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CHAPITRE 3 : VIVRE LA RUELLE AU QUOTIDIEN

3.1 L A RUELLE ET LES JOURS

3.2.6 CHATS ET AUTRES ANIMAU

Nous consacrons une courte section de l’analyse à la présence des animaux, et particulièrement les chats, dans la ruelle. En effet, il semble que leur présence influence l’utilisation qu’en font les citoyens. Trois informateurs ont même dessiné un ou des chats sur leur croquis. LB affirme avoir fait la connaissance de certains de ses voisins grâce à son chat mais aussi à d’autres chats voisins. Pour YB, la présence de ces chats est agréable puisqu’il aime bien les regarder et les flatter, certains venant même lui rendre visite : « Ça contribue au plaisir que j’ai de ma proximité avec la ruelle. Moi, c’est sûr que je ne joue pas dans la ruelle, mais je m’installe sur le balcon et je suis amusé par les voix des enfants et aussi amusé par la présence des chats. » (YB, Entrevue, 2013 : 11:39 à 12:00). Les chats circulent dans la ruelle à leur gré : « Puis nos chats, ils ont apprivoisé la ruelle vraiment, sans problème. » (LG, Entrevue, 2013 : 41:36 à 41:40). Certains chats ont un domicile et ils appartiennent à des résidents alors que d’autres sont des chats errants que certains tentent de nourrir, comme l’ont fait DG et LG à l’un de leurs anciens domiciles. Dans d’autres ruelles, des rumeurs circulent sur la disparition de ces chats errants, alors que CBD et quelques voisins soupçonnent certains résidents de les avoir attrapés. Outre ces félins, on y observe d’autres animaux. Certains chiens se promènent avec leurs maîtres qui prennent des marches dans la ruelle. Toutefois, aucun de nos participants ne possédait de chien, alors que plusieurs avaient un chat. Plusieurs participants ont mentionné les oiseaux qu’ils remarquent en les entendant chanter ou en les voyant voler, comme les pigeons et les faucons pèlerins. Parmi les autres animaux observés, les participants ont recensé insectes, rats, ratons laveurs et chauves-souris.

3.2.7 SOCIALISATION

Dans la ruelle, nous pouvons observer des échanges entre voisins qui apprennent à se connaître au fil du temps. La relation entre voisins est bien importante pour la plupart des participants et semble s’effectuer plus facilement par l’espace commun qu’est la ruelle.

Les premiers contacts avec les voisins sont d’origines diverses. Toutefois, il semble que les voisins immédiats avec lesquels les participants partagent l’arrière de leur cour sont plus faciles d’approche. Pour HL, il est plus aisé de rencontrer des gens à l’arrière puisqu’ils y sont pour prendre du bon temps et moins pressés qu’à l’avant, qui est souvent utilisé pour les déplacements. FS nous indique la même chose, alors qu’elle ne connaît personne sur la rue Garnier à l’avant et qu’elle socialise davantage avec ceux qui partagent sa ruelle. Mis à part le partage de l’espace, les premiers contacts sont occasionnés par différents événements. LB a connu des voisins grâce à son chat qui s’est fait adopter quatre fois. La présence d’enfants favorise également les premiers échanges, comme nous l’ont confirmé plusieurs

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autres participants. Le fait d’avoir des enfants semble, en effet, une des raisons principales poussant à utiliser la ruelle, ce qui incite également à faire connaissance avec ses voisins. FS et LB nous expliquent que les gens les abordent pour leur parler depuis qu’elles ont des enfants, particulièrement les personnes âgées. De plus, les parents apprennent à se connaître lorsque leurs enfants jouent ensemble. Lorsqu’on leur a demandé de parler de leurs voisins, les participants nous ont présenté les lieux où les amis des enfants habitent ou encore les endroits où il y a des enfants, s’ils n’en ont pas eux-mêmes. Les rapports entre les voisins ne sont pas nécessairement des liens amicaux, mais simplement des relations de bon voisinage : « Je connais beaucoup de monde, puis il y en a que je ne connais même pas leur nom, mais c’est pas important. C’est quand je les rencontre, c’est un sourire, puis bonjour, bonjour. » (GL, Entrevue, 2013 : 16:43 à 16:50). Cette relation peut engendrer l’entraide comme le prêt d’outils, l’arrosage de plantes et de plates-bandes et a même occasionné le prêt d’une maison dans la ruelle de CBD. À l’inverse, d’autres participants n’ont pas de relations du genre avec leurs voisins, comme CV, qui n’a de contacts qu’avec ses colocataires ou encore RG1, qui habite au troisième étage d’un triplex, n’ayant pas d’accès direct à la ruelle :

Puis peut-être que maintenant que j’ai 33 ans, puis que je suis plus vieux, je suis dans cette ruelle-là [Louis-Hémon / des Écores / Rosemont / des Carrières], c’est peut-être plus un endroit où je voudrais, je sais pas, aller prendre une bière avec mes voisins, connaître mes voisins, comme un peu développer mon réseau, dans le fond développer mon réseau d’amis adultes. Juste connaître les gens qui sont autour de moi, peut-être apprendre un peu sur l’horticulture, apprendre un peu comme entretenir différentes sortes de plantes. (RG1, Entrevue, 2013 : 1:21:45 à 1:22:31).

