• Aucun résultat trouvé

Outils stochastiques

3.1 Deux outils stochastiques

3.1.2 Décomposition orthogonale aux valeurs propres

Afin de pallier le caractère subjectif des méthodes conditionnelles d’identification de struc-tures cohérentes, Lumley [129] propose une définition de ces dernières en s’appuyant sur un critère énergétique. Il décrit les structures cohérentes d’un écoulement comme un objet spatio-temporel dont la projection sur le champ de vitesse est maximale au sens des moindres carrés. Il introduit alors l’expansion de Karhunen-Love en turbulence, renommée POD pour Proper Orthogonal Decomposition.

Par décomposition du tenseur de corrélation en deux points, cet outil permet de définir une base orthogonale intrinsèque de l’écoulement qui est optimum au sens de l’énergie. Les modes obtenus sont déterministes et indépendants. Leur projection sur le champ de vitesse est maxi-male et ils correspondent aux modes préférentiels des fluctuations.

L’évolution des moyens actuels de mesures et de traitements des données a systématisé les acquisitions de nombre élevé de mesures simultanées et généralisé ce type d’analyse. De nom-breux auteurs l’ont appliqué à diverses configurations d’écoulement telles que des écoulements cisaillés libres, écoulement de paroi ou encore de convection libre. Pour plus de détails sur les applications et interprétations, le lecteur pourra se référer aux revues de Berkooz et al. [20], ou encore Holmes et al. [94].

3.1.2.a Formulation

Considérant un ensemble D de variables aléatoires u complexe, l’approche POD consiste à en déterminer une base de fonctions φ optimale permettant sa représentation sous la forme :

u(x) =

X

n=1

a(n)φ(n)(x)

Cette base est optimale au sens de l’énergie pour des fonctions complexes φ sur lesquelles la projection de la variable u est maximale. Pour déterminer cette projection, un produit scalaire doit être défini sur le domaine D (R3dans le cas le plus général). En se restreignant à l’espace de Hilbert L2des fonctions de carré intégrable (i.e. énergie finie), le produit scalaire suivant est introduit : (u, φ) = Z D u(x)φ(x)dx = Nc X i=1 Z D ui(x)φi(x)dx

où Nc représente le nombre de composantes utilisées pour la décomposition. La notation φ

désigne le complexe conjugué de la variable φ.

Le problème d’optimisation revient alors à déterminer les fonctions φ maximisant la projection de la variable u et pouvant se formuler :

h|u, φ|i2

kφk2 (3.2)

où h . i dénote la moyenne d’ensemble, | . | le module et k . k la norme L2: kφk2=(φ, φ). Ce problème de maximisation conduit à la résolution d’un problème aux valeurs propres qui se présente sous la forme d’une équation intégrale de Fredholm :

Nc X j=1 Z D Rij(x, x) φ(n)j (x) dx= λ(n)φ(n)i (x)

dont le noyau Rij(x, x) est le tenseur des corrélations en deux points qui, sous les hypothèses de stationnarité et d’hergodicité, prend la forme :

Rij(x, x) = 1 T

Z

T

ui(x, t)uj(x, t)dt , T → ∞

Selon la théorie de Hilbert-Schmidt, le domaine d’intégration D doit être borné et le noyau doit appartenir à l’espace des fonctions à carré sommable et être hermitien. De plus, s’il existe une direction d’homogénéité ou de stationnarité, la POD dégénère en décomposition harmo-nique dans cette direction et ne peut y être appliquée (§3.1.2.b).

Sous ces conditions, l’équation de Fredholm admet une infinité dénombrable de solutions φ(n). Celles-ci peuvent être choisies orthogonales, propriété se traduisant par la relation :

¡

φ(m), φ(n)¢ = δmn

où δmn est le symbole de Kronecker.

Ainsi, toute réalisation ui(x, t) peut se décomposer dans cette base :

ui(x, t) =

X

n=1

où les coefficients de projection a(n), également appelés coefficients instantanés, sont définis par : a(n)(t) =¡ u, φ(n)¢ = Nc X i=1 Z D ui(x, t)φ(n)i (x)dx (3.4)

Ces coefficients sont non corrélés entre eux : ­

a(n)a(m)®

= δnmλ(n)

Les valeurs propres λ(n)sont représentatives de l’énergie globale dans le domaine D conte-nue dans le mode auquel elles sont associées. Le tenseur de corrélation étant défini positif, elles sont par définition positives. Elles sont généralement classées par niveau décroissant :

λ(1) ≥ λ(2) ≥ λ(3) ≥ ... ≥ 0

De plus, le noyau Rij peut être reconstruit à partir de ces valeurs propres et des fonctions propres : Rij(x, x) = X n=1 λ(n)φi(n)(x)φ(n)j (x)

Les fonctions propres φ(n) obtenues par POD sont des fonctions intrinsèques de l’écoule-ment considéré. Elles sont uniquel’écoule-ment optimum pour cette configuration donnée et ne peuvent pas être généralisées. Les premiers de ces modes, les plus énergétiques, sont associés à la struc-turation dominante de l’écoulement et ainsi représentatifs des structures cohérentes.

