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Outils stochastiques

3.1 Deux outils stochastiques

3.1.1 Estimation stochastique linéaire

L’estimation stochastique a été introduite en turbulence par Adrian [1] en 1977. Grâce à cette technique, il se propose d’estimer l’écoulement, à partir d’une information conditionnelle en un ou plusieurs points, sur un domaine où les statistiques en deux points sont connues. Un des principaux intérêts de l’estimation stochastique est de ne faire intervenir que des moments non conditionnels, donc indépendants des signaux conditionneurs utilisés pour la reconstruction du champ complet. Ainsi, d’un point de vue expérimental, seules deux sondes sont suffisantes pour bâtir l’ensemble des statistiques nécessaires à l’application de l’estimation stochastique, quelle que soit l’étendue du domaine de reconstruction envisagé.

3.1.1.a Formalisme

L’identification d’un événement E (i.e. champ de vitesses associé à une structure qu’Adrian [3] préfère nommer conditionnelle plutôt que cohérente) constituant une variable aléatoire dans un champ de données aléatoires u (i.e. champ de vitesse), peut être envisagée comme l’estimation de ce champ en fonction de E :

u(x, t) = F [E(y, t)]

où x et y sont des positions respectivement de l’espace D et D de R3. La fonction d’estimation F optimale au sens des moindres carrés, minimisant l’erreur ­

[u − F (E)]2®, est l’opérateur de moyenne conditionnelle hu|Ei. Celui-ci correspond à la moyenne des occurrences de la va-riable u lorsque l’événement, ou condition, E est vérifié(e). L’application de cet opérateur à un champ turbulent est problématique car il ne permet pas la description des phénomènes forte-ment non-linéaires et introduit de très larges erreurs quand la grandeur estimée et la condition sont décorrélées (ce qui est généralement le cas en turbulence pour des séparations spatiale ou temporelle importantes).

Ces considérations conduisent Adrian à ne pas rechercher une estimation F du champ u en fonction de E mais à rechercher une estimation de sa moyenne conditionnelle :

e

u(x, t) = hu|Ei

Cette approche est mathématiquement identique mais l’interprétation qui en est faite est diffé-rente.

En supposant que cet opérateur de moyenne conditionnelle soit une fonction continue de u, son développement de Taylor autour de la valeur moyenne de E donne :

e u(x, t) = N X i=1 Ax(yi)E(yi, t) + N X i=1 N X j=1 Bx(yi, yj)E(yi, t)E(yj, t) + ... (3.1)

où N est la dimension de l’événement conditionneur E.

Lorsque la densité de probabilité jointe entre le champ moyenné u et le champ condition-neur E est gaussienne, la moyenne conditionnelle est linéaire (Papoulis [156]). Ainsi, Adrian propose de ne considérer que le premier terme du développement de Taylor et montre

expé-rimentalement que la contribution des ordres plus élevés du signal conditionneur E est géné-ralement faible (Adrian [2]). L’estimation de la moyenne conditionnelle, tronqué à l’ordre un, devient l’estimation stochastique linéaire :

e u(x, t) = N X i=1 Ax(yi)E(yi, t)

Les coefficients d’estimation Ax sont déterminés de manière à minimiser l’erreur quadra-tique moyenne ² entre le champ u et sont estimés eu:

²(x) = ­ |eu(x, t) − u(x, t)|2® = *¯¯¯ ¯ ¯ N X i=1 Ax(yi)E(yi, t) − u(x, t) ¯ ¯ ¯ ¯ ¯ 2+

où l’opérateur de moyenne d’ensemble h.i représente ici une moyenne temporelle du fait du choix délibéré d’une notation spatio-temporelle (x, t) se rapprochant de l’application concrète de cet outil.

Cette minimisation est effective lorsque la fonction d’erreur est indépendante des coefficients d’estimation, soit :

∂²(x) ∂Ax(yi) = 0

La vérification de cette condition conduit à l’obtention du système linéaire suivant, traduisant l’orthogonalité de la fonction d’erreur ² aux jeux de données u :

* 2 " N X i=1 Ax(yi)E(yi, t) − u(x, t) # E(yj, t) + = 0 , ∀j = 1, 2, ..., N

Ce système traduit l’orthogonalité entre la fonction d’erreur et l’événement conditionnel et peut être remanié sous la forme suivante :

hu(x, t)E(yj, t)i =

N

X

i=1

Ax(yi) hE(yi, t)E(yj, t)i , ∀j = 1, 2, ..., N

La résolution de ce système linéaire permet ainsi la détermination des coefficients nécessaires à l’estimation de la moyenne conditionnelle du champ u. Celle-ci ne nécessite que la connais-sance du tenseur d’auto-corrélation du champ conditionneur E et du tenseur de corrélation de ce champ avec le champ estimé u.

L’estimation stochastique possède l’avantage d’être non homogène dans le sens où des si-gnaux de nature différente peuvent être combinés permettant, par exemple, d’estimer un champ de vitesse à partir de mesures de pression. Ce type d’application a été mis en œuvre par Pi-card [163, 162], Ricaud [171] ou encore Tinney [183] dans le cadre d’un jet, mais également par Naguib et al. [148] et Murray [188] à partir de pressions pariétales respectivement en couche limite et en écoulement de cavité ouverte.

