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Chapitre II. Le chemin vers l’œuvre : les recherches sur les Carnets Carnets

B. L’accès à Hérodias

1. Carnet 16 bis : Vitellius, Aulus, Jean-Baptiste

Les Trois contes, et surtout Hérodias, sont potentiellement liés au processus d’écriture de La Tentation de Saint Antoine. Au fo 1 vo du Carnet 16 bis299, Flaubert a noté son nom et deux dates : Gustave Flaubert 18 juillet 1868. Laffitte 7 h 298 Ibid., p. 537 299

Le Carnet 16 bis, qui est celui avec une couverture rouge (7.2 x 12cm), contient 48 folios (voir

ibid., p. 599). Ce qui nous intéresse est la note sur Saint André au fo 20 vo : « Saint André, d’abord disciple de Jean, puis de Jésus » (ibid., p. 639). Flaubert écrit à Caroline le 15, septembre, 1876, « Je vais retourner à la Bibliothèque pour voir dans les Bollandistes la vie de saint André, qui sera, je crois, un des personnages de ma petite historiette » [Corr. V, p. 127]. Cependant Saint André n’apparaît pas dans Hérodias.

6 7bre 1876. 300 (extrait)

Cela montre qu’il a écrit ce carnet pour La Tentation de Saint Antoine à la première date et qu’il a ajouté une note sur Hérodias huit ans plus tard301

. Pierre-Marc de Biasi suppose que le Carnet 16 bis a été écrit avant les Carnets 16 et 0302.

Il faut remarquer que seulement trois personnages s’y trouvent : Vitellius, son fils Aurus et Jean-Baptiste (Iaokanann), décrits à la même période que le carnet de La Tentation

de Saint Antoine. Au fo 3 ro du Carnet 16 bis, on lit que « Un Vitellius plus maigre. Grand œil, nez droit, menton napoléonien »303. Il est décrit au début comme l’homme puissant de Rome et comme un personnage dominateur dont le visage ressemble à celui de Napoléon. Ensuite, au fo 5 vo du 16 bis, Flaubert a noté 16 espèces de chevaux en latin. Au fo 6 ro, Flaubert écrit « les chevaux ont de hauts panaches tout droits entre les oreilles sur la tête […]. Ornements (de perles ?) au poitrail »304

. Les ornements des chevaux rappellent la beauté des cent chevaux blancs cachés dans le souterrain du texte définitif. Ces chevaux ne sont pas des animaux que l’on fait travailler mais ils sont précieux comme un trésor vivant et sont le symbole du pouvoir.

Comme on l’a vu, Flaubert commence par décrire Vitellius au fo

3 ro du Carnet 16 bis, puis énumère les noms des chevaux au fo 5 ro et finalement raconte en détails leurs caractéristiques au fo 6 ro. Cet ordre tel qu’il apparaît dans les carnets symbolise le déroulement du conte. Dans Hérodias, Vitellius demande à Hérode de lui montrer les sous-sols du château avant d’y trouver des armes et une centaine de chevaux. Ensuite, après la découverte de Iaokanann enfermé dans le souterrain, le rôle de Vitellius prend un tour très dramatique. On analysera dans les autres chapitres que Vitellius et le sous-sol représentent clairement le présage de l’apparition de Iaokanann.

300

Flaubert, Carnets de travail, op. cit., p. 607.

301

Au fo 1 vo, « 1876 » est certainement marqué, mais Pierre-Marc de Biasi pense qu’il y a une possibilité que Flaubert a écrit quelques feuilles qui ont concerné même Hérodias, quatre ou cinq ans auparavant. Il suppose aussi que Flaubert a peut-être écrit les fo 22 ro, fo 22 vo, fo 23 ro et fo 23 vo sur Hérodias en 1871 (ibid., p. 599). On peut penser que l’idée d’Hérodias est apparue dans le processus de La Tentation de Saint Antoine.

302

Pierre-Marc de Biasi suppose ainsi : « j’ai la nette impression que les deux carnets « bis » (le 16

bis et le 18 bis) sont des carnets qui étaient primitivement numérotés 9 et 10, ou 9 et 11, ou 10 et 11,

et qui ont été rebaptisés hâtivement 16 bis et 18 bis en raison des similitudes de contenues tout à fait réelles qui lesrapprochaient des Carnets 16 et 18 » (ibid., p. 43).

303

Ibid., p. 608.

304

D’autre part, au fo

22 ro, Flaubert écrit : « Vitellius, l’empereur, jeune, Nez en truffe, gras, fortes, joues, œil enfoui »305. Celui dont il s’agit dans ce folio, c’est le fils de Vitellius, Aulus. Sa grande taille et son allure lourdaude expriment son manque d’esprit, tel un bloc de viande, comme il apparaît dans tous les livres historiques, et sont exactement l’inverse de la figure de son père. Le fils apparaît dans Hérodias avec un visage figure quasiment identique à celle du carnet.

Il est arrivé au château de Machærous après l’arrivée de son père. Cependant, il n’est pas venu pour voir les sous-sols du château comme son père. La scène où il apparaît plusieurs fois dans le conte est celle du festin de l’anniversaire d’Hérode dans le troisième chapitre. En apparence, il nous semble qu’Aulus n’a presque pas d’importance dans le conte. Néanmoins, en lisant la scène du festin attentivement, on retrouve son personnage constamment.

Dans la salle du festin, on trouve de nombreuses sortes d’aliments venant de toutes les régions et le rassemblement de multiples nations. Il s’agit d’un modèle réduit du monde, dans lequel Vitellius est le symbole de la conscience de la domination intellectuelle sur les nations, et Aulus celui du désir instinctif des humains, de l’appétit et du plaisir sexuel, contrairement à Vitellius. On examinera précisément plus tard le rôle d’Aulus.

D’autre part, dans le Carnet 16 bis, des notes nombreuses sur Jean-Baptiste se trouvent aux fo 24 vo, 24 ro, 23 vo et 23 ro. Aux fo 24 ro et 23 vo, Flaubert a noté la légende des saints et aux fo 24 vo et 23 ro le nom de Jean-Baptiste. Au fo 24 vo, « Jean-Baptiste. = Hoannah Le sang ne peut s’étancher jusqu’à ce qu’une grande désolation soit arrivée […] Tunique blanche conservée par les Juifs et qui re-saignait »306. Ici, on ne trouve aucune description de son apparence physique mais l’utilisation de la répétition du mot « sang » illustre son existence, différente de celle d’Élie, en rappelant un corps humain. De plus, au fo 19 vo du

Carnet 16 bis, Flaubert a noté : « Selon saint Jérôme, Hérodias perça sa langue avec son

aiguille de tête, comme avait fait à Cicéron la femme d’Antonine »307. Ici aussi, la torture de Jean-Baptiste apparaît très concrètement et on peut facilement imaginer sa douleur. Dans le carnet, par l’insistance sur les mots « sang » et « langue » qui sont des parties de son corps, Jean-Baptiste est représenté non pas comme un saint surnaturel mais un homme dont le sang coule et qui sent la douleur.

305

Ibid., p. 638. 306Ibid., p. 636.

En apparence, il n’y a donc aucun point commun entre eux trois, Vitellius, Aulus et Jean-Baptiste, mais en réalité ils sont en étroite connexion par chacune de leurs caractéristiques. Vitellius exprime le pouvoir terrestre, Aulus le désir terrestre et J ean-Baptiste la supériorité de l’esprit humain. Ainsi, en analysant le Carnet 16 bis, on comprend que les trois réunis constituent le monde entier à travers leur relation.