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Expérience du plan incliné

Dans le document Breaking and flow of amorphous matter (Page 138-142)

7.2 Application à des systèmes expérimentaux

7.2.1 Expérience du plan incliné

L’expérience du plan incliné est une expérience très classique pour l’étude des propriétés des milieux granulaires [80, 113, 114, 115, 116, 82], ou plus généralement des solides. Nous renvoyons le lecteur à un article de O.Pouliquen [80] pour plus de détails sur les méthodes expérimentales. L’expérience est illustrée schématiquement Figure.7.4. On colle des grains sur une surface solide de façon à ce qu’ils ne puissent pas être arrachés. Cette plaque, désormais rugueuse, peut être inclinée d’un angle θ par rapport à l’horizontale. On étudie ensuite les propriétés dynamiques d’une couche de grains d’épaisseur R0déposée dessus, suivant l’angle θ imposé. Deux angles prin-cipaux peuvent être mesurés. Tout d’abord, l’angle θstart, qui est l’angle pour lequel la couche de grains commence à s’écouler. Pour cela, on commence avec le plan dans une position horizontale θ = 0 et on augmente progressivement la valeur de l’angle jusqu’à ce que la couche de grains, originellement statique, se mettent à couler entièrement. On appelle θstart l’angle formé par le plan incliné pour lequel la phase statique commence à s’écouler. Le deuxième angle étudié est l’angle d’arrêt θstop qui est l’angle pour lequel une couche de grain, initialement en mouvement, s’arrête. Pour étudier cet angle, on incline le plan d’un angle θ suffisamment important pour permettre l’écoulement de la couche de granulaire. Puis on diminue cet angle progressivement jusqu’à ce que toute la phase liquide s’arrête. On appelle θstop l’angle formé par le plan incliné pour lequel la phase statique s’arrête. Il est nécessaire de remarquer que lors des deux expé-riences, la phase liquide se comporte de façon uniforme. Dans l’expérience de démarrage, toute la couche de grains se met en mouvement en même temps. De même, dans l’expérience d’arrêt, toute la phase liquide s’arrête en même temps.

Constatations expérimentales

La première expérience ne peut pas être décrite dans le cadre du modèle que nous avons développé car celui-ci traite des interactions entre les phases solide et liquide. Il nécessite donc la présence des deux phases pour s’appliquer. Cela est représenté sur la Figure.7.2 par la barre verticale R = 1. Notre modèle ne s’applique que pour le demi-plan droit du plan {R, θ}. En revanche, l’expérience d’arrêt sur plan incliné fait apparaître les deux phases. La phase liquide est évidente, c’est la couche de grains d’épaisseur R0se déplaçant sur le plan. Les grains collés sur le plan représentent une phase solide inérodable, notion que nous avons abordée dans la partie précédente. Nous allons alors chercher à décrire l’expérience d’arrêt d’une couche de grains à l’aide du diagramme d’évolution.

✓ > ✓

stop

✓ < ✓

stop

dimin

ue

ini

~g

r´einjection des grains

grains coll´es sur le plan inclin´e

~g

(i) (ii)

(iii)

R

0 R0

Figure 7.4 – Schéma d’écoulement sur un plan incliné. (i) Une couche de grains d’épaisseur R0

coule sur un plan incliné sur lequel on a collé une couche de grains. Le plan forme initialement un angle θini avec l’horizontale suffisamment grand pour permettre l’écoulement. Des conditions limites périodiques sont appliquées aux extrémités. (ii) Au cours de l’expérience, on diminue progressivement l’inclinaison du plan jusqu’à ce que la phase liquide s’arrête. On note θstop la valeur de l’angle d’arrêt. (iii) Cliché obtenu lors des simulations. La couleur des grains indique leur vitesse, bleu statique, rouge mobile.

à l’extrémité basse du plan incliné sont ré-injectés à l’extrémité haute du plan. Cela permet de simuler un système infini et de s’assurer que les grains atteignent bien un état stationnaire. Pour chaque épaisseur liquide R0, on peut mesurer l’angle du plan θstop pour lequel la couche s’arrête. On obtient alors dans le plan {R, θ} la courbe θstop[R]. Les paramètres microscopiques des grains simulés ont été choisis afin de reproduire les données de O. Pouliquen [80], Figure.7.7. Les données expérimentales sont à la fois le résultat d’expériences réelles et de simulations. On remarque alors que la valeur de l’angle d’arrêt θstop décroit avec l’épaisseur de la phase liquide R. Pour les phases liquides épaisses, il tend vers une valeur limite θstop.

