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CHAPITRE 3 : VIVRE LA RUELLE AU QUOTIDIEN

4.3 S’ APPROPRIER LA RUELLE

4.3.2 EXPÉRIMENTER LA RUELLE

Le fait de fréquenter et d’expérimenter un lieu est une condition essentielle pour se l’approprier. L’utilisation régulière de la ruelle favorisa la construction de ce sentiment d’appartenance :

La pratique habitante induit une pratique quotidienne du lieu, mais aussi un sentiment d’appartenance, voire d’identification (ou dans de rares cas de rejet et de déni) et donc une relation particulière, voire intime, à cet espace. Les niveaux cognitifs, affectifs et emblématiques du rapport au lieu sont déterminés par le niveau de connaissance, et donc de pratique, de cet espace. (Marry, 2013 : 48)

Nous pouvons d’ailleurs aisément associer une grande fréquentation à une appropriation rapide du lieu comme le démontrent certains participants ayant grandi dans des ruelles montréalaises. Bien que la plupart de leurs ruelles d’enfance ne se situent pas dans RPP, l’intérêt pour les ruelles actuelles des participants est d’autant plus grand s’ils ont connu les ruelles étant jeunes. Pour GD, il s’agit de la raison pour laquelle il entretient un lien privilégié avec les ruelles :

J’ai pas été élevé dans les belles ruelles d’Outremont, j’ai été élevé dans les ruelles de l’est de la ville, bien ordinaires. […] Ça m’effraie pas la ruelle. J’ai des amis, pour eux, j’ai l’impression quand je leur dit ça, ça ne résonne rien, parce que qu’ils font « ben, c’est une ruelle ». Comme si c’était là que tu dompais tes cochonneries. (GD, Entrevue, 2013 : 41:16 à 42:01).

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Tout comme GD, YB, GL, CBD, RG1, FS et GG ont fréquenté une ruelle dans leur enfance. Apprendre à connaître les ruelles étant jeune permet aussi de mieux appréhender et apprivoiser les suivantes. Avoir été en contact avec des ruelles dans le passé permet de supprimer les préjugés qu’on leur attribue : sales, dangereuses, lieu de délits et d’activités illicites. Or, il est clair qu’ici, les expériences des participants, qu’ils aient fréquenté une ruelle ou non dans leur enfance, ne corroborent pas ces préjugés, mais plutôt les infirment. Un seul exemple témoigne d’un délit plus important soit l’agression dont a été victime GG en 2010.

Nous avons établi plus tôt que nous appréhendons les lieux par l’entremise des sens, mais l’image que l’on se fait d’un lieu est également dictée par nos expériences. Bien que celles-ci diffèrent pour chacun, l’expérience quotidienne influence la confiance que l’on porte au lieu.

Pour chacun, le monde de la vie quotidienne s’ordonne et s’objective de manière originale, à la fois voisin et différent de celui des autres (Berger, Luckmann, 1989). Chacun trace ses itinéraires quotidiens plus ou moins réguliers, enchevêtrement de cheminements et de lieux, tissu spatial au sein duquel se négocient les affaires, s’effectue la production, se nouent les relations affectives ou amicales, de voisinage aussi. (Tizon, 1996 : 24).

C’est au fil des jours que l’image de la ville et de la ruelle se construit à notre insu et les événements vécus, bien qu’ils soient plus faciles à cerner, ne peuvent expliquer à eux seuls l’ambiance se dégageant d’un endroit et le sentiment qu’on y éprouve.

4.3.3 LA CONFIANCE

S’attacher à un espace et se l’approprier nécessite de bien le connaître. La confiance qu’on lui accorde peut alors être révélatrice du rapport développé avec le lieu : « La confiance n’implique pas seulement de se sentir en sécurité, bien éclairé ou entouré de policiers. Être en confiance, c’est ressentir un sentiment de “chez soi” par la présence solidaire ou bienveillante de personnes familières » (De Sablet, 1991 : 49). Ce sentiment peut être renforcé par l’esprit de communauté, puisque c’est en ayant confiance en les voisins que le confort et l’appréciation du lieu peuvent se développer. RG2 le mentionnait en parlant des limites qu’ont ses enfants lorsqu’ils sont dans la ruelle : « on les laisse à l’intérieur de la limite des gens qu’on connaît » (RG2, Entrevue, 2013 : 12:04 à 12:07). Dans son cas, RG2 ne se sent pas tout à fait en confiance dans toute la ruelle, mais seulement près de chez lui. À quelques reprises dans l’entrevue, il dit savoir que la ruelle n’est pas un endroit sécuritaire pour laisser ses enfants seuls. Il précise toutefois les raisons de cette méfiance, soit la présence de certains voisins négligents dans leur cour et avec leur chien, couplée à la présence de maisons de transition. De la même manière, LB ne laisserait jamais non plus son enfant sortir seul dans la ruelle. Lorsqu’elle s’est impliquée dans le comité de la ruelle verte, elle a souhaité installer un banc pour encourager les parents à venir