Les potinages constituent un autre aspect marquant de la vie de la ruelle. Les participants possèdent beaucoup d’informations sur leurs voisins, ceux avec lesquels ils ont des affinités, mais également ceux avec lesquels ils ont peu de contact ou avec lesquels ils sont entrés en conflits. Certains voisins excellent dans l’art du potinage, comme l’ancienne voisine de LG, DG et GG, Mme Morissette. Selon LG, cette dame gardait en permanence un panier de linge humide pour pouvoir sortir à tout moment lorsqu’elle voyait notre participante dans sa cour et ainsi jaser. Cette voisine ne voulait d’ailleurs pas qu’ils changent la clôture entre leurs cours afin de pouvoir continuer à voir dans celle de ses voisins : « Elle connaissait tout sur tout le monde. » (GG, Entrevue, 2013 : 15:33). La plupart des informateurs rencontrés me dévoilent des détails sur la vie de certains de leurs voisins, s’adonnant ainsi à la même activité, et plusieurs avouent même pratiquer du voyeurisme, aimant regarder dans les cours et les maisons des voisins : « Mais j’aime ça voir dans les maisons, dans les cuisines des gens. Quand je passe par les ruelles le soir, je trouve ça le fun, je regarde. Ce que les gens font, ça m’intéresse peu, mais c’est juste comme la vie du monde. » (LG, Entrevue, 2013 : 43:22 à 43:38). Des rumeurs peuvent parfois

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circuler parmi les voisins, comme ce que raconte CBD à propos de chats errants disparus ou encore certaines pratiques ou chicanes chez les voisins d’autres ruelles. Ces rumeurs et ce potinage, dont nous avons été témoins lors de la collecte, concernent des voisins plus ou moins appréciés des participants, qui les qualifient souvent de désagréables et avec lesquels ils sont entrés en conflits au moins une fois. C’est le cas d’un voisin de LG, DG et GG : « C’est le genre de monsieur, il y a des plantes et pour chasser les chats ou les oiseaux, il met des espèces d’assiettes en aluminium qui se cognent ensembles. Donc du moment qu’il vente un peu, ça fait toujours “cling-cling” tout l’été. » (LG, Entrevue, 2013 : 18:23 à 18:37). DG précise que ce voisin possède également une machine dont il ne peut identifier l’utilité et qui fait beaucoup de bruits, ce qui fait réagir GG lorsqu’il l’apprend lors de l’entrevue, qui s’exclame alors et précise que c’est un bruit « fatigant ». Il ne s’agit pas du seul exemple discuté lors de l’enquête, tandis que certains participants en profitent pour dénoncer la présence d’un voisin qui écoute sa radio bien fort, d’un autre qui utilise sa voiture sans égard aux enfants, d’une femme qui se promène nue chez elle ou encore de ceux qui disputent les enfants des autres. Le bavardage n’est toutefois pas toujours négatif et permet aux voisins d’apprendre à se connaître et à échanger. Lorsque les enfants jouent, plusieurs parents sortent dans la ruelle et discutent sur le pas des portes ou encore chez KD, discutent d’un balcon à l’autre : « Puis on jasait allègrement d’ailleurs de balcon en balcon. Il y a eu du “balconnage” largement ici avant. » (KD, Entrevue, 2013 : 17:06 à 17:13).

