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CHAPITRE II. SYMBOLES DES MONDES ANDINS, DIVERSITÉ DANS LES ANDES

2. L’aire culturelle Yanacona- quechua

2.1. Construction isotopique dans « Samay, Espíritu de pájaro en pozos del ensueño », de Fredy

Wiñay Mallki ou Fredy Chikangana est un écrivain de la culture yanacona. Poète « engagé » de l’oralité indigène, il soulève le problème du Yanacona qui se retrouve entre deux mondes. Son écriture invite le lecteur occidental à regarder celui des ancêtres. Partant de la tradition orale, l’écriture de Chikangana explore les aspects les plus profonds de son âme ; c’est une écriture d’intériorisation où le « je » en tant que sujet est en consonance avec le « nous », en communion avec son peuple par ce qu’il évoque : les références aux ancêtres, à leur sagesse et à la valeur de la vie humaine et naturelle. Le poème « Cantos Yanaconas », ou « chants yanaconas », saisit les aspects de la culture yanacona, comme branche de la famille Kechua, et esquisse une cosmovision vivante.

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« Avec le pied sur la Mère Terre / nous sommes tous pour un et un pour tous sous le large du ciel. / nous venons du soleil / mais nous sommes aussi des êtres de la nuit / de l’éclair et du tonnerre ; / nous sommes là comme si nous étions des grappes de maïs, / sous l’épaisse fumée de l’indifférence. / Nous tannons chaque jour nos corps / dans l’allée et venue des heures, / nous repoussons en « minga » / nous nous attachons à la terre / et, comme des oiseaux, nous nous élevons / vers les rêves des gens qui cherchent / dans la même source. », (traduction personnelle), CHIKANGANA Fredy, Samay - Espíritu de pájaro, op.cit., p. 30 -31.

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« Parfois, ces aïeux apparaissent ; d’autre fois, ils laissent sortir leurs voix de l’intérieur des montagnes (celles qui ont des grottes), et d’autres, ils épouvantent. » Geografía humana de Colombia, Regiόn andina central (Tomo IV, Volumen I), CERON Carmen Patricia, DOUMIER Mamián, LOPEZ GARCES Claudia Leonor, ZAMBRANO Carlos Vladimir, Bogotá : Instituto Colombiano de Cultura Hispánica, 2000, http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/geografia/geohum4/yana7.htm consulté le 10 juin 2015.

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« D’après les aïeux, les Misak nous sommes les enfants de l’eau et de « l’arc en ciel ». Dans la nature, il y a une lagune femme et une lagune homme ainsi qu’un fleuve femme et un fleuve homme. Nous savons que la lagune de Ñimpí est femme et la lagune de Piendamú est homme. Ils ont donné beaucoup de fruits, ils ont donné beaucoup de vie », (traduction personnelle) », Témoignage enregistré du documentaire « Pueblos indígenas Misak Misak, Pastos y Yanaconas en el Centro de Memoria, Paz y Reconciliaciόn », https://youtu.be/G_PqX1OqjSY , 2:12, consulté le 30 avril 2015.

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Son ouvrage Espíritu de pájaro en pozos del ensueño, Esprit ’oiseau ans es

puits de rêverie, établit l’association avec le monde aquatique par les lexèmes

composant le titre du recueil : « puits » dont les sèmes inhérents sont /source/, /profond/, /nappe aquifère/ recevant des sèmes complémentaires activés par le contexte ; le terme « rêverie » active les sèmes /profond/, /plonger/, /vision/, /songe/ et /esprit/ propageant sur la première notion les sèmes /idéal/ et /illusion/ en opposition à la réalité concrète. La profondeur des puits atteint la nappe la plus profonde, d’où l’on extrait l’essence. L’âme de l’auteur est celle d’un oiseau voletant dans des « rêveries ». Celles-ci ne sont que le souvenir des histoires et des mythes ; elles sont l’intuition de quelque chose qui somnole. La rêverie de Fredy Chikangana est une réflexion profonde dans laquelle plonge l’esprit du poète.