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surveiller leurs enfants lorsqu’ils jouaient dans la ruelle, ce qu’elle reproche à certains parents de ne pas faire. Elle raconte également que dans une ruelle voisine, une jeune fille terrorise et intimide les autres enfants, ce qu’elle se réjouit de ne pas connaître dans sa ruelle. La confiance qu’elle éprouve dans la ruelle est mitigée. En effet, le fait qu’elle prône une surveillance constante des enfants témoigne d’une méfiance face à l’espace, bien qu’elle semble rassurée et contente de l’absence de relations conflictuelles entre les enfants dans sa ruelle.

D’autres participants accordent plus de confiance au lieu; c’est notamment le cas de CBD, de HL ou encore des parents de FS. Bien que leurs enfants étaient ou sont plus vieux que ceux de LB et de RG2, ils n’ont pas manifesté de gêne à les envoyer seuls jouer dans la ruelle. GD de son côté croit au potentiel du lieu. Il a confiance en ses voisins pour la suite de l’installation de la ruelle, souhaitant changer quelques habitudes de vie des voisins et voulant faciliter l’utilisation de la ruelle ainsi que le respect du lieu.

Enfin, on note qu’il est possible de se sentir en sécurité dans un lieu sans faire confiance à tous ses occupants. Nos participants ont parlé de voisins avec lesquels ils avaient eu des conflits ou encore dont ils ne partageaient pas les valeurs et intérêts. Lorsqu’il y a conflit, le lien de confiance initial peut s’effriter, voire se briser en rendant les protagonistes suspicieux. À titre d’exemple, lorsqu’il était enfant, GG avait déplacé de la neige dans la ruelle, ce qui n’avait pas plu à un voisin qui l’avait reproché à GG et ses amis. LG avait alors réagi à cet événement en disant à son fils de ne plus s’en approcher et qu’elle prendrait les choses en main s’il y avait répétition de l’incident. Ainsi, au cours de l’entrevue, lorsqu’il était question de cette personne, il apparaissait clair que les participants n’avaient pas une bonne relation avec lui, signifiant également que la confiance n’y était pas non plus. La confiance de GG, tout comme celle de toute sa famille, a également été ébranlée quand il a été attaqué dans une ruelle voisine, ce qui l’a amené à modifier son parcours puisqu’il évite d’emprunter les ruelles le soir. La confiance du reste de la famille en a également été modifié, aucun de ses membres ne se déplaçant seul le soir dans les ruelles depuis l’incident. Ces éléments de conflit peuvent évidemment modifier l’appropriation du lieu. Tel que démontré plus tôt, la confiance joue un grand rôle dans l’appropriation. Si elle manque, le lieu n’aura plus la même ambiance et le désir de le fréquenter pourrait en diminuer. Il nous est toutefois impossible d’en faire une démonstration dans ce cas-ci, les participants impliqués ayant déjà une fréquentation limitée à la ruelle, n’exploitant pratiquement que leur cour qui, étant privée, offre un sentiment de sécurité plus grand.

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L’appropriation de la ruelle, comme on l’indique ici, passe par le sentiment de confort et de confiance : Le confort implique aussi la sensation d’une certaine familiarité culturelle. Il demande aussi de retrouver les choses que l’on aime : la présence de gens qui vous plaisent, l’absence des autres, des odeurs agréables, des sons harmonieux ou reposants, des échelles, des couleurs ou des composantes d’un aménagement chatouillant agréablement le goût ou l’inclination momentanée. (De Sablet, 1991 : 49)

Or, nous avons pu démontrer dans la section précédente de ce chapitre que, de manière générale, les participants aiment leur ruelle. Ils ont identifié des éléments qu’ils considèrent comme agréables et qui éclipsent nettement les conditions désagréables. La confiance qu’éprouvent les participants fréquentant la ruelle s’inscrit en faveur de l’appropriation du lieu.