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CHAPITRE I. Symboles mythiques d’Occident

2. Une lecture historique-poétique de la conquête et un regard occidental sur les montagnes

2.3. Le domaine de la vie : naissance, mort, abîme

2.3. Le domaine de la vie : naissance, mort, abîme

Le symbole de la montagne cosmique est-il l’un des symboles universels autour de cette figure ? La montagne du purgatoire de Dante représente, pour certains, le voyage à travers le cosmos. Son ascension se veut difficile. Dans l’imaginaire français, la montagne ne fait son apparition en littérature qu’au XVIIIe siècle et dans d'autres

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OSPINA, La Serpiente sin ojos, op.cit., p. 106., Je le surprenais parfois en train de regarder par le balcon les sévères et sombres montagnes de l’Inca avec une mélancolie incompréhensible pour celui qui ne savait pas que le roi soupirait moins pour l’aspect des montagnes que par les veines d’argent qui se cachaient à l’intérieur ; il soupirait pour la richesse gardée qui ne serait pas à lui et dont hériterait un malotru. », (traduction personnelle).

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OSPINA, Ursúa, op.cit., p. 289, « Nous étions à la fin et au commencement, à l’endroit où ils étaient tous partis chercher la richesse ou la mort. À l’endroit d’où était parti mon père, d’où était parti Pizarro avec ses yeux avides, d’où était parti Almagro avec son visage excessif. Et le soleil plongeant dans la mer était comme cette montagne d’or que tous avaient poursuivie, que certains avaient trouvée, et qui n’avait aidé personne à vivre. », p. 436.

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OSPINA, La serpiente sin ojos, op.cit., p. 108.

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domaines vers le XVe. Si auparavant on la considérait, du point de vue géologique, elle portait une connotation négative : « Elles sont liées à la crainte qui provient d'un paysage tourmenté et des manifestations étranges qu'on ne sait expliquer et que l'on considère alors comme un merveilleux proche du démoniaque. »504.

L’extrait suivant exprime l’idée de la montagne qui inhume : « Esas riquezas del Perú estaban malditas para nosotros. Un día, en su mina profunda de las montañas, el derrumbe de un túnel sepultó a mi padre con muchos de los indios que se afanaban a su servicio. »505.

Les hauteurs à plus de trois mille mètres offrent un décor où le froid et le manque d’oxygène enveloppent le corps : « […] había un avance de varones intrépidos, preparados para todo menos para los cuchillos de hielo de la montaña »506, la hauteur qui gèle chaque espace, s’empare de l’âme.

La mer est tombeau, mais la montagne peut être aussi ce lieu où la dépouille reste à jamais : « y el duelo se cumplió, con tan mala suerte que Pedro de Arcos quedó malherido por Mendoza y esa misma noche cambio el lecho codiciable de Inés por una fría tumba de las montañas. »507.

Tous les hommes qui s’aventurent dans les hauteurs paraissent périr : « El obediente Ursúa viajó a las montañas del nordeste, atravesó páramos fantasmales donde se amorataban y morían de frío los centenares de indios que se había llevado a la fuerza, desnudos pobladores del llano que no resistieron el hielo de la altura.»508. Les romans comptent des répétitions des sèmes /terrible/ et /mortel/, édifiant ainsi une signification qui se base sur la conception de la montagne comme lieu de mort, tel cette courte ligne : « pero no dejé de ser visto como un traidor por los sobrevivientes que volvieron por las crueles montañas a Quito y a Lima. »509,

« Ese regreso tuvo que ser mucho más miserable de lo que había sido el avance desde la muralla de nieves perpetuas de los montes quiteños, y sé que al fin, después de mil hambres, de cientos de muertes y de muchas más agonías, unos hombres desnudos y decrépitos, barbados y amarillos, salieron otra vez con sus llagas a padecer el hielo de las altas montañas. »510

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COMET Georges, « Montagnes médiévales, qu'est-ce à dire ? », dans Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 34e congrès, Chambéry, 2003. Montagnes médiévales, p. 9-20. url : /web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_2004_act_34_1_1843,

Consulté le 28 mai 2015, p. 13.

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OSPINA, El país de la canela, op.cit., p. 20, « Pour nous, ces richesses du Pérou étaient maudites. Un jour, dans la mine profonde au cœur des montagnes, l'effondrement d'une galerie ensevelit mon père avec un bon nombre d'indigènes qui travaillaient à son service. », Le pays de la cannelle, p. 17.

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OSPINA, Ursúa, op.cit. p. 22, « il y avait une incursion d'hommes intrépides préparés à tout sauf aux lames de glace de la montagne », Ursua, p. 43.

507

OSPINA, La serpiente sin ojos, op.cit., p. 49. « Et le duel a eu lieu, avec une telle malchance, que Pedro de Arias a été grièvement blessé par Mendoza et cette nuit même il a changé le lit convoité d’Inés par une tombe froide des montagnes. », (traduction personnelle).

508

Ibid., p. 67, « L’obéissant Ursúa a voyagé aux montagnes du nord est, il a traversé les « páramos » fantasmatiques où des centaines d’Indiens qu’il avait pris avec lui de force se violaçaient et mouraient de froid, des habitants des plaines nus qui n’ont pas résisté à la glace des hauteurs. », (traduction personnelle).

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Ibid., p. 74, « Mais j’étais toujours vu comme un traître par les survivants qui retournèrent par les cruelles montagnes de Quito et de Lima », (traduction personnelle).

