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Breaking and flow of amorphous matter

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Academic year: 2021

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(1)

HAL Id: tel-03106248

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Submitted on 11 Jan 2021

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Breaking and flow of amorphous matter

Pierre Soulard

To cite this version:

Pierre Soulard. Breaking and flow of amorphous matter. Physique [physics]. PSL, 2020. Français. �tel-03106248�

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Préparée à ESPCI Paris

Rupture et écoulement de matière amorphe

Soutenue par

Pierre SOULARD

Le 15 12 2020

École doctorale no564

Ecole Doctorale Physique

en Ile-de-France

Spécialité

Physique

Composition du jury :

Olivier POULIQUEN

Directeur de recherche, Université Aix-Marseille

Rapporteur

Sergio CILIBERTO

Directeur de recherche, ENS Lyon Rapporteur

Emmanuel FORT

Professeur, ESPCI Examinateur

Kirsten MARTENS

Chargé de recherche, Université Gre-noble Alpes

Examinateur

Elie RAPHAEL

Directeur de recherche, ESPCI Directeur de thèse

Thomas SALEZ

Chargé de recherche, LOMA Directeur de thèse

Pascal DAMMAN

Directeur de recherche, Université de Mons

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Table des matières

1 Introduction et état de l’art 3

1.1 Modéliser la rupture d’un cristal avec une émulsion . . . 3

1.1.1 Déformation et rupture d’un cristal . . . 3

1.1.2 Propriétés mécaniques d’une émulsion bi-disperse ? . . . 5

1.2 Transition du solide cristallin au solide amorphe . . . 6

1.2.1 Introduction aux notions de matière amorphe et de défauts . . . 7

1.2.2 Transition solide cristallin - solide amorphe . . . 9

2 Réponse d’une émulsion cristalline 12 2.1 Test de compression expérimental . . . 13

2.1.1 Expérience et création de clusters . . . 13

2.1.2 Résultats expérimentaux : . . . 15

2.2 Emulsion cristalline aux faibles déformations . . . 18

2.2.1 Interaction à deux gouttes et cohésion d’une émulsion . . . 18

2.2.2 Energie d’un cristal compressé . . . 23

2.3 Cassure d’une émulsion cristalline . . . 26

2.3.1 Limites de la réponse élastique . . . 26

2.3.2 Schema de rupture d’une émulsion cristalline . . . 27

2.3.3 Contrainte critique et comparaison aux expériences . . . 29

2.3.4 Déclenchement de la fracture . . . 30

2.3.5 Notion de colonne de compression . . . 31

3 Transition émulsion cristalline - solide amorphe 34 3.1 Réponse expérimentale d’une émulsion bi-disperse . . . 35

3.1.1 Géométrie des émulsions bi-disperses . . . 35

3.1.2 Emulsion bi-disperse lors d’une compression . . . 35

3.1.3 Introduction de l’énergie et pique de forces . . . 37

3.1.4 Paramètre d’ordre . . . 40

3.2 Modélisation géométrique simple pour une émulsion bi-disperse . . . 42

3.2.1 Modélisation géométrique en colonne d’une émulsion bi-disperse/Modèle du cluster idéal . . . 42

3.2.2 Modèle géométrique de construction d’une colonne de compression . . . . 43

3.3 Test de compression sur un amas idéal . . . 45

3.3.1 Travail lors d’une compression . . . 45

3.3.2 Exemple du cas particulier p = 2 . . . . 48

3.3.3 Transition du solide cristallin au solide amorphe pur . . . 52 3.3.4 Simplification du modèle et expression approchée du paramètre d’ordre . 53

(5)

4 Modélisation des avalanches dans les milieux granulaires 58

4.1 Introduction : qu’est-ce qu’une avalanche granulaire ? . . . 58

4.1.1 Qu’est-ce qu’un milieu granulaire ? . . . 58

4.1.2 Introduction à la notion de solide et liquide granulaire par l’exemple des avalanches . . . 59

4.2 Rhéologie des liquides granulaire . . . 61

4.2.1 Rhéologie des liquides granulaires et nombre inertiel . . . 62

4.2.2 Limite de la rhéologie µ[I] . . . . 64

4.2.3 Notion de non-localité . . . 66

4.3 Modélisation des avalanches par une approche continue . . . 69

4.3.1 Approche hydrodynamique des avalanches . . . 69

4.3.2 Modèles statistiques des avalanches . . . 74

4.3.3 Motivation de l’étude . . . 78

5 Mouvement d’un grain à l’interface d’une avalanche 82 5.1 Introduction . . . 82

5.2 Modélisation des lois de friction des grains . . . 83

5.2.1 Modéliser les particules d’un milieu granulaire . . . 83

5.2.2 Différents mouvements et coefficient de friction globale . . . 85

5.2.3 Coefficient effectif de friction . . . 89

5.3 Cinématique d’un grain à l’interface solide-liquide . . . 91

5.3.1 D’une description continue à une description discrète . . . 91

5.3.2 Cinématique d’un grain en mouvement à l’interface . . . 94

5.4 Mouvement d’un grain par dessus un grain d’une couche inférieure . . . 97

5.4.1 Modélisation des forces . . . 97

5.4.2 Pseudo-énergie potentielle et barrière énergétique . . . 99

5.5 Choc et ré-orientation de la vitesse d’un grain . . . 102

5.5.1 Modification de la vitesse du grain mobile lors du choc . . . 102

5.5.2 Cascade de chocs et thermalisation du grain . . . 104

5.5.3 Evolution de la coopérativité N avec l’épaisseur de la phase liquide . . . . 106

6 Angle critique de l’interface solide-liquide 112 6.1 Angle d’érosion et de sédimentation . . . 113

6.1.1 Angle de sédimentation . . . 113

6.1.2 Angle d’érosion . . . 114

6.2 Paramètres qui influencent les angles d’érosion et de sédimentation . . . 117

6.2.1 Influence de l’épaisseur R de la phase liquide . . . 117

6.2.2 Influence du coefficient effectif de friction . . . 119

6.2.3 Résistance à l’érosion d’une phase solide . . . 121

7 Evolution d’un système granulaire bi-phasique solide-liquide 125 7.1 Diagramme d’évolution d’un système granulaire bi-phasique . . . 126

7.1.1 Lecture du diagramme d’évolution . . . 126

7.1.2 Similitudes et différences avec la théorie BCRE . . . 128

7.1.3 Vitesse d’érosion . . . 130

7.2 Application à des systèmes expérimentaux . . . 133

7.2.1 Expérience du plan incliné . . . 133

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8 Articles publiés ou en cours de publication 142

Bibliographie 200

A Compression d’une émulsion cristalline 207

A.1 Variation de surface en fonction de la compression ∆x . . . 207

A.2 Lien compression globale ∆X et compression locale ∆x . . . 208

A.3 Nombre de liaisons à casser . . . 209

A.4 Compression critique et contrainte critique . . . 209

B Transition émulsion cristalline - solide amorphe par l’introduction de défauts210 B.1 Approximation dans l’empilement des gouttes . . . 210

B.2 Calcul de la distribution de probabilité d’une hauteur de colonne . . . 211

B.3 Calcul du nombre de hauteurs possibles dans un empilement de p gouttes . . . . 212

B.4 Calcul de la probabilité Nn[p, q, φr] d’obtenir n tailles de colonnes différentes . . 213

B.5 Calcul de la variance des distributions de probabilités des hauteurs . . . 214

C Phénomènes d’érosion et de sédimentation dans un milieu granulaire bi-phasique 216 C.1 Angles limites d’érosion et de sédimentation . . . 216

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Remerciements

Je tiens avant toute chose à remercier Elie Raphaël qui fut mon professeur à l’Ecole Nor-male Supérieure de Lyon et qui a ensuite accepté de me prendre sous son aile en thèse. Merci beaucoup Elie pour ton accompagnement sans faille tout au long de ces trois années ainsi que pour tes conseils toujours judicieux. Je tiens également à te remercier de m’avoir laissé, tout au long de ma thèse et quels qu’aient été les projets sur lesquels nous travaillions, une très grande liberté, preuve de la confiance que tu m’accordais.

Je tiens également à remercier Thomas Salez qui, malgré son départ à Bordeaux, a toujours été présent pour m’épauler et me pousser à aller toujours plus loin dans les modèles que je dévelop-pais. Merci Thomas pour le demi-million de questions et corrections que tu as soulevées tout au long de ces trois ans. Vous avez formé avec Elie un binôme d’encadrement très complémentaire et toujours présent pour moi.

