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La femme soufie par excellence: Rābiʿa

4. Discours sur le féminin et le masculin dans l’islam et le soufisme

4.2. La femme soufie par excellence: Rābiʿa

En ce qui concerne plus précisément l’histoire du soufisme, Cemalnur Sargut mentionne souvent le personnage de Rābiʿa al-ʿAdawiyya, qui vécut au VIIIe siècle au Sud de l’Irak actuel. Celle-ci est en effet la figure la plus déterminante des débuts de l’histoire du soufisme et c’est surtout sur son exemple que se fondent beaucoup d’auteur·e·s affirmant que les femmes ont joué un rôle prépondérant dans la tradition mystique de l’islam. Cet argument est aussi repris par les musulman·e·s dans leurs stratégies pour présenter un visage de l'islam plus favorable aux femmes. Selon Raudvere, la biographie de la sainte est distribuée de nos jours aux converti·e·s potentiel·le·s par diverses associations islamiques actives en Europe (2002, p. 174). On a très peu d’éléments fiables concernant la biographie de Rābiʿa. La tradition retient qu’orpheline, elle fut vendue comme esclave puis libérée par son maître impressionné

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Voir par exemple Sucu (2005) et Can (1999). Les passages de Şefik Can présentant des conceptions hostiles aux femmes chez Shakespeare, Goethe, Nietzsche, Napoléon, dans les médias occidentaux et finalement chez Tolstoï par opposition à la conception musulmane ont été repris et cités dans toute leur longueur par TÜRKKAD dans une brochure que l’association a publié sur Rūmī et les femmes (TÜRKKAD, 2007).

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La seule autre occurrence que j’ai trouvée est la brochure sur Rūmī citée précédemment. Dans cette brochure, la comparaison ne porte pas sur les autres religions mais sur la littérature occidentale.

par sa piété. Elle se retira ensuite dans le désert et mena une vie très simple, célibataire et ascétique. C’est à elle qu’on attribue l’introduction, dans le soufisme, de la notion d’Amour absolu et gratuit envers Dieu, par opposition aux mystiques de l’époque qui servaient Dieu par espoir du paradis ou par peur de l’enfer (Schimmel, 2000, p. 22)60. Elle n’a laissé aucun écrit mais ses poèmes et des anecdotes la concernant ont traversés les siècles grâce à différents biographes et auteurs soufis61. Ces petites histoires très évocatrices mettant en scène la célèbre mystique, dont la plupart n'ont clairement qu'un lien très tenu avec la Rābiʿa historique, sont souvent utilisées par Cemalnur Sargut comme illustration de ses propos.

Encadré 6, Anecdotes mettant en scène Rābiʿa

Rabia a dit: "Maudits soient ceux qui prient à cause du paradis ou de l'enfer. Ne prient-ils pas par respect pour leur Bien-aimé, par désir de voir Son visage?"

(Sohbet donné au centre culturel Karabekir, Istanbul, 05.04.2006)

Lorsqu’on demanda à Rabia: "Raconte-nous l’époque du Prophète, qu’a fait tel et tel? quelle relation avait-il avec tel autre?", elle répondit: "Vous vous préoccupez encore de ces racontars? Moi, je veux mon Dieu."

(Conférence à Rodgau, 11.11.2006)

Un jour, Rabia tomba malade et ses amis lui demandèrent si elle ne voulait pas qu'ils aillent chercher un docteur: Elle leur dit: "Qui m'a donné ceci? Dieu. Est-il possible que je m'en remette au jugement d'un autre plutôt qu'au jugement de mon Seigneur?". Mais ce genre d'attitude est pour Rabia, pas pour nous.

(Sohbet donné au centre culturel Karabekir, Istanbul, 05.04.2006)

C'est une femme comme Rabia qui donne toute sa dimension à un sage comme Şibli. Elle va vers lui avec ses cheveux défaits et lui dit: "Mon mari m'a quitté, ramène-le-moi. Il a suivi une autre femme." Il lui répond: "Femme, coiffe-toi et reviens lorsque tu auras recouvré tes bonnes manières." Cette belle femme répond à Şibli: "Par amour pour un homme, je ne me préoccupe pas de ma coiffure et toi, un amoureux de Dieu, comment se fait-il que tu te préoccupes de mes cheveux?"

(Conférence à Francfort, le 26.11.2004)

Je m’excuse auprès des hommes, mais je voudrais vous raconter une histoire. Sa véracité se discute mais je l’aime beaucoup. Un jour, Hasan Basri est venu vers Rabia et lui a dit: "Vous les femmes, vous avez sept nefs et un seul intellect. Nous, les hommes, par contre, nous avons sept intellects et une seule nefs, donc ça ne serait pas mal si tu ne parlais pas trop." Elle lui répond: "Tu as raison. Ce qui est étonnant, c’est que nous, avec notre seul intellect, soyons capables de nous rendre maître de nos sept nefs, alors que vous, avec vos sept intellects, vous n’y parvenez pas."

(Conférence à Francfort, le 18.11.2005)

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Pour une critique de cette idée, voir Baldick (2000, p. 29). 61

Pour un excellent ouvrage de référence sur Rābiʿa intégrant les diverses sources disponibles, voir Smith (1994).

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Dans le premier exemple, Cemalnur Sargut reprend l'histoire la plus célèbre concernant la sainte de Basra où on la représente allant par les rues une torche dans une main et un seau d’eau dans l’autre. Comme on la questionnait elle répondit: "Je veux répandre de l’eau en enfer et déposer le feu au paradis, afin que soient écartés ces deux voiles et que dorénavant plus personne ne priera Dieu par crainte de l’enfer ou dans l’espoir du paradis, mais seulement pour son éternelle beauté" (Schimmel, 2004, p. 17). Cette légende sera même introduite en Europe à la fin du XIIIème siècle par Joinville, le chroniqueur de Saint Louis, et utilisée dans les traités français du XVIIème sur le Pur amour comme modèle de l’amour divin (Schimmel, 1975, p. 8). Dans l'anecdote suivante, elle fait référence à la fixation exclusive de Rābiʿa sur Dieu, qui refusait de se laisser distraire de son bien aimé même par l'amour éprouvé pour le prophète. Les deux dernières histoires dépeignent Rābiʿa surpassant par son intelligence et sa spiritualité les plus grands maîtres masculins de son époque. On la voit remettre Abū Bakr aš-Šiblī en place après l'avoir attrapé en flagrant délit de formalisme religieux. L'anecdote impliquant Hasan Basri est en général utilisée par Cemalnur Sargut à la fin de ses conférences, lorsqu'elle a envie de faire rire le public, qui réagit effectivement toujours très bien à ce trait d'humour.