• Aucun résultat trouvé

Chapitre III. La création des personnages principaux

B. Les transformations de Félicité

3. Félicité comme « une femme en bois »

Alors comment Flaubert créa-t-il cette héroïne même qui avait l’idée curieuse de considérer le perroquet comme Saint Esprit ? Maria Francesca Davì Trimarch a analysé l’apparition de Félicité dans l’incipit de ce conte :

[...] ; la structure du première chapitre est ainsi présenté : « Décrire la maison, Me Aubain et Félicité en général. Félicité immuable (automatique) » [fo 381 vo], alors qu’au f o 376 nous lisons : « I. Figure de Félicité et la maison de Me Aubain ». Il y a donc la suppression d’une description, celle de Mme Aubain, qui toutefois ne sera pas perdue, car elle trouvera sa place ailleurs dans le conte. […] Voici la construction matérielle, charnelle oserions-nous dire, de

Félicité : bouche, taille, poitrine, yeux, peau, rides, soutenue par une recherche minutieuse de détails concernant son authenticité paysanne. 368

Et dans le plan, fo 390 ro, Flaubert décrit Félicité ainsi :

Elle était de Tocques, fille de très pauvres gens [...]. 60 fr. de gages par an […]

Félicité taille, moyenne, très blanche, nez droit, petite bouche rentrée, petits yeux gris, blonde. [NAF23663 fo 390 ro (extrait)]

Au fur et à mesure des manuscrits l’apparence de Félicité se modifie graduellement, pour devenir quelqu’un au physique quelconque, presque laid :

long maigre et la peau de son visage était

était

Sa taille était moyenne sa poitrine plate, son nez droit avec sa bouche gris couleur le teint claire

un peu rentrée, les yeux bleuâtres et la peau du visage de même de la même égalemt

teinte – cinq

couleur que ses mains . Pas un pli ne ridait son front, et à vingt ans on lui donnait quarante, […].

aux maladies

Ordinairement silencieuse, dure au froid, à la chaleur, à la fatigue, incapable droite

la taille moyenne droite

de toute curiosité, la voix aiguë, les gestes monotones et le regard les hanches plates,

indifférent

tranquille, semblait │ celui │ d’u une femme en bois fonctionnant d’une manière automatique. [NAF23663 fo 270 vo (extrait)]

Dans cette citation, Flaubert abrège les détails concrets sur la situation sociale. Cette omission est efficace dans le sens où elle rend le personnage plus irréel. À partir de ce brouillon, Flaubert ne mentionne plus aucun détail su perflu sur Félicité, qui révélerait ses origines, comme si sa vie commence après avoir travailler chez son patronne. On découvre

368

donc une Félicité dépendante de la maison de Madame Aubain, elle fait presque partie des meubles. De plus les couleurs utilisées pour l’héroïne au fo 390 ro, « blanche », « gris », « blonde » deviennent soudainement plus floues, moins précises au fo 270 vo, où les couleurs, « teint clair » et « bleuâtre » se trouvent. L’auteur efface également tout détail sur la couleur de ses cheveux, c’est sa manière pour rendre Félicité moins réelle.

Dans le texte définitif cette tendance est peu à peu évidente :

En toute saison elle portait un mouchoir d’indienne fixé dans le dos par une épingle, un bonnet lui cachant les cheveux, des bas gris, un jupon rouge, et par-dessus sa camisole un tablier à bavette, comme les infirmières d’hôpital.

Son visage était maigre et sa voix aiguë. À vingt-cinq ans, on lui en donnait quarante ; dès la cinquantaine, elle ne marqua plus aucun âge ; – et, toujours silencieuse, la taille droite et les gestes mesurés, semblait une femme en bois, fonctionnant d’une manière automatique. [TC, p. 44-45]

Flaubert omet complètement la description du corps de Félicité. Il ne décrit plus que son maigre visage et le caractère de sa voix particulière. De plus, la voix aigue de l’héroïne, suggère la voix jouée des marionnettes. Ses vêtements aussi, comme son bonnet, cachent son corps, et la font paraître anonyme. Par exemple, au fo 273 ro, sa jupe est couleur « café au lait », mais dans le texte définitif, comme on a déjà vu qu’elle devient « rouge ». Yvonne Bargues-Rollins associe cette couleur rouge à la mort :