Par ailleurs, il peut être relevé qu’étant donné l’existence d’une relation linéaire entre les modes POD et les réalisations instantanées (éq.3.3), ces modes vérifient les mêmes relations linéaires. En particulier, dans le cas de décomposition d’un champ de vitesses incompressible, la diver-gence des modes POD est nulle.

L’orthogonalité des modes propres constitue également une propriété importante de cette dé-composition. Elle en facilite l’application et le maniement (d’où la profusion d’extensions et adaptations, cf.§3.1.2.c) mais ajoute des contraintes à leur détermination et en rend l’interpré-tation délicate. En outre, celle-ci impose un nombre de passage par zéro croissant avec l’ordre des modes.

Il peut également être noté que le caractère décorrélé des coefficients de projection a été ex-ploité lors de cette étude pour développer une méthode de normalisation des signaux à base de décomposition orthogonale. Celle-ci est détaillée au §3.4.

3.1.2.b POD et analyse harmonique

La mise en œuvre de la POD nécessite que le domaine d’intégration soit borné. Les direc-tions d’homogénéité, de stationnarité ou de périodicité nécessitent donc un traitement particu-lier. Nous traiterons ici uniquement du cas d’une seule direction d’homogénéité, l’extension à d’autres directions, spatiale ou temporelle, étant directe. Si l’on suppose que l’écoulement est homogène en moyenne suivant la direction Ox3, le tenseur des corrélations ne dépend plus de la position effective x3 mais uniquement de la distance r3=x

3−x3. En distinguant la variable x3 et en introduisant une nouvelle variable χ, la variable d’espace x devient x=(χ, x3). On peut alors écrire l’équation de Fredholm sous la forme suivante :

Nc X j=1 Z D Z −∞ Rij(χ, χ; x3− x3) φ(n)j; x3) dχdx3 = λ(n)φ(n)i (χ ; x3) (3.5)

Compte tenu de l’homogénéité, on peut procéder à une décomposition harmonique des fonc-tions propres φ(n)

l suivant la direction Ox3. Sa décomposition en série de Fourier bφ(n)l est définie par : φ(n)l (χ ; x3) = X k3=−∞ b φl(χ ; k3) ej2πk3x3

En introduisant la transformée de Fourier Ψij du noyau Rij suivant la direction Ox3 :

Rij(χ, χ; x3− x3) =

X

k3=−∞

Ψij(χ, χ; k3) ej2πk3(x3−x3)

et en tenant compte des propriétés d’unicité des coefficients de Fourier, le problème aux valeurs propres à résoudre devient :

Nc X j=1 Z D Ψij(χ, χ; k3) bφ(n)j; k3) dχ= λ(n)(k3)bφ(n)i (χ ; k3) (3.6)

Cette forme revient à admettre que l’équation est indépendante pour chaque nombre d’onde k3. De plus, la suite des fonctions harmoniques devient solution de l’intégrale de Fredholm. Dans ces directions, la POD dégénère donc en une décomposition harmonique. Les fonctions propres, solutions de3.6, constituent une base optimale pour la décomposition de la transformée de Fourier dans la direction Ox3 du champ aléatoire :

b ui(χ ; k3) = X n=1 ba(n)(k3)bφ(n)i (χ ; k3)

Cette propriété de la POD a été exploitée par Coiffet [41], Coiffet et al. [42] et Druault et al. [58, 56,57] pour extrapoler les fonctions propres d’une couche de mélange turbulente dans la direction transversale, permettant l’utilisation des contributions instantanées expérimentales des premiers modes, représentatives de la structuration dominante, comme conditions d’entrées de simulations numériques.

La seule différence avec le problème initial3.5réside dans le fait que toute fonction de la forme bφ(n)i (χ ; k3) ejθi(k3) est également solution de la décomposition, quelque soit la fonction θi(k3). Il en résulte une indétermination de phase qui ne peut donc pas être déterminée à partir des seules corrélations en deux points.

