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2. Radiothérapie conventionnelle et hadronthérapie

3.3. Etape physico-chimique

3.3.1. Effets directs et indirects

Les effets des rayonnements sur les cibles biologiques peuvent être directs et indirects. En effet, on parle d’effets directs lorsque l’énergie est déposée directement sur la molécule d’ADN en libérant un électron secondaire. Cet effet peut se produire par interaction directe avec les constituants de l’ADN (désoxyribose, base et phosphate) ou par rupture des liaisons de la molécule d’ADN induisant une cascade d’événements biologiques délétères. Les effets directs induisent une proportion plus importante de dommages de bases, et notamment l’oxydation de la guanine par rapport à la formation de cassures simple-brin (Giese and Spichty 2000; Douki and Cadet 2001; Barnett et al. 2006; Douki et al. 2006). D’autre part, l’eau est le constituant majoritaire des tissus biologiques (70 %), ce qui en fait l’acteur privilégié des effets indirects. Ce mécanisme est appelé radiolyse de l’eau et conduit à une puissante induction d’espèces radicalaires : les radicaux libres oxygénés (RLO) et les espèces réactives nitrées (RNO) (Figure 17) (O’Neill and Wardman 2009).

Des niveaux élevés d’espèces radicalaires peuvent déclencher une série d'événements de signalisation biochimiques et moléculaires préjudiciables à la survie cellulaire (Zhou et al. 2014). La radiolyse de l’eau est responsable de 60 à 70 % des lésions observées sur les molécules biologiques. Par conséquent, en réponse à une irradiation photonique, la balance des effets directs/indirects est nettement en faveur des effets indirects (Chapman et al. 1973; Roots and Okada 1975; Roots et al. 1985). Les molécules d’eau sont activées par ionisation, aboutissant à la formation d’H20+ et d’un électron ou par excitation et donc formation de la molécule H20*. Ces trois espèces vont interagir avec des molécules d’eau ou des ions H+. Le radical cation H20●+

, en interagissant avec une molécule d’eau va former le radical hydroxyle HO et l’ion H30+. L’électron, éjecté lors de l’ionisation de l’eau perd progressivement son énergie cinétique jusqu’à sa capture par n molécules d’eau (nH20) pour former un électron solvaté (e-aqueux). Parallèlement, les molécules H20* se décomposent en deux espèces radicalaires H et HO. Les radicaux formés peuvent se recombiner entre eux de plusieurs façons afin de former du dihydrogène (H2) et du peroxyde d’hydrogène (H202). La combinaison de l’oxygène et des radicaux libres aboutit à l’augmentation des radicaux libres et à la création de nouvelles espèces radicalaires telles que O2-, HO2- et H+ (Sterniczuk and Bartels 2016). De plus, les radicaux organiques R et les peroxyradicaux RO2 sont également formés par arrachement d’un hydrogène et réagissent rapidement avec l'oxygène moléculaire (Amorati et al. 2016). Cette recombinaison induit la peroxydation lipidique et l'inactivation des molécules protéiques (Baraibar and Friguet 2013). En présence de chélateurs métalliques tels que le fer, les radicaux H202 et O2 -conduisent à la production de radicaux HO via les réactions de Fenton et d’Haber-Weiss (Attri et al.

63 2015). L'irradiation photonique peut aussi stimuler l'oxyde nitrique synthase inductible (iNOS), qui génère de grandes quantités d'oxyde nitrique (NO). Le NO réagit alors avec O2- pour former l'anion peroxynitrite (ONOO-) ou le radical peroxynitrile (ONOO). Ces deux derniers radicaux sont hautement réactifs et capables d'attaquer une large gamme de cibles cellulaires, y compris les lipides, les thiols, les protéines et les bases d'ADN (Azzam et al. 2012).

Figure 17 : Echelle de temps des principales étapes de la radiolyse de l’eau en réponse à une irradiation de bas TEL (Azzam et al. 2012)

64 Pendant très longtemps, la communauté scientifique a défendu le modèle d’une majorité d’effets directs en réponse aux rayonnements de haut TEL (75 %). Ce phénomène pouvait en partie s’expliquer par une ionisation importante le long de la trajectoire des ions (Roots et al. 1985). Ceci conduisait à des dommages en clusters localisés et une recombinaison locale des espèces radicalaires entre elles, associée à une faible diffusion dans la matière. En effet, plusieurs études ont démontré que l’effet des radicaux libres diminuait au fur et à mesure que le TEL augmentait (Chapman et al. 1979). Cependant depuis une dizaine d’années, cette théorie est remise en question, notamment par Douki et al. qui ont montré que la part des effets indirects serait supérieure à celle jusqu’alors décrite (Douki et al. 2006). Cette étude a démontré que la proportion de guanine oxydée, marqueur des effets directs, était identique quel que soit le type de rayonnement utilisé. Par la suite, ces résultats pionniers ont été confortés par d’autres études (Usami et al. 2008; Hirayama et al. 2009) qui ont souligné l’importance de l’effet indirect lors de l’irradiation des cellules par des ions carbone à différents TEL. La radiolyse de l’eau est aussi présente en réponse aux hauts TEL mais en proportions différentes et le long de la trajectoire des ions (Mohamad et al. 2018). Les radicaux libres produits vont alors se recombiner entre eux pour aboutir à la formation des espèces moléculaires H202 et H2, ainsi qu’à une nette diminution des espèces OH, e-aqueux, et H.

En conditions hypoxiques, c’est-à-dire en l’absence d’oxygène essentiel à la production radicalaire, les rayonnements de haut TEL sont également capables de produire des radicaux 02- et H02- (Movafagh et al. 2015). En effet, la formation des radicaux superoxydes augmente lorsque le TEL croît. Les ions carbone produisent des radicaux superoxydes et leur forme protonée par multi-ionisations (Gervais et al. 2005). Ces radicaux sont peu réactifs sur les cibles biologiques mais sont cependant capables de produire des réactions secondaires avec la formation de peroxyde nitrique et de peroxyde d’hydrogène, toxiques pour la cellule. La dismutation des O2- permet aussi la formation de molécules d’oxygène qui pourraient amplifier les dommages oxydatifs de l’ADN. Par conséquent, ces mécanismes pourraient en partie expliquer la diminution de l’effet oxygène en réponse aux ions lourds et par conséquent l’OER. L’OER augmente donc avec la diminution de la tension en oxygène alors qu’il diminue avec le TEL (Rodriguez-Lafrasse and Balosso 2012).

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