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2. Radiothérapie conventionnelle et hadronthérapie

3.3. Etape physico-chimique

3.3.2. Dommages radio-induits

3.3.2.1 Dommages radio-induits de l’ADN

Les radiations ionisantes sont responsables d’un large spectre de dommages de l’ADN, qui peuvent être classés en fonction du degré d’atteinte de l’ADN (Figure 18) (Vitale et al. 2017).

Figure 18 : Représentation schématique des principaux dommages de l’ADN produits par des effets directs et indirects (https://radioactivitetpe.wordpress.com)

Certaines lésions de l’ADN ne déforment pas significativement la double hélice d’ADN et comprennent :

o Des altérations simples de bases par alkylations, oxydations provoquées par les RLO (conversion de la guanine en 8-oxoguanine), désaminations spontanées (conversion de la cytosine en uracile par exemple) ou encore des méthylations erronées imposées par la S-adénosylméthionine (SAM) (Ravanat et al. 2012; Hall et al. 2017).

o Des sites abasiques produits par hydrolyse spontanée (dépurination) ou par les RLO.

o Des cassures simple-brin (CSBs) formées comme intermédiaires lors de la réparation de l’ADN, par les RLO ou encore par inhibition de l’activité de la topo-isomérase. Elles sont retrouvées au niveau de la liaison phosphodiester entre le phosphate et le désoxyribose suite à l’arrachement d’un atome d’hydrogène. Les CSBs correspondent aux dommages les plus fréquents avec les dommages de bases. Elles ont par ailleurs peu d’impact sur la létalité de la cellule dans la mesure où leur réparation est complète et très rapide en moins d’une heure (Caldecott 2014b).

66 D’autres lésions de l’ADN sont décrites comme déformant de manière importante la double-hélice d’ADN. Il s’agit :

o De certaines lésions oxydatives (désoxyadénosine et désoxyguanosine).

o Des cassures double-brin (CDB) qui se définissent par la rupture des deux brins d’ADN à des sites distants de quelques bases. Elles peuvent être induites directement ou indirectement par les RLO formés par les rayonnements ionisants. Il s’agit des dommages radio-induits les plus rares, nécessitant des micro-dépôts d’énergie importants. Lorsqu’elles ne sont pas réparées, les CDBs correspondent aux dommages les plus conséquents et jouent un rôle très important dans la létalité radio-induite (Dikomey and Brammer 2000).

o Les pontages d'ADN inter-brin ou intra-brin qui peuvent conduire en autre à la formation de dimères de thymine lorsque les deux bases sont consécutives sur la séquence d’ADN (Ciccia and Elledge 2010).

o Des pontages ADN/protéines, qui se forment lorsqu'une protéine se lie de façon covalente à l'ADN, ayant pour conséquences de bloquer certains processus biologiques tels que la réplication, la transcription, la réparation ou la recombinaison.

Ces dommages sont présents en proportions variables et ont été quantifiés en réponse à un rayonnement photonique de 1 Gy par cellule (Tableau 6) (Ward 1988).

Tableau 6 : Quantification des dommages induits par un rayonnement photonique de 1 Gy par cellule

(Ward 1988)

Types de dommages Fréquence des lésions induites à

l’ADN par cellule et par Gray

Cassures simple-brin 1000

Cassures double-brin 40

Dommages de bases 2000

Pontages ADN/ADN 30

Pontages ADN/Protéine 150

En réponse aux rayonnements de haut TEL, la proportion de CSBs et de CDBs est modifiée. En effet, en réponse à une irradiation photonique, 30 à 40 % des cassures observées sont des CDBs, taux qui augmente jusqu’à 70 % en réponse aux irradiations de haut TEL (Nikjoo et al. 2001). Ce ratio reste controversé en raison de la variabilité de la technique de détection utilisée (Boucher et al. 2006; Nikitaki et al. 2016). Paradoxalement, le nombre absolu de modifications produites par dose unitaire (Gy) est plus faible dans les cellules exposées à des particules de haut TEL telles que les ions lourds par rapport aux cellules irradiées par des rayons γ ou X (Pouget et al. 2002). Cependant, la probabilité