Je tiens à dire merci à tous les membres du laboratoire Gulliver avec lesquels j’ai passé trois excellentes années. Merci à tous les doctorants avec qui j’ai pu discuté de mon travail, avec qui j’ai pu rire et avec qui j’ai pu, dans la bonne humeur, aller chercher mon déjeuner dans mon magasin de produits surgelés français préféré. Merci à Vincent, à jamais mon co-bureau. Merci à Martyna, Thibault, Antoine, Paul, Vassilli, ...

Merci également à tous les "grands" du laboratoire : Mathilde, Olivier, David, Fée, Theresa, Mathieu, Zorana, ... Vous avez installé à Gulliver une ambiance de travail à la fois vivante et chaleureuse qui perdure, j’en suis sûr, malgré le confinement. Mon choix de ne pas poursuivre la recherche académique et de m’orienter plutôt vers le professorat n’a en rien été influencé par ce que vous m’avez montré du métier de chercheur, bien au contraire. Merci à vous.

Enfin j’aimerais remercier celle que j’ai, depuis cet été, le bonheur d’appeler mon épouse. Merci à toi Clémence d’avoir été toujours à mes côtés tout au long de ces trois années. Notre pe-tit appartement parisien et tous les souvenirs qu’on y laisse resteront à jamais dans ma mémoire.

Organisation de ce manuscrit

Au cours de ces trois années de thèse j’ai été amené à participer à de nombreux projets, ce qui m’a permis de découvrir des champs de recherche variés et de travailler sur des concepts différents. En contrepartie, la rédaction d’un manuscrit les présentant de manière exhaustive m’était impossible. J’ai donc choisi d’en traiter deux en détail, qui ont comme point commun de traiter de la rupture et de l’écoulement de matière amorphe.

— Chapitre 1, 2 et 3 : l’évolution de la rupture d’une émulsion de gouttes au fur et à mesure que celle-ci évolue d’un état cristallin à un état amorphe

— Chapitre 4, 5, 6 et 7 : la construction d’un modèle microscopique des phénomènes d’éro-sion et de sédimentation qui ont lieu au sein d’une avalanche d’un milieu granulaire Le Chapitre 8 regroupe les articles que j’ai été amené à publier, ou bien les articles qui sont en cours de publication. Cela permet de rendre compte des autres projets auxquels j’ai pu participer durant ces trois années.

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Chapitre 1

Introduction et état de l’art

Dans ce chapitre nous présenterons au lecteur les notions clefs nécessaires à la compréhen-sion de l’étude que nous avons menée. Celle-ci décrit l’évolution de la réponse d’une émulcompréhen-sion polydisperse de gouttes à une compression au fur et à mesure qu’on augmente la fraction en défauts. A travers l’étude de ces notions, nous présenterons également ce qui a été développé par la communauté scientifique, aussi bien sur la physique des émulsions et sur la transition solide cristallin solide amorphe. Dans un premier temps, nous définirons ce qu’est une émulsion et comment on peut modéliser le comportement des cristaux à l’aide de ces systèmes. Nous présenterons aussi les définitions nécessaires pour décrire la déformation et la rupture d’un so-lide. Dans un second temps, nous nous pencherons sur la notion de matière amorphe, et plus spécifiquement de solide amorphe. Nous étudierons comment obtenir ces solides désordonnés et nous verrons les principaux résultats de la transition entre solide cristallin et solide amorphe. L’objectif est de pouvoir discuter la transition d’une émulsion cristalline à une émulsion amorphe au regard de ces précédents résultats.

1.1

Modéliser la rupture d’un cristal avec une émulsion

1.1.1 Déformation et rupture d’un cristal

Qu’est-ce qu’un cristal ?

Un cristal est un solide dont la structure atomique est ordonnée et périodique dans les trois directions de l’espace. Un motif élémentaire, ou maille, est répété à l’identique un grand nombre de fois. Les constituants élémentaires du solide se répartissent dans l’espace suivant un réseau ré-gulier appelé réseau cristallin pour constituer le solide. Ainsi deux solides peuvent avoir la même composition chimique mais être fondamentalement différents si les particules élémentaires qui les constituent ne se répartissent pas dans l’espace de la même façon. On élargit la notion de cristal à toute assemblée de particules (atomes, gouttes, grains de sable, ...) qui possède une structure interne géométriquement ordonnée. Le cristal constitue le système modèle pour dé-crire la matière à l’état solide car sa géométrie permet de simplifier l’étude de ses propriétés. En effet, comme la structure interne d’un cristal est périodique, il suffit de savoir comment réagit une maille élémentaire à une perturbation extérieure pour pouvoir modéliser comment réagit le système dans son ensemble. L’étude du système dans sa globalité se résume alors à étudier un système simple, une maille élémentaire, souvent constituée de quelques particules seulement.

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Déformation élastique d’un solide

Une des premières propriétés des solides qui a été étudiée est la façon dont ils se déforment sous l’effet d’une contrainte extérieure. Considérons une barre rectangulaire de longueur L et section S. On applique à ses extrémités une force F qui la comprime. La barre va alors se défor-mer et sa longueur L va diminuer. Cette barre, comme la plupart des solides, à condition que la déformation créée ne soit pas trop grande, possède ce qu’on appelle un comportement élastique. L’élasticité est la propriété d’un matériau solide à retrouver sa forme d’origine après avoir été déformé. Par conséquent, si on arrête d’appliquer la force F , la barre reprend sa longueur initiale. On entrevoit rapidement une limite à ce modèle : si on applique une force trop importante, la barre risque de se casser ou de se plier en deux. On aura déformé la barre de façon irréversible, si bien que, même si on arrête d’appliquer la force F , la barre ne retrouvera pas sa forme d’origine. La déformation élastique est une déformation réversible : un solide élastique retrouve sa forme et sa taille initiales quand les forces qui le déformaient ne s’exercent plus. Pour chaque solide, il existe une force critique Fcrit. Si on applique une force F supérieure à cette force critique, le solide se déforme irréversiblement et son comportement n’est plus élastique. Néanmoins, il faut bien comprendre que lorsque le solide casse, il casse parce que la déformation qu’on lui fait subir est trop forte. Cette déformation est certes créée par la force F mais c’est bien la déformation du solide qui crée la rupture et qui définit donc la limite du comportement élastique d’un solide. Pour faire le lien entre cette déformation critique et la force critique qui l’a crée, on se demande plus généralement quel est le lien entre la déformation d’un solide et la force F appliquée à ses extrémités.

Reprenons notre exemple d’une barre qu’on comprime à l’aide d’une force F . On se demande quelle sera la nouvelle longueur L0 de la barre. On définit la compression de la barre ∆L comme la différence entre les deux longueurs ∆L = L − L0. Dans la limite des déformations élastiques, la force appliquée et la déformation créée sont reliées par la loi de Hook :

F S = E

∆L

L . (1.1)

La force appliquée par unité de surface F/S représente la pression exercée sur l’extrémité de la barre. En élasticité des matériaux, cette pression est appelée contrainte et est généralement notée σ. Le rapport entre la déformation de la barre ∆L et la longueur au repos de la barre L représente la déformation relative, généralement appelée déformation. On la note . La loi de Hook s’écrit alors simplement :

σ = E, (1.2)

où le coefficient E est une constante. On l’appelle le module d’Young, et il dépend du solide qu’on déforme. Mais il est important de noter que le module d’Young est une grandeur intrinsèque d’un solide, c’est-à-dire qu’il ne dépend pas de sa forme ou de sa taille. On remarque alors que la contrainte σ à appliquer pour créer une déformation de 10% de la longueur initiale est la même, quelles que soient la taille L et la section S de notre barre. La loi de Hook permet de généraliser le comportement élastique d’un solide, aussi bien pour un ressort de stylo bille que pour une poutrelle de construction.

Enfin, il est important de noter que cette loi s’applique aussi bien pour la compression d’un solide, i.e. contrainte exercée vers l’intérieur du solide, que pour l’étirement d’un solide, i.e. contrainte exercée vers l’extérieur du solide. Le module d’Young est le même dans les deux cas .