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OSPINA, El pais de la canela, op.cit., p. 166, « Ce retour fut sans doute beaucoup plus dramatique que ne l'avait été notre marche après la muraille de neiges éternelles des montagnes de la région de Quito, et je sais qu'au bout du compte, après mille faims, des centaines de morts et encore plus d'agonies, une poignée d'hommes nus et décharnés, barbus et parcheminés, s'apprêtèrent encore une fois à livrer leurs plaies à la glace des hauts sommets. », Le pays de la cannelle, p. 142.

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Le narrateur examine le paysage américain où les bâtiments construits par les Indiens se mélangent aux hautes montagnes. Ces montagnes prennent toute l’importance du regard et s’imposent à l’œil de l’homme occidental :

« Me embrujaba el relato de la ciudad, la simetría de los templos, el poder de los reyes embalsamados, los canales sonoros, las murallas dentadas, la ciudad, dilatada junto al abismo, apagándose como un sol en medio de hondas cordilleras. La idea que tenía yo de las montañas era entonces modesta. Mi vida había sido la llanura marina; los altos galeones que sobrevivían al cuerpo de serpiente de las tempestades y que atracaban extenuados en la bahía. »511

Un extrait saisissant capte la fureur des montagnes :

« Una mañana, sin motivo aparente, los perros empezaron a aullar de un modo angustioso, los indios se pusieron a gritar, a gemir y a alzar los brazos hacia la montaña, una bandada de pájaros pasó en bullicio, y un momento después la cordillera se movió desde las raíces. Ninguno de nosotros había visto temblar la tierra, pero aquello no era un simple temblor. Si hubiera ocurrido un mes más tarde, habríamos pensado que era una venganza de los dioses incas por las crueldades de Pizarro contra los indios, pero en ese momento todavía no habían ocurrido las masacres. Algo rugía y palpitaba bajo la tierra, hubo un deslizamiento de piedras y de árboles; mientras todo temblaba, se abrió una grieta en la montaña frente a nosotros, un estruendo repercutió por los cañones, y los que iban adelante dijeron que habían visto rodar y rebotar por los abismos un peñasco del tamaño de una catedral. Los indios clamaban al cielo, los perros ladraban, las llamas abandonadas por los portadores huían por las pendientes, y todavía el temblor no cesaba de modo que sentimos que aquellas avalanchas iban a ser nuestra tumba. Finalmente, cuando cesó la catástrofe, todos seguimos sintiendo que la tierra temblaba, y entre la consternación de los indios y la desesperación de los perros, cada uno esperaba el derrumbe que lo sepultaría. »512

Les éléments isotopiques qui se succèdent dans cet extrait participent à la création du symbole de l’abîme et de l’écroulement : « angoisse », « gémir », « tapage », « secoué », « trembler », « secousse », « rugit », « fracas », « dévaler », « rebondir », « cataclysme » s’additionnent au contexte « tombe » et « ensevelis ».

En effet,

« La montagne présente donc fréquemment les éléments que Ph.Verelst définit comme caractéristiques du topos du locus horribilis : atmosphère de mort (désert, stérilité, sauvagerie), présence d’une eau à connotation négative, pullulent d’animaux répugnants, conditions climatiques extrêmes, vacarme, lieu de souffrances,

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Ibid., p. 19, « J'étais fasciné par la description de la cité, par la symétrie des temples, par le pouvoir des rois embaumés, par les canaux sonores, les murailles dentelées, cette architecture dilatée au-dessus de l’abîme, s'éteignant comme un soleil au cœur des cordillères profondes. L’idée que j'avais des montagnes était modeste. Jusqu’alors, ma vie avait pour horizon l'étendue marine, les galions qui avaient survécu au corps de serpent des tempêtes et qui venaient mouiller dans la baie, exténués. », Le pays de la cannelle, p. 15.

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Ibid., p. 104-105, « Un matin, sans raison apparente, les chiens se mirent à hurler d'angoisse, les indiens à crier, gémir et tendre les bras vers la montagne, un vol d'oiseaux passa en grand tapage et peu après la cordillère fut secouée jusqu'aux racines. Aucun de nous n'avait jamais vu la terre trembler, mais cette fois ce n'était pas une simple secousse. Un mois plus tard, nous aurions pensé que c'était les dieux incas qui se vengeaient des cruautés de Pizarro sur les Indiens, mais à ce moment-là il n'y avait pas encore eu de massacres. Quelque chose rugit et palpita sous terre, il y eut un glissement de pierres et d’arbres ; pendant que tout tremblait, une crevasse s'ouvrit dans la montagne devant nous, le fracas se répercuta dans les canyons et ceux qui marchaient en tête dirent qu'ils avaient vu dévaler et rebondir dans l'abîme un rocher aussi gros qu’une cathédrale. Les indiens clamaient vers le ciel, les chiens aboyaient, les lamas abandonnés par les porteurs s'enfuyaient sur les pentes, les secousses ne cessaient pas et nous crûmes que ces avalanches allaient être notre tombe. Finalement, après le cataclysme, nous sentions toujours la terre trembler, et, entre les indiens consternés et les chiens désespérés, chacun s'attendait à être enseveli sous les rocs. », Le pays de la cannelle, p. 88.

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merveilleux négatif : topos dont ce critique montre les liens avec la thématique infernale. »513

Cependant, l’imaginaire occidental ne considère pas les montagnes que du point de vue de la mort. Elles signifient aussi un but, un élément à franchir, une autre possibilité de vie.