Ce rouge met la touche décisive à ce portrait de la mort qu’est celui de la servante, dont le narrateur souligne la maigreur et l’aspect mécanique : [elle] « semblait une femme en bois, fonctionnant d’une manière automatique ». Le rouge s’associe clairement à la mort dans la scène d’agonie de Virginie : « trois chandeliers sur la commode faisaient des taches rouges » [TC, p. 63]. [...] Il retrouve sa vigueur macabre dans ce sang qui coule de la joue de Félicité, après qu’elle ait été flagellée par le postillon de la voiture : « Elle sentit une brûlure à la joue droite ; ses mains qu’elle y porta étaient rouges. Le sang coulait » [TC, p. 71]. Enfin, les premiers signes de la maladie qui l’emportera se manifestent dans des crachements de sang. Quant au rouge distinctif du perroquet, il nous est présenté par le biais de l’image d’Epinal où Félicité confond le Saint-Esprit avec Loulou : « Avec ses ailes de pourpre et son corps d’émeraude, c’était vraiment le portrait de Loulou ». [TC, p. 73] 369

369

Yvonne Bargues-Rollins, Le pas de Flaubert : une danse macabre, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 318.

Cette modification des couleurs est destinée à réduire des portraits physiques particuliers. De la même façon, l’allusion à son âge et à son visage vieilli nous donne une impression qu’elle ne semble pas être une existence vivante. Au fo 273 ro, elle « au lieu de rire, toussait » : cette phrase dénote qu’elle a de la difficulté à montrer ses sentiments. Toutes ces descriptions aident à montrer sa ressemblance avec les poupées automatiques. Cependant son intérieur est d’une richesse humaine autrement grande que l’intérieur de ceux qui l’entourent.

C’est le décès de Victor, son neveu unique et bien aimé, qui bouleverse le plus Félicité. Ses sentiments pour lui se caractérisent par la peur de sa perte, alors qu’il est encore vivant. Dans la scène du fo 318 vo, où Félicité raccompagne son neveu qui partira pour le long voyage, au quai, Flaubert écrit « F. sentit le besoin de faire une longue oraison. Immobile, à genoux, en prières, comme la, Ste Vierge au pied de la croix ». Et au fo 311 vo, Flaubert exprime plus concrètement l’attitude de Félicité :

Il lui fallut elle voulu recommander à Dieu ce qu’elle chérissait le plus Félicité sentit le besoin de faire une oraison – et elle y pria à genoux

pendant longtemps vers les nuages

la face mouillée de larmes et les yeux levés les mains jointes comme la Ste baignée de pleurs

Vierge au pied de la croix]. [NAF23663 fo 311 vo (extrait)]

Aux fo 318 vo et 311 vo, Félicité prie comme « Ste Vierge au pied de la croix », en pleurant. Mais dans le texte définitif, la référence à la Sainte Vierge disparaît et elle pleure: « Félicité, en passant près du Calvaire, voulut recommander à Dieu ce qu’elle chérissait le plus ; et elle pria pendant longtemps, debout, la face baignée de pleurs, les yeux vers les nuages » [TC, p.58]. Par cela, on comprend que la relation entre Félicité et son neveu qui était au début le symbole de la mère et du fils, se généralise en celle d’une personne aimée, et d’une personne aimante.

Même après le départ de Victor, croyant aux superstitions, Félicité ne peut échapper, s’enfuir de l’idée que Victor est mort :

Peut être est-ce que jamais il ne En reviendrait-il? ― [ N’avoir pu lui De si loin et avec tant de dangers sur la route pourrait jamais revenir

Faire ses adieux au dernier moment lui semblait devoir porter malheur ] quel hasard s’il revenait!