(10)

Rupture d’un solide

Pour chaque solide, on a vu qu’il existe une déformation critique à partir de laquelle le solide va se déformer irréversiblement. Grâce à la loi de Hook, on peut associer à cette déformation critique crit une contrainte critique σcrit. Nous allons rapidement introduire les notions et le

vocabulaire nécessaires pour décrire la rupture d’un solide. En opposition avec la déformation élastique, qui est réversible, on introduit la notion de déformation plastique qui est irréversible. Lorsqu’on comprime un solide, l’ensemble des particules qui composent ce solide se déplacent par rapport à leur position initiale, dites positions de repos. Chaque particule subit donc une déformation locale qui peut être élastique, la particule reviendra à sa position initiale lorsqu’on stoppe l’application des contraintes extérieures, ou plastique, la particule ne reviendra pas à sa position initiale lorsqu’on stoppe l’application des contraintes extérieures. La déformation globale du solide est donc la résultante de l’ensemble des déformations locales. Il suffit qu’une déformation locale soit irréversible pour que la déformation globale le soit.

Lorsqu’on déforme un solide de façon élastique, la déformation globale se répartit uniformément dans tout le matériau. Chaque constituant élémentaire du solide subit la même déformation plastique. En revanche lorsqu’on déforme irréversiblement un solide, on remarque que les défor-mations microscopiques ne sont plus homogènes, c’est-à-dire que chaque particule qui constitue le milieu ne subit pas la même déformation. Les déformations plastiques se concentrent en cer-tains endroits : c’est là ou le solide "casse". Par exemple, lorsqu’on tire sur un élastique, ce dernier se déforme uniformément sur toute sa longueur. Mais lorsqu’on tire trop fort, l’élastique se casse. Or cette rupture est localisée, l’élastique casse en un seul endroit bien défini. Les déformations plastiques sont localisées.

Dans le cas d’une rupture par compression, les déformations plastiques correspondent à un glissement des particules les unes par rapport aux autres. Prenons une bouteille en plastique que l’on tasse avant de la jeter. Au début la bouteille se déforme élastiquement : si on arrête de la comprimer elle reprend sa forme initiale. Mais si on appuie trop fort, la bouteille va se plier en certains endroits. On peut arrêter de la comprimer, les pliures restent. La déformation est irréversible. On voit que les déformations plastiques microscopiques se sont concentrées en certains endroits, au niveau des pliures. C’est le même principe que dans le cas d’un élastique qui casse. On appelle bande de cisaillement, les zones où se concentrent les déformations plastiques locales dans le cas de la compression d’un solide.

1.1.2 Propriétés mécaniques d’une émulsion bi-disperse ?

Prenons un mélange vinaigre-huile au repos. Ces deux liquides sont non-miscibles, l’huile, qui est plus légère, se dépose au dessus du vinaigre. On obtient deux phases distinctes, c’est ce qu’on appelle un mélange bi-phasique. Une émulsion est un mélange de deux substances liquides non-miscibles. De plus, l’un des deux liquides doit être dispersé dans l’autre. Le mélange au repos vinaigre-huile n’est donc pas une émulsion. Néanmoins, si on le secoue suffisamment, l’agi-tation va disperser l’huile dans le vinaigre sous forme de gouttelettes. Le mélange obtenu (une vinaigrette) est bien une émulsion. Les émulsions regroupent un large panel de systèmes qu’on retrouve dans la vie de tous les jours (vinaigrette, mayonnaise, crème de soin ...) mais également dans de nombreux procédés industriels. De ce fait, la physique des émulsions est un domaine d’étude fourni. Nous ne présenterons pas en détails les différents phénomènes physiques qui se produisent dans de tels systèmes. Nous nous attarderons uniquement sur les deux phénomènes principaux qui contrôlent la physique de notre système : l’énergie de surface et les forces de déplétion.

(11)

La notion de dispersité fait référence à la répartition des tailles des gouttes qui composent l’émulsion. Une émulsion est qualifiée de mono-disperse si toutes les gouttes possèdent la même taille. L’émulsion obtenue précédemment est polydisperse : elle est composée de gouttes d’huile de tailles différentes. En agitant un mélange bi-phasique, les gouttes sont créées aléatoirement et possèdent donc des tailles variées. Le cas particulier où deux tailles seulement sont présentes est qualifié de bi-disperse.

Soumises à un stress mécanique extérieur, une compression ou un cisaillement, les émulsions possèdent des comportements variés suivant leur composition. La réponse mécanique d’un tel système dépend notamment de la fraction volumique des gouttes en suspension [1, 2] ainsi que des interactions qui existent entre ces gouttes [3, 4, 5, 6]. On remarque alors que, en présence d’interactions attractives et à haute fraction volumique, une émulsion se comporte comme un solide vis-à-vis d’une déformation mécanique [7, 8, 9, 10, 5]. En effet, si on lui applique une contrainte faible, ou une petite déformation, l’assemblée de gouttes en solution se déforme de façon élastique [11, 2]. Cependant, lorsque la contrainte qu’on applique dépasse une valeur seuil, on observe des déformations plastiques au sein de l’émulsion. Le système se met alors à s’écouler comme un liquide. Un exemple concret est la mayonnaise qui peut conserver sa forme lorsqu’elle n’est soumise qu’à son propre poids mais qui s’écoule comme un liquide si on presse suffisamment fort le tube dans lequel elle se trouve. Le lien entre déformations plastiques microscopiques et propriétés macroscopiques d’écoulement a été étudié à la fois théoriquement [12, 13, 14, 15] et numériquement [16, 17, 18, 19]. De plus, les techniques expérimentales permettent d’observer individuellement les gouttes qui constituent l’émulsion [20], si bien que le lien entre écoulement macroscopique et déformations microscopiques a également pu être observé expérimentalement [21, 22, 23, 19, 24, 25, 6].

Historiquement [11], les émulsions sont donc des systèmes modèles pour étudier les comporte-ments des structures métalliques cristallines. La taille des gouttes qui constituent une émulsion, de l’ordre de la dizaine de micromètres, permet une observation optique directe des mécanismes qui ont lieu au sein même du système lors de la rupture du solide, ce qui est impossible à obtenir avec un solide métallique.

Au cours de cette étude nous allons décrire et modéliser l’évolution de la réponse mécanique d’une émulsion à une déformation au fur et à mesure qu’elle évolue du cas mono-disperse au cas bi-disperse. Nous verrons qu’au cours de cette transition, notre système expérimental passe d’un état cristallin ordonné à un état amorphe désordonné. Cette évolution n’est pas sans rappeler la transition entre la matière cristalline et la matière amorphe qu’on peut observer dans des sys-tèmes plus larges. Dans la partie suivante, nous aborderons, au travers des précédentes études menées en physique statistique, les différentes notions nécessaires pour étudier cette transition.

1.2

Transition du solide cristallin au solide amorphe

L’étude de la transition d’un système entre le comportement cristallin et le comportement amorphe est un champ de recherche toujours actif. Dans cette partie, nous allons présenter les outils et le vocabulaire nécessaires à l’étude de cette transition, en définissant en premier lieu ce qu’est la matière amorphe. Dans un second temps nous étudierons comment l’ajout de défauts dans la structure cristalline d’un système le fait passer d’un comportement cristallin à un com-portement amorphe. Nous tenons à préciser que notre étude porte sur l’évolution de la réponse d’une émulsion de petite taille. L’approche et les résultats que nous obtiendrons ne sont pas a

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priori applicables sur d’autres systèmes physiques. Il existe néanmoins des similarités entre l’ex-périence que nous allons mener et de précédents travaux de physique statistique. Il nous a donc semblé opportun de présenter les principaux résultats de ces études. L’objectif est de pouvoir discuter les résultats que nous allons obtenir, qui se placent dans le cadre de la transition d’une émulsion d’une dizaine de gouttes, par rapport à ce qui est observé dans des systèmes de plus grande taille.

1.2.1 Introduction aux notions de matière amorphe et de défauts

Nous avons vu dans la partie précédente la notion de cristal. On oppose généralement à cette dernière la notion de solide amorphe. L’adjectif amorphe est constitué de la racine grecque morphos, qui signifie forme, et du préfixe privatif a. Amorphe, a-morphos, signifie donc litté-ralement sans forme. A l’opposé d’un cristal, où les atomes qui le composent possèdent une organisation géométrique ordonnée régulière, un solide amorphe est un solide dans lequel les atomes ne respectent aucun ordre géométrique. L’absence d’une organisation régulière doit s’ob-server à moyenne distance, typiquement la taille d’une particule, ainsi qu’à longue distance. Le terme amorphe peut s’appliquer à d’autres systèmes que des solides. La notion de matière amorphe regroupe également tous les systèmes composés de particules qui ne possèdent aucune structure interne ordonnée. On peut notamment penser aux émulsions polydisperses, où les dif-férentes tailles des gouttes empêchent une structure organisée, ou aux milieux granulaires, qui seront le sujet d’étude de la prochaine partie. La matière amorphe regroupe alors des systèmes physiques possédant des échelles de taille très variées, allant du nanomètre au mètre, comme illustré Figure.1.1. Nous renvoyons le lecteur à la revue de L. Berthier et B. Giulio [26] pour une présentation plus détaillée de la matière amorphe et des questions qu’elle soulève.