Analyse à l’aide du diagramme d’évolution

Pour analyser le système à l’aide du modèle développé précédemment, nous allons tracer la trajectoire du système dans le plan {R, θ}, Figure.7.5. La phase solide, les grains collés sur le plan incliné, est inérodable. Il n’y a donc pas d’angle d’érosion et le diagramme d’évolution se réduit à l’angle de sédimentation θsed. L’angle de l’interface solide-liquide est l’angle θ que

forme le plan incliné. L’épaisseur de la phase liquide est constante tout au long de l’expérience, le système se déplace alors sur une droite verticale R = R0. En réduisant progressivement l’angle, la trajectoire du système finit par croiser la courbe de l’angle de sédimentation. Lorsque θ = θsed[R0], la dernière couche de grains de la phase liquide s’arrête : la phase liquide diminue de 1 grain R0→ R0−1. L’inclinaison du plan en revanche reste la même. Or, l’angle de sédimen-tation est une fonction décroissante de R. Donc le nouvel état du système, {R0− 1, θsed[R0]}, se trouve en dessous de la courbe de sédimentation : θsed[R0] < θsed[R0− 1]. La couche de grains mobiles en contact avec les grains qui viennent de s’immobiliser, i.e. l’avant dernière couche, s’arrête également. La couche liquide diminue de nouveau de 1 grain, ... Le processus se répète jusqu’à ce que toute la phase liquide s’arrête. La sédimentation de la phase liquide se déclenche au niveau de l’interface solide-liquide et se propage dans toute la phase liquide. On retrouve le fait que la phase liquide s’arrête entièrement et non pas en partie. L’angle du plan incliné est toujours le même : θsed[R0]. L’angle d’arrêt est donc égal à l’angle de sédimentation.

Pour comparer nos données expérimentales aux prédictions théoriques, il faut fixer les valeurs de paramètres du modèle. La friction effective est la limite de l’angle de sédimentation lorsque la phase liquide devient épaisse. On fixe alors µeff à l’aide de l’angle d’arrêt pour les phases épaisses : µeff= tan θstop . Il reste le nombre maximal de grains impliqués dans la coopérativité et la dimension de la cascade de collision, respectivement ξ et D. Graphiquement, ces deux para-mètres contrôlent la longueur typique de décroissance des angles. Les valeurs qui permettent au mieux de coller aux données sont ξ = 6 et D = 0.94. Comme précisé plus tôt, ξ et D représentent des valeurs moyennes de ces grandeurs, il n’est donc pas nécessaire que cela soit des entiers. On obtient alors un bon accord entre les valeurs de l’angle d’arrêt θstop obtenues expérimentalement (simulations et expériences) et les valeurs de l’angle théorique de sédimentation θsed, Figure.7.7. Bien sûr, il convient de relativiser l’accord quantitatif entre expériences et théorie, car il a été obtenu à l’aide de deux paramètres libres. Néanmoins, les valeurs de ξ et D choisies sont réalistes. Le nombre D représente la dimension de la cascade de collisions. Dans notre approche théorique, nous avons supposé qu’il existait deux cas limites : la chaîne D = 1 et le volume D = 3. Le paramètre expérimental D = 0.94 semble suggérer une cascade de collisions sous la forme d’une chaîne de forces. Le nombre ξ représente le nombre maximal moyen de grains impliqués dans les phénomènes de coopérativité. On obtient expérimentalement ξ = 4.7 grains. C’est, une nouvelle fois, cohérent avec l’approche théorique. Ces valeurs sont cohérentes également avec les mesures de chaînes de forces dans les milieux granulaires statiques [110, 111].

De plus, l’analyse du plan incliné avec le diagramme d’évolution permet de retrouver plusieurs comportements importants de l’expérience :

— i) l’uniformité de l’arrêt : la phase liquide coule entièrement ou s’arrête entièrement sui-vant la valeur de la pente θ du plan incliné.

— ii) la décroissance de l’angle d’arrêt vis-à-vis de l’épaisseur R de la phase liquide. — iii) la saturation de l’angle d’arrêt lorsque l’épaisseur de la phase liquide devient grande.

Discussion autour de la friction effective

On peut remarquer que l’expérience de l’écoulement d’un liquide granulaire sur plan incliné s’apparente à celle de l’étude de l’arrêt du glissement d’un solide qui glisse sur un plan incliné. Comme dans le cas du liquide granulaire, le solide s’arrêtera entièrement si l’angle que forme

le plan avec l’horizontale est inférieur à un angle particulier, appelé l’angle d’arrêt de glisse-ment. Néanmoins, l’angle d’arrêt de glissement d’un solide est indépendant de sa taille ou de son poids. Par analogie, l’angle d’arrêt d’une couche de grains dépend de l’épaisseur de ladite couche. Cependant, lorsque la couche liquide devient épaisse, l’angle d’arrêt tend vers une constante : une couche granulaire épaisse se comporte de façon similaire à un solide. Comme nous l’avons précédemment discuté, la dépendance de l’angle de sédimentation d’une couche granulaire vis-à-vis de son épaisseur R est due aux phénomènes de coopérativité qui existent entre les grains. Une couche fine R < ξ1/D tronque cette coopérativité entre grains et rend l’écoulement de la couche plus difficile : θsed, et donc θstop, augmente. En revanche, lorsque la couche de grains est épaisse, cette coopérativité sature et l’écoulement de la phase liquide devient indépendant de son épaisseur.