Dans la côté de x

la ville au soir, sur la route elle avait rencontré un prêtre et au un prêtre l’avait croisée

temps et bien que ce ne fut pas l’époque

même moment un chien hurlait. Un peu plus loin des corbeilles. avaient passé près mort

Bien trois signes de malheur [...]

imagination que rien n’occupait

Dès lors, son esprit qu’aucun travail n’occupait se livra à des imaginations de Félicité

funèbre

folle.. – sans cesse [NAF23663 fo 310 ro (extrait)]

C’est seulement dans le cas de son neveu que Félicité est hantée par l’idée et la peur de sa mort. La mort de Victor est le commencement : dans ce passage, se succèdent les décès de Virginie, du perroquet et de Madame Aubain370. On peut supposer que Flaubert a écrit ces superstitions à propos de la mort afin de montrer l’ignorance de Félicité. Mais il les efface dans le texte définitif. Comme on l’a vu, le perroquet est un cadeau de Victor dans le résumé et le premier est considéré comme le substitut du dernier. L’épisode le plus important et le plus original dans ce conte est que Félicité croit que le perroquet ressemble au Saint-Esprit . D’un côté, l’esprit de Félicité est absurde pour les autres, mais d’autre côté il est pur et libéré des forces du monde. Sa hantise des superstitions est une possibilité de montrer qu’elle s’attache trop au monde banal et à l’insensibilité, et d’abîmer son « cœur simple ». On peut penser que Flaubert a donc décidé de supprimer ces phrases du fo 310 ro, en laissant la scène de la prière de Félicité devant le Calvaire. Raymonde Debray-Genette affirme le caractère indéfini de Félicité : « Félicité n’est présentée ni comme une prolétaire exploitée ni comme une sainte naïve. Entre le misérablement et l’hagiographie, Flaubert opte pour le récit neutre »371.

370

Raymonde Debray-Genette a remarqué l’importance de la mort de Victor pour le commencement des morts des le début des manuscrits : « Dans le « Résumé », sa mort, si importante, ne vient pas encore redoubler celle de Virginie, non plus que celle de Mme Aubain, non moins importance. De façon générale, ce que Flaubert sait le mieux, c’est son commencement et sa fin » (voir Raymonde Debray-Genette, « La technique romanesque de Flaubert dans Un cœur

simple : étude de genèse », op. cit., p. 98).

371

Or, après avoir appris la mort de Victor au cours de ce voyage, Félicité pleure encore au fo 315 ro : « le courant, les herbes, le vent. la liaison des idées. pleure ». Ses pleurs sont représentés directement par le paysage. Le courant de la rivière, les courbes des herbes et le souffle du vent, toute la description introduit finalement les larmes de Félicité. Autrement dit, ses larmes existent comme une partie de la nature et sont créées en suivant les images du courant.

Cependant Flaubert efface l’image de Félicité pleurant au bord du cours d’eau. Maria Francesca Davì Trimarchi remarque le suppression des sentiments de Félicité :

[...] : l’action physique de voir ne fait qu’entraîner, chez elle, un réflexe de sa besogne quotidienne – des femmes passent avec du linge, elle les voit et se rappelle sa lessive – et non une réaction émotive.372

Elle analyse la suppression des larmes de Félicité dans la scène de la mort de Victor, afin d'exprimer les sentiments de l'héroïne grâce à la description des objets qui l'entourent. Ce changement était pour Flaubert le moyen d'allier les sentiments directs de son personnage à son environnement.

Au fo 318 ro, la description se change ainsi :

sortit de à pas tranquillement elle quitta la salle simplement

sans un dire un mot [...] Elle donnait des

et les coups de battoirs herbages – les arbres rapides violents

la paririe, l’horizon, – le vent dans les herbes […] .

larmes alors elle se retint encore sa chambre son cœur éclata Dans la son cœur éclate. Puis le soir dans son lit sur le ventre.

dès qu’elle fut [NAF23663 fo 318 ro (extrait)]

Ici, quand elle quitta la maison, elle était silencieuse, imperturbable. Ce silence continue jusqu’à la fin de sa lessive, mais on peut deviner que son calme impassible n’était que