Les solides amorphes possèdent des propriétés et des comportements différents des solides cris-tallins "classiques". Par exemple, dans ces derniers, le ratio du module de cisaillement G et du module d’élasticité isostatique B ne dépend pas de la pression interne P du système. On observe cependant que, dans les solides amorphes, le ratio G/B augmente avec la pression comme :

G/B ∼ P12. (1.3)

Pour un cristal, l’énergie nécessaire pour le tordre est proportionnelle à l’énergie nécessaire pour l’étirer et ce quelle que soit la pression que subit le cristal. Au contraire, pour un solide amorphe, le rapport entre ces deux énergies augmente avec la pression : plus un solide amorphe est com-pressé, plus il est dur à tordre. Nous ne discuterons pas plus en avant la signification physique de ce résultat. En effet, l’intérêt de ce comportement est de pouvoir sonder la structure interne d’un solide, et donc de savoir s’il est cristallin ou amorphe, en mesurant uniquement ses propriétés mécaniques. Il n’est pas nécessaire d’étudier la structure géométrique interne d’un solide pour savoir s’il est cristallin ou amorphe. Il suffit de mesurer l’évolution de certaines de ses propriétés (mécaniques, optiques, ...) et de comparer cette évolution au cas cristallin ou au cas amorphe. D’autres observables, comme le nombre de plus proches voisins ou la densité des modes vi-brationnels, permettent de sonder le comportement d’un solide a priori inconnu et de déduire l’organisation géométrique, ordonnée ou désordonnée, de sa structure interne.

Il existe, schématiquement, deux façons principales d’obtenir un solide amorphe. La première consiste à partir d’un état désordonné dense de la matière qui n’est pas solide, typiquement un liquide, et de le refroidir. Si le refroidissement se fait lentement, l’organisation géométrique des atomes qui constituent le système peut prendre, tout au long du refroidissement, toutes les

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10

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(m)

Figure 1.1 – La notion de matière amorphe regroupe des systèmes possédant des échelles de longueurs variées : le nanomètre 10−9m et le micromètre 10−6m pour des assemblées de particules nanoscopiques ou microscopiques, le millimètre 10−3m pour des émulsions (ici mousse de bière) ou bien encore le centimètre 10−2m pour du sable. Images issues de [26].

configurations géométriques possibles. Le principe de minimisation de l’énergie entraine que le système se solidifie dans l’organisation géométrique de plus basse énergie. Or une organi-sation des atomes sur un réseau périodique permet de maximiser les interactions attractives entre atomes et donc de minimiser l’énergie totale du système. Les atomes s’organisent donc ainsi et on obtient alors la création d’un cristal. Cependant, si le refroidissement est suffisam-ment rapide, les atomes n’ont pas le temps de s’organiser géométriquesuffisam-ment. Ils ne peuvent donc pas adopter une organisation géométrique ordonnée : ils restent bloqués dans leur organisation initiale désordonnée. Le système conserve la structure désordonnée qu’il possédait dans l’état initial. Le solide obtenu a une structure amorphe. Les solides ainsi obtenus sont qualifiés de verre [27, 20, 28, 29, 30, 31]. Une façon simple d’illustrer ce phénomène consiste à créer un tas à l’aide d’oranges identiques. On peut, dans un premier temps, prendre son temps et empiler les oranges dans un plat une à une en suivant une organisation pyramidale ordonnée. Cette construction lente, tout comme le refroidissement lent d’un liquide, permet d’obtenir une structure cristalline. Ou alors, si on doit se dépécher, on renverse d’un coup le sachet d’oranges. On va également créer un tas statique, i.e. un solide, mais les fruits qui le constituent seront répartis aléatoirement, créant ainsi une structure désordonnée. En construisant rapidement notre tas, tout comme en refroidissant rapidement un liquide, on crée une structure amorphe.

Une deuxième façon de réaliser une structure désordonnée consiste à partir d’un état cristallin solide puis à introduire dans la structure interne du système des défauts [32, 33, 34, 35, 36, 37]. Originellement, un défaut est une particule qui n’est pas identique à celles qui constituent la structure cristalline. Par extension, un défaut désigne plus généralement ce qui perturbe une structure ordonnée. Cela peut donc être la substitution d’une particule du système par une particule plus grosse ou plus petite, le déplacement d’une particule par rapport à sa position initiale, ou simplement la soustraction d’une particule au réseau initial. A cause de la présence de ces défauts, l’organisation interne du système ne peut désormais plus être régulière. De nouveau, dans l’exemple de notre tas de fruits, si on remplace une orange par un pamplemousse, la taille supérieure de ce dernier va créer tout autour de lui une désorganisation de la structure interne de l’empilement. En introduisant ainsi des défauts, on crée une structure amorphe à partir d’un état cristallin.

(14)

Une question qui se pose alors est à quelle vitesse un système transite-t-il d’un état ordonné à un état désordonné ? Autrement dit, comment évoluent les propriétés d’un système initialement cristallin au fur et à mesure qu’on introduit des défauts dans sa structure interne, la rendant ainsi de plus en plus désordonnée ? Pour présenter les propriétés générales de cette transition, nous présenterons dans la partie suivante les principaux résultats du travail de C. Goodrich, A. Liu et S. Nagel [34] sur la transition solide cristallin solide amorphe.

1.2.2 Transition solide cristallin - solide amorphe

Dans leur article de 2014 [34], les auteurs étudient à l’aide de simulations numériques l’in-fluence de la présence de défauts dans une structure initialement cristalline. Les particules qui constituent le système sont des sphères dures déformables, au nombre de 4000 environ. Il n’y a pas d’agitation thermique, ce qui revient à étudier soit des particules trop grosses pour être sujette à l’agitation thermique, soit un système à zéro degré Kelvin. Pour introduire des défauts, les auteurs proposent 3 protocoles qui donnent des résultats similaires. Nous n’en présenterons qu’un. Partant d’un cas cristallin, où les particules sont arrangées spatialement suivant un réseau cubique à face centrée, les auteurs modifient le système en retirant aléatoirement une fraction m de particules, puis en réintroduisant, de nouveau aléatoirement, le même nombre de particules. En faisant ainsi, on perturbe l’organisation géométrique initiale des particules. Des zones appa-raissent, en rouge sur la Figure.1.2, où l’arrangement local diffère de celui du cristal initial, qui apparaît en bleu. De façon schématique, les zones en rouge traduisent un écart au cas cristallin. Suivant le nombre de défauts qu’on introduit, on peut obtenir les deux cas extrêmes : totalement cristallin ou totalement amorphe.

ordonn´e interm´ediaire d´esordonn´e

Figure 1.2 –

Pour quantifier la réponse mécanique du système suivant sa fraction en défauts, nous ne nous concentrerons que sur un observable que nous avons déjà présenté, le ratio du module de

(15)

cisaillement G et du module d’élasticité isostatique B. Comme nous l’avons précisé, une carac-téristique importante de cet observable est sa dépendance vis-à-vis de la pression interne p du système. Dans le cas cristallin, G/B est indépendant de la pression. Cependant, dans le cas d’un système amorphe, on observe que ce ratio augmente avec la pression comme p0.5. On étudie

alors la réponse d’un système intermédiaire, où une petite fraction en défauts a été introduite. Ce système possède très peu de défauts et, visuellement, il semble proche d’un état cristallin où, sporadiquement, des structures désordonnées apparaissent. Ce a priori visuel peut être quan-tifié sous la forme d’un observable géométrique F6 qui traduit la corrélation de l’arrangement

géométrique des particules d’un point à l’autre du système. Dans le cadre d’un cristal, toutes les particules possèdent autour d’elles la même organisation géométrique. On a une corrélation parfaite et donc F6 = 1. Dans le cadre d’un solide amorphe, l’organisation des particules est

aléatoire. Il n’y a donc aucune corrélation entre les particules, et donc F6 = 0. Le cas intermé-diaire correspond à F6 = 0.9. Géométriquement, en moyenne, il correspond à un état proche du cristal. Or, si on étudie sa réponse mécanique, il se trouve que cette dernière est très similaire à celle d’un solide amorphe. En effet, le ratio G/B augmente avec la pression comme p0.5. Le système intermédiaire se comporte mécaniquement comme un solide amorphe, quand bien même le nombre de défauts introduits soit minime.