Cette indétermination pose un problème pour le retour au domaine physique des fonctions propres obtenues. Par exemple, dans le cas de direction d’homogénéité Ox3 traité ici, la po-sition x3 de transformée de Fourier inverse des fonctions propres ne peut pas être définie. Pour pallier cette incertitude, la décomposition du shot-noise peut être employée. Celle-ci permet le retour au domaine physique de la fonction propre du premier ordre par définition d’une fonction de phase θ1(k3). Trois méthodes peuvent être utilisées pour déterminer cette fonction :

– Mise en œuvre de corrélations en trois points (Moin et Moser [143]) ;

– Utilisation de la continuité de la représentation dans le domaine de Fourier de la structure dominante (Moin et Moser [143], Delville [53]) ;

– Utilisation de la compacité spatiale de la structure dominante (Moin et Moser [143]). 3.1.2.c Autres formulations

Depuis l’introduction de la POD en turbulence par Lumley, de nombreux auteurs ont em-ployé cette technique. Celle-ci a ainsi évolué et diverses extensions ont été proposées.

Snapshot POD Proposée par Sirovich [176], la méthode dite Snapshot POD consiste à consi-dérer l’opérateur de moyenne d’ensemble h . i dans la formulation du problème de maximisation de la projection des variables aléatoires sur les fonctions propres (éq.3.2) comme une moyenne temporelle et non spatiale. Cela conduit à l’obtention d’une équation de Fredholm dont le noyau est le tenseur de corrélations temporelles :

C(t, t) = 1 T V

Z

D

ui(x, t)ui(x, t)dx

où T est la dimension temporelle de l’échantillon et V est le volume d’intégration du domaine D. La résolution de l’équation de Fredholm, alors formulée suivant la variable temporelle, per-met d’obtenir les coefficients instantanés a(n)(t). Les modes propres spatiaux φ(n)(x) sont dé-terminés par projection de la variable aléatoire sur ces coefficients.

Cette approche, qui présente les mêmes propriétés que la formulation classique, est em-ployée dans le cas de données spatialement bien résolues mais présentant un faible nombre d’échantillons temporels comme par exemple les mesures de vélocimétrie par imagerie de par-ticules (PIV) où les résultats de simulations numériques.

Décomposition bi-orthogonale Une généralisation de la POD est introduite par Aubry et al.[10]. La décomposition bi-orthogonale (BOD pour Bi-Orthogonal Decomposition) peut être réalisée sans a priori sur la nature de la distribution statistique des signaux considérés (station-narité, ergodicité), la seule restriction étant leur appartenance à l’espace des fonctions à carré intégrable. Ceux-ci se décomposent alors sous la forme suivante :

u(x, t) =

X

n=1

α(n)ψ(n)(t)φ∗(n)(x)

Les fonctions φ(n)et ψ(n), nommées “topos” et “chronos”, sont les valeurs propres respective-ment du tenseur des corrélations spatiales et des corrélations temporelles :

Rij(x, x) = X n=1 α(n)φ(n)i (x)φ∗(n)j (x) Cij(t, t) = X n=1 α(n)ψi(n)(t)ψ∗(n)j (t)

et vérifient la propriété d’orthogonalité : Z D φ(m)(x)φ∗(n)(x)dx = Z T ψ(m)(t)ψ∗(n)(t)dt = δmn

Les fonctions propres spatiales “topos” sont déterminées par POD classique du tenseur de corré-lations en deux points. Les fonctions propres temporelles “chronos” sont ensuite définies soit à partir de la projection des variables aléatoires sur les fonctions spatiales (i.e. coefficients instan-tanés), soit par décomposition orthogonale du tenseur des corrélations temporelles (ces résultats étant identiques).

POD-Galerkin La complexité des écoulements turbulents a conduit au développement de modèles d’ordre réduit plus aisés à décrire et à analyser. Pour se faire, une projection de

Ga-lerkin des équations régissant le système analysé (i.e. Navier-Stokes en mécanique des fluides) est réalisée sur une base orthogonale. Un ordre réduit du système est alors considéré en ne conservant qu’un faible nombre de modes (modèle d’ordre bas). Les premiers travaux utilisant un système dynamique en mécanique des fluides furent réalisés par Lorenz [128] en 1963.