Enfin, l’utilisation de la ruelle semble, avec la socialisation, faciliter l’intégration et l’apprentissage. Pour quelques-uns des participants, la fréquentation de l’endroit leur a permis soit d’apprendre le français ou encore de se familiariser avec leur culture d’accueil. C’est le cas de RG1 qui dit avoir appris à parler français en jouant dans la ruelle : « Mon ancienne ruelle où j’ai grandi, pour moi c’était vraiment un endroit pour me socialiser […] surtout en tant qu’anglophone qui essaie de s’intégrer dans un quartier majoritairement francophone. Ça a été vraiment précieux pour moi. » (RG1, Entrevue, 2013 : 1:19:42 à 1:20:08). FS a, pour sa part, commencé à garder les amis de son frère et à jouer dans la ruelle, dès son arrivée d’Argentine à 11 ans. Elle estime que la ruelle a été un lieu d’apprentissage pour elle alors qu’elle a appris à se connaître mais aussi à connaître les autres. Pour CV, qui circule beaucoup en vélo dans les ruelles, elle utilise celles-ci dans une « perspective anthropologique », alors qu’elle commence à comprendre les dynamiques de la ville : « Les ruelles pour moi, c’est comme des fenêtres de la culture. » (CV, Entrevue, 2013 : 12:07). Chez HL, les enfants y ont été en contact avec plusieurs autres cultures, notamment avec des voisins anglophones, italiens ou asiatiques. Ces contacts plaisaient à HL, pour qui « c’était la révélation d’une autre culture » (HL, Entrevue, 2013 : 07:46 à 07:50) et que, malgré quelques

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habitudes culturelles différentes43, « c’était vraiment particulier, mais instructif et intéressant. » (HL, Entrevue, 2013 : 08:36 à 08:42). Tout en étant des endroits d’intégration, les ruelles sont également des lieux d’apprentissage où les enfants apprennent à se comporter avec les autres et à socialiser : « Moi je me souviens surtout, c’est que c’est comme un espèce d’espace où t’apprends beaucoup à être, à socialiser avec des gens de ton âge aussi, puis, c’est qui le chef puis c’est qui qui suit. C’est ça aussi apprendre à être en groupe. » (CBD, Entrevue, 2013 : 19:38 à 19:52).

3.2.8 SÉCURITÉ

La ruelle peut, pour certaines personnes, recéler des dangers et c’est ce que nous avons constaté dès les débuts de la recherche, bien avant l’enquête de terrain. En effet, lorsque nous mentionnions notre sujet dans ses débuts, plusieurs personnes, qui ne sont pas nos participants, ont témoigné de préjugés envers les ruelles, croyant qu’on n’y voit que des voleurs, des vandales, des bouteilles cassées et des substances illicites. Il se trouve, toutefois, que les participants à notre recherche n’ont pas cette idée des ruelles, se trouvant de manière générale en sécurité dans celles-ci. Malgré tout, sans que les éléments de danger précédemment mentionnés ne fassent partie de l’expérience réelle des participants, certains ont des appréhensions. RG2, par exemple, insiste sur le fait que la ruelle est un « espace qui n’est pas tout à fait sécuritaire » (RG2, Entrevue, 2013 : 08:17 à 08:24) pour ses enfants. Il réfère notamment à la présence de logements à loyer à prix modique où les locataires faisaient preuve de négligence en laissant, entre autres, un chien non attaché. Ces locataires sont partis, les logements ayant été transformés en condos, mais il reste dans le secteur des maisons de transition ne rassurant pas RG2. Pareillement pour LB, pour qui la ruelle était un endroit peu entretenu, sentant les déchets, comme la première avec laquelle elle a été en contact en arrivant à Montréal. Elle habite aujourd’hui dans une ruelle verte, soignée par les résidents, mais ne laisserait jamais son fils de trois ans jouer dans la ruelle sans qu’elle y soit également. Chez GD, la ruelle étant semi-industrielle, elle contient beaucoup de déchets, ce qui inquiète ce participant. Ce n’est toutefois pas sa vision de ce que devrait être une ruelle : « Moi je pense que quelqu’un qui rentre tard le soir, puis qu’il fait noir, il devrait se sentir en sécurité dans la ruelle, à marcher dans la ruelle » (GD, Entrevue, 2013 : 48:56 à 49:03). GD soutient qu’une ruelle qui est fréquentée et habitée par les résidents peut avoir un effet de dissuasion sur les éventuels vandales : « Si tu l’habites, si tout le monde l’habite, tout d’un coup, c’est plus gênant de faire des mauvais coups dans cette ruelle-là. » (GD, Entrevue, 2013 : 49:31 à 49:42), améliorant ainsi la sécurité.

43 HL nous raconte une histoire dans laquelle ses voisins italiens, des personnes âgées, pour remercier de leur aide un

jeune couple québécois, leur avait apporté un lapin dont le monsieur avait cassé le cou devant eux. Ces derniers avaient été surpris par le geste et ne savaient plus quoi faire avec le lapin en question, qui est resté dans leur congélateur.

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YB et LB dénoncent les graffitis dans leur ruelle, qu’ils associent à du vandalisme et qui suscitent l’insécurité. YB croit que le fait de mettre des murales peut inviter les graffitis, alors que LB en parle comme un problème.