372

Maria Francesca Davì Trimarchi, « La « Pyramide » », in Corpus Flaubertianum. I, op. cit., p. 65.

superficiel. Au fo 315 ro, ses larmes décrites sont donc connectées à la description de la nature. Mais au fo 318 ro, le bruit du linge frotté exprime sa lamentation intérieure et sa tristesse à la perte d’un être cher. La prairie et les herbes ne suggèrent alors plus les larmes de l’héroïne. Elle laisse cours à son chagrin après la lessive. Finalement, ce qui résume tout, est l’acte physique de Félicité pleurant dans son lit la nuit. Scène que Flaubert supprimera dans le texte définitif :

Elle jeta sur la berge un tas de chemises, retroussa ses manches, prit son battoir ; et les coups forts qu’elle donnait s’entendaient dans les autres jardins à côté. Les prairies étaient vides, le vent agitait la rivière ; au fond, de grandes herbes s’y penchaient, comme des chevelures de cadavres flottant dans l’eau. Elle retenait sa douleur, jusqu’au soir fut très brave ; mais dans sa chambre, elle s’y abandonna, à plat ventre sur son matelas, le visage dans l’oreiller, et les deux poings contre les tempes. [TC, p. 61]

Quand elle apprend le décès, elle ne pleure à aucun moment. Elle supporte sa peine, dans un désespoir profond, comme si elle ne savait pas exprimer ses émotions. Sa tristesse n’est pas directement décrite, mais est suggérée par ses attitudes. Au moment où elle reçoit la nouvelle, elle reste immobile et silencieuse, puis soudainement se souvient de sa lessive et va à la rivière. Son cœur déchiré symbolisé par la plante aquatique venue du fond de la rivière se superpose à l’image des cheveux de son neveu, au cours de la navigation.

Au fur et à mesure des changements de ce passage, Flaubert efface donc clairement les phrases lyriques. Les descriptions du paysage reliées aux sentiments intérieurs de Félicité se changent en phrases objectives. Puis le débordement des émotions de l’héroïne, dans un espace ouvert en plein jour, que l’on trouve au début, se modifie peu à peu, pour finir par une scène où elle cache dans l’oreiller son visage sans larmes en pleine nuit. Pourquoi Flaubert fit-il autant de corrections quant aux sentiments cachés de Félicité ?

Marie-Julie Hanoulle indique l’interchangeabilité des personnages pour Félicité :

[...] dans ces contes, l’acte perd de son originalité et se généralise en se répétant, les indices, eux, se détachent facilement de l’objet qu’ils caractérisent. On peut remarquer leur extrême mobilité. Une des conséquences de cet échange de qualités entre les êtres et les choses est leur indistinction, leur confusion, la création d’une sorte de climat commun qui sous-tend le récit. […] Dans Un cœur simple, Félicité confond le perroquet avec Saint-Esprit, se met littéralement à la place de Virginie : « avec l’imagination que donnent les vraies tendresse, il lui sembla

qu’elle était elle-même cette enfant » [TC, p. 56] ; elle est satisfaite de mourir de la même maladie que Mme Aubain « trouvant naturel de suivre sa maîtresse » [TC, p. 75] . [...] Il y a donc chaque fois une confusion des objets aimés de Félicité, dont les qualités sont diffuses et comme interchangeables. 373

Tous les personnages contenant le perroquet sont en connexion, forment une continuité, qui s’achève avec Félicité. La relation amoureuse entre la mère et l’enfant, de même que celle plus distante entre la maîtresse et la servante, se fondent et se subliment à la fin de l’existence de Félicité qui est comme « une femme en bois, fonctionne d’une manière automatique » [TC, p. 45]. Il est intéressant que Flaubert décrive son héroïne en tant qu’objet dès le début. Rappelons-nous que le perroquet est considéré comme le Saint-Esprit seulement après avoir été empaillé, c’est-à-dire après être devenu un « objet ». La figure de Félicité, « une femme en bois » n’est donc pas négative chez Flaubert. Pierre Danger indique la signification particulière des objets dans les romans de Flaubert : « c’est dans la démesure même qu’il faut trouver la poésie, se laisser prendre au délire et accepter cette perspective déconcertante au premier abord, que l’objet plus que le personnage est au centre de l’œuvre »374. Le désir ultime de Saint Antoine est justement « descendre jusqu’au fond de la matière, – être matière »375. Ce souhait est aussi l’état de Flaubert devant les objets. Jean-Pierre Richard a analysé les objets pour Flaubert:

Flaubert, dit Brunetière, ne voit que la surface des objets. Etonnante erreur: il a au contraire le sens de leur épaisseur et de leur en dessous beaucoup plus que celui de leur écorce. Et c’est pourquoi la perception n’apparaît jamais chez lui comme un viol des apparences : la surface lui semble béante comme un appel ; quand il regarde longtemps et de très près, elle finit même par s’évanouir et les objets deviennent porosité pure :

« Je sais voir et voir comme voient les myopes, jusque dans les pores des choses, parce qu’ils se fourrent le nez dessus » [Corr. II, p. 343].

373

Marie-Julie Hanoulle, « Quelques manifestations du discours dans Trois contes », art. cit, p. 48.

374

Pierre Danger, Sensation et objets dans le roman de Flaubert, op. cit., p. 128. Du plus, Pierre Danger indique une tendance de Flaubert aux objets : « ce qui prédomine dans le regard que Flaubert porte sur les objets, c’est l’humour, un humour teinté de tendresse et de pitié : ils sont toujours charmants, un peu mélancoliques et surtout dérisoires ces pauvres objets qui connurent des jours glorieux et se retrouvent comme Loulou, le perroquet empaillé, dans une fête religieuse parmi des flambeaux d’argent, des vases de porcelaine, un sucrier de vermeil, des pendeloques en pierres d’Alençon, deux écrans chinois, etc. » (Ibid., p. 127).

375

Gusatve Flaubert, La Tentation de Saint Antoine, édition présenté et établie par Claudine Gothot-Mersch, Paris, Gallimard, 1983, p. 237.

Ce qu’on nomme surface ou limite n’est donc en réalité pour lui que l’effleurement d’une certain texture matérielle vers une texture différente et immédiatement voisine. 376

Rappelons-nous dans le plan, Félicité est « myope » et « voit peu ». Les sentiments de Félicité apparaissent de moins en moins au niveau des brouillons parce qu’elle devient une existence privilégiée qui peut se transférer et transparaître dans les autres personnages et des objets. Ne peut-on pas dire que Félicité qui s’unit avec toutes les existences est aussi la figure idéale de Saint Antoine ?

En fait, le perroquet n’apparaît que dans le quatrième chapitre, c'est-à-dire au tiers du conte. Mais en étudiant les plans et les brouillons, on prend conscience qu’il se situe tout de même au centre de l’œuvre avec Félicité. L’évolution du personnage de Félicité qui verra ses sentiments freinés au fur et à mesure du conte, montre bien le processus de création de Flaubert. La douleur et la joie de Félicité ne sont qu’une esquisse au niveau du plan, débordent dans les manuscrits, pour être remaniées et se condenser en paysages ou en actions dans le texte définitif. Les phrases qui expriment ses sentiments se changent donc bien en descriptions laconiques qui produisent un effet de beauté infinie et silencieuse. Ainsi, au moment où les sentiments ne sont plus exprimés par Félicité elle-même, ils renaissent et transparaissent de manière plus belle. Et pour arriver dans cet état, il vaut mieux que Félicité soit représentée comme « une femme en bois ». Claude Duchet constate même la relation entre l’objet et l’écriture chez Flaubert : « À l’horizon du monde flaubertien se profilent [...] les normes d’une civilisation de l’objet, et la construction d’un monde d’objets y est solidaire de la construction d’un langage, du façonnement d’un style »377.

Flaubert a évoqué son idée sur l’art dans sa correspondance : « L’art comme Lui dans l’espace, doit reste suspendu dans l’infini, complet en lui-même, indépendant de son producteur »378 [Corr. II, p. 62]. Ne peut-on pas dire que Félicité comme « une femme en