Les auteurs concluent que l’introduction d’une infime fraction de défaut dans un cristal ne modifie que peu la structure géométrique du système : en moyenne l’arrangement reste ordonné, mais modifie drastiquement la réponse mécanique de ce dernier. En introduisant peu à peu des défauts dans une structure cristalline, celle-ci perd rapidement les caractéristiques mécaniques d’un milieu ordonné. Cette observation rend alors l’étude de la matière amorphe beaucoup plus complexe. En effet, un système possédant une légère fraction de défauts ne peut pas être décrit comme une perturbation par rapport à l’état cristallin, puisqu’il possède un comportement ra-dicalement différent.

Conclusion

Dans l’étude qui va suivre nous allons étudier l’évolution des propriétés mécaniques d’élasti-cité et de rupture d’une émulsion bi-disperse au fur et à mesure qu’elle évolue d’une organisation cristalline à une organisation amorphe. Au cours de ce chapitre, nous avons pu introduire les différentes notions nécessaires pour la suite de notre travail. Nous avons pu présenter le système de référence, le cristal, et comment ce dernier se comporte lors d’une déformation mécanique. Nous avons introduit les concepts d’élasticité et de déformations réversibles, ainsi que les limites d’un tel comportement. Si la déformation mécanique imposée est trop forte, le solide cassera : les déformations seront irréversibles, qualifiées de déformations plastiques. Nous avons pu voir qu’une émulsion mono-disperse possède des comportements similaires à ceux d’un solide cris-tallin. L’intérêt d’une émulsion pour l’étude des déformations mécaniques est qu’elle permet de reproduire l’organisation d’un solide cristallin tout en étant constituée de particules, des gouttes, dont la taille permet une observation directe au microscope.

Le deuxième intérêt d’une émulsion est qu’il est facile de modifier la taille des particules qui la composent. En effet, pour introduire un défaut dans une émulsion cristalline, il suffit de créer et d’introduire dans l’émulsion une goutte un peu plus grosse ou un peu plus petite. Nous tenons à préciser que cette "simplicité" est conceptuelle, la réalisation technique est, quant à elle, com-plexe. On peut ainsi modifier pas à pas la composition géométrique interne de l’émulsion. En introduisant peu à peu des défauts, on peut faire évoluer l’émulsion d’une structure cristalline

(16)

vers une structure amorphe.

Notre étude a pour but de "mixer" ces deux aspects en étudiant l’évolution des propriétés de rupture mécanique d’une émulsion au fur et à mesure que celle-ci transite d’un état cristallin à un état amorphe. Une telle approche est très similaire à de précédents travaux de physique statistique dont nous avons présenté les principaux résultats. L’introduction d’une infime fraction de défauts dans un système initialement ordonné lui fait rapidement perdre son comportement cristallin. Ce résultat a été observé pour des systèmes possédant un très grand nombre de particules. Ce ne sera pas le cas dans nos expériences, néanmoins, comme nous le verrons, nous obtiendrons des résultats similaires. Il nous a donc semblé opportun de mettre en parallèle ces travaux et notre étude.

(17)

Chapitre 2

Réponse d’une émulsion cristalline

Tout le travail expérimental, de la conception de l’expérience à l’obtention de résultats, a été réalisé par Jean-Christophe Ono-dit-Biot, étudiant en doctorat de physique à McMaster University, Hamilton Canada, sous la direction de Kari Dalnoki-Veress. Je tiens à les remercier pour m’avoir inviter à participer à ce projet ainsi que pour tout leur travail méticuleux. Je tiens également à préciser qu’ils ont activement participé à la création des modèles théoriques qui seront présentés dans un deuxième temps.

Introduction

Dans ce chapitre nous étudions la réponse à une déformation mécanique d’une émulsion mono-disperse d’huile de silicone. Ces émulsions sont étudiées à la fois d’un point de vue expé-rimental, grâce au travail de nos collaborateurs de l’université McMaster, et d’un point de vue théorique. L’objectif de ce chapitre est, en plus de présenter à travers cet exemple le protocole ex-périmental qui sera utilisé tout au long de cette étude, de comprendre les phénomènes physiques qui gouvernent de telles émulsions lorsqu’on les déforme. Cette compréhension est nécessaire à l’étude de la transition entre un comportement cristallin et un comportement amorphe. Nous nous attacherons de plus à montrer que les émulsions monodisperses étudiées possèdent des comportements similaires avec un modèle de cristal parfait cassant : réponse élastique, appari-tion de déformaappari-tions plastiques localisées en bandes de cisaillement, définiappari-tion univoque d’une contrainte critique, cassure du cristal en plusieurs morceaux, ...

L’étude des émulsions monodisperses sera l’objet du prochain chapitre. En partant du cas mo-nodisperse et cristallin étudié ici, nous nous efforcerons de décrire l’évolution du système d’un comportement cristallin vers un comportement amorphe au fur et à mesure qu’on introduit des défauts géométriques.

Dans un premier temps, nous décrirons le protocole de notre expérience ainsi que les obser-vations expérimentales. Nous verrons que la réponse du système fait apparaître deux compor-tements distincts qui feront chacun l’objet d’une partie. Dans un second temps nous étudierons la réponse d’une émulsion à une petite déformation, pour mettre en avant un comportement élastique et expliciter un module d’Young effectif. Enfin, nous nous intéresserons aux grandes déformations, à la façon dont une émulsion mono-disperse se déforme de façon irréversible sous une contrainte trop forte. En décrivant la façon dont une émulsion se rompt, nous expliciterons une contrainte seuil.

(18)

2.1

Test de compression expérimental

2.1.1 Expérience et création de clusters

(a)

(b)

(c)

q

p

(ii)

(i)

(iii)

p

q

Figure 2.1 – (les schémas ne sont pas à l’échelle) (a) Schéma de l’expérience vue du dessus. La chambre est délimitée par des murs verticaux (en gris) et contient une solution aqueuse de SDS et de NaCl ainsi qu’une émulsion de gouttes minérales. Les trois pipettes "génératrice", "pushing" et "force-sensing" sont indiquées respectivement par (i), (ii) et (iii). (b) Schéma de l’expérience vue de côté. Les gouttes forment un agrégat flottant contre la plaque supérieure. Les pipettes "pushing" et "force-sensing" sont schématisées par le cercle noir et le cercle rouge. Elles sont placées près du plan équatorial des gouttes et appliquent une force horizontale. (c) Image obtenue avec le microscope. L’échelle est de 50 µm. On dénote respectivement par p et q le nombre de gouttes verticales et horizontales.

La grande force de l’expérience développée par Jean-Christophe et Kari est la simplicité de son concept, bien qu’elle soit difficile à mettre en oeuvre. Elle se compose, comme illustrée Figure.2.1 (a) et (b), de deux plaques de verre placées horizontalement et séparées de 2.5 mm. On place entre ces deux plaques horizontales des murs verticaux qui permettent de définir une chambre (55 × 30 mm) que l’on remplit d’une solution aqueuse de dodécylsulfate de sodium (SDS) à 3% en masse et de chlorure de sodium (NaCl) à 1.5% en masse. Le SDS est un ten-sioactif ionique qui a, dans le cas de notre expérience, une concentration bien supérieure à sa

(19)

concentration micellaire critique [38]. Par conséquent, l’excédent de tensioactif conduit à la for-mation de micelles qui stabilisent l’émulsion. Comme nous le décrirons plus tard, la présence de ces micelles crée des forces de déplétion qui agiront comme une force d’attraction à faible portée entre les gouttes.

Grâce à une instabilité de Laplace ("snap-off instability"), on peut créer dans cette solution aqueuse, à l’aide d’une pipette, dite "génératrice" et indiquée par (i) sur le schéma, des gouttes dont la taille est directement proportionnelle au rayon de la pipette Rpipette utilisée pour les

générer [39]. Cela nous permet d’introduire dans la cellule des gouttes dont on contrôle précisé-ment la taille. Tout au long de cette étude nous travaillerons avec deux tailles de gouttes d’huile minérale. Les gouttes dites "grosses", avec un rayon de R = 25.1 ± 0.3 µm, et les gouttes dites "petites", avec un rayon r = 75%R, soit r = 19.3 ± 0.3 µm.