Les fonctions propres issues de la POD se prêtent bien à cette application car optimum au sens de l’énergie : Elles permettent alors de capter un maximum d’énergie en un minimum de modes. La première application de la projection POD-Galerkin est due à Aubry et al. [11]. Le système d’ordre bas est obtenu en injectant la décomposition POD du vecteur vitesse 3.3

dans le système d’équations différentielles du mouvement. Dans le cas des équations de Navier-Stokes, le système dynamique d’équations différentielles ordinaires obtenu est de forme poly-nomiale au plus cubique dont l’expression générale est la suivante :

da(i) dt (t) = Di+ NT r X j=1 Lija(j)(t) + NT r X j,k=1 Qijka(j)(t)a(k)(t) + NT r X j,k,l=1

Cijkla(j)(t)a(k)(t)a(l)(t)

où Ntr est la dimension du problème soit le nombre de modes POD retenus pour décrire le système.

L’expression analytique des termes constants, linéaires, quadratiques et cubiques (Di, Lij, Qijk, Cijkl) est généralement délicate à obtenir. Diverses méthodes ont été développées pour les déterminer de manière empirique (moindres carré, modèle auto-régressif, ...).

Pour plus de détails sur cette technique, le lecteur pourra se rapporter aux travaux Braud [31], Perret [158], Holmes et al. [95] ou encore aux ouvrages de Bergé et al. [19] ou de Holmes et al.[94].

Méthode complémentaire La POD peut être utilisée comme un filtre à structures en consi-dérant les premières contributions modales instantanées :

u(n)(x, t) = a(n)(t)φ(n)(x)

Toutefois, l’obtention de ces contributions nécessite la connaissance simultanée de l’ensemble du champ instantanée pour déterminer les coefficients a(n)(t) (par projection du champ de vi-tesse sur le mode propre considéré, éq. 3.4). Or, la POD est basée sur le seul tenseur de cor-rélations en deux points qui peut être défini sur un grand domaine à partir d’un nombre réduit de sondes. L’obtention de mesures simultanées sur le domaine peut s’avérer délicate, voir im-possible (i.e. nombre de points de mesures trop important). Cela a conduit Bonnet et al. [25] à introduire la technique complémentaire. Cette technique combine la LSE (§3.1.1) et la POD, deux techniques linéaires basées sur le même tenseur de corrélations. Elle permet l’accès à une information temporelle de la structuration dominante de l’écoulement, partout où le tenseur de corrélations est connu à partir d’un nombre réduit d’informations (i.e. des points de mesures simultanées).

Cette méthode comprend classiquement trois étapes. Premièrement, les vecteurs propres POD de l’écoulement φ(n)(x) sont déterminés à partir du tenseur de corrélation. Deuxièmement, l’ensemble du champ de vitesse eu(x, t) est estimé par une LSE, basée sur ce même tenseur de corrélations, à partir d’un nombre réduit de mesures simultanées du domaine. Finalement, le champ estimé est projeté sur les vecteurs propres de la première étape, donnant ainsi accès à

une estimation temporelle des coefficients de projection POD : ea(n)(t) = N c X i=1 Z Du(x, t)φe (n)(x)dx (3.7) On notera toutefois que le recours à l’estimation du champ de vitesse complet eu(x, t) n’est pas indispensable. En effet, la seconde étape peut être éludée en définissant la matrice A(n)(x) de projection des coefficients LSE dans la base des vecteurs propres :

A(n)(x) = Z

D

A(x, x(n)(x)dx

où A(x, x) sont les coefficients d’estimation stochastique au point x (i.e. domaine complet) à partir des données aux points x (i.e. domaine restreint des mesures simultanées). Les coef-ficients de projections estimés3.7sont ainsi obtenus directement à partir des mesures simulta-nées : ea(n)(t) = N c X i=1 Z D′ A(n)(x)u(x)dx

où D dénote le domaine restreint des mesures simultanées. Notons que, du fait de la linéarité des opérateurs, l’estimation complète du champ de vitesses est obtenue par sommation de l’en-semble des contributions modales estimées.

POD étendue D’autres méthodes se proposent de combiner les approches LSE et POD. Ainsi, Maurel et Borée [137] introduisent la POD étendue (extended POD). Celle-ci permet l’extrac-tion pour un signal quelconque (vitesse, pression, concentral’extrac-tion) de sa partie corrélée avec les modes POD d’une autre grandeur connue sur le même domaine ou sur un domaine différent. Borée [28] montre le lien entre cette méthode et l’estimation stochastique. Il montre qu’elle est équivalente à l’application de Picard et Delville [163] qui estiment des contributions du champ de vitesse d’un jet en injectant les contributions modales POD de pression en champ proche dans une LSE. Ils démontrent également l’équivalence avec la méthode proposée par Taylor et Glauser [181], lesquels réalisent une estimation LSE des contributions modales POD ea(n) du champ de vitesse d’un écoulement de rampe à partir de mesures de pression pariétales.