La création poétique est une fonction de la mémoire collective, moyen par lequel la parole yanacona reste indélébile. La mémoire est fondamentale comme manière d’appréhender le monde, gérer les formes sociales, établir des catégories ; la poésie contemporaine vient proposer une nouvelle forme de mémoire collective, à côté des formes communément employées comme les manifestations orales ou rituelles, les gestes et les coutumes. Les cultures andines du massif central colombien paraissent répondre à des formes de mémoire rependues par des systèmes de classification. Ils se nourrissent d’un langage métaphorique. L’une des classifications les plus flagrantes est le double duel « bravo / manso » et « frío / caliente ». Ainsi, les individus classifient les choses et les lieux dans des catégories basiques. Dans le premier groupe (farouche - froid), ils assignent ce qui correspond au monde sauvage, dans le deuxième groupe (docile – chaud) ce qui correspond au monde « domestiqué ». Si les choses peuvent entrer dans la catégorie du « bravo », il y a une subdivision qui clarifie les rapports que l’homme du massif peut établir avec ces espaces ou choses. Ainsi, les lacs et lagunes sont classifiés comme des « lieux d’enchantement » autrement dit des lieux « froids » 535 :

« A los sitios de encanto solo pueden acceder parcialmente, ya que dicen están compuestos por una parte externa, seca o con agua delimitada – como las lagunas- y otra interna, generalmente húmeda y con densa vegetación. »536

Lorsque les Yanaconas veulent accéder à la partie externe des lieux d’enchantement, ils doivent se préparer en réalisant des rites. Des précautions sont nécessaires afin d’éviter le châtiment de la nature. En revanche, s’il s’agit de pénétrer les lieux et accéder à leur partie interne, des pactes avec les jucas sont impératifs.537 Ces actes indiquent le degré d’implication que le rapport homme-lieux a chez les Yanaconas.

En ce qui concerne les fleuves, rivières, ruisseaux et cascades, ils sont définis comme des lieux parmi les « pedazos feos » ou les zones affreuses. Ce sont donc des espaces dont le rapport est peu facile à établir. Par ailleurs, ils sont habités par des forces qu’il faut choyer : « Cuando “amenazan” con hacer explosión los volcanes, al desborde de ríos o en las tormentas eléctricas, ofrendan un niño auca a los espíritus, ya

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Cette forme de catégorisation est décrite dans différents articles de Beatriz Nates Cruz, où elle explique en détail le système pour ainsi comprendre l’usage des plantes en rapport au territoire. Nous nous servons de cette classification, car elle permet de voir la distinction entre les eaux stagnantes et les eaux mobiles. NATES CRUZ Beatriz, « La memoria colectiva en las clasificaciones culturales del macizo colombiano », op.cit., p. 15.

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Ibid., p. 17.

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que creen que estos desajustes son enojos de los espíritus de lo bravo.»538. Parfois, quelqu’un passant près d’une lagune, doit de mettre du sel sur les eaux et devant son chemin, pour éviter les éclairs et le brouillard539. La mythologie des communautés du massif explique l’idée de deux mondes. Ils sont entendus comme des constructions mentales qui répondent à la logique de ce qui est de l’ordre du « maîtrisable » par l’homme et de l’ordre de l’invisible, de « l’indomptable ». « Allá se defiende la misma naturaleza y las lagunas son las encargadas de defenderla, haciendo poner bravo al páramo »540.

Effectivement, les résultats statistiques indiqués par TextSTAT montrent que les lexèmes s’entretissent dans un mouvement aérien, un vol à travers la mémoire. Avec « des pas fermes sur la Terre » du monde quechua, ou en navigant dans les eaux des rivières, les chants sont l’appel à la vie, aux bienfaits du maïs et de la mère nourrice, un remerciement dirigé aux ancêtres. Nous recensons donc un nombre important de lexèmes indissociables qui s’articulent grâce aux allusions à l’eau et aux sommets. L’inventaire présente sept répétitions du terme « lluvia » ; le lexème « río » compte dix répétitions, « orilla » est répété cinq fois, « fuente » quatre fois, « lago » trois fois, « pozo » deux fois. Il y a des itérations moins nombreuses : « rocío » est répété deux fois, et les lexèmes « ahogado », « cascada », « mar », « navegando », « sediento » n’apparaissent qu’une seule fois.