Lorsque les variables aléatoires estimée u et conditionnelle E sont de même nature, issues par exemple d’un même champ de vitesses, la LSE vérifie les propriétés :

– de coïncidence : l’estimation à la position du signal conditionneur est exacte (i.e. si E=u, alors eu=u) ;

conservées ;

– de linéarité : le champ estimé satisfait l’équation de continuité si elle est respectée par le champ original.

– de séparation : quand le signal conditionneur E s’éloigne du signal estimé eu, celui-ci tend vers la moyenne du signal estimé hui (nulle quand l’estimation porte sur des fluc-tuations) ;

Cette dernière propriété revêt un caractère très important. En effet, basée sur le tenseur de cor-rélation, la LSE définit une structuration en réponse à un état local lié á l’échelle intégrale. Un signal non corrélé avec les signaux conditionneurs ne pourra pas être estimé. Le choix des si-gnaux conditionneurs, de leur nombre et de leur position, est par conséquent crucial. Ce point est développé par Perret [158] sur la base d’analyses couplant la LSE et la POD. Il montre que l’estimation LSE agit comme un filtre dans le spectre POD, le nombre de modes estimés étant égal au plus, au nombre de signaux conditionneurs utilisés.

La LSE a été utilisée par de nombreux auteurs dans diverses configurations d’écoulements afin d’identifier des structurations caractéristiques, d’en étudier l’évolution ou encore d’estimer des champs de vitesse à partir d’un nombre réduit de mesures. Une revue d’applications de la LSE peut être trouvée dans les travaux d’Adrian [3].

3.1.1.b Estimation d’ordre supérieur

L’estimation stochastique est classiquement utilisée sous sa forme linéaire. Or, sous cer-taines conditions, les ordres supérieurs des signaux conditionneurs peuvent contribuer de ma-nière non négligeable à estimer la moyenne conditionnelle. En effet, celle-ci est un opérateur linéaire dans le cas où la distribution de probabilité jointe du signal estimé et des signaux conditionneurs est normale (Papoulis [156]). Cependant, dans nombre d’écoulements turbu-lents, cette hypothèse n’est pas valide (Barndorf-Nielsen [13]). Dans ces conditions, la conser-vation d’ordres supérieurs à 1 dans le développement de Taylor de la moyenne conditionnelle (éq. 3.1) apporte un gain à l’estimation (Brereton [32]). En conservant l’ordre 2, l’estimation stochastique est qualifiée de quadratique (QSE pour Quadratic Stochastic Estimation). Suivant la démarche de la LSE, l’annulation des dérivations de l’erreur quadratique moyenne ² par les coefficients linéaire Axet quadratique Bxconduit au système linéaire :

huiEji = AilhElEji + Bmni hEmEnEji huiEjEki = AilhElEjEki + Bmni hEmEnEjEki

Où la sommation implicite du double indice est utilisée ainsi que les simplifications suivantes :

ui = u(xi, t) Ei = E(yi, t) Aij = Axi(yj) Bjki = Bxi(yj, yk)

Plusieurs auteurs ont noté un apport considérable de cette formulation, particulièrement en utilisant des mesures de pression pariétales comme signaux conditionneurs pour estimer le champ de vitesse en couche de mélange turbulente (Guezennec [87], Naguib et al. [148]) ou encore en écoulement de cavité ouverte (Ukeiley et Murray [188]).

3.1.1.c Estimation à Temps Décalés

La LSE permet l’estimation d’une variable à un instant donné à partir d’événements condi-tionneurs pris au même instant. Afin de pouvoir étudier la structuration d’une couche limite à différentes échelles, Guezennec [87] introduit une extension de la formulation intégrant une notion de retard temporel. Considérant le retard τ, l’estimation correspond à la moyenne condi-tionnelle :

e

u(x, t ; r, τ ) = hu(x + r, t + τ)|E(y, t)i

Le développement en série de Taylor et la minimisation de l’erreur quadratique moyenne conduit au système linéaire suivant :

hu(xi+ r, t + τ )E(yj, t)i =

N

X

i=1

A(r ;τ )(yi) hE(yi, t)E(yj, t)i , ∀j = 1, 2, ..., N La détermination des coefficients d’estimations nécessite la connaissance du tenseur des corré-lations spatio-temporelles en deux points. Cette notation est reprise par de nombreux auteurs et s’étend aisément à une estimation d’ordre supérieure (QSE).

Toutefois, celle-ci ne constitue pas à proprement parlé une généralisation de l’estimation sto-chastique. En effet, la notion de retard étant intégrée par le signal estimé et non par les signaux conditionneurs, il n’est pas possible de faire intervenir différentes échelles temporelles dans l’estimation. Cette simple inversion de point de vue permet de formuler une estimation plus générale, s’étendant alors jusqu’au domaine spectral. Cette formulation est proposée au §3.5.

Un autre outil dédié à la détection des structures cohérentes a été précédemment cité. Nom-mée décomposition orthogonale aux valeurs propres, cette méthode est également basée sur le tenseur de corrélations en deux points et fait l’objet du paragraphe suivant.