Pour sa part, LG raconte qu’elle se promenait dans les ruelles en plein cœur de la nuit lorsqu’elle avait vingt ans et qu’elle rentrait chez elle. Elle avoue ne pas trop vouloir le raconter à ses enfants pour qu’ils ne fassent pas la même chose. GG, son fils, s’est d’ailleurs déjà fait attaquer dans une ruelle en 2010. Il empruntait une ruelle se trouvant sur son chemin habituel pour rentrer de chez un ami vers 22 h 30. Cinq jeunes hommes l’ont agressé pour voler son lecteur Ipod, mais GG en a repoussé un et est parti à la course. Selon les policiers, il y a eu beaucoup d’agressions dans les ruelles du quartier durant l’été 2012. Depuis ce temps, GG évite les ruelles le soir : « Ça change un peu ma vision des ruelles dans le sens où je passe, même si c’est un raccourci, je ne passe pas par une ruelle quand je suis seul tard le soir. » (GG, Entrevue 2, 2013 : 01:38 à 01:56). Il est conscient qu’il s’agit d’une situation qui n’arrive pas souvent, mais plaide le fait que si ça arrive, il n’y a nulle part où aller. Sa jeune sœur et ses amis ont d’ailleurs été bien avertis de ne jamais passer par les ruelles le soir et cet événement a même changé les habitudes de LG, qui les évite également le soir.

HL a pour sa part vécu avec sa plus vieille fille, alors très jeune, un tout autre événement dans leur ancienne ruelle qui l’a beaucoup inquiétée, comme il a été raconté dans le chapitre précédent. Sa fille de deux ans s’étant éloignée de la maison, HL ne pouvait plus la voir à cause de la forme de la ruelle en H. HL a couru, cherchant la petite, sans savoir qu’elle était entrée par la porte avant. HL, qui était alors enceinte de sept mois a ensuite dû être en repos complet pour le reste de sa grossesse.

Face à des craintes diverses, plusieurs ont établi des règles d’utilisation de la ruelle avec leurs enfants. De manière assez générale, les participants s’accordent pour dire que la règle principale est de rester dans la ruelle. Il est toutefois certain que l’âge des enfants influe beaucoup sur les différentes règles adoptées. RG1 nous précise d’ailleurs que les règles ont été changées au cours de son enfance, ayant des limites de plus en plus éloignées. RG2 a, quant à lui, identifié des maisons que ses enfants ne peuvent dépasser lorsqu’ils fréquentent la ruelle : « Donc on les laisse à l’intérieur de la limite des gens qu’on connaît. » (RG2, Entrevue, 2013 : 12:04 à 12:07). Il ouvre les portes de sa cour et sort fréquemment afin de garder un œil sur ses enfants. Le fils de LB ne peut sortir dans la ruelle lorsqu’il est seul. Pour elle, tous les parents devraient sortir surveiller leurs enfants dans la ruelle, même s’ils ont de cinq à huit ans. Elle a souhaité installer un banc dans la ruelle afin d’encourager les parents à sortir

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avec les enfants. La règle par rapport aux voisins varie, certains devant appeler pour indiquer où ils sont et d’autres ayant tout simplement l’interdiction d’entrer chez les voisins, comme FS lorsqu’elle était enfant. CBD veut simplement savoir où sont ses filles, qui doivent appeler pour indiquer si elles rentrent chez un voisin.

3.3A

MÉNAGER

Avec l’utilisation, l’aménagement influence la fréquentation d’un lieu mais aussi son appréciation par les résidents. Comme nous le verrons, certains participants font une utilisation visuelle plus que physique de la ruelle, ce qui en rend l’aménagement visuel d’autant plus important et complémentaire à l’aménagement utilitaire. Nous diviserons cette partie en deux, nous attardant en premier lieu sur l’aménagement commun à la majorité des ruelles de RPP, soit des ruelles normales, pour dans un deuxième lieu s’intéresser au cas plus spécifique des ruelles vertes. Il est essentiel de garder en tête que la plupart des ruelles ont été bétonnées dans les années 1960, selon un modèle dans lequel s’intègrent toutes les ruelles visitées. On peut y voir en leur centre une rigole permettant l’écoulement de l’eau vers les bouches d’égout disposées à trois ou quatre endroits dans la ruelle. Les ruelles possèdent également, en grande majorité, des dos d’âne généralement distribués au centre ainsi qu’aux extrémités de la ruelle. Enfin, plusieurs poteaux y soutiennent les fils électriques, les lignes téléphoniques, l’éclairage et les cordes à linge. Nous traiterons plus spécifiquement de certains de ces objets dans la première section, mais il faut comprendre que ces éléments se retrouvent également dans les ruelles vertes.