Nous pouvons déjà signaler quelques apparitions des lexèmes autour de la notion de « montagne ». Dans le recueil étudié, « montaña » est répété 12 fois et « páramo » deux fois. D’autres termes n’apparaissent qu’une fois, comme « cerros », « cordillera », « despeñadero », « volcanes » et « monte ». Nous pouvons déjà supposer que les nombreuses répétitions du lexème « montagne » répondent à un imaginaire ou ces élévations sont d’une importance sociale et spirituelle indéniable.

Dans un premier temps, le lecteur n’est pas insensible aux thèmes du recueil. Le titre du poème « Cantos yanaconas »541, constitue déjà une invitation à l’écoute. Des vers annoncent « les chants silencieux qui se lèvent » à travers des lexèmes qui énoncent des chants d’oiseaux, les sons des flûtes, des percussions : « le coup du tambour et la petite caisse de résonance » ; le poète convoque ainsi un univers musical autochtone et festif.

Cantos silenciosos que se levantan desde el universo yanacona avanzan con rostro de neblina y cuerpo de laguna,

ahí tejen el chumbe de la vida y dan fuerza entre las aguas del macizo.

A lo lejos se oye un canto de esperanza,

son algunas aves de colores que anuncian el verano mientras la uvilla se amarilla bajo el sol.

¡Oh tierra amada! Del chiguaco en el atardecer, de los seres misteriosos, de las piedras que vuelan, 538 Ibid., p. 19. 539 Ibid., p. 66. 540

« Là-bas, la nature elle-même se défend et les lagunes sont chargées de la défendre, en mettant le Paramao (plateau élevé) en colère. », (traduction personnelle), PORTELA GUARÍN Hugo, « El pensamiento de las aguas de las montañas », dans: Etnográfica, Vol. VII (1), p. 63-86, p. 66,

http://ceas.iscte.pt/etnografica/docs/vol_07/N1/Vol_vii_N1_063-086.pdf , consulté le 30 juin 2015.

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CHIKANGANA Fredy, Antes del amanecer. Antología de las literaturas indígenas de los Andes y la Sierra Nevada de Santa Marta, compilateur Miguel Rocha Vivas, Bogotá: Ministerio de Cultura, 2010, 743 p., p. 293.

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aquí está entre nosotros el dulce beso de la flauta y el flautero, el golpe de tambor y la cajita, el agua de lluvia en el rostro y el canto saltarín del venado arisco.

L’un des symboles très puissant dans la représentation de la cosmovision

yanacona et qui ressort dans le poème est celui de l’eau. Les occurrences dans « Cantos

yanaconas » nous révèlent le lien étroit entre l’homme indigène yanacona et la nature, plus particulièrement avec l’eau. Ce n’est pas anodin que nous trouvions des termes comme « cuerpo de laguna » le corps de lagune, « el agua de lluvia » l’eau de la pluie, ainsi que des termes comme « fleuves » et « rivières » cités dans d’autres poèmes.

2.2. Le domaine des eaux stagnantes, des eaux profondes et immobiles

L’appropriation culturelle que les indigènes yanacona font de l’eau rappelle les mythes des « remanecidos », des statues de vierges et des saints du massif central colombien dont nous avons déjà évoqué l’existence. Ces images de divinités incarnées, ressemblant aux vierges catholiques, sont en effet des images que les Yanaconas vénèrent et respectent car elles détiennent des puissances naturelles. D’après les récits mythiques, leurs apparitions ont lieu dans les lacs et les lagunes. Ces apparitions sont d’ailleurs à l’origine de la fondation des villages. C’est dans cette logique que les lagunes appartiennent à un monde sacré, d’une part, et à un monde mythologique fortement influencé par le dogme catholique.

Le poème « Cantos yanaconas » que nous venons de citer, délimite cet aspect par le vers « avanzan con rostro de neblina y cuerpo de laguna ». La lagune est un corps invisible car elle est loin de l’homme. Elle est « encantada ».

