réalisation du cadastre au niveau préfectoral542. Le Ministère fut tenu d’édicter une décision dans un délai de deux mois sur les questions pratiques relatives à la réalisation du cadastre. Cependant, le Conseil d’État décida que ce délai543 avait un caractère indicatif, ce qui n’exerce pas la pression sociale indispensable à la définition de la forêt.

Actuellement, le cadastre est encore en cours de réalisation544.

B. Un jacobinisme fondé sur le caractère d’ordre public du régime