Il est à noter que dans notre expérience, au vu de la taille des gouttes qui constituent notre émul-sion, le système est athermal. Les gouttes sont trop lourdes pour ressentir l’agitation thermique de façon quantifiable. On appelle D0le coefficient de diffusion d’une goutte : D0 = kBT /(6πηR)

avec kBT l’agitation thermique et η ' 10−3 la viscosité du solvant (ici de l’eau). Le temps typique de diffusion τ est le temps nécessaire à une goutte pour diffuser sur une distance égale à son rayon. On a alors :

τ = R

2

4D0 ' 1.3 10

5s, soit environ 37h. (2.1)

Ce temps typique de diffusion est bien plus grand que le temps d’une expérience. On suppose alors raisonnablement que le mouvement des gouttes du à l’agitation thermique est négligeable dans notre expérience.

Dans un premier dans, et pour cette première partie, nous générerons des émulsions mono-disperses, composées de gouttes ayant le même rayon R.

Du fait de la densité des gouttes créées, ces dernières vont flotter. Grâce aux forces de déplé-tion créée par les micelles de SDS, ces gouttes vont s’amasser en un agrégat dense que l’on nommera "cluster". A cause de ces deux phénomènes, les émulsions que nous étudierons par la suite seront des émulsions compactes à 2 dimensions. Les gouttes se répartissent le long de la plaque de verre supérieure. Dans le cas d’une émulsion monodisperse, les clusters ainsi formés s’ordonnent naturellement suivant un réseau hexagonal compact, voir (c) Figure.2.1. A noter que ce processus est long par rapport au temps de l’expérience. En effet, il faut attendre que les gouttes soient mises en contact soit par agitation thermique, qui est minime pour de tels rayons, soit par une perturbation extérieure (choc, vibrations, ...). On accélère donc l’agrégation des clusters en déplaçant manuellement les gouttes pour forcer le cluster à prendre plus rapidement sa forme compacte. Néanmoins, les gouttes s’organisent naturellement sur un réseau régulier. Un cristal est une assemblée dense de particules qui s’ordonnent géométriquement suivant un motif régulier. Au vu de l’organisation spatiale des gouttes, on dénommera les clusters ainsi obtenus "émulsion cristalline" ou plus simplement "cristal".

Comme illustré Figure.2.1 (b), un microscope est placé en dessous de la plaque de verre inférieure et permet d’observer le cluster tout au long de sa compression. Une image obtenue en début de compression est illustrée Figure.2.1 (c). Un cluster est défini par sa taille qu’on caractérise par :

(20)

• son nombre de gouttes q selon l’axe perpendiculaire à la poussée, qualifié d’axe horizontal. Un cluster est donc composé de Ntot = pq gouttes. Par la suite un tel cluster sera appelé un cluster de taille p × q. Le nombre p sera vu comme le nombre de lignes qui composent un cluster, le nombre q comme le nombre de colonnes.

Une limitation de l’expérience est la taille maximale des clusters que l’on peut réaliser. Il est expérimentalement difficile de travailler avec de trop larges clusters. Typiquement on se limi-tera à des tailles de cluster Ntot < 50. Une limite claire de cette expérience est la taille finie

des systèmes étudiés. En effet, avec une cinquantaine de gouttes réparties sur un cluster carré 7 × 7, 28 gouttes, soit plus de la moitié, forment les bords du cluster. Dans de tels systèmes, les effets de bords ont une importance non-négligeable. Mais comme nous le verrons, le modèle théorique développé pour le bulk apporte des résultats en accord avec les données expérimentales.

2.1.2 Résultats expérimentaux : 0 10 0 20 40 60 80 100 Compression (µm) Fo rc e (nN) 0 10 0 20 40 60 80 100 Compression (µm) Fo rc e (n N) 2! 1 3! 2 4! 3 5! 4 6! 5 7! 6

(µm)

F

or

ce

(n

N)

Figure 2.2 – Evolution de la force appliquée par l’expérimentateur en fonction de l’écart entre les deux pipettes. Au fur et à mesure qu’on réduit l’écart entre les deux pipettes, on casse les cluster à p lignes pour reformer celui à p − 1 lignes, et ce ainsi de suite jusqu’à obtenir plus qu’une seule rangée de gouttes, p = 1.

Les clusters ainsi générés, on va appliquer une déformation axiale à notre système. Pour cela, on place le cluster entre deux pipettes placées de façon horizontale au niveau du plan équatorial des gouttes. La première pipette, qui est courte et épaisse, est appelée "pushing" pipette, indiquée par (ii) sur le schéma. Son déplacement est contrôlé par l’expérimentateur à l’aide d’un système de translation qui lui permet de bouger de façon fluide à une vitesse de 0.3 µm par seconde. La deuxième pipette est longue (' 3 cm) et fine (' 10 µm). Elle est appelée "force-sensing" pipette, indiquée par (iii) sur le schéma. Son extrémité est fixe. Les forces exercées par l’expé-rimentateur pour comprimer le système à l’aide de la "pushing" pipette sont mesurées grâce à la flexion de la "force-sensing" pipette, avec une précision de 100 pico-Newton. A l’aide de ces deux pipettes, l’expérimentateur peut mesurer la force F appliquée ainsi que le déplacement δ de la "pushing" pipette. On prend arbitrairement δ = 0 au début de l’expérience. Au cours d’une

(21)

compression, on obtient alors le graphe de la Figure.2.2. En parallèle, une caméra enregistre les images obtenues par le microscope. On peut décrire schématiquement l’allure du cluster le long de la compression comme suit :

• On commence avec un cluster de taille initiale pini× qini. Ici pini= 7 et qini = 4.

• On réduit l’écart δ entre les deux pipettes jusqu’à ce qu’elles touchent toutes les deux le cluster. La force appliquée est quasi-nulle.

• On commence à comprimer le cluster, la force appliquée augmente mais le cluster conserve sa forme.

• La force appliquée chute drastiquement : le cluster se rompt.

• Les gouttes qui composent le cluster commencent à bouger les unes par rapport aux autres. Parallèlement la force appliquée redescend à une valeur quasi-nulle.

• Finalement on forme un cluster à pini− 1 lignes et le processus de compression peut recommencer.

On appellera cette expérience, c’est-à-dire le fait de passer d’un cluster initial pini× qini à ce-lui 1 × piniqini, "compression totale". Une expérience de "compression totale" est composée de

plusieurs "compressions partielles". Une "compression partielle" est l’étape qui permet de passer d’un cluster p × q à un cluster (p − 1) × q0, où la valeur de q0 permet de conserver le nombre de gouttes q0 = pq/(p − 1). Une compression partielle sera plus simplement appelée une com-pression p → (p − 1), comme indiquée sur la Figure.2.2. Une "comcom-pression totale" commençant avec un cluster de taille initiale pini×qinisera donc composée de pini−1 "compressions partielles". A l’aide de la Figure.2.3, nous allons décrire plus en détail le déroulé d’une compression partielle p → (p − 1), avec ici p = 4.

• (o) Suite à la cassure du précédent cluster, les gouttes sont libres de bouger sous l’action des deux pipettes. Elle finissent par se réarranger et former le cluster cristallin p × q. Le cluster est encadré par les deux pipettes, la force appliquée est toujours quasi-nulle. On appelle HRla distance entre les deux pipettes, qui correspond à la hauteur du cristal

au repos, HR' 2pR. On introduit la quantité ∆X telle que, au cours de la compression,

l’écart entre les deux pipettes soit égal à HR− ∆X. La quantité ∆X représente donc la déformation axiale du cristal.

• (i) On commence à comprimer le cluster en rapprochant les deux pipettes. La force ap-pliquée augmente et le cluster conserve sa forme.

• (ii) Des liaisons entre gouttes se cassent pour une certaine valeur de force critique Fcrit(p, q) : le cluster se casse. Cette cassure est associée à une certaine déformation

critique ∆Xcrit(p, q).

• (iii) (iv) Dès lors, les gouttes sont libres de se déplacer les unes par rapport aux autres. Cette étape correspond à la première étape, notée (o), de la compression suivante. Dans ce domaine, la force décroit rapidement vers zéro.

• On crée finalement le cluster (p − 1) × q0 et on recommence le processus.