« El agua en calma y detenida en el inframundo y en las lagunas aporta vida. “Considerada como viva, y aunque no corra, es alimentada por el aguacero que es vivo” y por el afloramiento de las aguas subterráneas; aquí es donde se logra el contacto con el mundo primigenio, génesis del mundo indígena andino. »542

La nature, en effet, prend corps. Chacun de ses êtres avait une forme corporelle avant la naissance du monde. Les êtres prennaient des formes et parlent du passé. Le contexte autour du terme « cuerpo de lagune » construit ainsi cette interprétation. Les chants donnent la force qui permet l’accès aux « aguas del macizo », et puis « los seres misteriosos », « las piedras que vuelan » propagent les sèmes complémentaires /farouche/, /sauvage/ et /sacré/ sur le lexème lagune.

Mais, si nous tenons compte de cette croyance qui considère la lagune comme un lieu d’origine, elle a également un corps féminin car c’est d’une lagune que naît la chaîne fluviale dans laquelle baigne une grande partie du territoire national. C’est aussi la mère des Yanaconas. Dans la culture de la période incaïque, la mer est revêtue d’une signification impériale. Les ancêtres étaient liés aux sources d’eau. Les Incas « se consideraban la primera de todas las naciones andinas al decir que fueron creados antes

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PORTELA GUARÍN Hugo, « El pensamiento de las aguas de las montañas », dans: Etnográfica, vol. VII (1), p. 63-86, p. 75, http://ceas.iscte.pt/etnografica/docs/vol_07/N1/Vol_vii_N1_063-086.pdf , consulté le 30 juin 2015. « L’eau calme et détenue dans l’au-delà et dans les lagunes apporte la vie. « Considéré en tant que vivante, et même si elle ne coule pas, elle est alimentée par les averses qui sont-elles vivantes » et par le jaillissement des eaux souterraines ; c’est là que l’on établit le contact avec le monde primitif, genèse du monde indigène andin. », (traduction personnelle).

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de todos en el lago Titicaca, la manifestación más grande del mar cósmico »543, de l’eau intérieure qui se déplace verticalement pour se mettre sur la surface de la terre et donner naissance aux sources. Les Incas ont répandu l’idée que l’origine de tout se trouve dans le lac légendaire. Celui-ci est un cycle qui rappelle celui de la vie :

« El lago Titicaca se conecta al mar circundante por medio del eje vertical que se conceptualiza como un gran océano o lago por debajo y dentro de la tierra. El movimiento centripetal desde la superficie de la tierra devuelve las aguas de los ríos y acequias al mar que está debajo y dentro de la tierra. »544

Par ailleurs, les animaux cités dans le poème sont aussi en rapport avec l’eau. Le « chiguaco » est un oiseau qui annonce les pluies lorsqu’il chante. Quant au cerf farouche « El venado arisco », il rappelle la catégorisation froid-chaud propre à la cosmovision yanacona, correspondant aux êtres d’en haut, sauvages, et donc appartenant au monde des lagunes, comme les « remanecidos » et d’autres entités sacrées.

Hugo Portela Guarin, nous apporte un des documents représentatifs de la cosmogonie yanacona. Il explique comment la lagune est honorée en tant que lieu de sagesse :

« El eje en torno al cual giran los tres mundos está constituído por la producción del saber–poder que nace de la relación trueno-ancestros-lagunas: el trueno (antropomorfizado en pishimisak, duende, pantasma negra y jucas), terrestre y celeste a la vez, se erige como poder y sabiduría desde el centro de las altas lagunas; los ancestros, desde el fondo de las lagunas, son conocedores del mundo, héroes culturales encargados de la socialización de la normatividad cultural; y las lagunas son las fuentes de vida. Por eso los hombres sabios que han recibido su poder y sabiduría se desenvuelven en los tres mundos, recuperan y recrean su unidad, los recorren permanentemente, física y/o mentalmente. »545

À l’intérieur de la terre, l’eau coule et assure l’équilibre des choses. Dans le poème “La Tierra” ces vers reprennent l’idée de l’eau qui coule sous la surface : « En esa tierra / está la pluma del tucán / que guarda el colorido de la vida, / está el agua libre e inquieta […] cuando la boca del tiempo los haya chupado; / volveremos entonces a esa placenta, / a esa pluma, al agua que toca los cuerpos ».