De plus, il est important de noter que la valeur asymptotique de l’angle d’arrêt θstop est égale à arctan µeff. Ce résultat permet de relier une observation macroscopique, l’angle d’arrêt θstop d’une couche épaisse de granulaire, à un paramètre microscopique, la friction effective µeff. Cette dernière représente l’énergie dissipée par le grain lorsqu’il se déplace au sein de la phase liquide. Nous profitons de ce lien microscopique-macroscopique pour discuter de l’interprétation phy-sique du coefficient effectif de friction µeff.

Imaginons le cas purement théorique où les grains sont des sphères parfaites µR = 0. Dans ce cas là, un grain seul déposé sur un plan ne se déplace que par roulement. En identifiant le coefficient de friction effective et le coefficient de friction de roulement : µeff = µR = 0, l’angle d’arrêt pour des phases liquides épaisses serait alors donc nul. Ce qui, expérimentalement, ne semble pas être le cas. L’erreur de raisonnement provient de l’analyse du coefficient effectif de friction. En effet, celui-ci représente l’énergie que dissipe un grain lorsqu’il se déplace mais plus spécifiquement lorsqu’il se déplace au sein de la phase liquide. Si on suppose que le grain mobile à l’interface solide-liquide se déplace par rapport au grain statique inférieur par un roulement sans glissement, comme c’est le cas pour un grain sphérique, il ne faut pas oublier que ce grain est en contact avec d’autres grains qui se trouvent au dessus de lui. En roulant sur le grain statique, il va nécessairement frotter contre les autres grains qui l’entourent. Ce faisant, il va dissiper de l’énergie par friction. Quand bien même un grain soit parfaitement sphérique, la nature dense de la phase liquide empêchera ce grain de se déplacer uniquement par roulement. Il y aura du frottement avec d’autres grains et donc de la dissipation. C’est ce phénomène que représente le coefficient effectif de friction µeff. Des grains parfaitement sphériques, µR = 0, n’ont pas un coefficient effectif de friction nul, µeff6= 0, car lorsqu’ils se déplacent au sein de la phase liquide, ils dissiperont de l’énergie par frottement.

Comme nous l’avons dit lors de l’introduction de cette notion, le coefficient effectif de friction n’est pas, à la différence du coefficient de friction de glissement µG ou de roulement µR, un paramètre intrinsèque du grain. Il dépend, notamment, du milieu dans lequel se déplace le grain. En mettant cela en perspective avec la rhéologie continue, [60], on peut raisonnablement supposer un lien entre les deux frictions effectives µeff et µ[I] à faible nombre inertiel : µeff ' µ1. Il semble donc que le diagramme d’évolution est un outil pertinent pour analyser l’arrêt d’une phase liquide sur un plan incliné. Les données expérimentales et les résultats théoriques présentent un bon accord, aussi bien qualitatif que quantitatif. Elles permettent qualitativement de retrouver les comportements principaux observés dans une telle expérience : arrêt total de la phase liquide et décroissance de l’angle d’arrêt avec l’épaisseur de cette dernière. De plus, les valeurs des paramètres libres, ξ et D, qui permettent au mieux un accord entre les données sont tout à fait réalistes. L’angle d’arrêt θstop d’une couche liquide de grains sur un plan incliné est égal à l’angle de sédimentation θsed.

5 10 15 20 35 20 25 30 15 1 ✓sed

R

s´edimentation

(i)

R0 1 R0

R

0stop 5 10 15 20 20 25 30 35 15 1 ✓erosed

R

heap Rheap

(ii)

Figure 7.5 – (i) Schéma d’évolution de l’écoulement sur plan incliné au cours du temps. Le système commence avec un angle de pente θ élevé qui permet l’écoulement de la phase liquide. Puis, on décroît progressivement la pente tout en maintenant l’épaisseur de la couche liquide R0 constante. Lorsque le système atteint la courbe de sédimentation, la couche de grains la plus en profondeur s’arrête. L’épaisseur diminue de 1. Comme la courbe θsedest une fonction décroissante de R, le système se situe toujours sous la courbe de sédimentation. La couche de grains la plus en profondeur, qui était autrefois l’avant-dernière couche de la phase liquide, s’arrête et ainsi de suite. Toute la phase liquide sédimente. (ii) Schéma d’évolution de l’écoulement sur tas au cours du temps. Le système débute au point {Rini, θini} bien au-dessus de la courbe d’érosion θero[R]. Puis, contrairement à l’expérience précédente, il évolue librement. L’épaisseur de la phase liquide tend rapidement vers l’épaisseur stationnaire Rheap fixée par le débit de grains au centre du tas Q. L’angle de la pente θ diminue. Lorsque le système atteint la courbe de l’angle d’érosion, la phase solide n’est plus érodée, l’angle θ du tas n’évolue plus. L’évolution temporelle du système s’arrête au point {Rheap, θero[Rheap]}.

Nous verrons dans le prochain paragraphe comment ce même diagramme permet d’analyser une autre expérience et d’obtenir un lien entre l’angle d’érosion et une mesure expérimentale.

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