Deux comportements du cluster sont notables. Premièrement, pour des valeurs de défor-mation ∆X inférieures à la compression critique ∆Xcrit, cas (i), les déformations appliquées sont réversibles. En effet, si à un quelconque moment de cette étape de compression on laisse

(22)

Force (nN)

Force critique

Force critique

Rupture du cristal

D´eformation r´eversible (a) (b) (c) (d) (e) p droplets q d ro p lets (a) (b) (c) (d) (e) p droplets q d ro p lets (i)

(i)

(ii)

(ii)

(iii)

(iii) (iv)

(iv)

(v)

(v)

Figure 2.3 – (a) Force appliquée en fonction du déplacement de la "pushing" pipette. On définit la compression ∆X comme la déformation du cristal. Celui-ci commence à être comprimé quand la force augmente significativement. On identifie différents domaines : les faibles déformations, la cassure et l’écoulement. (b) Images obtenues par le microscope lors des différentes étapes de la compression.

la "pushing" pipette libre, le cluster reprendra sa forme initiale, ∆X = 0. On remarque que la déformation totale ∆X appliquée au cristal est très faible devant le rayon R d’une goutte : ∆X << R. Pour ces deux raisons, on qualifie ∆X de petite déformation, en analogie avec la mécanique des solides. L’étude de cette première phase fera l’objet de la partie suivante 2.2.

A la limite du domaine des petites déformations, le cluster casse, puis se réarrange sous l’effet des deux pipettes. Nous allons nous focaliser sur la cassure en elle-même. La façon dont l’émulsion recrée des liaisons pour former un cluster plus petit ne sera pas traitée.

Néanmoins, on remarque qu’au début de cette phase, la force décroît de façon exponentielle vers zéro. Cette décroissance est due à la méthode de mesure. En effet, pendant la phase de déformation, la pipette de mesure se courbe sous l’action de la force appliquée. Quand cette force chute à zéro, la pipette reprend sa forme initiale droite avec un certain temps caractéris-tique. Or, la mesure de la force se fait directement en mesurant la courbure de la pipette. Par conséquent, dans ce régime transitoire, la décroissance exponentielle de la force correspond à la pipette reprenant sa forme droite.

(23)

déforma-tion et casse suivant un schéma bien défini. Les déformadéforma-tions appliquées ne sont plus réversibles : si on relâche la pipette, elle ne reprendra pas sa position initiale ∆X = 0. De plus, des liaisons entre gouttes sont brisées ce qui permet aux gouttes concernées par ces cassures de se réarran-ger. De nouveau par analogie avec la mécanique des solides, on qualifiera ces déformations de déformations plastiques. L’étude de la valeur critique et de la façon dont le cristal se brise feront l’objet de la partie 2.3.

2.2

Emulsion cristalline aux faibles déformations

Dans cette partie nous allons nous intéresser à la réponse d’une émulsion cristalline dans la limite des faibles déformations. Nous montrerons que la réponse d’une émulsion monodisperse présente des similitudes avec la réponse élastique d’un solide élastique. L’émulsion possédant une structure cristalline, pour étudier son comportement global il suffit d’étudier le comportement microscopique d’une maille. Nous étudierons donc dans un premier temps les interactions entre deux gouttes pour faire apparaître les forces qui maintiennent la cohésion d’une telle émulsion. Puis dans un second temps nous étudierons comment un cluster de taille p × q se comporte quand il est comprimé.

2.2.1 Interaction à deux gouttes et cohésion d’une émulsion

Les gouttes ayant toutes la même taille, les gouttes qui composent les émulsions s’arrangent naturellement suivant un réseau hexagonal dont on représente une maille Figure.2.5. En premier lieu, nous allons détailler et calculer les énergies d’interactions entre deux gouttes pour ensuite appliquer ces résultats à la cellule hexagonale puis enfin au cluster dans son ensemble. Les in-teractions qui peuvent apparaître entre deux gouttes dans une solution aqueuse constituent un sujet déjà largement étudié ([40, 41, 42, 43, 44]), nous nous concentrerons sur 3 interactions qui sont déterminantes dans ce type de système : les interactions électrostatiques, la tension de surface et les forces de déplétion.

De plus, nous parlerons par la suite de compression locale, c’est-à-dire entre deux gouttes, qui sera notée avec une minuscule ∆x afin de la différencier de la compression globale ∆X que l’ex-périmentateur applique au cluster dans son ensemble.

Les forces électrostatiques

Nos gouttes sont constituées d’une huile minérale neutre mais, afin de les stabiliser, nous avons ajouté du SDS qui est un surfactant ionique avec une tête hydrophile chargée et un corps hydrophobe polaire. Par conséquent, la surface des gouttes que nous utilisons pour former nos clusters est chargée. Il faut donc prendre en compte en premier lieu les interactions électrosta-tiques entre deux gouttes. Ces dernières sont dans une solution aqueuse ionique, il faut prendre en compte les interactions électrostatiques entre deux surfaces dans une solution de particules chargées. Une bonne façon d’étudier ce genre d’interactions est d’utiliser la théorie de la double couche électronique (voir [41] pour plus de détails). On pourrait résumer cette description en disant que les particules chargées de la solution vont être attirées par la surface et vont s’y déposer. De ce fait, elles vont "cacher" cette surface. Les interactions entre les deux surfaces considérées seront dites écrantées, si bien que les forces électrostatiques ne seront significatives qu’à courte portée. L’échelle de longueur de cette portée est donnée par la longueur de Debye

(24)

κ−1 : κ2= e2X i ρizi2 kBT (2.2) avec e la charge élémentaire, i permet de désigner les particules chargées de la solution, ρi et zzi

sont respectivement leur concentration en m−3 et leur nombre de charges élémentaires,  est la constante diélectrique du solvant et kBT l’énergie d’agitation thermique.

Une goutte dont la surface est chargée n’interagira de façon électrostatique avec une autre goutte que si elles sont distantes d’une longueur inférieure ou égale à la longueur de Debye κ−1.

De plus, la présence de micelles dans notre solution, qui sont de larges particules comparées aux autres ions, crée un autre phénomène : si deux gouttes sont proches l’une de l’autre, si la distance séparant leurs deux surfaces est de l’ordre de grandeur de la taille d’une micelle, ces dernières auront moins de chance de se trouver entre les deux gouttes et donc de participer à la longueur de Debye. Typiquement, si la distance séparant deux gouttes est plus petite que le diamètre d’une micelle, aucune micelle ne pourra se trouver entre les deux gouttes. Ce phéno-mène est très bien décrit dans l’article de Pashley [42] où il propose de modifier l’expression de la longueur de Debye. Nous renvoyons à l’article pour plus de précisions. La correction est minime dans notre cas mais ce phénomène de gêne stérique est au coeur des effets des forces de déplétion dont nous discuterons plus tard.

On trouve alors une longueur de Debye pour notre système d’environ : κ−1 = 0.6 nm. Les forces électrostatiques sont négligeables si la distance entre les deux gouttes est supérieure à 1nm, ce qui est bien plus petit que la précision de notre expérience. Nous supposerons alors que les interactions électrostatiques entre deux gouttes sont négligeables, elles empêcheront seulement l’interpénétration des gouttes. Deux gouttes visuellement "en contact" ne sont jamais réellement au contact l’une de l’autre : une mince couche de solvant les sépare toujours. Néanmoins, par commodité nous continuerons de qualifier ces gouttes comme étant au contact l’une de l’autre. Nous adapterons une géométrie illustrée sur la Figure.2.4. Les gouttes considérées sont des sphères de rayon R. Pour quantifier la compression de deux gouttes l’une contre l’autre, on in-troduit la quantité ∆x telle que la distance séparant les deux centres des gouttes soit 2(R − ∆x). La quantité ∆x est la déformation de chacune des deux gouttes, avec comme référence ∆x = 0 le cas où les deux gouttes sont tangentes. En comprimant ainsi les deux gouttes, on modifie leur forme. Elles conserveront une forme quasi-sphérique mais s’aplatiront au niveau du contact avec l’autre goutte. On décrira la nouvelle géométrie des gouttes comme une sphère de rayon ˜R à laquelle on a soustrait une calotte sphérique de hauteur ∆x. En rapprochant les gouttes l’une de l’autre, ∆x augmente et on déforme de plus en plus leurs surfaces. Cette description géomé-trique représente la variation de surface au premier ordre vis-à-vis de ∆x. Comme nous nous plaçons dans le cas des petites déformations du cristal, cela reste cohérent. On appellera Rc le

rayon de la surface ronde de contact. Néanmoins, malgré ce nom et comme nous l’avons précisé précédemment, les deux gouttes ne sont jamais réellement en contact à cause de la répulsion élec-trostatique entre les deux interfaces, un mince filet de solvant séparant toujours les deux gouttes.