2.3. Le domaine des eaux animées, mobiles et ondoyantes

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« […] ils se considéraient la première de toutes les nations andines en disant qu’ils avaient été créés avant toutes les autres dans le lac Titicaca, la manifestation la plus grande de la mer cosmique », SHERBONDY Jeanette E., « El agua : ideología y poder de los incas », dans : El agua. Mitos, ritos y realidades, Coloquio Internacional, José A. González, Antonio Malpica Cuello, El Houssine Afkircoords, Barcelone : Anthropos Editorial, 2003, 444 p., p. 96.

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« Le lac Titicaca est lié à la mer environnante par l’axe central ; il est entendu comme un grand océan ou lac par-dessous et à l’intérieur de la terre. Le mouvement centripète à retourne de la superficie de la terre l’eau des rivières et canaux à la mer du dessous et à l’intérieur de la terre », (traduction personnelle), Ibid., p. 90.

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PORTELA GUARÍN Hugo, « El pensamiento de las aguas de las montañas », dans: Etnográfica, vol. VII (1), p. 63-86, p. 71, http://ceas.iscte.pt/etnografica/docs/vol_07/N1/Vol_vii_N1_063-086.pdf , « L’axe autour duquel tourne les trois mondes est construit par la production du savoir-pouvoir qui naît de la relation tonnerre-ancêtres-lagunes : le tonnerre (anthropomorphisé en pishimisak, lutin, pantasma noire et jucas), terrestre et céleste à la fois, s’érige comme pouvoir et sagesse depuis le centre des hautes lagunes ; les ancêtres, du fond des lagunes, sont des connaisseurs du monde, des héros culturels chargés de la socialisation de la normativité culturelle ; et les lagunes sont les sources de vie. C’est pour cela que les sages qui ont reçu son pouvoir et sa sagesse, peuvent accéder aux trois mondes, récupérer et récréer son unité, ils les parcourent souvent physique et mentalement. », (traduction personnelle).

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Prenons de nouveau le poème « Cantos yanaconas ». Sur le plan des récurrences phonétiques, le poème établit une concordance sémantique avec le jeu d’allitération en [s]. Il nous rappelle le jaillissement de l’eau. Bien entendu, il s’agit d’un phénomène qui se présente lors de la lecture du poème en espagnol non péninsulaire, une version qui est donnée aux lecteurs hispanophones et composée par le poète lui-même.

Les rivières ont aussi cette force agissante ; elles gardent les caractéristiques des êtres vivants, animés par la place qu’ils ont dans la cosmologie yanakuna, le poète les présente ainsi dans d’autres poèmes.

« De los ríos »546 :

Navegando sobre un río silencioso dijo un hermano:

«Si los ríos pudieran hablar, cuánta historia contarían…».

Y alguien habló desde lo profundo de esa selva misteriosa: «La historia es tan miserable

que los ríos prefieren callar…».

Certes, si le poème est une allusion à l’histoire de la communauté, au passé sanglant qui a frappé les Yanaconas, il reconstruit la valeur que possèdent les fleuves et les rivières.

Les rivières et d’autres sources aquatiques reçoivent des noms quechuas. Par ailleurs, les noms qui désignent les lieux géographiques de l’eau ont un vocable quechua qui le signale. Une croyance yanacona fait croire que la rivière naissant de la lagune de Santiago est un exemple de source « farouche ». Lorsque quelqu’un tente de joindre la rivière, elle s’éloigne ou elle change son cours547

.

Une simple goutte d’eau enferme en elle toute l’essence de la vie. L’eau est la substance première, le liquide de l’origine, de la fertilité. Les Yanaconas, nous l’avons déjà dit, savent que dans l’eau se perpétue l’existence. Dans le poème « Espíritu de pájaro » la parole de la sagesse et la vie que l’eau procure sont du même registre : « Estos son cantos a la Madre Tierra en tono mayor, / son susurros que vienen de bosques lejanos, / aquellas palabras esquivas que buscan ser gota en el corazón humano. »548

Le poème dans son ensemble édifie le symbole de la vie, certes, mais plus spécialement de l’eau qui donne accès à la sagesse. Les isotopies lexicales et connotatives aident à la construction de l’image de l’eau : « gota », « húmedos », « granizo », « agua », « pozos », et se placent dans un contexte parlant de chants en ton majeur mais qui gardent une certaine douceur, celle qui apporte la connaissance des choses, présage d’un temps révolu, et du nouveau temps fermant le cercle du papillon