67 que deux événements se produisent localement sur les deux brins augmente lorsque le TEL augmente (Roots et al. 1989, 1990; Lobrich 1998). Les analyses biologiques et les simulations de Monte-Carlo suggèrent que les ions lourds induisent des lésions complexes de l'ADN, en raison d’une distribution de dose hautement concentrée et localisée dans la trajectoire des ions (Tsao et al. 2007; Eccles et al. 2011; Pachnerová Brabcová et al. 2014). En effet, ces dommages sont organisés en clusters constitués de CSBs et de CDBs, ainsi que des dommages de bases situés à un ou deux tours d’hélice d’ADN (10-20 nm). Ces lésions complexes, appelées LMDS (Locally Multiply Damaged Sites), sont considérées comme non réparables ou comme retardatrices de la réparation globale de l'ADN (Prise et al. 1994; Kryston et al. 2011). Après une irradiation photonique, 90 % des cassures totales induites sont réparées alors que seulement 50 % de ces dernières le sont en réponse aux ions néon de 183 keV/μm (Goodwin et al. 1989). Au niveau chimique, un dommage induit par un rayonnement à fort TEL rassemblera plusieurs lésions de l’ADN parmi les 70 anomalies décrites ainsi qu’au minimum une CDB (Stewart et al. 2011; Georgakilas et al. 2013). Selon Shikazono et al. (2009), ces dommages sont constitués d’au moins deux lésions simples de l’ADN localisées sur une vingtaine de paires de bases adjacentes et de lésions en tandem (Shikazono et al. 2009). Les LMDS sont donc caractéristiques de l'endommagement de l'ADN après un rayonnement de haut TEL.

Comparés aux photons, les ions lourds induisent un plus grand nombre de délétions et d'aberrations chromosomiques (chromosomes dicentriques, acentriques et translocations) considérées comme une cause de létalité des cellules après irradiation (Goodwin et al. 1989; Fujii et al. 2013). Les réarrangements chromosomiques résultent de CDBs mal réparées en raison de défaut des systèmes de réparation, alors que les cassures chromosomiques ou les délétions proviennent de CDBs non réparées (Geard and Ponnaiya 2004). Très peu d’études existent en réponse aux ions carbone et sont majoritairement réalisées sur lymphocytes. Une autre étude a montré que l’augmentation de la complexité des lésions de l'ADN obtenues par déplétion du glutathion combinée à l'hadronthérapie, pouvait minimiser l'instabilité génomique des cellules cancéreuses résistantes et ainsi réduire le phénomène d'échappement tumoral après radiothérapie (Hanot et al. 2012).

En présence de dommages radio-induits de l’ADN, plusieurs scénari peuvent être envisagés : o Soit la lésion n’est pas réparable et conduit irrémédiablement à la mort cellulaire ;

o Soit la lésion est réparable et la cellule active les mécanismes de réparation de l’ADN après interruption du cycle cellulaire. Cette réparation pourra être fidèle permettant la survie cellulaire ad integrum, soit fautive conduisant à l’apoptose ou à la production d’aberrations chromosomiques potentiellement responsables de la cancérisation via l’instabilité génétique ou la mort cellulaire différée (Khalifa et al. 2012) .

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3.3.2.2 Dommages radio-induits des lipides

Au cours de la radiolyse de l’eau, les RLO produits induisent des dommages au niveau membranaire. Ces dommages sont issus de processus d’oxydation appelés peroxydation lipidique. Les RLO attaquent les doubles liaisons des acides gras polyinsaturés à longue chaîne. Ces réactions conduisent à la formation d’aldéhydes qui interfèrent dans la transduction des signaux tels le TGFβ et les interleukines mais aussi dans la prolifération cellulaire (Albanese and Dainiak 2003). Ces molécules possèdent également une forte affinité pour l’ADN, les protéines ou encore les phospholipides. La peroxydation lipidique induit donc une modification de la perméabilité sélective des membranes et de leur fluidité. Cela va se traduire par une augmentation de la perméabilité membranaire aux petits ions tels que les ions calcium, ainsi que des dysfonctionnements des transporteurs, notamment ceux du glucose, perturbant ainsi l’homéostasie cellulaire (Albanese and Dainiak 2003).

Les radiations ionisantes sont également capables d’activer des enzymes membranaires comme les sphingomyélinases. Ces enzymes, qui hydrolysent la sphingomyéline en céramide (Cheng et al. 2007) sont impliquées dans l’induction de la mort cellulaire par apoptose (Haimovitz-Friedman et al. 1997a, 1997b). En réponse aux ions carbone, la production de céramide a été décrite dans 11 lignées de glioblastome et sa libération tardive était concomitante avec l’induction de l’apoptose tardive (Ferrandon et al. 2015).

3.3.2.3 Dommages radio-induits des protéines

Les RLO sont capables d’oxyder la quasi-totalité des acides aminés, avec pour cible privilégiée les acides aminés soufrés (cystéine et méthionine) et les acides aminés aromatiques (tryptophane, tyrosine et phénylalanine). L’oxydation des acides aminés soufrés entraîne des modifications de la structure tridimensionnelle des protéines pouvant conduire à leur inactivation par modification du site actif des enzymes ou à la formation d’un pontage protéine-protéine (Chatgilialoglu et al. 2011). Les RLO sont également capables d’activer des récepteurs membranaires tels que celui du TNFα par induction de son ligand (Zhang et al. 2017) ou encore celui de l’EGFR par agrégation (Almajdoob et al. 2018).

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