Energie de suface

La présence d’une interface huile-solvant au niveau du bord de la goutte présente un coût énergétique, quantifié sous forme d’énergie de surface. Une goutte au repos minimisera ce coût en minimisant sa surface : elle prendra une forme sphérique. En forçant le contact entre deux

(25)

x

z

R

✓lim

x

R + R

SDS R + RSDS R x Rc ✓lim

Figure 2.4 – Deux gouttes compressées l’une contre l’autre d’une quantité ∆x seront modélisées comme deux sphères de rayon ˜R amputées d’une calotte sphérique de hauteur ∆x au niveau du contact.

gouttes, ∆x > 0, on déforme sa surface et donc on modifie son énergie de surface. On cherche à calculer la variation d’aire ∆A par rapport au cas de la goutte non-déformée. Cette variation est directement liée à la variation d’énergie de surface par :

∆Esurf = γ∆A (2.3)

avec γ la tension de surface entre l’huile minérale qui constitue les gouttes et la solution aqueuse qui constitue le solvant. Avant même de calculer ∆A, on peut remarquer que l’on cherche à calculer la différence d’aire entre une sphère de volume V = 4/3 πR3 et une autre surface qui contient le même volume V . La sphère étant la forme qui minimise la surface à volume donné, cette différence d’aire sera toujours positive. Par conséquent ∆Esurf > 0, il y a un coût énergé-tique, vis-à-vis de l’énergie de surface, à déformer la goutte. La tension de surface aura tendance à redonner sa forme sphérique à la goutte. La tension de surface va repousser les deux gouttes l’une de l’autre.

Dans le cas de la géométrie choisie, une goutte ainsi comprimée voit son énergie de surface varier comme (voir Annexe.A.1 pour plus de détails) :

(26)

L’énergie de surface a un comportement élastique vis-à-vis de la compression locale augmen-tant quadratiquement avec ∆x. Comme indiqué précédemment, cette énergie de surface tend à repousser deux gouttes via une force ~Fsurf = 2πγ∆x~x. Ce point est important car, malgré des

similitudes géométriques, nous ne sommes pas dans un cas de contact hertzien de deux solides [45, 46] où l’énergie de surface est négligeable, ni dans le modèle développé par Jonhson, Kendall et Roberts [47, 48] où la tension de surface favorise le contact des solides. Ici, il n’y a jamais réellement contact entre les deux gouttes. L’énergie de surface augmente avec la déformation, elle tend alors à vouloir séparer les deux gouttes. On remarque expérimentalement que, sans aucune intervention de la part de l’expérimentateur, deux gouttes ont naturellement tendance à rester collées. Il y a donc une autre force qui tend à rapprocher les gouttes du cluster.

Forces de déplétion

Considérons une goutte unique en solution. Elle est soumise en chaque point de sa surface à la pression hydrostatique de l’eau ainsi qu’à la pression découlant des impacts des molécules en solution dans le solvant sur la goutte. Ces deux pressions sont homogènes tout autour de la goutte et donc, si on les somme sur la surface de cette dernière, elles ont une résultante nulle. Prenons le cas de deux gouttes en contact. Une particule en solution de rayon ri ne peut pas s’approcher à une distance inférieure à R + ri du centre de la goutte. C’est le volume représenté en pointillés sur la Figure.2.4. Par conséquent si on rapproche deux gouttes, il existe une zone, entre les deux gouttes, où certaines particules ne pourront être car trop grandes. Il y aura une déplétion, un manque de ces particules, entre les deux gouttes. C’est le même phénomène décrit précédemment pour les forces électrostatiques. Cependant, pour le cas de la pression, cela joue un rôle déterminant car la résultante des forces de pression ne sera plus nulle. Cet effet est d’au-tant plus impord’au-tant que la particule en solution est grande car cette zone de déplétion entres les deux gouttes sera plus importante. Pour cette raison, nous ne considérerons par la suite que la pression induite par les micelles qui sont les particules en solution les plus massives. Une micelle est un amas d’une cinquantaine de molécules de SDS dont on appelle RSDSle rayon total. On appelle force de déplétion ~Fdep la résultante des forces de pression sur la goutte. Elle

est due aux chocs des micelles sur la surface dessinée en pointillé rouge sur la Figure.2.4. Cette dernière représente le volume où les micelles peuvent se trouver. Elle exclut donc une zone située entre les deux gouttes lorsque celles-ci sont en contact. En coordonnées polaires, c’est l’ensemble des points situés à ρ = ˜R + RSDS du centre de la goutte et d’angle θ compris entre 0 et π − θ1.

L’angle θ1 définit la zone d’exclusion.

Par symétrie, cette force est orientée suivant l’axe x, axe selon lequel les gouttes sont comprimées. On appelle Pos la pression exercée par les micelles en un point. Celle-ci est souvent qualifiée de pression osmotique car, comme dans le cas de la pression osmotique, l’absence de particules à un endroit du système va créer une force de pression. On a alors :

Fdep= −Pos( ˜R + RSDS)2 Z 0 Z π−θ1 0 sin θ cos θdθ (2.5) Comme cos θ1 = R+R˜R−∆x˜ SDS , on a alors : Fdep= −Posπ  ( ˜R + RSDS)2− ( ˜R − ∆x)2  (2.6)

On notera δR2l’écart quadratique entre le rayon de la zone interdite pour les micelles et le rayon de la goutte δR2 = ( ˜R + RSDS)2− ˜R2 = RSDS( ˜R + RSDS). A l’ordre le plus bas vis-à-vis de la

(27)

déformation ∆x, on a :

Fdep= −Posπ(δR2+ 2 ˜R∆x) (2.7)

La force de déplétion est associée à une énergie de déplétion Edep. Les deux s’écrivent comme :

(

~

Fdep= −Posπ(δR2+ 2 ˜R∆x)~x

Edep= −Posπ(δR2∆x + ˜R∆x2)

(2.8)

La force de déplétion augmente avec la compression et tend à rapprocher les gouttes. La com-pétition entre les forces de tension de surface et les forces de déplétion permet aux deux gouttes d’atteindre un équilibre stable.

Position d’équilibre et énergie de liaison entre deux gouttes

On peut trouver la valeur de compression à l’équilibre entre deux gouttes ∆xeqen équilibrant les deux forces introduites précédemment. On a alors :

∆xeq=

PosδR2

2(γ − PosR)

(2.9)

Le système constitué de deux gouttes en contact est à l’équilibre lorsque les deux gouttes sont comprimées l’une contre l’autre d’une quantité ∆xeq. Deux gouttes ont naturellement tendance à se serrer l’une contre l’autre. Une première chose à remarquer est qu’un tel équilibre n’est possible que si la pression créée par les micelles n’est pas trop importante. Deuxièmement, la position d’équilibre est nulle uniquement parce que les micelles possèdent une taille non-nulle. C’est donc bien l’existence d’une zone de déplétion, créée par la taille non-nulle des micelles qui assure cet équilibre.

Finalement deux gouttes, notées i et j, comprimées localement d’une quantité ∆xij auront une énergie :

Eij = 2π(Pos− γ)∆x2− πδR2Pos∆xij. (2.10)

A l’équilibre, le système composé de deux gouttes en contact possède une énergie négative E0 = Eij[∆xeq] : E0 = − 2 π(δR2Pos)2 4(γ − Pos) | {z } El , (2.11)

en prenant comme référence une énergie nulle pour deux gouttes qui ne se touchent pas. Par conséquent, afin de séparer deux gouttes, il faut fournir un travail. On modélisera par la suite ce travail à fournir par une énergie de liaison goutte-goutte El= −E0. Pour séparer deux gouttes

initialement en contact, il faut briser cette liaison. Par conséquent un cluster de gouttes au re-pos re-possède une énergie proportionnelle au nombre de liens goutte-goutte qu’il re-possède. Cette énergie de liaison est à l’origine de la structure ordonnée des clusters mono-disperse. Pour casser ce cluster en morceau, il faut séparer des gouttes les unes des autres. Il faut donc fournir de l’énergie : le cluster possède une cohésion interne. Cette idée sera déterminante dans la partie des grandes déformations 2.3

Figure

Figure 2.3 – (a) Force appliquée en fonction du déplacement de la &#34;pushing&#34; pipette
Figure 2.6 – (a) Force appliquée par l’opérateur F en fonction de la déformation imposée
Figure 2.8 – Images obtenues par le microscope lors de la fracture du cristal hexagonal p = 4.
Figure 2.9 – Déformation critique (i) et contrainte critique (ii) en fonction de la taille d’un cluster, comptée en nombre de lignes p.
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